jeudi 29 septembre 2011 | By: Mickaelus

Les Vieux Soldats du Roi



Ne les raillez pas, camarades!
Saluez plutôt chapeau bas
Ces Achilles d'une Iliade
Qu'Homère n'inventerait pas.
(Théophile Gauthier)


Lorsque j'étais petit, les vieux soldats du roi,
Je m'en souviens encore, égayaient ma jeunesse :
Leurs genoux me portaient, et leur verte vieillesse
Devenait souriante en jouant avec moi.

Leurs visages guerriers, sillonnés de blessures,
Me plaisaient : je voulais toucher leurs cheveux blancs ;
J'aimais leurs fronts ridés, leurs yeux étincelants,
Leurs bras secs et nerveux, leur mains larges et dures.

Le soir, quand ils disaient, dans des mots pleins de feu,
Leur brillante épopée ou leur lointaine enfance,
Avide, je buvais cette simple éloquence
Qui chantait les combats pour le trône et pour Dieu.

Je leur disais : « Parlez, votre récit m'enchante,
Racontez-moi bien tout ; voyez, je ne crains pas. "
Je ne me lassais point d'écouter dans leurs bras
Le récit palpitant de la guerre géante.

Et ces nobles vieillards, cédant à mes désirs,
Alors me dépeignaient leurs cruelles alarmes,
Me racontaient comment ils avaient pris les armes,
Et pourquoi mes aïeux étaient tombés martyrs.

« Pour garder, disaient-ils, nos enfants et nos femmes,
Pour venger notre Christ et son royal honneur,
Nous avons préféré la souffrance au bonheur,
Ce n'est rien de mourir quand on sauve des âmes.

« Nos bras se sont armés pour punir les cruels
Qui voulaient à la France enlever son histoire,
Déshonorer nos rois et leur antique gloire,
Qui cherchaient à briser leur trône et les autels.

« Et sentant dans nos cœurs une flamme héroïque,
Nous, pauvres paysans, devenus des soldats,
Nous avons fait rugir et reculer d'un pas
Le monstre qui portait le nom de République. »

Le front de nos vieillards paraissait inspiré
Quand ils laissaient ainsi, de leurs lèvres tremblantes,
Tomber ces grands récits, ces paroles brûlantes ;
Dans tout mon être alors passait leur feu sacré.

Excité par le sang qui battait mes artères,
Je leur disais bien haut : « Merci, vous êtes bons.
Mort à la République et vivent les Bourbons !
Moi, j'aurai vos amours et vos justes colères. »

Je les voyais alors s'incliner jusqu'à moi,
Et dans leurs francs baisers je sentais leur ivresse...
Puis soudain, vers le ciel, l'enfance et la vieillesse
Jetaient éperdument ce cri : « Vive le Roi !!! »


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)