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samedi 27 mars 2010 | By: Mickaelus

Institution pour l'adolescence du Roi Très-Chrétien Charles IX, par Ronsard


François Clouet, Charles IX



Institution
pour l'adolescence du roy treschrestien
Charles neufviesme de ce nom (1562)


Sire, ce n'est pas tout que d'estre Roy de France,
Il faut que la vertu honore vostre enfance :
Car un Roy sans vertu porte le sceptre en vain,
Et luy sert de fardeau, qui luy charge la main :
Pource on dit que Thetis la femme de Pelée,
Apres avoir la peau de son enfant brûlée
Pour le rendre immortel, le prist en son giron
Et de nuit l'emporta dans l'Antre de Chiron,
Chiron noble Centaure, à fin de luy aprendre
Les plus rares vertus dés sa jeunesse tendre,
Et de science et d'art son Achille honorer :
Car l'esprit d'un grand Roy ne doit rien ignorer.

Il ne doit seulement sçavoir l'art de la guerre,
De garder les cités, ou les ruer par terre,
De piquer les chevaux, ou contre son harnois
Recevoir mille coups de lances aux tournois :
De sçavoir comme il faut dresser une Embuscade,
Ou donner une Cargue, ou une Camisade,
Se renger en bataille, et soubs les estandars
Mettre par artifice en ordre ses soldars.

Les Roys les plus brutaulx telles choses n'ignorent,
Et par le sang versé leurs couronnes honorent :
Tout ainsi que Lyons, qui s'estiment alors
De tous les animaux estre veuz les plus fors,
Quand ils se sont repeuz d'un Cerf au grand corsage,
Et ont remply les champs de meurtre et de carnage.

Mais les princes Chrestiens n'estiment leur vertu
Procéder ny de sang ni de glaive pointu :
Ains par les beaux mestiers qui des Muses procedent,
Et qui de gravité tous les autres excédent :
Quand les Muses qui sont filles de Jupiter
(Dont les Roys sont issus) les Roys daignent hanter,
Elles les font marcher en toute reverence :
Loing de leur magesté banissent l'ignorance,
Et tous remplis de grace et de divinité,
Les font parmy le peuple ordonner equité.
Ils deviennent apris en la mathematique,
En l'art de bien parler, en histoire et musique,
En physiognomie, à fin de mieux sçavoir
Juger de leurs subjects seulement à les voir.

Telle science sceut le jeune prince Achille,
Puis scavant et vaillant il fit mourir Troille
Sur le champ Phrygien, et fit mourir encor
Le magnanime orgueil du furieux Hector,
Il tua Sarpedon, tua Pentasilée
Et par luy la cité de Troye fut brulée.
Tel fut jadis Thesée, Hercules, et Jason,
Et tous les vaillans preux de l'antique saison.
Tel vous serez aussi, si la Parque cruelle
Ne tranche avant le temps vostre trame nouvelle :

Car Charles, vostre nom tant commun à nos Roys,
Nom du Ciel revenu en France par neuf fois,
Neuf fois nombre parfait, comme cil qui assemble
Pour sa perfection trois Triades ensemble,
Monstre que vous aurez l'Empire, et le renom
Des huict Charles passez dont vous portés le nom.
Mais pour vous faire tel, il faut de l'artifice
Et dés jeunesse aprendre à combattre le vice.

Il faut premierement aprendre à craindre Dieu
Dont vous estes l'ymage : et porter au milieu
De vostre cueur son nom, et sa saincte parolle,
Comme le seul secours dont l'homme se consolle.

Apres si vous voulés en terre prosperer,
Il vous faut vostre mere humblement honorer,
La craindre et la servir, qui seulement de mere
Ne vous sert pas icy, mais de garde, et de père.
Apres, il fault tenir la loy de vos ayeulx,
Qui furent Roys en terre, et sont là hault aux cieux :
Et garder que le peuple imprime en sa cervelle
Les curieux discours d'une secte nouvelle.

Apres il fault apprendre à bien imaginer,
Autrement la raison ne pourroit gouverner :
Car tout le mal qui vient à l'homme prend naissance
Quand par sus la Raison le Cuider a puissance :

Tout ainsi que le corps s'exerce en travaillant,
Il faut que la Raison s'exerce en bataillant
Contre la monstrueuse et faulse fantasie,
De peur que vainement l'ame n'en soit saisie.
Car ce n'est pas le tout de sçavoir la vertu,
Il faut cognoistre aussi le vice revestu
D'un habit vertueux, qui d'autant plus offence
Qu'il se monstre honorable, et a belle aparance.

De là vous aprendrés à vous cognoistre bien,
Et en vous cognoissant vous ferés toujours bien :
Le vray commencement pour en vertus acroistre,
C'est (disoit Apollon) soymesme se cognoistre.
Celuy qui se cognoist, est seul maistre de soy,
Et sans avoir Royaume il est vrayement un Roy.

Commencés donq ainsi : puis si tost que par l'age
Vous serés homme fait de corps, et de courage,
Il fauldra de vous-mesme aprendre à commander,
A oyr vos subjects, les voir, et demander,
Les cognoistre par nom, et leur faire justice,
Honorer la vertu et corriger le vice.

Malheureux sont les Roys qui fondent leur apuy
Sur l'ayde d'un commis : qui par les yeux d'autruy
Voyent l'estat du peuple, et oyent par l'oreille
D'un flateur mensonger qui leur conte merveille.
Tel Roy ne regne pas, ou bien il regne en peur
(D'autant qu'il ne sçait rien) d'offencer un flateur.

Mais (Sire) ou je me trompe en voyant vostre grace
Ou vous tiendrez d'un Roy la legitime place :
Vous ferés vostre charge, et comme un prince doux
Audience et faveur vous donnerez à tous.

Vostre palais Royal cognoistrez en presence :
Et ne commetrez point une petite offence :
Si un pilote faut, tant soit peu, sur la mer,
II fera desoubs l'eau la navire abismer.
Aussi faillant un Roy tant soit peu, la province
Se perd, car volontiers le peuple suit son prince.

Aussi pour estre Roy vous ne devés penser
Vouloir comme un Tyran vos subjects offencer,
Car comme nostre corps, vostre corps est de boue :
Des petits et des grands la fortune se joüe :
Tous les regnes mondains se font et se defont,
Et au gré de fortune ils viennent et s'en vont,
Et ne durent non plus qu'une flamme allumée
Qui soudain est esprise et soudain consumée.

Or, Sire, imités Dieu, lequel vous a donné
Le sceptre, et vous a fait un grand Roy couronné,
Faites misericorde à celuy qui supplie,
Punissés l'orgueilleux qui s'arme en sa follie,
Ne poussés par faveur un homme en dignité,
Mais choisissés celuy qui l'a bien merité.
Ne baillés pour argent ny estats, ny offices,
Ne donnés aux premiers les vaccans benefices,
Ne souffrés pres de vous ne flateurs, ne vanteurs,
Fuyés ces plaisans fols qui ne sont que menteurs,
Et n'endurés jamais que les langues legeres
Mesdisent des Seigneurs des terres estrangeres.

Ne soyés point moqueur ny trop hault à la main,
Vous souvenant toujours que vous estes humain.
Ne pillez vos subjects par rançons ny par tailles,
Ne prenés sans raison ny guerres ny batailles,
Gardés le vostre propre, et vos biens amassés,
Car pour vivre content vous en avés assés.

S'il vous plaist vous garder sans archers de la garde,
Il faut que d'un bon œil le peuple vous regarde,
Qu'il vous ayme sans creinte, ainsi les puissans Roys
Ont gardé leur Empire, et non par le harnois.

Comme le corps Royal ayés l'ame Royalle,
Tirés le peuple à vous d'une main liberalle,
Et pensés que le mal le plus pernicieux
C'est un prince sordide et avaritieux.

Ayés autour de vous des personnes notables,
Et les oyés parler volontiers à vos tables,
Soyés leur auditeur comme fut vostre ayeul,
Ce grand François qui vit encores au cercueil.

Soyés comme un bon prince amoureux de la gloire,
Et faites que de vous se remplisse une histoire
Du temps victorieux, vous faisant immortel,
Comme Charles le Grand, ou bien Charles Martel.

Ne souffrés que les grands blessent le populaire,
Ne souffrés que le peuple au grand puisse desplaire,
Gouvernés vostre argent par sagesse et raison :
Le prince qui ne peut gouverner sa maison,
Sa femme, ses enfans, et son bien domestique,
Ne sçauroit gouverner une grand republique.

