Les petits canonniers de Chemillé

L'enfant parlait ainsi d'un air de loyauté,
Regardant tout le monde avec simplicité.
(Victor Hugo, Légende des siècles.)


Le combat s'engage,
Partout c'est la rage,
L'aveugle fureur ;
Le canon résonne,
La terre frissonne
De trouble et d'horreur.

La lutte sanglante,
D'abord assez lente,
Grandit en tous lieux.
Des cris de détresse
S'élèvent sans cesse
Et montent aux cieux.

Le sang, dans l'ornière,
Rougit la poussière
Et coule fumant.
Un nuage sombre
Couvre de son ombre
Le bleu firmament.

Du front des armées,
De haine enflammées,
S'échappe l'éclair.
On dirait la foudre,
Quand brille la poudre
Et sonne le fer.

Blancs et Bleus se mêlent ;
Les blessés chancellent,
Tombent sur les morts.
La houleuse foule
Court, écrase et roule
Sous ses pieds les corps.

Mais les catholiques,
Soldats héroïques,
Reculent pourtant.
Une troupe immense
D'ennemis s'élance
Toujours en avant.

Bientôt la victoire
Va couvrir de gloire
Les républicains.
Déjà, sur la route,
On voit la déroute
De nos Vendéens.

Sous le nombre, ils baissent ;
Fugitifs, ils laissent,
Seul, à l'abandon,
Sur une colline,
Près d'une chaumine,
Leur plus beau canon.

Mais, pleins de courage,
Malgré leur jeune âge,
Deux petits enfants
Inspirés s'avancent,
Au canon s'élancent...
Ils n'ont pas douze ans !

Les enfants, en face,
Attendent que passe
L'ennemi vainqueur ;
Puis la mèche fume...
La poudre s'allume...
Droit au but !... bonheur !

Et ce coup renverse
Les Bleus, les transperce,
Les glace d'effroi ;
Bientôt, dans la plaine,
Au combat ramène
Les soldats du roi.

Par ce sort étrange,
La fortune change ;
Des soldats chrétiens
L'ardeur triomphante
Sème l'épouvante
Aux rangs des païens.

De vive allégresse
Et de folle ivresse,
Bat le cœur des Blancs ;
Victoire ! Victoire !
Aujourd'hui la gloire
Est à deux enfants !

Triomphants et graves,
Les deux petits braves
Chantent : « Gloire à Dieu !
Notre faible enfance
Par obéissance
A sa voix fit feu ! »

Dom Joseph Roux, Souvenirs du bocage vendéen (1898)