jeudi 29 septembre 2011 | By: Mickaelus

1832 - Combat de La Pénissière



Victores reversi sunt.
« Ils retournèrent vainqueurs. »
(Judith, XV, 8.)


Dix-huit cent trente avait, pour un sol étranger,
Vu partir Charles dix, le conquérant d'Alger.
Philippe ramassait, dans l'émeute sanglante,
Une pourpre de roi, de honte ruisselante ;
Il s'en vêtit pourtant et regarda partout...
L'héroïque Vendée était toujours debout,
Demandant, à grands cris, au nouveau roi des halles
De cacher sa couronne et sa pourpre royales ;
Lui n'était pas le roi, le roi c'était Henri,
L'enfant miraculeux du bon duc de Berry.
Philippe refusa... Sans retard, sans alarmes,
Les Vendéens alors prirent leurs vieilles armes.
Ce peuple de géants ne croyait pas devoir
Laisser l'usurpateur au suprême pouvoir ;
Pour eux, ne pas défendre un prince légitime
Eût été trahison et déshonneur et crime.
Les Rouges et les Blancs étaient encore aux mains.
Entre les grands exploits, les combats surhumains,
Livrés par les héros de la blanche bannière,
Il en est un qui jette une vive lumière,
Et montre à l'univers ce peuple audacieux,
Digne de son passé, digne de ses aïeux.
Voici le fait. Un soir, une jeune phalange,
Redisant d'Henri cinq l'honneur et la louange,
Regagnait, en riant, le camp des Vendéens.
Un orage éclata... Ces valeureux chrétiens,
Sans souci du danger, choisirent pour leur gîte
Un antique manoir, demeure décrépite,
Qui n'offrait pour abri que des murs écroulés,
Et qui portait encore la trace des boulets.
Georges, le commandant des troupes philippistes,
Apprend d'un traître vil où sont les royalistes.
Il tressaille de joie, et jure en cet instant
De prendre et de tuer jusqu'au dernier brigand.
Ses soldats, transportés, comme lui, par la rage,
N'attendent qu'un signal pour courir au carnage.
Les Vendéens, instruits qu'on va venir vers eux,
N'en sont point inquiets, n'en sont pas moins joyeux.
Ils sont tous préparés pour le moment suprême,
Et d'ailleurs, quand on meurt pour un prince qu'on aime,
Quand, guidé par l'honneur, on défend un drapeau,
Et qu'on verse pour lui le sang du cœur... c'est beau !
Aussi des Vendéens le bouillonnant courage
Souhaite vivement que la lutte s'engage.
La nuit passe... mais rien... « L'ennemi n'est pas là »,
Disent-ils... Tout à coup, le vieux château trembla ;
L'ennemi s'approchait... sa marche qui résonne
Détermine sa force et ne trompe personne.
Qu'importe ? « Vive Henri ! » s'écrièrent les Blancs.
« Mort ! hurla l'ennemi. Détruisons les Chouans ! »
Les Rouges arrivaient... En un clin d'œil, leur foule
Autour du vieux castel se porte et se déroule.
D'un grand cercle de fer les Blancs sont entourés,
Et des coups sont déjà par les Rouges tirés.
Le Blanc riposte aussi par les larges fenêtres,
Visant toujours au front, comme ont fait les ancêtres.
Les Vendéens ont dit : « Nous ne savons mentir :
Nous sommes décidés de vaincre ou de mourir. »
Georges ne comptait pas sur longue résistance ;
Il commande à sa troupe, et sa troupe s'élance
A l'assaut ; mais les Blancs, frémissants de fureur,
Arrêtent l'ennemi quand il se croit vainqueur ;
Son attaque est sans fruit, ses efforts inutiles ;
Les Blancs combattent bien et les Blancs sont habiles.
Les Rouges, par trois fois, en jetant de grands cris,
Foncent sur le manoir, mais par trois fois meurtris,
Ils reculent, disant : « Ces Chouans redoutables
Ne sont pas des humains, ce sont plutôt des diables.