Pensés long temps devant que faire aucuns Edicts,
Mais si tost qu'ils seront devant le peuple mis,
Qu'ils soient pour tout jamais d'invincible puissance,
Car autrement vos loix sentiroient leur enfance.

Ne vous monstrés jamais pompeusement vestu,
L'habillement des Roys est la seule vertu :
Que votre corps reluise en vertus glorieuses,
Et non pas vos habits de perles precieuses.

D'amis plus que d'argent monstrés vous desireux,
Les Princes sans amis sont toujours malheureux.
Aymés les gens de bien, ayant toujours envie
De ressembler à ceux qui sont de bonne vie.
Punissés les malins et les seditieux :
Ne soyés point chagrin, despit, ne furieux,
Mais honeste et gaillard, portant sur le visage,
De vostre gentil'ame un gentil tesmoignage.

Or, Sire, pour autant que nul n'a le pouvoir
De chastier les Roys qui font mal leur devoir,
Punissés vous vous mesme, à fin que la Justice
De Dieu, qui est plus grand, vos fautes ne punisse.

Je dy ce puissant Dieu dont l'Empire est sans bout
Qui de son trosne assis en la terre voit tout,
Et fait à un chascun ses justices égalles.
Autant aux laboureurs qu'aux personnes Royalles :
Lequel je suppliray vous tenir en sa loy,
Et vous aymer autant qu'il fit David son Roy,
Et rendre comme à luy vostre sceptre tranquile :
Car sans l'ayde de Dieu la force est inutile.


Pierre de Ronsard, Discours, derniers vers


Lire aussi : Le Souverain idéal, par La Bruyère

samedi 6 février 2010 | By: Mickaelus

Prosopopée de Du Bellay, par Ronsard


Jean Cousin le Jeune, Portrait de Joachim du Bellay


[...] L'autre jour en dormant (comme une vaine idole
Qui deça qui dela au gré du vent s'en volle)
M'aparut du Bellay non pas tel qu'il estoit
Quand son vers doucereux les Princes arrestoit,
Et qu'il faisoit courir la France apres sa lyre,
Qui encore sur tous le pleint et le desire :
Mais have et descharné, planté sur de grands os.
Ses costes, sa carcasse et l'espine du dos
Estoyent veufves de chair, et sa diserte bouche,
Où jadiz se logeoit la mieilliere mouche,
Les Graces et Pithon, fut sans langue et sans dens,
Et ses yeux, qui estoyent si promps et si ardans
A voir dancer le bal des neuf doctes pucelles,
Estoyent sans blanc, sans noir, sans clarté ny prunelles,
Et sa teste, qui fut le Caballin coupeau,
Avoit le nez retraict, sans cheveux, et sans peau,
Point de forme d'oreille, et la creuse ouverture
De son ventre n'estoit que vers et pourriture.

Trois fois je le voulu en songes embrasser,
Et trois fois s'enfuyant ne se voulut laisser
Presser entre mes bras : et son umbre seulette
Volloit de place en place, ainsi qu'une alouette
Volle devant le chien, lequel la va suivant,
Et en pensant la prendre, il ne prent que du vent.
A la fin en ouvrant sa bouche morne et palle,
Fist sortir une voix comme d'une cygalle,
D'un petit gresillon, ou d'un petit poullet,
Quand bien loing de sa mere il pepie seullet.

Et me disoit : "Ronsard, que sans tache d'envye
J'aymé, quand je vivois, comme ma propre vie,
Qui premier me poussas et me formas la voix
A celebrer l'honneur du langage François,
Et compaignon d'un art, tu me monstras l'adresse
De me laver la bouche es ondes de Permesse :
Puis qu'il a pleu à Dieu me prendre devant toy,
Entends ceste leçon et la retiens de moy.

Crains Dieu sur toute chose, et jour et nuict medite
En la loy que son filz nous a laissée ecripte :
Ton esperance apres, et de corps et d'esprit,
Soit fermement fichée au sauveur Jesuchrist :
Obeis à ton Prince, et au bras de Justice,
Et fais à tes amis et plaisir et service :
Contente toy du tien, et ne sois desireux
De biens ny de faveurs, et tu seras heureux.
Quand au monde où tu es, ce n'es qu'une chimere,
Qui te sert de marastre en lieu de douce mere :
Tout y va par fortune et par opinion,
Et rien n'y est durable en parfaicte union.
Dieu ne change jamais : l'homme n'est que fumée
Qu'un petit traict de feu tient un jour allumée.

Bien heureux est celuy qui n'y vit longuement,
Et celuy qui sans nom vit si obscurement,
Qu'à peine est il cogneu de ceux de son vilage,
Celuy, amy Ronsard, celuy est le plus sage.

Sy aux esprits des mors tu veux adjouster foy,
Qui ne sont plus menteurs, Ronsard, retires toy,
Vy seul en ta maison, et ja grison delaisse
A suivre plus la court, ta Circe enchanteresse.

Quand aux champs où je suis, nous sommes tous egaux,
Les Manes des grands Rois et des hommes ruraux,
Des bouviers, des soldans, et des princes d'Asie,
Errent egallement selon leur fantaisie,
Qui deça qui dela en plaisir s'esbattant
Va de verger en autre à son gré volletant,
Simple, gresle et leger, comme on voit les avettes
Voller parmy voz prez sur les jeunes fleurettes.

Entre Homere et Virgille, ainsi qu'un demy dieu,
Environné d'esprits, j'ay ma place au meillieu,
Et suis en la façon que m'a decrit Masures,
Aux champs Elisians, aymé des ames pures
Des vaillans demy-dieux, et du prince Henry (1),
Qui se cachant sa playe erre seul et marry,
Dequoy la dure Parque a sans pitié ravie
Tout d'un coup son repos, son plaisir et sa vie.

Et j'erre comme luy de tristesse blessé,
Qui sans te dire à Dieu si tost je te laissé,
Et sans prendre congé de toute nostre bande,
A qui leur du Bellay par toy se recommande."

Ainsi dit ceste idolle, et comme un pront esclair
Dans la nue se pert, se perdit dedans l'air.


(1) Il s'agit bien sûr du roi de France Henri II


Pierre de Ronsard, extrait de "Elégie à Loïs des Masures" (1560), dans Discours, derniers vers

vendredi 13 novembre 2009 | By: Mickaelus

Remontrance au peuple français, de son devoir en ce temps envers la majesté du Roi (1559), par Guillaume Des Autels


S'il m'advient derechef, France, comme autrefois,
Que d'un vers lamentable, et d'une molle voix
Pour néant je te veuille assourdir les oreilles,
Chantant les passions, et douleurs nonpareilles
D'un cœur brûlé d'Amour, qu'un jeune souci point :
Je suis content que lors tu ne m'écoutes point.
Si par une affectée, et douce mignardise
Flattant tes mœurs, le vice en vertu je déguise :
Et traître à ton honneur, je te veuille inviter
A ce que je te dois conseiller d'éviter :
Si après un Timon par audace maline
Je mords le nom d'autrui d'une dent Theonine,
Envieux au travail des plus gentils esprits :
Refuse-moi l'honneur d'oeillader mes écrits.

Mais puisque maintenant pour ton seul bien je veille :
Et que ton seul devoir, FRANCE, je te conseille :
Je te prie, mon pays, de ne me débouter :
Mais, ô mon cher pays, je te prie m'écouter.
Ne te fais point accroire être cas peu honnête,
De prêter ton oreille à la voix d'un Poète :
Car les Poètes sont favorisés des Cieux :
Et aux hommes d'en bas sont truchements des Dieux.
Des Poètes jadis l'antique sapience
Mit entre le public et privé différence,
Le profane et sacré d'ensemble divisa,
Du mariage feint première l'avisa,
La licence rompit des vagabondes noces,
Assembla les cités, bâtit les villes grosses,
Elle prophétisa, elle fit dans le bois
Dans la pierre, et l'airain graver les saintes lois.
Le Thracien Orphée apaisa les courages
Par ses vers admirés, des hommes lors sauvages,
Il les fit hors des bois par son doux prêchement
Ensemble tous d'accord vivre civilement.
C'est la raison pourquoi l'on dit les forêts mêmes,
L'avoir suivi au son de ses divins poèmes :
Et avoir adouci le Tigre, et le Lion.
Voilà pourquoi aussi l'on a dit, qu'Amphion
Par le son de sa lyre, et par prière humaine
Les pierres assembla de la ville thébaine.
Mais jadis les vaillants Lacédémoniens
Surent à votre dam, peuples mycéniens,
Combien peut le Poète, et quel courage baille
Un bon vers aux soldats le jour d'une bataille.
Or sus donc, mon pays, sus donc, écoute-moi,
Apprends combien tu es redoutable à ton Roi.

