jeudi 29 septembre 2011 | By: Mickaelus

Pierre Bibard



Diligite inimicos vestros.
« Aimez vos ennemis. »
(Matth., v, 44.)


Le seize mai de l'an quatre-vingt-treize,
Dans la Vendée, on souffre... et rien n'apaise
Les longs tourments des généreux martyrs.
Le Bleu triomphe, en comptant leurs soupirs...
Monsieur Henry, pour l'Église et la France,
A Fontenay, contre les Bleus s'avance.
Terrible choc ! Stofflet est avec lui.
Pierre Bibard, dont le bras fut l'appui
De la Vendée en plus d'une bataille,
Bibard est là... Sous le feu, la mitraille,
Les Vendéens résistent... Ces combats
Font un héros de chacun des soldats.
Le sang versé, les poitrines ouvertes,
Les corps foulés, sur les pelouses vertes,
Tout les enivre et les pousse aux exploits,
Aux coups géants des Roland d'autrefois.
Sans reculer, en face du martyre,
Quand la mort vient, elle les voit sourire.
Que peuvent-ils...? Ils sont un contre vingt...
Donner leur sang...? Ils le versent en vain...
Mais ils voudraient garder leur Marie-Jeanne
Et l'enlever à la horde profane...
Pierre Bibard combat seul désormais,
Ses compagnons reposent pour jamais.
Couvert du sang de ses vingt-deux blessures,
Il tue encor... Ses mains sont toujours sûres.
Mais épuisé de fatigue et de faim,
Il roule inerte au gazon du chemin.
Les Bleus, joyeux de leur riche capture,
L'ont entouré... Les tourments et l'injure
Pleuvent sur lui, mais Bibard est chrétien :
Comme le Christ, il souffre, il ne dit rien.
Frappé, sanglant, il entre dans la ville,
Le corps brisé, mais l'âme bien tranquille ;
Il est jeté, par ces lâches bandits,
Dans la prison : la Tour de Charles dix.
Son dur geôlier, fils de la République,
Prolonge alors la cruauté publique.
Du chapelet que Bibard, sur son cœur,
Portait toujours, le Bleu frappe en fureur
Le front chrétien de cette âme vaillante ;
Sous son long sabre, à la pointe effrayante,
Il met sa joie à voir couler le sang.
Suprême horreur ! A cet homme innocent
Il prend l'habit qui collait à ses plaies,
L'arrache... Et nu, sur des débris de claies,
Le Vendéen, rayonnant, toujours beau,
Tombe en priant pour l'infâme bourreau.
Pendant dix jours, le tourment continue...
La délivrance est-elle enfin venue...?
Des cris !!! Le Bleu, son arme dans la main :
« Chouan, dit-il, toi, tu mourras demain,
La République entonne sa victoire... »
Bibard écoute aussi ces chants de gloire...
Et bondissant sur le gardien surpris :
« Je les connais, dit-il, ces joyeux cris !
Rends-moi ton arme et livre tes cartouches !
Car sache bien, ces chants tombent des bouches
Des Vendéens... Moi, je sais les chansons
Et de Lescure et de ses fiers garçons... »
Il disait vrai... C'était bien la revanche,
Et les lauriers pour la cocarde blanche...
Le vil geôlier, d'épouvante transi,
Rend à Bibard cartouches et fusil...
Et le soldat, perdu dans la défaite,
Est retrouvé... Pour tous c'est jour de fête.
Dressant alors son corps endolori,
Devant les chefs, devant Monsieur Henry,
Pierre Bibard, à son gardien qui tremble,
Dit ces deux mots : « Je pourrais, il me semble,
Avoir mon tour, te tuer comme un chien.
Je veux t'aimer, car, moi, je suis chrétien :
Au nom du Christ, geôlier, je te pardonne... »

Monsieur Henry sent son cœur qui frissonne :
« Bibard, dit-il, tu pardonnes au Bleu,
Je t'applaudis comme un soldat de Dieu.
Un tel pardon creusera bien sa trace
Dans l'avenir... Viens là que je t'embrasse ! »


Une souscription est ouverte, chez M. le curé de La Tessoualle (Maine-et-Loire),
pour élever une statue à ce vaillant soldat, à ce noble chrétien.



Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)