Quoi ! des brigands pourraient, dans ces murs écroulés,
Arrêter notre ardeur !! Nous serions ébranlés !!! »
Et, ne pouvant alors contenir de leurs âmes
La haine et la fureur, ils entourent de flammes
Le vieux castel détruit et se font assassins.
Ce crime ne fait pas trembler les Vendéens.
Le feu devient bientôt un immense incendie ;
La flamme en longs sillons se plie et se replie,
Les poutres, les planchers, croulent avec fracas,
Les murs sont entr'ouverts... Les Blancs ne cèdent pas.
Mais chassés par le feu, la fumée au visage,
Pour se défendre encore, ils montent d'un étage.
Par la porte brisée et les murs renversés,
Les Rouges au dedans entrent à flots pressés.
« Rendez-vous, disent-ils, ô troupe fanatique ! »
Quarante-cinq fusils donnèrent la réplique ;
Juste autant d'ennemis, frappés droit en plein cœur,
Glacent leurs compagnons d'épouvante et d'horreur.
Ils reculent d'un pas... mais la flamme sans cesse
Des soldats vendéens augmente la détresse.
Les Blancs n'ont pas mangé depuis la veille au soir :
Consumés par la soif, brûlés dans ce manoir,
Entourés d'ennemis, sans aucune espérance
D'échapper au danger par leur noble vaillance,
Trente-quatre héros poussent alors ce cri :
« Pour notre roi, mourons ! oui, mourons pour Henri ! »
Et franchissant un mur qui sous leurs pas s'écroule,
Des soldats ennemis ils pénètrent la foule.
Échevelés, noircis, par le sang excités,
Vrais démons furieux, frappant de tous côtés,
Écrasant sous leurs pieds les hommes qu'ils renversent,
Ils marchent en avant, abattent et transpercent
Les Rouges, sur le sol de surprise rivés.
On ne les poursuit pas... les héros sont sauvés !
Tout n'était pas fini. Dans le manoir en flammes,
Aux Rouges résistaient onze héroïques âmes.
Ces guerriers généreux avaient su, mais trop tard,
Le projet de sortie et l'instant du départ.
Eux seuls ils sont restés... Sans perdre confiance,
Ils osent, malgré tout, poursuivre leur défense.
Un réduit, dans un mur, les abrite du feu ;
C'est peu, mais suffisant, pour espérer en Dieu.
Partout l'ennemi fouille à coups de hallebardes ;
Les Blancs sont découverts et montent aux mansardes ;
L'ennemi grimpe aussi, mais vains sont ses efforts,
Tous ses soldats montés bientôt descendent morts ;
Le chef des assiégeants, Georges, ne peut comprendre
Que les Brigands encor ne veuillent pas se rendre.
Il active la flamme, en faisant aux soldats
Jeter dans le brasier des fagots à pleins bras.
Un feu plus dévorant dévore les entrailles
De la vieille maison et lèche ses murailles ;
La flamme brille au loin, dans la profonde nuit.
Soudain, sur les vieux murs, la toiture avec bruit
S'effondre tout entière... « Oui, vive Henri de France ! »
Le dernier cri des Blancs... Puis... partout le silence...
Les Rouges, convaincus que, sous ces noirs débris,
Tous les Brigands sont morts, élèvent de grands cris
Et d'immenses clameurs de triomphe et de gloire.
Cet horrible forfait, pour eux, c'est la victoire.
Mais les onze héros, des flammes préservés
Par un angle du mur, à leur tour sont sauvés...
Le beffroi de Clisson sonnait la dixième heure,
Et, depuis le matin, dans la vieille demeure,
Pour Henri cinq, leur roi, quarante-cinq Chouans,
Quarante-cinq chrétiens, presque tous paysans,
Avaient fait reculer quinze cents philippistes.

Voilà comment luttaient les soldats royalistes...


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)