Si un Scythe barbare, et plein de félonie,
Étendait jusqu'ici sa fière tyrannie
(Que détournent les Dieux de l'empire gaulois)
Si faudrait-il pourtant obéir à ses lois
Le servir, l'adorer, offrir à sa requête
Non seulement les biens, mais encore la tête :
Là, malgré nous, faudrait notre vouloir ranger
De subir l'appétit d'un vilain étranger :
Mais il ne plaît à Dieu : notre bon Dieu nous aime :
Qui en FRANCE régner ne fait qu'un Français même.
Le Roi que nous avons est fils de ces Rois-là
Que nos pères ont eus : le Royaume qu'il a
Ses aïeux l'ont tenu : et toutes les richesses,
O peuple, que tu as, viennent de leurs largesses :
Ils ont pour ta sûreté enceint de toutes parts
Tes villes de fossés, de murs, et de remparts :
Tu as d'eux tous tes ports, tes temples, tes collèges,
Toutes tes libertés, et tous tes privilèges.
Et si te peux vanter, FRANCE, que tu n'es pas
Gouvernée par Rois descendus d'un lieu bas,
Et de la terre enfants, car au monde il ne reste
Plus des enfants des Dieux et leur race céleste,
Que nos Princes issus du sang hectorien,
Mêlé jadis en Gaule au sang herculéen :
Race toujours des Dieux très chèrement aimée,
Et du saint nom de Christ très chrétienne nommée :
Qui a eu la faveur d'avoir, du don des cieux,
Les saintes fleurs de lys, et l'onguent précieux
Qui oint tes Rois sacrés, le pouvoir admirable
De rendre guérison à un mal incurable
Par le seul attoucher de leur mains, et encor
L'effroi des Sarrasins, l'enseigne aux flammes d'or.

Qui s'osera vanter de tous les Rois étranges,
D'avoir vu en sa cour ambassades des anges ?
Par lesquels du haut ciel, Sa sainte maison, Dieu
A transmis ses présents jusques en ce bas lieu :
Pour au monde montrer, que c'est Lui qui a cure
De l'empire de Gaule, et veut que plus il dure
Que ces vieux renommés, soit des Assyriens,
Des Mèdes, des Persans, des Macédoniens,
Et de ceux qui encore aujourd'hui veulent dire
Que pour le moins le nom leur reste d'un empire.
Le tiens FRANCE est dernier, et le plus florissant :
Car ainsi que tu vois en ton fatal croissant
Deux cornes plus en plus étendre sa lumière,
Tant qu'il se soit parfait en sa rondeur entière :
Un semblable cours a le règne des Gaulois,
Qui l'Espagnol menace, et menace l'Anglais,
De deux cornes, l'une est en l'Océan baignée,
L'autre heurte le front du grand mont Pyrénées :
Son mi-rond tient depuis le rivage marin
Ce que Garonne lave, et la Seine, et le Rhin,
Défia bien élargi aux fertiles campagnes,
Que l'on laboure au pied des chenues montagnes :
Ou au peuple togé l'antique nom revient,
Qui depuis Rubicon jusqu'aux Alpes se tient :
Et va toujours croissant, tant que sa forme ronde
Embrasse entièrement tout l'empire du monde.

Or ne pense point, FRANCE, être mieux fortunés
Ceux, qui sont autrement que par Rois gouvernés :
Soit que du peuple y soit la tourbe autorisée,
Par laquelle est toujours la raison méprisée :
Ou que le pouvoir soit aux mains des grands seigneurs
L'un sur l'autre envieux des biens et des honneurs :
Enfin telle commune est toujours ruinée
Non par autre que soi contre soi mutinée :
Tu l'as bien effrayé, peuple cecropien,
Et la race d'Enée en témoignerait bien.

La Royauté n'est point seulement la plus belle
Forme de gouverner, mais seule est naturelle.
Un seul Dieu le premier tout ce monde conduit :
Un seul Soleil au ciel sur tous les astres luit :
Le cœur en notre corps tous les membres adresse :
Et la seule raison en notre âme est maîtresse.
Vois les mouches à miel (si l'on peut par raison
Faire d'un petit fait une grande comparaison)
Comme elles ont un Roi, qui de sa gent petite
Est craint et obéi autant qu'un Roi d'Égypte,
Que le Sophi de Perse, ou le Seigneur qui prend
Au monde maintenant seul le titre de grand,
Toutes il les gouverne, et garde leur ouvrage :
Toutes lui font honneur révérence et hommage,
L'accompagnent partout, le portent bien souvent,
Pour le garder des coups se mettent au devant
Quant elles font la guerre : et par plaie cruelle
En servant à leur Roi, cherchent une mort belle.

Ainsi, FRANCE, tu as envers ton chef Royal
Toujours eu jusqu'ici le courage loyal :
Et de tes Princes a fait croître la puissance
Par ton fidèle amour, et ton obéissance.
Aussi de leurs travaux la gloire leur suffit :
Toujours ils t'ont laissé pour ta part le profit :
Soit qu'outre l'Apennin, et les Alpes chenues,
Ils aient déployé leurs enseignes connues :
Soit que delà le Rhin leur armée ait esté :
Soit que le saint pays ils aient conquesté,
Ou la divine voix fut ouïe, et non crue,
Et où d'Euphrate l'eau et de Jourdain est bue :
Qu'ils aient chassé ceux de l'île d'Albion,
Jusqu'aux dernières fins du froid Septentrion :
Soit qu'en la terre, où gît la chaste Parthénope,
Ils aient commandé : ou que passant l'Europe
Devers Soleil couchant, ils aient fait le gain
Par faits chevaleresques du pays africain.
Ou que des Espagnols, les bandes obstinées
Ils aient repoussé delà leurs Pyrénées :
Tes Princes seulement ont été triomphants,
La dépouille a été à toi et tes Enfants.
Et quand leurs ennemis tenus coi par la crainte,
Ce sont faits quelquefois amis (amis par feinte)
Et pour n'avoir moyen de la guerre à propos,
T'ont, ô FRANCE, laissé jouir d'un doux repos :
Mon Dieu quel soin ont pris nos débonnaires Princes
De chasser pauvreté de toutes leurs provinces !
Les nobles ils ont fait monter aux grands honneurs,
Les faisant en leurs cours et pays gouverneurs,
De leurs rentes ils ont enrichi les églises,
Ils ont ouvert le cours à toutes marchandises,
Ils ont aux magistrats choisi les plus savants,
Les pauvres gens sans nom de leur travail vivant
Ils ont pris en leur garde : et t'ont donné, ô FRANCE,
Remplie de tous biens la corne d'Abondance.

