jeudi 29 septembre 2011 | By: Mickaelus

Le puits de Clisson



Le puits comme une fosse au fond d'un cimetière
Est là béant.
(Victor Hugo, Légende des siècles.)


Près de Clisson, les soldats vendéens
Étaient vaincus malgré leur grand courage :
Six cents captifs étaient dans les liens
D'un ennemi tout transporté de rage.

On pouvait voir, au nombre des captifs,
Petits enfants, seuls débris des familles,
Femmes, guerriers, quelques vieillards chétifs ;
Il s'y trouvait beaucoup de jeunes filles.

On les parqua, comme de vils troupeaux,
Tous enchaînés, privés de nourriture.
Pendant ce temps, les infâmes bourreaux
Pour ces chrétiens rêvaient une torture.

Une citerne immense s'ouvrait là,
Pleine de vase et d'une odeur fétide...
Et les bourreaux, riant avec éclat,
Dirent soudain : « Oui, ce sera splendide. »

Le puits profond (ils s'étaient tous compris)
Allait servir de sépulcre aux victimes.
Les condamnés ne furent pas surpris :
De ces bandits ils connaissaient les crimes.

Les Vendéens furent conduits tout près
De cet abîme ; ils firent leur prière
Tranquillement, parce qu'ils étaient prêts
Depuis longtemps à leur heure dernière.

Ils embrassaient tous les petits enfants
Et leur disaient : « Vous, les frères des anges,
Avec Jésus vous serez triomphants ;
Allez au ciel pour chanter ses louanges ! »

Les Bleus, surpris mais non pas détournés
Par ce grand calme en face du supplice,
Poussent d'abord les guerriers enchaînés,
Et les vieillards au fond du précipice.

Un bruit lugubre, immense cri d'appel,
Monte du fond de l'horrible citerne ;
Et les bourreaux, pris d'un rire cruel,
Vociféraient des propos de taverne.

Puis, à leur tour, les femmes, les enfants,
Y sont lancés, avec les jeunes filles.
Ainsi parfois, sous les noirs ouragans,
Tombent les fleurs, même les plus gentilles.

Le puits se comble et de chair et de sang,
Les corps pressés l'un sur l'autre s'entassent ;
Et sur les bords de ce tombeau vivant,
De blasphémer les bourreaux ne se lassent.

Mais cet abîme est encor trop étroit ;
Quelques martyrs ressortent de leur tombe ;
Les scélérats piétinent ce surcroît,
Pour enfouir leur humaine hécatombe.

Pendant deux jours, d'indicibles soupirs
Montent aux cieux... Vint enfin le silence...
On recouvrit la tombe des martyrs ;
On y grava ces mots : « Morts pour la France ! »


Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)



Le donjon et le puits du château de Clisson en 1844