jeudi 29 septembre 2011 | By: Mickaelus

Souvenirs du Bocage Vendéen par Dom Joseph Roux, chanoine régulier de Latran



Ligugé (Vienne)
IMPRIMERIE SAINT-MARTIN
1898

Attento suffragio Praefecti studiorum in Ordine nostro, facultatem
damus D. Josepho Roux, C. R. L., ut opus cui titulus : Souvenirs du Bocage Vendéen, typis mandare possit.

Datum Romae, ex canonica Sancti Petri ad Vincula, die 19 martii 1897.

+ P. D. Aloisius Santini,
Abbas Generalis




SOMMAIRE


A M. le Marquis de La Rochejaquelein, membre de la chambre des députés
Lettre de M. le Marquis de La Rochejaquelein
Lettre de M. Henry Savary de Beauregard
Préface

Prologue
1793 - Le Bocage Vendéen
Les Ancêtres
L'âme d'un peuple
Le vieux Sonneur vendéen
Cathelineau
Vive le Christ ! Vive le Roi !
Chant des Conscrits de Cathelineau
Marie-Jeanne
Rendez-moi mon Dieu !
La messe au fond des bois
Le vieux château de Saint-Mesmin
Le Chapelet sous les balles
Pierre Bibard
Les soldats de Marigny
Renée Bordereau
Marie-Louise du Verdier de La Sorinière
Combat du bois du Moulin aux Chèvres
Les sentinelles
Le capitaine Roucher du Pin
Les petits canonniers de Chemillé
Le puits de Clisson
Julie Tricot
Sous bois
Les Femmes Vendéennes
Audace
Mme de La Roche-Saint-André
Le dernier acte de Bonchamps
Henri de La Rochejaquelein
La Maudite
Mort de Stofflet
Le Champ des Martyrs
Charette
Les vieux martyrs
Les Vieux Soldats du Roi
La panoplie
Savenay
La Croix du chemin
1815 - Retour du drapeau blanc
1820 - Naissance de Henri V
1832 - Combat de La Pénissière
Le dernier coup de fusil
1873 - Espérance
1883 - Mort du Roi
Épilogue - Ce que fit la Vendée
Notre-Dame de Beauchêne
 

A M. le Marquis de La Rochejaquelein, membre de la chambre des députés


Monsieur le Marquis,


On acclame aujourd'hui les nullités.

Sur tous les points du territoire français, on dresse bustes et statues en leur honneur.

C'est une honte.

Mais les vrais Français respirent à l'aise, en apprenant que le grand guerrier chrétien, Henri de La Rochejaquelein, a son bronze au sol qui le vit naître.

A la bonne heure ! Une statue à un général de vingt-un ans, admiré de l'Europe, de la France et de l'Eglise : c'est juste !

Montrer à la génération actuelle et à la postérité les traits expressifs de ce héros de votre sang, c'était votre droit, votre devoir, votre désir ; c'est votre action.

Vous en avez reçu les remerciements enthousiastes de tout un peuple.

Votre fierté et votre satisfaction sont légitimes.

Henri de La Rochejaquelein, plus que tout autre, personnifie l'idée de la Grand'Guerre, l'amour du trône et de l'autel.

Cette sublime idée, qui faisait battre le cœur de la Vendée, fut à l'état de complet épanouissement, dans la belle âme du jeune généralissime.

Je ne pouvais donc faire rien de mieux, en célébrant les nobles âmes, volontairement sacrifiées, pour cette haute et noble idée, que de déposer, par vos mains, mes Souvenirs du Bocage Vendéen sur le socle de granit, aux pieds de votre illustre Henri.

Dites à ce cœur plein d'énergie, qui semble revivre encore dans ce bronze artistique, toute mon admiration et mon ardent amour.

En l'admirant, en l'aimant, j'admire et j'aime la France, ma patrie, et la Vendée, mon sol natal.


Dom Joseph Roux


Souvenirs du bocage vendéen (1898)

Lettre de M. le Marquis de La Rochejaquelein


Mon Révérend Père,

Frappé de l'imprévoyance avec laquelle des gens de bonne foi s'inclinent devant le fait accompli, vous croyez utile de rappeler au peuple de Vendée les luttes héroïques que ses pères ont soutenues « pour les autels et pour leurs foyers ».

Dieu permet que notre pays se débatte en ce moment sous des épreuves plus pénibles encore : la fidélité est méconnue et condamnée, on nous blâme de conserver les principes qui avaient élevé la France à la tête des nations et qui seuls pourraient lui rendre le premier rang. Dans le vain espoir de ramener à la justice et au respect de la liberté les ennemis de l'Église, on se soumet placidement à leur tyrannie.

En opposant au découragement et à la défection un passé de dévouement et de sacrifice, vous glorifiez la cause que la Vendée représente dans l'histoire. Il est bon de donner comme modèles à nos générations les ancêtres qui, suivant l'exemple des Macchabées, ont mis en pratique leur noble devise : « Mieux vaut mourir eu combattant, que voir la ruine de son pays et de la religion. »

Vous faites sentir que les principes ne peuvent point se modifier au hasard des temps, au gré des circonstances. Quand ils sont violés, la France décline ; elle se régénère, quand ils reparaissent ; elle succomberait, s'ils périssaient à jamais.

Recevez mon Révérend Père, avec mes félicitations et mes remerciements, l'expression de tout mon respect.

La Rochejaquelein



Clisson, 6 janvier 1897.

Souvenirs du bocage vendéen (1898)

Lettre de M. Henry Savary de Beauregard

Nous sommes heureux de donner, après la lettre du marquis de La Rochejaquelein, celle de son digne successeur à la Chambre des députés, M. H. Savary de Beauregard.

Sympathique à tous ceux qui l'approchent, il n'est connu, dans tout le Bocage Vendéen, à cause de ses grandes qualités et de son aimable dévouement, que sous le nom de Monsieur Henry.

Un brave paysan, petit-fils de chouans, me disait dernièrement de lui : « Môssieu Henry, o l'et in'boume qu'a poué pou, qui obe dret d'vont li é pis qu'é piin de r'ligiin. Si j'en aviins bé raide queme li, j's'riins pouét embotis quemej'sins : Monsieur Henry, c'est un homme qui n'a point peur, qui marche droit devant lui et qui est plein de religion. Si nous en avions beaucoup comme lui, nous ne serions pas embourbés comme nous le sommes. »

C'est vrai.


Chambre des députés

Paris, le 10 décembre 1897.


Mon cher ami,

Sous la robe de moine que vous avez l'honneur de porter, vous cachez un coeur de soldat ; nul donc, mieux que vous, ne pouvait comprendre et chanter l'immortelle gloire de nos pères. Enfant de ce Bocage Vendéen, dont chaque champ fut arrosé du sang d'un martyr, bien souvent, j'en suis sûr, vous avez tressailli quand le cri de la chouette, vieux signe de ralliement, réveillait les échos du val de Prouette où les vôtres ont vécu.

En cheminant le soir dans nos sombres sentiers, n'avons-nous pas tous évoqué le souvenir de ces milliers de héros en sabots qui, le travail fini et la prière dite, étaient passés par là eux aussi, l'arme au bras, pour aller généreusement mourir ?

Ah ! vous avez bien fait de remettre sous les yeux de cette génération sans idéal et sans courage les grands exemples du passé.

Nos ancêtres auraient-ils donc épuisé toute la sève de ce vieux sol de France? Je ne veux pas le croire. Le Dieu pour lequel ils ont été si prodigues de leur sang en aura bien laissé quelques gouttes dans les veines de leurs fils.

