jeudi 29 septembre 2011 | By: Mickaelus

La messe au fond des bois



Et la grande forêt paraissait comme un temple.
(André Theuriet)

Nos aïeux les Gaulois, sous les chênes antiques,
Pour honorer leurs dieux farouches et cruels,
Au milieu des forêts, élevaient des autels,
Y répandaient à flots le sang pur des mortels,
Et dansaient en chantant leurs terribles cantiques.

Après avoir dicté les sentences des dieux,
Le druide parfois, en longue robe blanche,
Sur le dolmen, rougi par le sang qui s'épanche,
Du gui mystérieux portait la jeune branche...
Les guerriers regardaient, tremblants, silencieux.

Ainsi les Vendéens, dans les moments d'alarmes,
Se mettaient à genoux, au milieu de leurs bois ;
Ils adoraient un Dieu, mais un Dieu sur la croix,
Cherchaient à retrouver quelque écho de sa voix ;
Souvent leurs yeux pourtant étaient baignés de larmes.

Pourquoi ?... C'est qu'en ces jours, au cri de liberté !
Les bourreaux sans pudeur fouillaient les consciences,
Payaient l'apostasie, insultaient aux croyances,
Et n'avaient de pardon que pour les défaillances :
C'est que partout le Christ était persécuté.

Alors, dans la Vendée, hommes, enfants et femmes,
Voyant la croix brisée et le temple détruit,
Comme les vieux chrétiens, au milieu de la nuit,
Dans des lieux ignorés se retiraient sans bruit,
Et par le sacrifice ils retrempaient leurs âmes.

Quelquefois un saint prêtre assemblait ses enfants,
Comme un berger, le soir, son troupeau pacifique,
Il leur disait : « Voyez, le ciel est magnifique,
Disposez pour l'autel la pierre druidique,
Jésus y descendra, vous serez triomphants. »

Une nuit, ces chrétiens, fuyant les hécatombes,
Après avoir passé les landes, les taillis,
Et décoré l'autel de leurs rameaux cueillis,
Au divin sacrifice assistaient recueillis,
Comme autrefois les saints, au fond des catacombes.

De jeunes Vendéens, leurs vieux fusils aux bras,
Veillaient faisant la garde, autour de la clairière.
Ils scrutaient les sentiers, les bois et la bruyère...
La messe commençait ; l'ange de la prière,
Devait les admirer, ses frères d'ici-bas !

Tous étaient prosternés, adorant en silence
Leur Dieu qui, dans la nuit, naissait comme à Noël ;
Les étoiles d'argent semblaient sourire au ciel
Et tout parlait de paix autour de cet autel,
Quand un grand cri soudain fit trembler l'assistance :

« Les Bleus ! voilà les Bleus !... » Le prêtre eut un soupir
En voyant le ciboire ouvert et plein d'hosties :
Mes forces, pensa-t-il, seront anéanties,
Avant que ce trésor tombe aux mains des impies...
Puis il continua la messe sans pâlir.

Les deux bras étendus, les femmes vendéennes
Accourent vers l'autel, le regard plein de feu :
« C'est à vous, Vendéens, de défendre ce lieu,
Disent-elles ; allez, ne craignez rien pour Dieu !
Il sera bien gardé, nous sommes des chrétiennes ! »

L'ennemi fut chassé... A l'autel tour à tour,
Les Vendéens, émus, marchèrent en silence ;
Heureux de leur triomphe, enivrés d'espérance,
Ils reçurent le Dieu qui donne la vaillance...
De ces fiers paysans le cœur battait d'amour.

Et se tenant debout, sous la blanche oriflamme :
« Maintenant, dirent-ils, disposés à partir,
Nous saurons avec Dieu mieux combattre et souffrir !
Et si même il le faut, qu'importé de mourir ?
Nous avons sauvé Dieu ! Dieu sauvera notre âme ! »


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)