Ici par moi Francus ne te sera loué,
Ni Pharamond aussi, Clovis, ni Mérovée,
Ni tous ces bons vieux Rois, dont nous n'avons mémoire
Sinon par le rapport que nous en fait l'histoire :
Ailleurs de leur honneur mes vers seront ouïs,
Des huit Charles encore, et des douze Louis :
Mais de ce grand François la clémence royale,
Avec la majesté aux plus grands Dieux égale,
Qui en l'amour de toi surmonta ses aïeux,
Encor représenter se peut devant tes yeux.
HENRI non seulement au sceptre lui succède :
Mais à la vertu sainte : et en tous deux l'excède.
Tu sais que de son règne, à son avènement,
La tranquille Paix fut l'heureux commencement :
Et combien qu'il connut que la sanglante guerre
Devait de son renom emplir toute la terre,
Et qu'en l'oisif repos son honneur flétrissait :
Toutefois, pour ton bien, la Paix il chérissait :
Ou connaître l'on peut, que ce qui plus lui plaise,
C'est la tranquillité de ses peuples, et l'aise.
Mais cependant qu'il est de ton repos ami :
L'audace vaine croît au cœur de l'ennemi :
Qui, possible, d'avoir affaire se présume
A un Sardanapale endormi en la plume.
Comme un matin voyant un sanglier dans le bois,
Qu'il prend pour autre porc, l'irrite avec abois :
Et s'attachant à lui de légères offenses,
Ne prend pas mal quand garde aux terribles défenses :
Mais pense qu'il ne sait rien sinon se coucher
Paresseux en la fange, et de la gland mâcher.
Le sanglier âpre à voir lors sa colère émue,
Enrage de combattre avec sa dent crochue,
Sa blanche dent, laquelle il aiguise, et qui sort
Bien avant hors la bouche, et qui porte la mort :
Il a tout écumeux le groin, et de malice
Sur le col et le dos tout le poil lui hérisse :
Au feu resplendissant semblent ses ardents yeux :
Puis courbe, et de travers se rue audacieux
Sur le chien ja fendu : qui finissant sa vie,
Par un tard repentir accuse sa folie.
Ainsi nos ennemis voyant que notre Roi
Les armes dédaignait : et pour l'amour de toi
Paisible, et seulement soigneux de la justice,
Et de mœurs, et de lois, reformait ta police :
D'un conseil imprudent, ont irrité le cœur
D'un Roi, qui de tous Rois doit être le vainqueur :
Dont ils ont rapporté à la fin de leur compte
La tarde repentance, et la perte et la honte.
Parme, La Mirandole, et Sienne, et plus loin
Ton Tibre même, Rome, en servent de témoin :
Témoin en soit le Rhin et l'Allemagne toute
Qui en mer ni en terre autre Roi ne redoute :
J'en appelle à témoin le bon peuple écossois :
(Le peuple maintenant du jeune Roi FRANÇOIS)
Le Milannais sait bien combien grande est sa force :
Si fait le Genevois déchassé hors de Corse :
En Flandre ne sera jamais anéanti
Ni de Mariembourg l'honneur, ni de Renty :
Metz pris et défendu, et Calais notre ville
Française derechef, et Guine, et Thionville
Témoignent son honneur. Il est vrai qu'il a pris,
Peuple, il a pris égard à tes larmoyants cris :
Qui lui ont fait lâcher hors des mains sa victoire,
Et couper le chemin à sa plus grande gloire :
Pour ramener la paix que tu désires tant,
Mettre fin à tes maux, et te rendre content.
Ce grand Charles lequel la doctrine, et sagesse,
La grandeur de la race, et du cœur la hautesse,
L'admirable éloquence, et le sacré chapeau,
Et toutes vertus font un miracle nouveau,
Tel que nous confessons jamais n'avoir pu être
Jusqu'ici, et jamais après ne pouvoir naître :
C'est lui, que notre Roi a voulu envoyer
Couronné d'un Rameau du paisible olivier,
Consentir à la paix qu'on lui a demandée :
Tant ton utilité lui est recommandée.
Et du Roi le fidèle Achate y est aussi,
De FRANCE le Nestor, le preux Montmorency,
Auquel faire ne peut la fortune décroître
La vertu, ni l'honneur, ni l'amour de son maître.
Quelle condition peuple (comme tu sais)
A refusé ton Roi, pour te donner la Paix ?
Combien a-t-il voulu, pour à tes vœux complaire,
Quitter de son bon droit ? que n'a-t-il voulu faire ?

Si quelques peuples sont (ayant les yeux bandés
D'une présomption) si fort outrecuidés :
Qu'ils méprisent le bien de cette heure opportune,
Pour se recommander aux vents de la fortune :
(Combien qu'un bon espoir soit encore avec nous,
Que PHILIPPE s'il est, comme on dit, sage et doux,
Connaîtra qu'il ne peut avoir une alliance
Digne de sa grandeur, en autre lieu qu'en France :
Et si l'occasion il laisse ore échapper
Pour néant par derrière la voudra-t-il happer.)
Si l'Anglais fier (te dis-je) ou autre, ne machine,
FRANCE, que te détruire, et rien que ta ruine,
Rien que son indigence assouvir de tes biens,
Rien qu'arroser la terre avec le sang des tiens,
Et faire, par l'ardeur des flammes enragées,
En cendre convertir tes villes saccagées :
Peuple s'il te vaut mieux attendre lâchement
La malheureuse fin d'un tel événement :
Que d'aller au devant, et lui porter en face
A lui-même, le mal duquel il te menace.
Le mal que recevra celui, qui obstiné
Te voudra faire guerre : ainsi est destiné :
C'est un arrêt fatal, et trop seront légères,
Pour y contrevenir, les forces étrangères :
Si tu n'y contreviens toi-même, en refusant
Ton devoir à toi-même, à toi-même nuisant.
Peuple tu dois penser, qu'un si grief soin ne pique
Notre bon Roi sinon pour ton profit public :
S'il n'avait autre soin que de son seul plaisir,
Sans peine il le pourrait, tout à son gré, choisir :
Il ne lui faudrait point, sous un harnois brûlant,
Souffrir la griève ardeur d'un été trop bouillant :
Ni d'un trop âpre hiver sentir la griève injure :
Mais, ô FRANCE, l'ennui, tout l'ennui qu'il endure,
FRANCE, tout est pour toi, comme d'un cher enfant
Le père a si grand soin : que plus il le défend
Et que son propre corps, et que sa propre vie :
Et pour le secourir ses affaires oublie :
Ainsi un Roi, un Roi, FRANCE, tel que le tien,
De son peuple a souci plutôt que de son bien :
Car en se faisant Roi, il charge ses épaules,
Ainsi qu'Atlas du ciel, de tous le soin de Gaule.
Tu as, FRANCE, tu as encore les moyens
Pour tenir contre tous, tu es riche de biens :
Craindras-tu maintenant pour ton Roi les dépendre ?
Que dis-je pour ton Roi ? mais bien pour te défendre ?
Et qu'en ferait le Roi qui seul en eût besoin ?
L'ardente affection que tu as, et le soin
De sa grandeur, te peut inciter le courage,
A ne craindre pour lui ni la mort, ni dommage.
Encor est avec toi ce Duc victorieux
Duquel l'honneur luisant et le nom glorieux
Les siècles à venir ne verront point éteindre :
Et lequel étant sauf, il ne te faut rien craindre,
Ce grand Prince Lorrain. Et puis en tes dangers
Et princes tu auras, et peuples étrangers
Plus prêts à ton secours, que toi à la requête :
Il faut que seulement ta volonté soit prête.
Mais en faut-il douter ? Ja les trompettes j'oy
Et tambourins sonner, ja reluire je voys
Les armes, et harnois, mon Dieu que d'étendards
Je vois ja déployés ! mon Dieu que de soudards !
Hé quelle infanterie, hé quels braves gendarmes,
Tous à combattre prêts, tous requièrent les armes.
Ce grand Roi persan, qui d'hommes assembla
Tant et tant de milliers, et sous lequel trembla
Toute la terre, alors qu'il effraya la Grèce,
N'avait point si bel ost que celui qui se dresse :
Mais je loue sur toutes les bonnes volontés
Des peuples que je vois venir de tous côtés
Offrir et vie et biens à la grandeur royale.
Or tant que tu seras, ma FRANCE, si loyale
Dieu toujours t'aidera : car à Dieu tout-puissant
Rien n'est qui plaise plus, qu'un peuple obéissant,
Et qui envers son Prince est de loyal courage :
Le très-bon très-grand Dieu rien ne hait davantage
Qu'un peuple déloyal aux Princes : car le lieu
Ils nous tiennent, et sont comme images de Dieu.
Par ce moyen tu peux la douce paix acquerre :
Et par ce seul moyen chasser dehors la guerre.
Quand l'ennemi saura quel bon devoir tu fais,
Lui-même nous tendra le vert rameau de Paix :
Sachant que nulle force a pouvoir d'effroyer
Un peuple si loyal qui sait bien guerroyer.
Alors tu recevras l'heureuse récompense
De ton Prince, qui prend mieux garde qu'on ne pense
Au bon vouloir des siens, et sait bien regarder
Qui prompt à son service a voulu moins tarder.
Encor le Roi Dauphin duquel si grand sagesse
Ressemble à un prodige en si tendre jeunesse,
De ce bon vouloir tien, toujours se souviendra
Et un jour à tes fils au double le rendra.


Note : j'ai modernisé l'orthographe, tout en conservant la ponctuation et un peu du vocabulaire original, inconnu en français moderne, notamment par fidélité à certains rythmes et à certaines rimes.