Oui. mon cher ami, votre œuvre était utile et elle naît à son heure. Le peuple, las des mensonges et des promesses vaines, se prend à regretter la vieille chanson qui jadis berçait ses douleurs. Ce n'est pas en vain que cinquante générations de mères sincèrement catholiques avaient pendant des siècles infusé dans son âme les principes et l'amour de la religion du Christ.

Des sophistes et des ambitieux ont pu tromper ce peuple et l'égarer ; il arrive toujours un moment ou le besoin de la vérité se fait sentir.

Malgré toutes les attaques et toutes les défaillances, la foi, qui avait fait notre patrie si grande et si forte, n'est pas morte encore. Voyez tous les sacrifices qu'elle suscite et toutes les oeuvres qu'elle soutient. Espérons donc dans ce renouveau que certaines lueurs semblent présager.

En rappelant la grandeur de ces Vendéens dont nous sommes si fiers de descendre, de ces géants, comme les appelait Napoléon, qui seuls bravaient la tempête révolutionnaire pour défendre leurs autels, vous avez noblement participé, mon cher ami, au travail que nous devons tous entreprendre et poursuivre, et qui consiste à ressusciter chez nos concitoyens le sentiment chrétien, base de notre vieil honneur national.


Henry Savary de Beauregard, député des Deux-Sèvres



Souvenirs du bocage vendéen (1898)

Préface

Sur le granit du monument funèbre dressé à la mémoire des héroïques martyrs tombés au sol de Savenay, ces mots sont gravés : Britannia et Vendaea fideles Deo et Regi. On ne pouvait à ces chrétiens donner plus noble titre, car c'est par leur fidélité à la croix et aux lys qu'ils passeront à l'immortalité.

« On leur a reproché de s'être révoltés contre le gouvernement établi, mais celui qui défend la justice n'est pas un rebelle. Du reste, il n'y a pas de révolte contre la révolte.

« On s'était révolté le 10 août contre Louis XVI ; on pouvait donc se soulever pour venger ses droits.



« La religion ne prescrit pas l'obéissance aux pouvoirs faux et injustes. Il n'y a rien de faux, rien d'injuste à préférer le bien général de la communauté sociale au bien particulier (note : Univers du 10 janvier 1849, en réponse à la Quotidienne). »

« Les gens de probité doivent se lever en masse pour protester contre le crime. Il était flagrant alors. La Vendée a donc dû agir comme elle a agi (Crétineau-Joly, Guerres de la Vendée, t. I). »

«J'ai contemplé de près cette guerre de la Vendée, si pleine d'intérêt et d'images. J'y pense le jour, j'y rêve la nuit. Ce n'est pas une guerre froide et plate, une guerre d'ambition et de politique, une guerre de commerce et de calcul ; c'est une guerre profonde qui a ses racines dans le sol, dans le culte, une guerre de famille et de patrie, une guerre à la manière antique et passionnée, une guerre homérique et qui montera un jour sur nos théâtres pour y porter l'effroi, l'admiration, la pitié et l'amour... Les guerres de la République et de la Vendée étaient toutes d'instinct et de principes : c'était une dette payée, un devoir rempli, un droit exercé dans sa vaste plénitude, un double gage de fidélité donné au monde (Grille, t. III, p. 56). »

« Si l'Esprit-Saint a loué les guerriers de l'ancienne Loi, peut-il refuser ses éloges aux guerriers de la Loi nouvelle ? La bravoure ne mérite-t-elle pas plus d'admiration lorsqu'elle est au service de la cause divine et des intérêts les plus élevés de nos âmes, que lorsqu'elle sert les intérêts purement civils ? Aussi, autant la religion est au-dessus des choses terrestres, autant cette guerre fut au-dessus des guerres ordinaires... Il n'y en eut jamais de plus juste, de plus glorieuse, de plus magnanime... Et, de même que les vieux Gaulois voulaient soutenir le ciel avec leurs lances, de même nos paysans voulurent soutenir le ciel de leur foi chrétienne et de leur indépendance catholique avec leurs armes. Leur plus beau titre de gloire dans les âges à venir sera d'être demeurés intrépides dans leur foi, au jour de la tribulation et de la défaillance universelle (Cardinal Pie, oraison funèbre de Mme la marquise de La Rochejaquelein). »

Napoléon Ier lui-même n'a-t-il pas dit qu'il fallait envoyer les peuples modernes à l'école de la Vendée, pour y apprendre leurs devoirs envers les gouvernements ?

Le dévouement de ce petit peuple, qu'a-t-il produit ?

« Infructueux en apparence, le sacrifice des Vendéens ne resta pas stérile. Car, s'il est vrai que le sang des martyrs devient une source féconde et que Dieu mesure son pardon à nos expiations ; si, quelques années après cette guerre de géants, comme l'appelait un homme qui s'y entendait, vous avez vu vos autels se relever, vos prêtres revenir de l'exil et l'Église de France se redresser sur ses ruines plus forte que jamais, c'est que le sang des justes avait mérité toutes ces restaurations, c'est qu'avant d'éclater au grand jour de l'histoire, la résurrection avait germé dans ces tombes obscures, où le dévouement s'était enseveli avec les fils de la Vendée (Mgr Freppel, oraison funèbre de Mgr Fruchaud, Archevêque de Tours). »

Un écrivain républicain a dit : « J'ai vu des peintres qui allaient en Syrie, chercher des sujets de bataille ; j'ai vu des poètes qui allaient en Grèce ou en Pologne, chercher des chants et des inspirations ; mais l'Anjou, le Poitou, le Maine et la Bretagne ont des pages toutes prêtes, des odes toutes faites. C'est folie coupable d'aller si loin s'attendrir, s'égarer, quand tout appelle ici la palette et la lyre (Grille, t. III, p. 56). »


Eh bien ! moi, j'ai voulu, sur le sol de Vendée,
Cueillir des Souvenirs. Par l'amour fécondée,
Ma plume les décrit. Si l'art y fait défaut,
Mon cœur certes s'y trouve ; il y bat comme il faut.
Je rends à mes aïeux ce filial hommage...
Des artistes plus tard offriront davantage.


Dom Joseph Roux.

En la fête de saint Joseph, 19 mars 1898.


Souvenirs du bocage vendéen (1898)

Prologue



Il est doux de chanter le ciel qui nous vit naître,
De célébrer le sol que nous foulions enfants,
De voir, le cœur ému, sous nos yeux apparaître,
Avec leurs souvenirs, nos joyeux premiers ans.

Quand brille du passé cette pure auréole,
Pour quelque temps du moins nous cessons de gémir,
La douleur, un instant, de nos âmes s'envole,
Et nos amers chagrins nous semblent s'endormir

Il est meilleur encore de chanter le courage
Des bons soldats du Christ, des défenseurs du roi ;
Surtout quand ces héros nous ont, pour apanage,
Laissé leur noble sang, leur amour et leur foi.

Avec notre respect, dans l'intime de l'âme,
Se mêle la fierté, dont tous nous palpitons.
Et ces noms si connus, notre cœur les acclame ;
Nous, leurs fils bien-aimés, heureux, nous les chantons.


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)

1793 - Le Bocage Vendéen



Pourquoi le prononcer, ce nom de la patrie ?..
Il résonne de loin dans mon âme attendue,
Comme les pas connus ou la voix d'un ami.
(Lamartine, Harmonies poétiques, liv. III.)



A l'ouest de la France, en deçà de la Loire,
Est un pays antique, un vieux sol de granit.
Ce pays s'est écrit une page de gloire ;
Par tous les cœurs chrétiens son nom sera béni.

