jeudi 29 septembre 2011 | By: Mickaelus

Les sentinelles



Et les martyrs avaient dispersé les bourreaux.
(P. Déroulède, Chants du soldat.)


Ils s'en allaient tous deux, bras dessus, bras dessous,
Le cœur contre le cœur, les cheveux à la brise,
Les pieds nus, l'œil au guet, sans crainte des grands loups...
La lune était au ciel, sur un nuage assise.
Ils étaient frère et sœur, ils n'avaient pas dix ans ;
Leur visage était beau, blonde leur chevelure.
Noblesse sur le front, les deux petits enfants
Allaient en écoutant, dans cette nuit obscure.
Les Vendéens, lassés par quatre grands combats,
Prenaient dans la forêt, sur un lit de feuillage,
Un instant de repos. Ces valeureux soldats
En avaient bien besoin après ce rude ouvrage.
Ils dormaient... Auprès d'eux étaient leurs vieux fusils
Et leurs terribles faux, lançant des étincelles.
Pendant que ces héros se reposaient ainsi,
Les deux petits enfants faisaient les sentinelles.
Ils y mettaient leur cœur... sous les genêts épais,
Leur regard se glissait et scrutait les ténèbres,
Nul bruit n'était perçu... partout silence et paix,
Et seulement les cris des lourds oiseaux funèbres.
Leurs petits pieds frappaient aux cailloux du chemin,
Ils saignaient bien parfois aux ajoncs de la lande...
« Qu'importe ? disaient-ils, en se donnant la main,
Allons, veillons toujours ! le devoir nous commande !
Veillons sur le sommeil de ceux qui sont là-bas,
Ils sont si fatigués ! de repos ils n'ont guère ;
Allons ! frère, allons ! sœur, ne nous endormons pas !
Pour eux, il faut demain continuer la guerre.
S'ils répandent leur sang, c'est pour Dieu, c'est pour nous ;
Seigneur, Seigneur Jésus, donnez-leur le courage ! »
En prononçant ces mots, ils tombent à genoux...
Un doux rayon de lune éclairait leur visage...
Mais soudain, dans la nuit, retentit auprès d'eux
Un bruit confus de voix, puis un cliquetis d'armes,
Les enfants sont debout... ils découvrent les Bleus,
Ils volent vers le camp pousser le cri d'alarmes.
Mais les républicains les ont vite entourés,
Et posé sur leur cœur l'acier des baïonnettes.
Les deux petits enfants ne sont point atterrés ;
La fierté les grandit et relève leurs têtes.
« Prenez garde ! marmots, leur disent ces soldats
Avec leur grosse voix et leurs hideux blasphèmes,
Si vous poussez un cri, si vous faites un pas,
Tous deux, nous le jurons, vous mourrez ici même. »
Les deux vaillants enfants, sans redouter la mort,
Car ils savent que Dieu de son ciel les regarde,
Jettent ces mots au loin, dans un suprême effort :
« Les Bleus ! voici les Bleus ! Vendéens, prenez garde ! »
Ils tombent sous les coups, le front illuminé ;
De leur cœur transpercé le sang à flots ruisselle.
Mais au camp vendéen le signal est donné,
Chaque soldat saisit sa vieille arme fidèle.
Les bourreaux de Grignon bientôt sont terrassés ;
Dans les bois, les genêts, sur la verte bruyère,
Les morts et les mourants partout sont entassés,
Et leur sang en ruisseaux coule dans la clairière...

Et les petits enfants, couchés sur le chemin,
Rayonnaient, dans la mort, des clartés du martyre.
Tous deux ils se tenaient encore par la main...
On ne pouvait pleurer, en les voyant sourire.


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)