Guillaume Des Autels, Remonstrance au peuple françoys de son devoir en ce temps envers la majesté du roy (1559)

samedi 7 novembre 2009 | By: Mickaelus

Elégie sur les troubles d'Amboise (1560), par Ronsard


A Guillaume Des Autels gentilhomme charrolois


Des Autelz, que la loy, et que la rethoricque
Et la Muse cherist comme son filz unicque,
Je suis esmerveillé que les grandz de la Court
(Veu le temps orageux qui par l'Europe court)
Ne s'arment les costez d'hommes qui ont puissance
Comme toy de plaider leurs causes en la France,
Et revenger d'un art par toy renouvellé
Le sceptre que le peuple a par terre foulé.
Ce n'est pas aujourd'huy que les Rois et les Princes
Ont besoing de garder par armes leurs provinces,
Il ne faut acheter ny canons, ny harnois,
Mais il fault les garder seulement par la voix,
Qui pourra dextrement de la tourbe mutine
Appaiser le courage et flatter la poictrine :
Car il fault desormais deffendre noz maisons,
Non par le fer trenchant mais par vives raisons,
Et courageusement noz ennemis abbatre
Par les mesmes bastons dont ils nous veullent battre.
Ainsi que l'ennemy par livres a seduict
Le peuple devoyé qui faucement le suit,
Il fault en disputant par livres le confondre,
Par livres l'assaillir, par livres luy respondre,
Sans monstrer au besoing noz courages failliz,
Mais plus fort resister plus serons assailliz.

Si ne voy-je pourtant personne qui se pousse
Sur le haut de la breche et l'ennemy repousse,
Qui brave nous assault, et personne ne prend
La picque, et le rempart brusquement ne deffend :
Les peuples ont recours à la bonté celeste,
Et par priere à Dieu recommandent le reste,
Et sans jouer des mains demeurent ocieux :
Cependant les mutins se font victorieux.

Carles et toy et moy, seulz entre cent mille hommes
Que la France nourrist, opposez nous y sommes,
Et faisant de nous trois paroistre la vertu,
D'un magnanime cueur nous avons combatu,
Descouvrant l'estomac aux playes honorables,
Pour soustenir l'Église, et ses loix venerables,
Et celles du païs auquel nous sommes nez,
Et pour l'ayde duquel nous sommes ordonnez.

Durant la guerre à Troye, à l'heure que la Grece
Pressoit contre les murs la Troyenne jeunesse,
Et que le grand Achille empeschoit les ruisseaux
De porter à Thetis le tribut de leurs eaux,
Ceux qui estoyent dedans la muraille assiegée,
Ceux qui estoyent dehors dans le port de Sigée,
Failloyent egallement : mon Desautels, ainsi
Noz ennemis font faulte et nous faillons aussy.

Ils faillent de vouloir renverser nostre empire,
Et de vouloir par force aux Princes contredire,
Et de presumer trop de leur sens orgueilleux,
Et par songes nouveaux forcer la loy des vieulx :
Ils faillent de laisser le chemin de leurs peres,
Pour ensuyvre le train des sectes etrangeres :
Ilz faillent de semer libelles et placars,
Plains de derisions, d'envye, et de brocars,
Diffamans les plus grandz de nostre court Royalle,
Qui ne servent de rien qu'à nourrir un scandale :
Ils faillent de penser que tous soyent aveuglez,
Que seulz ils ont des yeux, que seulz ils sont reiglez,
Et que nous fourvoyez ensuyvons la doctrine
Humaine et corrompue, et non pas la divine :
Ilz faillent de penser qu'à Luther seulement
Dieu se soit apparu, et generalement
Que depuis neuf cens ans l'Église est depravée,
Du vin d'ipochrisie à longs traictz abreuvée,
Et que le seul escrit d'un Bucere vaut mieux,
D'un Zvingle, ou d'un Calvin (hommes seditieux),
Que l'accord de l'Église, et les statuz de mille
Docteurs, poussez de Dieu, convocquez au concile :
Que faudroit-il de Dieu desormais esperer,
Sy luy doux et clement avait soufert errer
Sy long temps son Église ? Est-il autheur de faute ?
Quel gain en reviendroit à sa majesté haute ?
Quel honneur, quel profict de s'estre tant celé
Pour s'estre à un Luther seulement revelé ?

Or nous faillons aussi, car depuis sainct Gregoire
Nul pape (dont le nom soit escrit en histoire)
En chaire ne prescha : et faillons d'autre part
Que le bien de l'Église aux enfans se depart.
Il ne faut s'estonner, Chrestiens, sy la nacelle
Du bon pasteur sainct Pierre en ce monde chancele,
Puis que les ignorans, les enfans de quinze ans,
Je ne scay quelz muguetz, je ne scay quels plaisans
Tiennent le gouvernal, puis que les benefices
Se vendent par argent, ainsi que les offices.

Mais que diroit sainct Paul, s'il revenoit icy,
De noz jeunes prelatz, qui n'ont poinct de soucy
De leur pauvre troupeau, dont ils prennent la laine,
Et quelque fois le cuir : qui tous vivent sans peine,
Sans prescher, sans prier, sans bon exemple d'eux,
Parfumez, decoupez, courtizans, amoureux,
Veneurs, et fauconniers, et avecq' la paillarde
Perdent les biens de Dieu, dont ilz n'ont que la garde.

Que diroit il de veoir l'Église à Jesuschrist,
Qui fut jadis fondée en humblesse d'esprit,
En toute patience, en toute obeissance,
Sans argent, sans credit, sans force, ny puissance,
Pauvre, nue, exilée, ayant jusques aux os
Les coups de fouetz sanglans imprimez sur le doz,
Et la voir aujourd'huy riche, grasse, et hautaine,
Toute pleine d'escuz, de rentes, et dommaine ?
Ses ministres enflez, et ses Papes encor,
Pompeusement vestuz de soye et de drap d'or ?
Il se repentiroit d'avoir soufert pour elle
Tant de coupz de baston, tant de peine cruelle,
Tant de bannissemens, et voyant tel mechef
Priroit qu'un traict de feu luy accablast le chef.

Il fault donc corriger de nostre saincte Église
Cent mille abuz commis par l'avare prestrise,
De peur que le courroux du Seigneur tout puissant
N'aylle avecques le feu noz fautes punissant.

Quelle fureur nouvelle a corrompu nostre aise ?
Las ! des Lutheriens la cause est tresmauvaise,
Et la deffendent bien : et par malheur fatal
La nostre est bonne et saincte, et la deffendons mal.

O heureuse la gent que la mort fortunée
Ha depuis neuf cens ans soubs la tombe emmenée !
Heureux les peres vieulx des bons siecles passez,
Qui sont sans varier en leur foy trespassez,
Ains que de tant d'abuz l'Église fust malade :
Qui n'ouyrent jamais parler d'Oecolampade,
De Zvingle, de Bucer, de Luther, de Calvin,
Mais sans rien innover au service divin,
Ont vescu longuement, puis d'une fin heureuse
En Jesus ont rendu leur ame genereuse.

Las ! pauvre France, helas ! comme une opinion
Diverse a corrompu ta premiere union !
Tes enfans, qui devroyent te garder, te travaillent,
Et pour un poil de bouc entre eulx mesmes bataillent,
Et comme reprouvez, d'un courage meschant
Contre ton estomac tournent le fer tranchant !

N'avions nous pas assez engressé la campaigne
De Flandres, De Piedmont, de Naples, et d'Espaigne,
En nostre propre sang, sans tourner les cousteaux
Contre toy, nostre mere, et tes propres boyaux ?
A fin que du grand Turc les peuples infidelles
Rissent en nous voyant sanglans de noz querelles ?
Et, en lieu qu'on les deust par armes surmonter,
Nous vissent de nos mains nous mesmes nous donter,
Ou par l'ire de Dieu, ou par la destinée
Qui te rend par les tiens, ô France, exterminée ?

Las ! fault il, ô destin, que le sceptre François,
Que le fier Allemant, l'Espagnol et l'Anglois
N'a sceu jamais froisser, tombe soubs la puissance
Du peuple qui devroit luy rendre obeïssance ?
Sceptre qui fut jadis tant craint de toutes pars,
Qui jadis envoya outre mer ses soldars
Gaigner la Palestine, et toute l'Idumée,
Tyr, Sydon, Antioche, et la ville nommée
Du sainct nom, où Jesus, en la croix attaché,
De son precieux sang lava nostre peché :
Sceptre qui fut jadis la terreur des Barbares,
Des Turcs, des Mammelus, des Perses et Tartares,
Bref, par tout l'univers tant craint et redouté,
Fault il que par les siens luy mesme soit donté !

