jeudi 29 septembre 2011 | By: Mickaelus

Le dernier acte de Bonchamps



Dimitte illis ; non enim sciunt quid faciunt.
« Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. »
(Luc, XXIII, 34.)


La colère étouffait les âmes vendéennes ;
On entendait partout passer des cris de mort...
Des prêtres du Seigneur stérile était l'effort.
Pour vaincre cette rage, en comprimer l'essor,
Il ne suffisait plus des prières chrétiennes.

Ces hommes étaient là, cœurs débordant de fiel,
Réclamant à leur Dieu les coups de la vengeance ;
Ils avaient oublié que ce Dieu de clémence
Avait à ses bourreaux pardonné leur offense,
Quand ils l'avaient cloué sur un gibet cruel.

Et pourtant, leur fureur était bien légitime ;
Les Bleus avaient passé, semant partout l'horreur.
Massacrant les enfants, trafiquant la pudeur
Des vierges qui pleuraient et mouraient sous la peur ;
Leur marche, disait-on, c'est la marche du crime.

Ils n'étaient pas soldats, ils n'étaient que bourreaux,
Ces durs républicains qui flétrissaient leurs armes,
Jetaient au fond des cœurs de terribles alarmes.
Devant ces cruautés les Blancs versaient des larmes,
Ne voyant respecter ni tombes ni berceaux.

Ils voulaient se venger, et l'heure était propice :
Cinq mille Bleus alors étaient entre leurs mains.
« Qu'ils meurent, disaient-ils, tous ces républicains !
Comme eux, soyons cruels, et comme eux inhumains !
Qu'on prenne ces bandits, qu'on les mène au supplice ! »

Et les Bleus, dans l'église enfermés, sans espoir,
Entendent cette foule aux portes du saint temple ;
Devant cette fureur terrible et sans exemple,
Chacun d'eux en tremblant aperçoit et contemple
Les apprêts de la mort que tous vont recevoir.

Les canons sont braqués, et, là-bas, dans la brume,
La mitraille bientôt va passer en sifflant,
Coucher des rangs entiers de victimes râlant,
Et laisser derrière elle un long sillon sanglant...
Le moment est venu... déjà la mèche fume...

Mais un grand cri soudain passe de rang en rang :
« Bonchamps ! voilà Bonchamps ! » et la foule, à la vue
Du général blessé, s'est un peu contenue.
On veut entendre encor cette voix si connue,
Pour la dernière fois... Bonchamps était mourant.

« Chrétiens, dit-il alors, chrétiens, pas de vengeance !
Nous combattons pour Dieu, nous défendons le roi,
Pensons à notre cause, à notre sainte foi !
Grâce pour les vaincus, chrétiens, écoutez-moi,
Vous m'avez pris pour chef, je veux l'obéissance. »

Et ces fiers Vendéens tombent à deux genoux ;
Dans ces cœurs irrités, soudain la foi rayonne...
« Grâce ! Bonchamps le veut ! grâce ! Bonchamps l'ordonne !
Disent-ils, grâce aux Bleus ! ne massacrons personne !
Oui, nous leur pardonnons ! Seigneur, pardonnez-nous ! »


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)