Les Deux-Sèvres, l'Anjou, la féconde Vendée,
Y viennent s'embrasser et s'y donner la main ;
D'éternels souvenirs cette terre inondée
Au front porte ce nom : Bocage Vendéen.

Là, nous n'avons point vu la hache destructrice,
Promener son ravage au milieu de nos bois.
L'arbre projette encor son ombre protectrice ;
Nous avons les buissons, touffus comme autrefois.

De nos champs le progrès n'a point fait une plaine
Uniforme partout, immense et sans beauté.
Chez nous des niveleurs l'espérance fut vaine :
Ce qu'ont fait nos aïeux par nous est respecté.

Nous aimons mieux avoir des chênes centenaires,
Des frênes élancés, des ormeaux verdoyants.
Nous vivons sans procès, en limitant nos terres
Avec les troncs moussus de tous ces vieux géants.

Aux treillis contournés, nous préférons nos haies
D'aubépines, de houx, et hautes de dix pieds.
Aux barrières de fer, nous préférons les claies
Que font nos rudes mains, de branches d'églantiers.

Nous goûtons, rajeunis, la fraîcheur du feuillage ;
Quand nous nous reposons, au milieu des travaux,
Nous aimons écouter l'éternel babillage,
Voir les nids suspendus de nos petits oiseaux.

L'été, quand, inclinés sur la terre brûlante,
Aux sillons de nos champs nous versons nos sueurs,
Notre poitrine aspire, heureuse et haletante,
Un air tout imprégné de nos buissons en fleurs.

En rêvant au passé, sous les chênes antiques,
Sur un sanglant dolmen, on peut s'asseoir parfois,
On se rappelle alors les prêtres druidiques,
Et leur culte barbare, au fond de nos grands bois.

Car ils y sont venus, ces prêtres sanguinaires,
Comme en Bretagne ils ont dressé là des autels ;
Hésus fut adoré, sur ces rocs séculaires,
Taranis y reçut le sang noir des mortels.

Parmi nos souvenirs, un surtout nous enflamme,
Nous donne la fierté, porte nos fronts aux cieux,
La guerre, la grand'guerre, et la sainte oriflamme,
Les combats immortels de nos vaillants aïeux.

J'ouvrirai les feuillets de cette vaste histoire ;
Vous y lirez les faits des soldats de chez nous,
Oh ! oui, vous bénirez, j'en suis sûr, leur mémoire,
Et devant ces martyrs, vous ploierez les genoux.

Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


Les Ancêtres



Mementote operum patrum vestrorum.
« Souvenez-vous des oeuvres de vos ancêtres. »
(I Machab., II, 51)

Lorsque vers le passé nous dirigeons les yeux,
Nous désirons savoir quels furent nos aïeux,
Et si, pour héritage,
A leurs petits enfants ils ont transmis l'honneur,
Cette chose qui, seule, anoblit notre cœur,
Et passe d'âge en âge.

Si nous voyons alors, de notre œil fasciné,
Sur l'autel de l'honneur et le front couronné,
Quelque vieux patriarche,
Nous lui disons, joyeux, en lui baisant la main :
Ce que tu fis hier, nous le ferons demain,
Et nous suivrons ta marche.

Nous voulons, comme toi, tracer notre sillon,
Dans le champ de l'honneur ; nous voulons un rayon
De ta sublime gloire ;
Notre cœur, aussi lui, sera puissant et fort.
Comme toi, nous saurons gagner, par notre mort,
Une page d'histoire.

Eh bien ! nous, Vendéens, nous, pauvres paysans,
Nous, simples travailleurs, modestes artisans,
Si petits que nous sommes,
Nous pouvons dire à tous, en relevant nos fronts :
Parlez, grands de la terre, et nous vous répondrons,
Car nous avons des hommes !

Lorsque Rome foulait l'univers sous ses pas,
Nos aïeux résistaient, et, seuls, ne craignaient pas
Sa terrible colère.
Contre eux un empereur leva son étendard.
Le pays se leva, fit reculer César,
Le maître de la terre.

Nos aïeux, au cœur franc, voulaient la liberté ;
Pour elle ils combattaient, et leur mâle fierté
Sut briser ses entraves.
Les chaînes, disaient-ils, n'ont point meurtri nos mains ;
Nous resterons debout ; et, jamais des Romains
Nous ne serons esclaves.

Ils sont restés debout, libres de tous liens.
Convertis par Hilaire, ils deviennent chrétiens,
Alors que la tempête,
Avec les Wisigoths, répandait la terreur,
Sapait la foi partout, de sa folle fureur,
Faisait courber la tête.

En vain, les protestants survinrent à leur tour.
Ils espéraient peut-être effacer, en un jour,
Nos titres catholiques.
Mais, dans notre Vendée, on soutint le combat ;
Pour défendre le Christ, chacun se fit soldat
Contre les hérétiques.

Quand le temple chrétien vit, aux sacrés autels,
S'asseoir, en blasphémant, des hommes criminels,
D'ignobles créatures,
Notre pays s'est fait l'aide du Tout-Puissant ;
Par milliers, nos martyrs ont répandu leur sang
Pour laver ces injures.

Quand d'infâmes bourreaux, foulant aux pieds les lois,
Assassinaient Louis, l'un des plus justes rois,
Pour voler sa couronne,
Nos ancêtres alors devinrent ses vengeurs,
Marchèrent frémissants contre les massacreurs
Et les briseurs de trône.

Pour le Christ et le roi, ce peuple respirait ;
Pour le Christ et le roi, notre peuple s'offrait
A Dieu comme victime.
A la Croix il voulait enlever un affront,
Et de la France aimée essuyer le beau front,
Souillé par un grand crime.

Cinq cent mille chrétiens sont tombés pour cela,
Heureux et triomphants, et leurs os gisent là,
Glorieux dans la tombe.
On se souviendra d'eux et de leur noble cœur.
Ces martyrs du bon droit auront, au front, l'honneur,
Qui jamais ne succombe.

En regardant ainsi, dans les siècles passés,
En voyant mes aïeux rayonnants et pressés,
Au sommet de la gloire,
Ne suis-je pas en droit de marcher le front haut,
De chanter leur valeur, de louer leur tombeau,
De bénir leur mémoire ?


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


L'âme d'un peuple



Magnificat anima mea Dominum.
« Mon âme exalte le Seigneur. »
(Luc, I, 46.)

On était en janvier, en l'an quatre-vingt-treize ;
Tous les esprits étaient de terreurs assaillis :
La France, au cœur brisé, respirait mal à l'aise,
Et des voix d'outre-tombe agitaient le pays.

De longs sillons de feu traversaient l'atmosphère,
En marquant l'horizon d'hiéroglyphes sanglants ;
Des tremblements soudains secouaient notre sphère
Les arbres se courbaient sous des souffles brûlants.

Des antiques tombeaux les dalles se fendirent,
Dans cette terre sainte, où sont les trépassés...
Alors, pâles, troublés, les vivants entendirent
Des plaintes et ces mots tristes et cadencés :

« Le sacrifice est fait... Dieu puissant que j'implore,
Si je brise mon cœur, je le brise pour Toi.
Du moins que mon martyre, ô Seigneur, soit l'aurore
D'un avenir plus sûr pour le Christ et le roi.

« Si mes enfants, un jour, acceptent cette épreuve,
Et si la lourde croix leur fait saigner le cœur,
De la honte, ô mon Dieu, barre l'immense fleuve
Qui roule sur la France et souille son honneur.

« Elle viendra, cette heure, où la France endormie,
Pour retourner à Toi, sortira du tombeau ;
Et loin d'elle jetant le haillon d'infamie,
Elle ira prendre encor la croix pour son drapeau.