France, de ton malheur tu es cause en partie,
Je t'en ay par mes vers mille fois advertye,
Tu es marastre aux tiens, et mere aux estrangers,
Qui se mocquent de toy quand tu es aux dangers :
Car la plus grande part des estrangers obtiennent
Les biens qui à tes fils justement appartiennent.

Pour exemple te soit ce docte Des Autelz,
Qui à ton los a faict des livres immortels,
Qui poursuyvoit en court des long temps une affaire,
De bien peu de valleur, et ne la pouvoir faire
Sans ce bon Cardinal, qui rompant le sejour
Le renvoia content en l'espace d'un jour.
Voila comme des tiens tu fais bien peu de conte,
Dont tu devrois au front toute rougir de honte.

Tu te mocques aussi des profetes que Dieu
Choisit en tes enfans, et les fait au meillieu
De ton sein apparoistre, à fin de te predire
Ton malheur advenir, mais tu n'en fais que rire.

Ou soit que du grand Dieu l'immense eternité
Ait de Nostradamus l'entousiasme excité,
Ou soit que le daimon bon ou mauvais l'agite,
Ou soit que de nature il ayt l'ame subite,
Et outre le mortel s'eslance jusqu'aux cieulx,
Et de là nous redit des faicts prodigieux :
Ou soit que son esprit sombre et melancolique,
D'humeurs grasses repeu, le rende fantastique,
Bref, il est ce qu'il est : si est ce toutesfois
Que par les mots douteux de sa profette voix,
Comme un oracle anticque, il a des mainte année
Predit la plus grand part de nostre destinée.

Je ne l'eusse pas creu, si le ciel, qui depart
Bien et mal aux humains, n'eust esté de sa part :
Certainement le ciel, marry de la ruine
D'un sceptre si gaillard, en a monstré le signe :
Depuis un an entier n'a cessé de pleurer :
On a veu la comette ardente demeurer
Droict sur nostre païs : et du ciel descendante
Tomber à Sainct Germain une collone ardente :
Nostre Prince au meillieu de ses plaisirs est mort :
Et son filz, jeune d'ans, a soustenu l'efort
De ses propres sujects, et la chambre honorée
De son palais Royal ne luy fut asseurée.

Doncques, ny les haults faicts des Princes ses ayeux,
Ny tant de temples saincts eslevez jusqu'aux cieulx
Par ses peres bastis, ny sa terre puissante,
Aux guerres furieuse, aux lettres fleurissante,
Ny sa propre vertu, bonté et piété,
Ny ses ans bien apris en toute honnesteté,
Ny la devotion, la foy, ny la priere
De sa femme pudicque, et de sa chaste mere,
N'ont envers le destin tant de graces trouvé,
Que malheur si nouveau ne luy soit arrivé,
Et que l'air infecté du terroy Saxonicque
N'ait empuenty l'air de sa terre Gallicque.

Que si des Guysians le couraige haultain
N'eust au besoing esté nostre rempart certain,
Voire et si tant soit peu leur ame genereuse
Se fust alors monstrée ou tardive, ou poureuse,
C'estoit faict que du sceptre, et la contagion
De Luther eust gasté nostre religion :
Mais François d'une part, tout seul avecq' les armes
Opposa sa poictrine à si chaudes alarmes,
Et Charles d'autre part, avecq' devotions
Et sermons, s'opposa à leurs seditions,
Et par sa prevoyance et doctrine severe
Par le peuple engarda de plus courir l'ulcere.

Ils ont maugré l'envye, et maugré le destin,
Et l'infidelle foy du vulgaire mutin,
A l'envy combatu la troupe sacrilege,
Et la religion ont remise en son siege.

O seigneur tout puissant ! pour loyer des bienfaicts
Que ces Princes Lorreins au besoing nous ont faicts,
Et si mes humbles voeus trouvent devant ta face
Quelque peu de credit, je te supply de grace,
Que ces deux Guysians, qui pour l'amour de toy
Ont ramassé l'honneur de nostre antique foy,
Fleurissent à jamais en faveur vers le Prince,
Et que jamais le bec des peuples ne les pince.

Donne que les enfans des enfans yssus d'eux
Soyent aussi bons Chrestiens, et aussi vaillans qu'eux,
Plus grands que nulle envye : et qu'en paix eternelle
Ils puissent habiter leur maison paternelle.
Ou si quelque desastre, ou le cruel malheur
Les menace tous deux, jaloux de leur valeur,
Tourne sur les mutins la menace et l'injure,
Ou sur l'ignare chef du vulgaire parjure,
Ny digne du soleil, ny digne de tirer
L'air, qui nous faict la vie es poulmons respirer.


Pierre de Ronsard, Elégie sur les troubles d'Amboise (1560) - dans Discours, derniers vers

mardi 8 janvier 2008 | By: Mickaelus

Prosopopée de Louis de Ronsard, par son fils

Louis de Ronsard, père du fameux poète, est mort en 1544 et a combattu pour la France sous Charles VIII, Louis XII et François Ier, notamment pendant les guerres d'Italie aux côtés de Bayard. Dans cette prosopopée, il visite son fils en esprit pour lui donner des recommandations qui sont utiles à tout catholique et à tout honnête homme.



XVI
PROSOPOPÉE DE LOUIS DE RONSARD
SON PERE


Vous qui sans foi errés à l'aventure,
Vous qui tenés la secte d'Epicure,
Amandés vous, pour Dieu ne croyés pas
Que l'ame meure avecques le trespas.
La nuit hastait la moitié de sa course
Et mi-courbé le gardien de l'Ourse
Viroit son char d'un assés petit tour,
Au rond du Pole, en attendant le jour,
Quand j'aperçeu sur mon lit une image
Gresle, sans ôs, qui l'œil, et le visage,
Le cors, la taille, et la parole avoit
De feu mon pere a l'heure qu'il vivoit :
En me poussant, trois fois elle me touche,
La retouchant, s'en vola de ma couche
Loin, par trois fois, et par trois fois revint :
A la parfin plus afreuse me print
La gauche main, et foulant ma poitrine
Me dit ces mots tous remplis de doctrine :
"Mon cher enfant, par le congé de Dieu
Je suis d'enhaut descendue en ce lieu
Pour t'enseigner quel chemin tu dois suivre
En ce bas monde, et comme tu dois vivre,
Comme tu dois plein d'amour et de foi
Venir un jour au ciel avecques moi.
Premierement crain Dieu sur toute chose,
Aye tousjours dedans ton ame enclose,
Sa saincte loi, et toujours JESUSCHRIT,
Nostre Sauveur, en ton cœur soit ecrit.
Apres, mon fils, autant comme toimesme
Ardentement aime ton cher proëme,
Car Dieu le veut, et ne te ry de lui,
Si par malheur lui survient quelque ennui.
D'un serment vain le nom de Dieu ne jure,
Fuy le larcin, abstien toi de luxure,
Ne soi meurdrier, ne soi point glorieus,
Sois humble à tous, porte honneur au plus vieus
En jugement pour gain, ou pour dommage,
Ou pour rancueur ne di faus temoinage.
Ne soie point d'avarice entaché,
Fui les gloutons, fui du vin le peché,
Ne soi menteur, n'use de flaterie,
N'use, malin, d'aucune tromperie
Vers l'Innocent, et soie toujours veu
Croire en la foi que tes peres ont creu.
Mais par sur tout, obeis à ton Prince,
Et n'enfrain point les loix de ta Province,
Soi dous, et sage, et ne sois avancé
De dire à tous ce que tu as pensé,
Ains temporise, et toujours te conseille
Aus gens de bien, et leur preste l'oreille.
Vivant ainsi, tu seras bien heureus,
Riche d'honneurs, et de biens plantureus,
Et, mort, ton ame en la vie eternelle
Se viendra joindre à la mienne, et à celle
De ton feus oncle, et de ta mere aussi,
Qui voit du ciel la peine et le souci
Qui te tourmente, et fait à Dieu priere
Pour ton grand bien de ne t'y lésser guere."
Et par trois fois je la voulu presser,
La cherissant, mais la nueuse idole,
Fraudant mes dois, ainsi que vent s'en vole,
Trois fois touchée, et de peur estonné
M'a dans le lit tout seul abandonné.

