Arma posuit in tabernaculo suo.
« Il plaça ses armes dans sa tente.»
(I Reg., XVII, 54.)
Un jour, un beau vieillard, un de ces fiers géants
Qui marchèrent sans peur contre la République,
Un guerrier vendéen, un de ces paysans
Dont l'Europe admira la valeur héroïque,
Me disait : « Viens, enfant, viens voir mes souvenirs ;
Je les ai suspendus aux murs de ma chaumière ;
Devant eux bien souvent je pense à nos martyrs
Qui triomphent là-haut, dans la pleine lumière. »
Je lui saisis la main, et le suivis joyeux ;
Car mon âme d'enfant était déjà bien pleine
De culte et de respect pour nos vaillants aïeux,
Et mon cœur débordait de fierté vendéenne.
Je lui disais : « Vieillard, j'aime aussi comme toi
Les lis du drapeau blanc et la blanche cocarde,
Et je brûle de voir sur le trône mon roi...
— C'est là, fit le vieillard, tiens, me dit-il, regarde ! »
Au mur de la chaumière, aux pieds du crucifix,
J'aperçus un vieux sabre, une faux recourbée,
Deux pistolets d'arçon et deux pesants fusils
Dont la crosse en cormier, légèrement bombée,
Portait des coups de sabre et des taches de sang.
Je regardais, ravi, ces armes foudroyantes,
Jetant sous la lumière un reflet menaçant,
Quand le vieillard me dit ces paroles vibrantes :
« Les vois-tu, mes joyaux ? les vois-tu resplendir ?
Enfant, j'étais ardent, quand je portais ces armes,
Et mon bras de vingt ans savait bien s'en servir.
Avec elles, mon fils, j'ai vengé bien des larmes :
Que de Bleus, juste au cœur par mes balles touchés,
Ont roulé sur le sol, en vomissant l'injure !
Ces deux vieux chers fusils, comme ils en ont couchés !
Car mon œil était bon et ma main toujours sûre.
« Regarde cette faux : je la portais sans peur ;
Les ennemis de Dieu frémissaient devant elle.
Alors, mon fils, j'étais un rude moissonneur,
Et je fauchais les Bleus comme l'herbe nouvelle.
Nous avons avec elle abattu maintes fois
Des rangs, des rangs entiers d'une année aguerrie ;
Et jamais la vaillante, au cours de ses exploits,
Ne m'a dit : C'est assez ; suspendons la tuerie !
« Je suis vieux et déjà je sens venir la mort ;
Pourtant si j'entendais le clairon des batailles,
L'honneur me verrait prêt, pour un dernier effort ;
Ces armes me feraient de belles funérailles !
Avec elles bientôt j'accomplirais mon vœu,
Car, vois-tu ? tout le sang qui coule dans mes veines,
Ce sang, il est au roi ! ce sang, il est à Dieu !
Ce sang, il appartient aux gloires vendéennes ! »
J'écoutais ce vieillard ; mes yeux mouillés de pleurs
Contemplaient sur le mur le sublime trophée.
Je songeais au pays, à ses longues douleurs...
Le vieillard, au milieu d'une plainte étouffée,
Reprit : « Dieu le voulut, enfant, fais comme moi,
Offrons nos pleurs à Dieu, sans perdre l'espérance :
Nul ne sait l'avenir, et peut-être le Roi
Viendra-t-il apportant les lis à notre France. »
Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)
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