« Mes pauvres paysans, sans connaître la guerre,
Des ennemis du ciel sauront vaincre l'orgueil ;
Dans leur cœur passera ta trop juste colère,
Et leurs mains des méchants fermeront le cercueil.

« Quand leur vaillance aura partout sonné l'alarme,
On les verra pour Dieu délaisser leurs sillons.
Les vieillards rajeunis se saisiront d'une arme,
Et viendront de partout grossir les bataillons.

« Chrétiens, sachez mourir pour Dieu, pour la patrie,
Français, jusqu'à la mort, défendez votre roi.
La source de la force, en vous, n'est point tarie,
Luttez pour conserver et grandir votre foi !

« C'est le jour du danger, l'heure de la bataille,
De vos rois bien-aimés arborez l'étendard.
Pour conserver les lis, que pas un ne défaille,
Que l'honneur soit chez vous, s'il n'est plus nulle part.

« C'est en vain que sur vous une foule se rue,
Rien ne fera jamais trembler votre valeur.
En glaives façonnez le soc de la charrue ;
Pour combattre, prenez la faux du moissonneur.

« C'est Dieu qui vous le dit ; c'est Dieu qui vous appelle,
Debout ! Ne craignez rien ! Le Christ est avec vous.
Que mon vieux peuple au moins lui demeure fidèle ;
Si vous devez mourir, que ce soit à genoux.

« Sur le champ de l'honneur, si le Maître suprême
Demande votre sang et vos derniers soupirs,
Vous crierez en tombant : Vive le roi quand même !
Au ciel, moi, je dirai : Saluez mes martyrs ! »


Et cette voix se tut... Mais une grande idée
Fit tressaillir le peuple à son éclat de feu,
Car cette voix c'était l'âme de la Vendée,
Sur son sol de granit parlant au nom de Dieu !


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


Le vieux Sonneur vendéen



Et sonitus paulatim crescebat.
« Le son croissait toujours. »
(Exod., XIX.)


Il était vieux, très vieux, le bonhomme Isidore ;
Son front était ridé, ses cheveux étaient blancs.
Il avait bien, je crois, soixante-quatorze ans ;
Malgré cela pourtant, il était droit encore.

Il avait veste courte, un soyeux bonnet noir,
Un gilet de futaine, une cravate blanche,
Qu'il mettait seulement aux grands jours de dimanche :
Ma foi ! c'était un vieux bien ravissant à voir.

Il s'estimait un peu. Que le ciel lui pardonne
A ce pauvre bon vieux (ce n'était pas de rien) !
Pour le reste, d'ailleurs, un solide chrétien,
Mais il était sonneur, et ce titre résonne.

C'était charge d'église... et, dans son vieux clocher,
Assombri par le temps, à la toiture immense,
Il sonnait glas et mort, mariage et naissance,
Et depuis soixante ans il sonnait sans broncher.

Tous ses concitoyens, croyez-en ma parole,
Se nommaient ses enfants ; joyeux, à son aspect,
Ils ôtaient leurs chapeaux, lui montraient leur respect.
On peut avoir à moins un peu de gloriole.

Le bonhomme Isidore avait un large cœur ;
Envers tous il était d'une extrême indulgence,
Affable et bienveillant ; la vieillesse et l'enfance
Avaient toujours en lui leur premier défenseur.

Mais, je crois qu'il aimait encor bien plus sa cloche,
L'escalier vermoulu de l'antique clocher ;
A ces objets bénis nul ne pouvait toucher :
Là, sa bonne âme était plus dure qu'une roche.

Cela c'était à lui... mais, comme il sonnait bien !
Et comme le battant marquait bien les cadences !
Sa cloche, franchissant les plus grandes distances,
Savait toujours parler un langage chrétien.

Or, un jour, Isidore apprend avec souffrance
Que les méchants avaient décapité son roi,
Que les cœurs des chrétiens étaient saisis d'effroi,
Et que Satan voulait chasser Dieu de la France.

Il monte à son clocher, et, de sa vieille main,
Il ébranle sa cloche, en répandant des larmes ;
Avec elle, il s'écrie : Aux armes ! vite aux armes !
Et partout l'on entend le lugubre tocsin.

« Allons ! cloche, disait le bonhomme Isidore,
Ma bien-aimée, allons ! jetons l'ivresse aux cœurs,
Réveillons la fierté de tous nos laboureurs !
Sonne ! sonne ! ma cloche, oui, sonne ! sonne encore ! »

Et la cloche sonnait... sa voix, planant dans l'air,
Traversait les ravins, les plaines, les vallées,
Lançant avec éclat ses rapides volées,
Battant, comme un vaisseau, les vagues de l'éther.

Elle coulait à flots sur les vastes prairies,
Glissait dans les genêts, à travers les grands bois.
L'écho, partout l'écho multipliait sa voix,
Et redisait au loin ses notes attendries.

Et cette voix allait frapper les vieilles tours,
Les donjons, les châteaux, les plus humbles chaumières.
Les âmes bondissaient à ces notes altières...
Isidore, au clocher, sonnait, sonnait toujours.

A chaque coup de cloche il naissait un courage.
On sentait le clairon, dans ces sombres appels.
Ses sons de plus en plus devenaient solennels,
Et sa voix se faisait de plus en plus sauvage.

L'enfer est déchaîné, paysans, levez-vous !
Aujourd'hui c'est pour Dieu que vous devez combattre !
C'est pour venger le roi !... Laisserez-vous abattre
Vos croix et vos autels ? allons ! levez-vous tous !

Et cette voix alors faisait battre les âmes,
Suscitait dans les cœurs la foi, le feu sacré.
L'ivresse des combats s'élevait par degré,
De la guerre déjà plus d'un sentait les flammes.

La plus humble chaumière était un arsenal,
Où l'on forgeait le fer, le soc de la charrue.
On emmanchait les faux... on l'avait entendue
La cloche... et l'on avait bien compris son signal.

Déjà l'on pouvait voir dans les champs, sur les routes,
Des flots de paysans, préparés aux combats.
Le bonhomme Isidore en haut ne cessait pas ;
La sueur à son front perlait en larges gouttes.

Et, quand, dans son clocher, en regardant partout,
Il vit les Vendéens du Marais, de la Plaine,
Du Bocage accourus, le vieux, perdant haleine,
S'écria transporté : C'est bien ! ils sont debout !

Alors, de son vieux bras, où circulait la fièvre,
Sur l'airain frémissant il redoubla ses coups ;
Et bientôt, épuisé, tomba sur ses genoux...
Un sourire du ciel vint effleurer sa lèvre.

Mais il se releva... dans un dernier effort,
Il ébranla si fort la cloche, sa compagne,
Qu'elle fut entendue au fond de la Bretagne...
Alors le vieux sonneur, au clocher, tomba mort.

On dit, dans le pays, que la cloche sonore
Sonna seule son glas, avec un chant de deuil
Et qu'elle se brisa, quand on mit au cercueil
Le cadavre glacé du bonhomme Isidore.

Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


Cathelineau



Date animas vestras pro testamento patrum vestrorum.
« Donnez votre vie pour la foi de vos aïeux.»
(I Machab., II, 50.)

Louis Seize était mort. Les conscrits de Jallais,
Du Pin, de Saint-Florent, de La Poitevinière,
Méditent la vengeance au fond des bois épais...
Ils ont tous refusé d'aller à la frontière
Et de tirer au sort. De leur rébellion
Ces gas audacieux s'étonnent à cette heure,
Sans regrets cependant, ils ont cœur de lion...
Mais quoi faire ? Ils sont seuls ! Et leur courage en pleure.