Pierre de Ronsard,
Le Bocage (1554)

samedi 5 janvier 2008 | By: Mickaelus

Epitaphe d'Hugues Salel, par Ronsard

Hugues Salel (1504-1553) est un poète français qui, comme le laisse entendre l'épitaphe qui suit, a eu les faveurs de François Ier - il a été son valet de chambre - et a composé à sa demande une traduction de l'Iliade (qui restera inachevée). Il mourra retiré dans l'abbaye de Saint-Cheron, donnée par François Ier, après être entré en défaveur sous Henri II.



XIII
EPITAFE DE HUGUES SALEL


Les rochers Capharés (où l'embusche traitresse
De Nauple fit noyer la flotte dompteresse
Du mur Neptunien, quand l'ireuse Palas
Destourna son courrous d'Ilion sus Ajax)
Te devoient faire sage, et te devoient aprendre
Salel, à plus n'oser le sang troyen espandre,
Et ne rensanglanter tes vers au sang des filz
De tant de puissans Dieus à Troye desconfitz.
Non pour autre raison aveuglé fut Homere,
Que pour avoir de neuf refraichi la misere
Des malheureus Troyens, et pour avoir encor,
Par ses vers retrainé la charongne d'Hector,
Pour avoir renavré la mole Cyprienne,
Pour avoir ressouillé la poudre Phrygienne
Au sang de Sarpedon, et pour avoir laissé
Encor Mars ressaigner, de sa plume blessé.
A toi, ainsi qu'à lui, les Dieus ont eu envie,
Qui favorisoient Troye, et t'ont coupé la vie
Au meillieu de tes ans, de peur qu'une autre fois
Hector ne fût r'occis par les vers d'un François.
Mais bien que mort tu sois au plus verd de ton age,
Si as tu pour confort gaigné cest avantage,
D'estre mort riche poete, et d'avoir par labeur
Le premier d'un grand Roi merité la faveur :
Qui chassa loing de toi la pauvreté moleste
A la troupe des Sœurs, dont la race celeste
Peut leur sert aujourdui, que cliquetans des dens
Que d'un pâle estomach affamé par dedans,
Que d'un œil enfoncé, que toutes desolées
De fain, parmi les bois n'errent eschevelées.
FRANCOIS, le premier Roi des vertus, et du nom,
Prenant à gré d'ouir l'Atride Agamenon
Parler en son langage, et par toi les gensdarmes
De Priam, son ayeul, faire bruire leurs armes
D'un murmure françois, Prince sus tous humain,
Te fit sentir les biens de sa Royale main,
Et le fit à bon droict, comme à l'un de sa France
Qui des premiers chassa le Monstre d'Ignorance
Et de qui le sçavoir avoit bien merité
D'être d'un si grand Roi si doucement traicté.
Ainsi toi bienheureus, si Poete heureus se treuve,
Plus dispos, et plus gay, tu traversas le fleuve,
Qui n'est point repassable, et t'en allas joyeux
Rencontrer ton Homere es chams delicieus,
Où sur des bancs herbus ces vieus Peres s'assisent
Et sans soing, de l'amour parmi les fleurs devisent
Au giron de leur dame : un se couche à l'envers
Sous un myrte esgaré, l'autre chante des vers,
L'un luitte sur le sable, et l'autre à l'escart saute
Et fait bondir la bale, où l'herbe est la moins haute.
Là, Orphée habillé d'un long sourpelis blanc
Contre quelque Laurier se repousant le flanc
Tient sa lyre cornüe, et d'une douce aubade
En rond parmi les prés fait dancer la brigade.
Là, les terres sans art portent de leur bon gré
L'heureuse Panacée, et le rosier pourpré
Fleurit entre les lis, et sur les rives franches
Naissent les beaux oeilletz, et les Paqrettes blanches.
Là, sans jamais cesser, jargonnent les oiseaux
Ore dans un bocage, et ores pres des eaus,
Et en tout saison avec Flore y souspire
D'un souspir eternel le gracieus Zephire.
Là, comme ici n'a lieu fortune ny destin,
Et le soir comme ici ne court vers le matin,
Le matin vers le soir, et comme ici la rage
D'acquerir des honneurs ne ronge leur courage.
Là, le bœuf laboureur, d'un col morne et lassé
Ne reporte au logis le coutre renversé,
Et là le marinier d'avirons n'importune
Chargé de lingos d'or, l'eschine de Neptune,
Mais oisifz dans les prez tousjours boivent du ciel
Le Nectar qui distille, et se paissent de miel.
Là, bienheureux Salel (ayant à la nature
Payé ce que luy doit chacune creature)
Tu vis franc de la mort, et du cruel soucy
Tu te moques là bas, qui nous tormente ici :
Et moi chetif, je vy ! et je traine ma vie
Entre mille douleurs, que la bourrelle Envie
Me suscite à grand tort, de pincemens cuisans
Me faisant le joüét d'un tas de mesdisans
Qui dechirent mon nom, et ma gloire naissante
(Dieus destournés ce mal !) par leur langue mechante.
Ah France, ingrate France, et fault-il recevoir
Tant de derisions, pour faire son devoir ?
Envoye de là bas (mon Salel) je te prie
Pour leur punition quelque horrible Furie,
Qui d'un foüét retors de serpens furieux
Leur frape sans repos et la bouche et les yeux,
Et d'un long repentir leur tourne dedans l'ame
Ici mon innocence, et là le meschant blasme
Qu'ilz commettent vers moy, et frayeur leur donnant
La nuict, de mille horreurs les aille espoinçonnant.
Et toi, Pere vangeur de la simple innocence,
Si j'ay d'un cœur devot suivy des mon enfance
Tes filles, les neuf Sœurs, si je suis coustumier
Tousjours mettre ton nom dans mes vers le premier,
Tonne là hault pour moy, et dardant la tempeste
Escarboille en cent lieus le cerveau de leur teste,
Signe de ta faveur, et ne laisse outrager
Si miserablement les tiens, sans les vanger.

Pierre de Ronsard, Le Bocage (1554)

lundi 24 décembre 2007 | By: Mickaelus

Ballade : "Du jour de Noël", par Clément Marot

XI

Du jour de Noël


Or est Noël venu son petit trac,
Sus donc aux champs, bergères de respec :
Prenons chacun panetière, et bissac,
Flûte, flageol, cornemuse, et rebec :
Ores n'est pas temps de clore le bec,
Chantons, sautons, et dansons ric à ric :
Puis allons voir l'enfant au pauvre nic,
Tant exalté d'Hélie, aussi d'Enoc,
Et adoré de maint grand roi, et duc :
S'on nous dit nac, il faudra dire noc :
Chantons Noël tant au soir, qu'au déjuc.

Colin, Georget, et toi Margot du Clac,
Ecoute un peu, et ne dors plus illec :
N'a pas longtemps sommeillant près d'un lac
Me fut avis, qu'en ce grand chemin sec
Un jeune enfant se combattait avec
Un grand serpent, et dangereux aspic :
Mais l'enfanteau en moins de dire pic,
D'une grand croix lui donna si grand choc,
Qu'il l'abattit, et lui cassa le suc.
Garde n'avait de dire en ce défroc :
Chantons Noël tant au soir, qu'au déjuc.

Quand je l'ouïs frapper et tic et tac,
Et lui donner si merveilleux échec,
L'ange me dit, d'un joyeux estomac :
"Chante Noël en français, ou en grec,
Et de chagrin ne donne plus un zec,
Car le serpent a été pris au bric" :
Lors m'éveillai, et comme fantastic
Tous mes troupeaux je laissai près un roc.
Si m'en allai plus fier qu'un archiduc
En Bethléem. Robin, Gautier, et Roch,
Chantons Noël tant au soir, qu'au déjuc.

Envoi.

Prince dévot, souverain catholiq,
Sa maison n'est de pierre, ne de bric.
Car tous les vents y soufflent à grand floc :
Et qu'ainsi soit, demandez à Saint Luc.
Sus donc avant, pendons souci au croc,
Chantons Noël tant au soir, qu'au déjuc.

Clément Marot, L'Adolescence clémentine (1532)

Chanson : "Du jour de Noël", par Clément Marot

Chanson XXV.
Du jour de Noël
.


Une pastourelle gentille
Et un berger en un verger,
L'autre hier jouant à la bille
S'entredisaient, pour abréger :
Roger
Berger,
Légère
Bergère,
C'est trop à la bille joué.
Chantons Noé, Noé, Noé.

