Elle se dressa droite au bord du lit étroit
Et menaça le monstre avec son petit doigt.
(Victor Hugo, L'Art d'être grand-père.)
Pendant que le pays, dans le sang et les flammes,
Disparaissait partout et que de nobles âmes
Combattaient pour la Croix,
D'humbles femmes, cédant à mille cris d'alarmes,
Désertaient leurs foyers, les yeux remplis de larmes,
Pour fuir au fond des bois.
Au milieu des genêts dans les forêts ombreuses,
La crainte rassemblait toutes ces malheureuses
Et leurs petits enfants.
Le chef, c'était parfois quelque vieux patriarche
A la voix paternelle, à la lente démarche,
Orné de cheveux blancs.
On croyait être en paix... La nuit, au pied d'un hêtre,
Souvent on entendait la messe d'un vieux prêtre,
Sur un rustique autel.
On priait pour les morts... Alors dans la nuit noire,
C'était un doux concert. L'ange du purgatoire
L'emportait vers le ciel.
« Dieu, donnez le repos et la grâce dernière
A nos morts bien-aimés qui dorment sous la pierre,
Ils ont lutté pour vous ;
Pitié ! pitié, Seigneur ! et malgré leurs offenses,
Par votre sainte croix abrégez leurs souffrances,
Nous sommes à genoux ! »
Puis on priait aussi pour les soldats fidèles,
Qui combattaient, vaillants, les cohortes cruelles
Des égorgeurs de rois ;
Pour ceux qui défendaient, sans songer à leur vie,
L'honneur du Tout-Puissant, l'honneur de la patrie :
Et les lis et la croix.
Le chapelet passait dans ces mains amaigries ;
Des larmes s'épanchaient, sur les feuilles flétries,
Avec le même vœu :
« O Seigneur, disait-on, veillez sur votre gloire ;
Donnez à nos époux, à nos fils, la victoire,
Pour la France et pour Dieu ! »
Après avoir prié, la foule recueillie
Préparait en pleurant le linge et la charpie,
Pour les pauvres blessés.
Et pendant ce travail, hélas ! plus d'une femme
Pensait aux êtres chers que son amour réclame,
Époux ou fiancés.
Quant aux petits enfants, derniers de la famille,
Ils se disaient entre eux, de leur voix qui babille :
« Ah ! quand nous serons grands,
Nous prendrons un fusil et nous irons, sans crainte,
Sous le drapeau royal faire la guerre sainte
Contre tous les méchants ! »
Et les cœurs maternels saignaient de ces paroles,
Mais, voyant des martyrs les saintes auréoles :
« Oui, nous voulons aussi ;
Grandissez, pour offrir à Dieu ce sacrifice,
Vous grossirez les rangs de la sainte milice,
Si Dieu le veut ainsi. »
Or, pendant qu'en ces lieux brillait tant de vaillance,
Les Bleus continuaient à nourrir leur vengeance,
Il leur fallait du sang.
Ces tueurs de vieillards, ces pourvoyeurs de crimes,
Au fond des bois cherchaient les plus pures victimes,
Le faible, l'innocent.
Pour fouiller les genêts, ces lâches démagogues,
N'osant pas s'y risquer, avaient dressé des dogues,
Pleins de férocité.
Ces animaux allaient, dociles à leurs maîtres,
Ils savaient découvrir des femmes et des prêtres
Le refuge écarté.
Quand on voyait passer, rapides, hors d'haleine,
Ces monstres hérissés coupant l'immense plaine,
Ou les grands prés en fleur,
L'oreille redressée, aboyant de colère,
Quand on voyait ainsi la meute sanguinaire,
On avait froid au cœur.
On savait en effet que les Bleus par derrière
Accouraient... et bientôt, qu'au fond de la clairière
Le sang allait jaillir ;
Que des crimes sans nom, sur de tremblantes femmes,
Allaient être commis par ces hommes infâmes,
Qui ne savaient rougir.
Un jour donc, à travers le bocage tranquille,
Cherchant des Vendéens le solitaire asile,
Les molosses passaient....
Jamais ils n'avaient eu colère plus ardente,
Rouge comme le feu leur langue était pendante,
De joie ils rugissaient.
Ils s'élançaient par bonds, et, comme la rafale,
Brisaient tout sur leurs pas ; dans leur course infernale,
Ils s'arrêtaient parfois
Pour saisir, sur le sol, une odeur, un vestige ;
Puis plus vite qu'un trait, comme pris de vertige,
Ils entrèrent au bois.
Ils ne se trompaient pas... bientôt, dans la clairière,
On entendit un cri, mais un cri de prière :
« O Vierge, sauvez-nous !
Voici, voici la mort ! soyez notre assistance !
Dans la fuite il n'est plus désormais d'espérance...
Nous n'espérons qu'en vous ! »
Les dogues étaient là, remués par la joie,
Flairant déjà la chair et le sang de leur proie,
Tremblante devant eux.
Déjà, comme un appel, ces terribles molosses
Allaient jeter dans l'air leurs aboiements féroces,
Pour avertir les Bleus.
Mais les petits enfants, aux âmes innocentes,
Aux chiens tendent soudain leurs deux mains caressantes,
Leur disent à genoux :
« Oh ! ne découvrez pas l'asile de nos mères !
Non ! Dieu vous le défend ! redoutez ses colères !
Monstres, retirez-vous ! »
Les dogues irrités à ces mots s'adoucissent,
A ces faibles enfants promptement obéissent
Et deviennent soumis...
On rendit grâce à Dieu, car la sainte innocence
Venait de terrasser, par sa seule puissance,
Ces cruels ennemis.
Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)
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