Un homme, un artisan, visage doux et beau,
Taille athlétique, voix majestueuse et pleine,
Se présente aux conscrits... C'était Cathelineau.
Ce futur général était cardeur de laine.
Un même sentiment jaillit du cœur de tous :
« Marchez, lui disent-ils, indiquez-nous la voie ;
Pour la cause du ciel, nous mourrons avec vous !
Vous êtes notre chef !... C'est Dieu qui vous envoie. »

Cathelineau sur eux promène lentement
Son regard inspiré. « Je vois, dans vos poitrines,
Pour la liberté sainte un entier dévouement,
Une foi généreuse en nos vieilles doctrines.
Conscrits, êtes-vous prêts à lutter, à souffrir ?
Cinq cents voix jusqu'au ciel répondent : « Nous le sommes !
— Pour la cause de Dieu, conscrits, s'il faut mourir ?...
— Dieu peut compter sur nous. — Bien ! vous êtes des hommes,

Venez !... » Cathelineau, des conscrits entouré,
Vole sur le chemin ; puissamment il entonne
Le Vexilla Regis ; ce cantique sacré,
Redit par ces grands cœurs, dans les vallons résonne.
C'est un chant de victoire ! Et pourtant quels soldats !
Des guerriers en sabots et n'ayant d'autres armes
Que des bâtons noueux. — « Les fusils sont là-bas,
Leur dit Cathelineau, la lutte aura des charmes ;

Avec Dieu, ces fusils, bientôt, nous les aurons ! »
Les conscrits, à ces mots, sur leurs faux affilées
Raidissent leurs poignets ; la joie est à leurs fronts
Et leur pas est moins lourd, sur les herbes foulées.
Ils marchent à Jallais, et les républicains,
Réunis dans ce bourg, sont saisis par la crainte ;
Ils se cachent honteux aux fossés des chemins.
La lâcheté sur eux grave sa vile empreinte.

Jallais est pris d'assaut... Le front ensoleillé
D'un céleste rayon, Cathelineau s'élance,
Avec ses fiers conscrits, aux murs de Chemillé.
Il les a vus à l'œuvre, il connaît leur vaillance.
Il est plus brave encor, lui, cet humble artisan,
Devenu général ; brandissant une pique,
Il se jette aux canons... et déjà le présent
Indique l'avenir de cette âme héroïque.

Il s'empare, lui seul, au sommet d'un coteau,
De dix républicains et de trois couleuvrines.
« Courage, mes enfants ! clame Cathelineau,
Signez-vous de la croix et donnez vos poitrines
A la mort des vaillants ; il faut vaincre ou mourir ! »
Perdriau suit son chef, au fort de la mêlée ;
Tous ces audacieux ont juré de périr...
C'est fait ! Encore un coup, l'armée est ébranlée...

Les ennemis ont peur ; ils ont cessé le feu...
Le combat a pris fin ; les conscrits ont la ville...
La victoire est à nous ! « A genoux ! Vive Dieu ! »
Dit l'humble capitaine à sa troupe virile.
Et les jeunes conscrits, les bras rouges de sang,
Jettent cette clameur aux échos de la lande :
« Toi qu'un jour de combat fit si noble et si grand,
« Marche, Cathelineau ! Sois notre chef ! Commande ! »


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)



Chaumière de Cathelineau

Vive le Christ ! Vive le Roi !



Et clamavit omnis populus et ait : Vivat Rex !
« Et tout le peuple cria : Vive le Roi ! »
(I Reg., x, 24.)


Un jour, dans notre France, une foule coupable,
Et blasphémant son Dieu, renversait sur le sable
La croix de Jésus-Christ, signe de notre foi.
Mais pour donner réponse à ces bandits farouches,
Au pays vendéen, plus de cent mille bouches
Criaient : Vive le Christ ! Vive le Roi!

La France ne voulait ni de Dieu ni de maître ;
Louis Seize fut donc immolé comme un traître ;
Sur l'échafaud sanglant, il mourut sans effroi.
Les fils de la Vendée, en face de tels crimes,
Bondissent pour venger de si pures victimes,
Criant : Vive le Christ ! Vive le Roi !

Nous saurons, disent-ils, pour cette noble cause,
Prendre le vieux fusil qui sous nos toits repose.
Accourez, vils bourreaux, nous sommes sans émoi.
Nous mourrons, s'il le faut, mais, du fond de notre âme,
Nous lancerons encor, comme dernière flamme,
Ce cri : Vive le Christ ! Vive le Roi !

Entre juifs et chrétiens, la guerre est déclarée...
Vous abattez la croix, cette chose sacrée,
Nous la voulons debout... N'est-ce pas notre droit ?
Elle aura pour rempart notre simple courage ;
Nous ne souffrirons pas que personne l'outrage...
Venez !... Vive le Christ ! Vive le Roi !

Vous avez outragé l'élu de Dieu sur terre,
Et vous avez tué notre roi, notre père...
Un bon fils doit venger son père, c'est la loi.
Nous venons demander justice par les armes ;
Notre cœur et nos yeux ont du sang et des larmes...
Venez !... Vive le Christ ! Vive le Roi !

Ainsi parlaient alors nos courageux ancêtres.
Ils défendaient sans peur leur Dieu, leur roi, leurs prêtres,
Car c'étaient des chrétiens de véritable aloi.
Mais nous, que sommes-nous ? Retrouvons le courage
En entendant sortir des tombes d'un autre âge
Ces mots : Vive le Christ ! Vive le Roi !


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


Chant des Conscrits de Cathelineau


Dixeruntque ad eum : Veni et esto princeps noster, et pugna contra filios Ammon.
« Et ses soldats lui dirent : Viens, sois notre chef et combats les fils d'Ammon.»
(Judic, XI, 6.)


E Christ est flagellé par la foule coupable,
D'un bandeau meurtrier on déchire son front ;
Mais un guerrier puissant, de son bras redoutable,
Vengera cet affront.

Dieu le veut ! Dieu le veut !
Combattons pour la France !
Mourons pour sa défense !
La France, elle est à Dieu.
Nous garderons sa gloire,
Les lis de son drapeau.
Dieu promet la victoire,
Avec Cathelineau !

Notre roi bien-aimé sur l'échafaud succombe ;
Les méchants à sa race ont lancé leurs défis.
Bientôt Cathelineau, sur la royale tombe,
Couronnera le fils.

Dieu le veut ! Dieu le veut !
Combattons pour la France !
Mourons pour sa défense !
La France, elle est à Dieu.
Nous garderons sa gloire,
Les lis de son drapeau.
Dieu promet la victoire
Avec Cathelineau !

Israël est tombé ! mais un Judas se lève !
La France saigne au cœur ! Cathelineau, parais !
A l'appel du Seigneur, il faut brandir ton glaive ;
Marche ! nous sommes prêts !

Dieu le veut ! Dieu le veut !
Combattons pour la France !
Mourons pour sa défense !
La France, elle est à Dieu.
Nous garderons sa gloire,
Les lis de son drapeau.
Dieu promet la victoire
Avec Cathelineau !


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)

Marie-Jeanne



Leurs canons nous fauchent ? Qu'importe !
Si leur artillerie est forte,
Nous le saurons en l'enlevant.
En avant !
(P. Déroulède, Chants du Soldat.)


Marie-Jeanne (1) semblait aux Bleus remplis d'orgueil
Un gage d'espérance.
Mais un jour a suffi pour qu'à leurs fronts le deuil
Remplaçât l'assurance.

Marie-Jeanne est au roi,
Désormais plus d'effroi.
Les Bleus ont dû comprendre
Que nous savons bien nous y prendre
Car nous chantions en l'enlevant :
En avant !

C'était un fier canon qu'ils se montraient joyeux
Et traînaient à leur suite.
Aujourd'hui, ce canon s'est retourné contre eux
Et les a mis en fuite.

Marie-Jeanne est au roi,
Désormais plus d'effroi.
Ils ont commis la faute
De nous laisser monter la côte.
Il faut parer le coup de vent,
En avant !

Quand, sur nous, Marie-Jeanne, au combat de Coron,
Vomissait la mitraille,
Nos ennemis chantaient ; mais ils baissent le front,
Vaincus dans la bataille.

Marie-Jeanne est au roi,
Désormais plus d'effroi.
Compagnons, cette histoire
Nous donne aujourd'hui la victoire.
Nous recommencerons souvent.
En avant !

L'âme de nos soldats, palpitante de feu,
De haine soulevée,
Convoitait Marie-Jeanne... Aux ennemis de Dieu
Nous l'avons enlevée.

Marie-Jeanne est au roi,
Désormais plus d'effroi.
On va bientôt l'entendre.
Les Bleus n'ont qu'à bien se défendre.
Et par derrière et par devant,
En avant !

Elle va maintenant aux Bleus lancer la mort
De sa gueule béante.
Courage, Vendéens ! Notre bras sera fort
Avec cette géante !

Marie-Jeanne est au roi,
Désormais plus d'effroi.
On la verra, terrible,
Cent coups sur cent toucher la cible,
Le sang des Bleus toujours buvant.
En avant !

Nous avons acheté des fleurs et des rubans ;
Nous l'avons décorée.
Mourons, pour la garder, au milieu de nos rangs,
De gloire ainsi parée.

Marie-Jeanne est au roi,
Désormais plus d'effroi,
Car de sa main fidèle
Chacun protégera la belle.
Allons ! les gas, dorénavant,
En avant !!!

(1) Premier canon pris par les Vendéens, au combat de Coron, le 10 mars 1793

Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


Rendez-moi mon Dieu !



Tulerunt Dominum meum.
« Ils m'ont enlevé mon Dieu. "
(Joan., XX, 13.)


Il était là, tout seul, ce brave Vendéen,
Contre dix ennemis, à son heure dernière...
Il était là, tout seul, murmurant sa prière,
Baisant la sainte croix qu'il pressait de sa main.

Son âme de héros ne perdit pas courage ;
Son front ne pâlit point, quand il vit près de lui
Les féroces bourreaux... Il avait pour appui
Son Christ, Dieu, pour braver cette horde sauvage.

Les tigres rugissaient ; de leur regard perçant,
Jaillissaient des éclairs ; leurs flancs battaient de joie :
Devant eux, sans défense, ils contemplaient leur proie ;
Leur cruauté déjà flairait son noble sang.

Oh ! leur cœur était grand et leur âme héroïque !
Ils étaient dix contre un, et ne rougissaient pas ;
Ils étaient beaux ainsi, ces valeureux soldats,
Qui voulaient implanter chez nous leur république !

Le Vendéen priait, lorsque ce cri : « Rends-toi ! »
Comme un arrêt de mort, sortit des dix poitrines.
Le front resplendissant de lumières divines,
Le chrétien répondit : « Bourreaux, regardez-moi !

« Suis-je donc un enfant qu'on prend par les alarmes ?...
Sachez qu'un Vendéen est un homme de cœur,
Qui préfère la mort à votre déshonneur.
Vous êtes dix contre un... c'est bien ! prenez vos armes ! »

Et les lâches frappaient... et leur glaive cruel
Se rougissait du sang de la pure victime.
Leur rire satanique applaudissait au crime ;
Lui, le martyr, priait et regardait le ciel...

Il embrassait du Christ la sainte et douce image,
Quand, d'un grand coup de sabre, un des soldats maudits
La brise insolemment, et les autres bandits
L'écrasent sur le sol, en vomissant l'outrage.

Le héros frémissait devant ces attentats...
Son sang coulait à flots par plus de vingt blessures ;
Mais, des chiens furieux oubliant les morsures,
Il demandait pardon pour chacun des soldats.

Et les cris redoublaient : « Paysan fanatique,
Rends-toi ! » Mais lui, levant son regard au ciel bleu,
Pour affirmer encor sa foi de catholique,
Il leur jeta ces mots : « Vous, rendez-moi mon Dieu ! »


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


La messe au fond des bois



Et la grande forêt paraissait comme un temple.
(André Theuriet)

Nos aïeux les Gaulois, sous les chênes antiques,
Pour honorer leurs dieux farouches et cruels,
Au milieu des forêts, élevaient des autels,
Y répandaient à flots le sang pur des mortels,
Et dansaient en chantant leurs terribles cantiques.

Après avoir dicté les sentences des dieux,
Le druide parfois, en longue robe blanche,
Sur le dolmen, rougi par le sang qui s'épanche,
Du gui mystérieux portait la jeune branche...
Les guerriers regardaient, tremblants, silencieux.

Ainsi les Vendéens, dans les moments d'alarmes,
Se mettaient à genoux, au milieu de leurs bois ;
Ils adoraient un Dieu, mais un Dieu sur la croix,
Cherchaient à retrouver quelque écho de sa voix ;
Souvent leurs yeux pourtant étaient baignés de larmes.

Pourquoi ?... C'est qu'en ces jours, au cri de liberté !
Les bourreaux sans pudeur fouillaient les consciences,
Payaient l'apostasie, insultaient aux croyances,
Et n'avaient de pardon que pour les défaillances :
C'est que partout le Christ était persécuté.

Alors, dans la Vendée, hommes, enfants et femmes,
Voyant la croix brisée et le temple détruit,
Comme les vieux chrétiens, au milieu de la nuit,
Dans des lieux ignorés se retiraient sans bruit,
Et par le sacrifice ils retrempaient leurs âmes.

Quelquefois un saint prêtre assemblait ses enfants,
Comme un berger, le soir, son troupeau pacifique,
Il leur disait : « Voyez, le ciel est magnifique,
Disposez pour l'autel la pierre druidique,
Jésus y descendra, vous serez triomphants. »

Une nuit, ces chrétiens, fuyant les hécatombes,
Après avoir passé les landes, les taillis,
Et décoré l'autel de leurs rameaux cueillis,
Au divin sacrifice assistaient recueillis,
Comme autrefois les saints, au fond des catacombes.

De jeunes Vendéens, leurs vieux fusils aux bras,
Veillaient faisant la garde, autour de la clairière.
Ils scrutaient les sentiers, les bois et la bruyère...
La messe commençait ; l'ange de la prière,
Devait les admirer, ses frères d'ici-bas !

Tous étaient prosternés, adorant en silence
Leur Dieu qui, dans la nuit, naissait comme à Noël ;
Les étoiles d'argent semblaient sourire au ciel
Et tout parlait de paix autour de cet autel,
Quand un grand cri soudain fit trembler l'assistance :

« Les Bleus ! voilà les Bleus !... » Le prêtre eut un soupir
En voyant le ciboire ouvert et plein d'hosties :
Mes forces, pensa-t-il, seront anéanties,
Avant que ce trésor tombe aux mains des impies...
Puis il continua la messe sans pâlir.

Les deux bras étendus, les femmes vendéennes
Accourent vers l'autel, le regard plein de feu :
« C'est à vous, Vendéens, de défendre ce lieu,
Disent-elles ; allez, ne craignez rien pour Dieu !
Il sera bien gardé, nous sommes des chrétiennes ! »

L'ennemi fut chassé... A l'autel tour à tour,
Les Vendéens, émus, marchèrent en silence ;
Heureux de leur triomphe, enivrés d'espérance,
Ils reçurent le Dieu qui donne la vaillance...
De ces fiers paysans le cœur battait d'amour.

Et se tenant debout, sous la blanche oriflamme :
« Maintenant, dirent-ils, disposés à partir,
Nous saurons avec Dieu mieux combattre et souffrir !
Et si même il le faut, qu'importé de mourir ?
Nous avons sauvé Dieu ! Dieu sauvera notre âme ! »


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


Le vieux château de Saint-Mesmin



Le jour naît, le combat continue à grand bruit,
La pâle nuit revient, ils combattent ; l'aurore
Reparaît dans les cieux, ils combattent encore.
(Victor Hugo, Légende des siècles.)


Depuis trois jours déjà, depuis trois longues nuits,
Le canon vomissait ses boulets, sa mitraille ;
Les donjons du castel étaient presque détruits :
Il ne restait debout qu'un vieux pan de muraille.

Des soldats vendéens défendaient ces débris ;
Les Bleus tiraient sans cesse... ils étaient quatre mille.
La rage, de leur cœur, faisait jaillir des cris,
Mais ne pouvait briser ce rempart si fragile.

Péault, le commandant des défenseurs du roi,
A ses soldats disait « A la mort ! à la gloire !
Combattons sans trembler et mourons sans effroi,
Si nous ne devons point remporter la victoire ! »

Et grandissant leur cœur, dans un sublime effort,
Les Vendéens visaient des vieilles meurtrières ;
Chaque coup de fusil faisait passer la mort ;
Leurs balles portaient bien, mais c'étaient les dernières.

Le sol était jonché des cadavres des Bleus ;
Leur sang coulait à flots au fond de la vallée ;
Ils jetaient vers le ciel des blasphèmes affreux ;
Et leur troupe, un instant, même fut ébranlée.

Le chef républicain voulut parler de paix
A ces rudes chrétiens que l'on ne pouvait prendre,
Mais pour toute réponse il eut ce cri : « Jamais !
Tous ici nous savons mourir, mais non nous rendre ! »

C'était le noble cri des soldats vendéens,
Arraché de leur cœur au milieu des prières ;
Ils repoussaient encor tous les républicains,
Et n'ayant plus de poudre, ils leur lançaient des pierres.

Mais, depuis trois grands jours, ils n'avaient plus de pain !
Et leurs bras commençaient à tomber de faiblesse ;
Sans armes, dévorés par la soif et la faim,
Le silence se fait... et la bataille cesse.

Et les républicains se mirent sur deux rangs ;
L'estime dans le cœur, la louange à la bouche ;
Car, malgré leur colère, ils admiraient les Blancs ;
L'héroïsme en impose au cœur le plus farouche.

Alors, on vit sortir pâles, défaits, poudreux,
Les guerriers vendéens de leur dernier asile.
La besogne fut rude... Eux seuls, quarante-deux,
Ils avaient résisté trois jours à quatre mille.


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


Le Chapelet sous les balles



Clamemus in caelum, et miserebitur nostri Dominus, et conteret exercitum istum ante faciem nostram hodie.
« Crions vers le ciel : Le Seigneur aura pitié de nous et il brisera cette armée qui est en notre présence. "
(I Machab., IV, 10.)

Bressuire était aux Bleus... Son antique château,
Bâti par les Anglais sur les flancs d'un coteau,
Aux Vendéens montrait sa solide muraille,
Assise sur le roc, toute en pierres de taille.

Au fond de la vallée, avec fureur, les Blancs
Tiraient sur ces remparts et les frappaient aux flancs :
Mais, malgré leur vaillance et leur terrible étreinte,
Pas une pierre encor ne tombait de l'enceinte.

Ils s'étaient élancés furieux aux remparts,
Les avaient sous le feu cernés de toutes parts ;
Ils avaient fait pleuvoir sur eux leurs projectiles ;
Mais le granit riait de leurs efforts stériles.

Les Vendéens étaient, à cette heure, irrités,
De se voir par un mur si longtemps arrêtés ;
La rage, de leurs yeux, faisait tomber des larmes.
Et, pris de désespoir, plusieurs brisaient leurs armes.

Et les Bleus triomphaient... Sur leurs épaisses tours,
Ils chantaient : « Les brigands sont vaincus pour toujours,
Il faudra désormais que leur orgueil se taise ! »
Et, moqueurs, ils hurlaient l'ignoble Marseillaise.

Soudain, sur le vieux pont, on vit des Vendéens,
Nombreux, serrés, ardents : c'étaient les Poitevins ;
Près d'eux était leur chef, le marquis de Lescure :
On le reconnaissait à sa douce figure.

Sans craindre la mitraille et sans peur des boulets,
Ces courageux chrétiens prirent leurs chapelets.
Quand sur eux des canons s'abattait la furie,
Ils redisaient : « Priez pour nous, Vierge Marie ! »

En voyant, des remparts, ces hommes à genoux,
Les Bleus, pleins de mépris, multipliaient leurs coups.
Les Vendéens disaient : « Pensez à nous, ô Mère,
Et donnez à nos bras votre aide salutaire ! »

Tout à coup, Marigny, l'intrépide soldat,
Fond sur eux en criant : « Au combat ! au combat !
Il faut vaincre ou mourir ! Poitevins, le temps presse !
Il faut chasser les Bleus, prendre la forteresse !

— Laissez-les, dit Lescure, en regardant les cieux,
Oh ! laissez-les prier ! ils s'en battront bien mieux !
Quand un homme au Seigneur sait dire une prière,
Cet homme est invincible, à lui la terre entière ! »

Lescure se relève et, le front rayonnant :
« Soldats de Dieu, dit-il, à l'assaut, maintenant !
Le moment est venu ! c'est l'heure solennelle !
Fiers chrétiens, en avant ! c'est Dieu qui vous appelle ! »

Les Poitevins alors, à cet ordre divin,
S'élancent aux remparts qu'avait pris Duguesclin,
Les prennent à leur tour, mettent les Bleus en fuite,
S'emparent de la ville et vont prier ensuite.


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


Pierre Bibard



Diligite inimicos vestros.
« Aimez vos ennemis. »
(Matth., v, 44.)


Le seize mai de l'an quatre-vingt-treize,
Dans la Vendée, on souffre... et rien n'apaise
Les longs tourments des généreux martyrs.
Le Bleu triomphe, en comptant leurs soupirs...
Monsieur Henry, pour l'Église et la France,
A Fontenay, contre les Bleus s'avance.
Terrible choc ! Stofflet est avec lui.
Pierre Bibard, dont le bras fut l'appui
De la Vendée en plus d'une bataille,
Bibard est là... Sous le feu, la mitraille,
Les Vendéens résistent... Ces combats
Font un héros de chacun des soldats.
Le sang versé, les poitrines ouvertes,
Les corps foulés, sur les pelouses vertes,
Tout les enivre et les pousse aux exploits,
Aux coups géants des Roland d'autrefois.
Sans reculer, en face du martyre,
Quand la mort vient, elle les voit sourire.
Que peuvent-ils...? Ils sont un contre vingt...
Donner leur sang...? Ils le versent en vain...
Mais ils voudraient garder leur Marie-Jeanne
Et l'enlever à la horde profane...
Pierre Bibard combat seul désormais,
Ses compagnons reposent pour jamais.
Couvert du sang de ses vingt-deux blessures,
Il tue encor... Ses mains sont toujours sûres.
Mais épuisé de fatigue et de faim,
Il roule inerte au gazon du chemin.
Les Bleus, joyeux de leur riche capture,
L'ont entouré... Les tourments et l'injure
Pleuvent sur lui, mais Bibard est chrétien :
Comme le Christ, il souffre, il ne dit rien.
Frappé, sanglant, il entre dans la ville,
Le corps brisé, mais l'âme bien tranquille ;
Il est jeté, par ces lâches bandits,
Dans la prison : la Tour de Charles dix.
Son dur geôlier, fils de la République,
Prolonge alors la cruauté publique.
Du chapelet que Bibard, sur son cœur,
Portait toujours, le Bleu frappe en fureur
Le front chrétien de cette âme vaillante ;
Sous son long sabre, à la pointe effrayante,
Il met sa joie à voir couler le sang.
Suprême horreur ! A cet homme innocent
Il prend l'habit qui collait à ses plaies,
L'arrache... Et nu, sur des débris de claies,
Le Vendéen, rayonnant, toujours beau,
Tombe en priant pour l'infâme bourreau.
Pendant dix jours, le tourment continue...
La délivrance est-elle enfin venue...?
Des cris !!! Le Bleu, son arme dans la main :
« Chouan, dit-il, toi, tu mourras demain,
La République entonne sa victoire... »
Bibard écoute aussi ces chants de gloire...
Et bondissant sur le gardien surpris :
« Je les connais, dit-il, ces joyeux cris !
Rends-moi ton arme et livre tes cartouches !
Car sache bien, ces chants tombent des bouches
Des Vendéens... Moi, je sais les chansons
Et de Lescure et de ses fiers garçons... »
Il disait vrai... C'était bien la revanche,
Et les lauriers pour la cocarde blanche...
Le vil geôlier, d'épouvante transi,
Rend à Bibard cartouches et fusil...
Et le soldat, perdu dans la défaite,
Est retrouvé... Pour tous c'est jour de fête.
Dressant alors son corps endolori,
Devant les chefs, devant Monsieur Henry,
Pierre Bibard, à son gardien qui tremble,
Dit ces deux mots : « Je pourrais, il me semble,
Avoir mon tour, te tuer comme un chien.
Je veux t'aimer, car, moi, je suis chrétien :
Au nom du Christ, geôlier, je te pardonne... »

Monsieur Henry sent son cœur qui frissonne :
« Bibard, dit-il, tu pardonnes au Bleu,
Je t'applaudis comme un soldat de Dieu.
Un tel pardon creusera bien sa trace
Dans l'avenir... Viens là que je t'embrasse ! »


Une souscription est ouverte, chez M. le curé de La Tessoualle (Maine-et-Loire),
pour élever une statue à ce vaillant soldat, à ce noble chrétien.



Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)


Les soldats de Marigny



Tunc abiit unus... qui dicebatur Judas
Iscariotes... et ait : Quid vultis mihi
dare, et ego vobis eum tradam ?
« L'un d'eux, appelé Judas Iscariote,
s'en alla... et dit aux Juifs : « Combien
voulez-vous me donner, et je vous le
livrerai ? »
(Matth., XXV, 14-15.)

Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !
Ils vont, les yeux baissés, le front noir de tristesse,
Brisés du désespoir qui bat l'âme et l'oppresse,
Et le cœur débordant des flots de leurs douleurs.
Toi, qui nous as conduits si souvent à la gloire,
Sans toi pouvons-nous donc espérer la victoire ?
Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !

Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !
Sous le fer et le feu nous chantions ta vaillance,
Ta fierté de soldat, ton cœur sans défaillance,
Et nous t'avions donné tout l'amour de nos cœurs,
Quand un traître est venu, sur ta gloire si pure,
Répandre à pleines mains les soupçons et l'injure.
Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !

Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !
Ils l'ont bien vu venir, cet homme au regard louche,
Mais alors il avait le sourire à la bouche.
Nous, simples paysans, modestes travailleurs,
Pouvions-nous donc penser sans péché que ce prêtre,
Sous ces dehors, cachait l'âme noire d'un traître ?
Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !

Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !
Tu devais de Bernier devenir la victime.
« Sa tombe au moins sera muette sur un crime »,
Disait cet homme fourbe à tes exécuteurs.
Oui, ta rare bravoure et ta bouche loyale
Nuisaient depuis longtemps à cette âme vénale.
Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !

Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !
Pour tomber en martyr, à ton heure dernière,
D'un prêtre tu voulus la divine prière,
Grâce toujours donnée aux plus grands malfaiteurs ;
Mais lui, ton ennemi, mais lui, cet homme infâme,
Refusa d'accorder ce secours à ton âme...
Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !

Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !
Tu te mis à genoux, le front dans la poussière,
Là-bas sous les vieux pins, près de la Girardière.
Lui cherchait des bourreaux, et tous les nobles cœurs
Qui combattaient pour Dieu, pour la foi de la France,
Refusèrent leurs bras à cet homme en démence.
Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !

Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !
Il prit quatre Allemands et leur souffla sa rage,
Les paya largement pour ce honteux ouvrage.
Du remords, je ne sais s'il sentit les horreurs,
Mais ce nouveau Caïn portera sur sa joue
Et la tache de sang et la tache de boue.
Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !

Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !
Quand tu vis les bourreaux qui préparaient leurs armes,
Calme était ton beau front, tes yeux étaient sans larmes ;
Déjà du ciel promis tu voyais les splendeurs,
Puis ton âme laissa tomber ce cri suprême :
« Je tombe pour le Christ et pour le roi que j'aime !... »
Marigny, Marigny, tes soldats sont en pleurs !


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)
 

Renée Bordereau



Fecisti viriliter, et confortatum est cor tuum.
« Tu as agi virilement et ton cœur n'a pas eu peur. »
(Judith, XV, II.)


Un soldat vendéen était en sentinelle...
Sous son large chapeau tombaient cheveux soyeux ;
Sa beauté de vingt ans, la douceur de ses yeux,
Cachaient d'un vieux guerrier la brûlante étincelle.

Scrutant de ses regards les buissons, les chemins,
Il était là pensif, à côté d'un vieux chêne ;
Sur sa lèvre, on voyait un sourire de haine ;
Il tenait son fusil de ses deux jeunes mains.

Un bruit confus soudain vint frapper son oreille :
Il entendit des voix ; les branches se froissaient...
Et vit sur des chevaux quatre Bleus qui passaient,
Couverts encor du sang qu'ils répandaient la veille.

Notre petit soldat releva son fusil
Et fit tomber à terre un ancien capitaine.
«Rendez-vous ! cria-t-il, troupe républicaine ;
Halte-là ! rendez-vous ! les brigands sont ici ! »

Les Bleus surpris, troublés, le cœur battu d'alarmes,
Croyant être entourés de milliers de soldats,
S'arrêtent en criant : « Nous ne résistons pas. »
Et le Vendéen dit : « Alors, jetez vos armes !

« Et maintenant encor, descendez de cheval !
Si l'un de vous hésite, il verra ma colère :
Descendez !... » Et les Bleus ont déjà pied à terre...
« Bien ! je vais vous conduire à notre général. »

Les trois Bleus s'avançaient, dévorés par la rage
De se voir prisonniers aux mains d'un jeune enfant.
Et le petit soldat les suivait triomphant.
« Général, regardez, dit-il, c'est mon ouvrage ! »

Et le chef répondit : « C'est le fait d'un ancien.
Je te proclame, enfant, digne de la famille. »
Puis, s'adressant aux Bleus : « Par la main d'une fille,
Être vaincus, soldats, diable, ce n'est pas bien ! »


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)