Te souvient-il plus du Prophète,
Qui nous dit cas de si haut fait,
Que d'une Pucelle parfaite
Naîtrait un enfant tout parfait ?
L'effet
Est fait :
La belle
Pucelle
A eu un fils au Ciel voué.
Chantons Noé, Noé, Noé.

Clément Marot, L'Adolescence clémentine (1532)

jeudi 20 décembre 2007 | By: Mickaelus

Epitaphe d'Albert de Ripa, par Ronsard

Albert de Ripa, mort vers 1551, était un musicien italien qui fut au service de deux rois de France, à savoir François Ier puis son fils Henri II.

XI
EPITAFE D'ALBERT,
JOÜEUR DE LUC DU ROI



ENTREPARLEURS : LE PASSANT, ET LE PRESTRE

Pa. Qu'oi-je dans ce tombeau resonner ? Pre. une lyre.
Pa. N'est ce pas celle là qui peut si bien redire
Les chansons d'Apollon, que flatés de sa vois
Tiroit, racine et tous les Rochiers et les bois ?
Et pres de Pierie, ainsi qu'une ceinture
En un rond les serroit sur la pleine verdure ?
Pre. Ce n'est pas celle là. Pa. E laquelle est ce donc ?
Pre. C'est celle là d'Albert, que Phebus au poil blond
Aprist des le berceau, et lui donna la harpe,
Et le Luc le meilleur qu'il mist onc en écharpe,
Si bien qu'apres sa mort son Luc mesmes enclôs
Dedans sa tombe, encor sonne contre ses ôs.
Pa. Je suis esmerveillé que sa lyre premiere
En son art ne flechit la Parque sa meurtriere ?
Pre. Point n'en faut s'ebahir, Orfée qui fut bien
Enfant de Calliope, et du Dieu Cynthien,
Ne la sceut onc flechir, et pour la fois seconde,
D'où plus il ne revint, alla voir l'autre monde.
Pa. Quelle mort le tua ? Pre. Une pierre qui vint
Lui boucher la vecie, et le conduit lui print
En celle part, où l'eau par son canal chemine,
Et tout d'un coup boucha sa vie et son urine.
Pa. Je suis tout esbahi que lui qui flechissoit
Les pierres de son Luc, ne se l'amolissoit.
Pre. Aussi fit il long tans, car durant sa jeunesse
Que ses dois remüoyent d'une agile souplesse,
Et qu'il touchoit le Luc plus viste et mieus à point,
Toujours elle estoit mole, et ne roidissoit point,
Mais quand il devint vieil, et que sa main pesante
S'engourdit sur le Luc à demi languissante,
La pierre d'un cousté dure à ses chans estoit,
Et de l'autre cousté toujours mole restoit,
Comme on voit le coural dessous la mer s'espendre
Endurci d'un cousté, de l'autre cousté tendre.
Cerbere à son passer tient ses gousiers fermés,
Et les Manes des mors par l'oreille charmés,
Oublioient leur travaus, Titye sur la pleine
Aus vautours estendu en oublia sa peine,
Flegyas l'oublia, Sisyfe ne sentoit
Le vain labeur du roc, la roüe s'absentoit
Des membres d'Ixion, et les Sœurs Beleides
Ce jour là tout entier n'eurent leurs cruches vuides,
Et Tantale au meillieu de son troisieme ennui
D'un gousier mal jouieus rit en despit de lui,
Et les horribles Sœurs beantes se dresserent,
Et tomber à leurs piés leurs grans torches laisserent.
Mais quel proufit nous esse, et puis que ceus d'abas
En ont tout le plaisir, et nous ne l'avons pas ?
Or toi quiconque sois, jette lui mile branches
De Laurier sur sa tombe, et mile roses franches,
Et le laisse dormir, et pense qu'aujourd'hui,
Ou peut estre demain, tu seras comme lui.

Pierre de Ronsard, Le Bocage (1554)

mardi 18 décembre 2007 | By: Mickaelus

Epitaphe de François Rabelais, par Ronsard


X
Epitafe de François Rabelais


Anonyme, François Rabelais (1483-1553)

Si d'un mort qui pourri repose
Nature engendre quelque chose,
Et si la generation
Se fait de la corruption,
Une vigne prendra naissance
De l'estomac et de la pance
Du bon Rabelais, qui boivoit
Tousjours ce pendant qu'il vivoit.
La fosse de sa grande gueule
Eust plus beu de vin toute seule
(L'epuisant du nez en deus cous)
Qu'un porc ne hume de lait dous,
Qu'Iris de fleuves, ne qu'encore
De vagues le rivage more.
Jamais le Soleil ne l'a veu
Tant fût-il matin, qu'il n'eut beu,
Et jamais au soir la nuit noire
Tant fut tard, ne l'a veu sans boire.
Car, alteré, sans nul sejour
Le gallant boivoit nuit et jour.
Mais quand l'ardante Canicule
Ramenoit la saison qui brule,
Demi-nus se troussoit les bras,
Et se couchoit tout plat à bas
Sur la jonchée, entre les taces :
Et parmi des escuelles grasses
Sans nulle honte se touillant,
Alloit dans le vin barbouillant
Comme une grenouille en sa fange :
Puis ivre chantoit la louange
De son ami le bon Bacus,
Comme sous lui furent vaincus
Les Thebains, et comme sa mere
Trop chaudement receut son pere,
Qui en lieu de faire cela
Las ! toute vive la brula.
Il chantoit la grande massüe,
Et la jument de Gargantüe,
Son fils Panurge, et les païs
Des Papimanes ébaïs :
Et chantoit les Iles Hieres
Et frere Jan des autonnieres,
Et d'Episteme les combas :
Mais la mort qui ne boivoit pas
Tira le beuveur de ce monde,
Et ores le fait boire en l'onde
Qui fuit trouble dans le giron
Du large fleuve d'Acheron.
Or toi quiconques sois qui passes
Sur sa fosse repen des taces,
Repen du bril, et des flacons,
Des cervelas, et des jambons,
Car si encor dessous la lame
Quelque sentiment a son ame,
Il les aime mieus que des Lis,
Tant soient ils fraichement cueillis.

Pierre de Ronsard, Le Bocage (1554)

jeudi 6 décembre 2007 | By: Mickaelus

Epitaphe de Philippe de Commines, par Ronsard


XIV
EPITAFE DE PHILIPES DE COMMINES

Sculpture funéraire de Philippe de Commines, Musée du Louvre

ENTREPARLEURS, LE PRESTRE, ET LE PASSANT

Pa. Quelle est cette déesse empreinte en cet ivoire
Qui se ront les cheveus, et tord les bras ? Pre. l'Histoire.
Pa. Et l'autre, qui d'un œil tristement depité
Lamente à ce tombeau ? Pre. la simple Verité.
Pa. Ne git point mort ici le Rommain Titelive ?
Pre. Non, mais bien un François dont la memoire vive
Surpasse ce Rommain, pour sçavoir egaler
La verité du fait avec le beau parler.
Pa. Di moi ce cors doüé de tant de Vertus dines.
Pre. Philipes fut son nom, son surnom de Commines.
Pa. Fut il pauvre, ou s'il fut de basse race isseu ?
Pre. Il fut riche, et si fut de noble sang conceu.
Pa. Qu'a-t-il ecrit, di moi ? Pre. le perilleus voiage
Que firent les François à Naples, et l'outrage
Qu'on leur fit à Farnoüe, et des mesmes François
Les combats variés encontre les Anglois,
Et contre les Bretons, et les quereles foles
De nos Princes suivis du Comte de Charoles,
Lors que Mars avila de la France le lôs,
Et que le mont Heri la vit tourner le dôs.
Pa. Fut il present au fait, ou bien s'il ouit dire ?
Pre. Il fut present au fait, et n'a voulu recrire
Sinon ce qu'il a veu, ne pour Duc ne pour Roi
Ne voulut onc trahir de l'histoire la foi.
Pa. De quel estat fut il ? Pre. de gouverner les Princes
Et sage Ambassadeur aus estranges Provinces,
A l'honneur de son maistre, obstiné, travailler,
Et guerrier, pour son maistre, obstiné, batailler.
Pa. Pour avoir joint la plume ensemble avec la lance
Qu'eut il, Prestre, di moi pour toute recompense ?
Pre. Ah fiere ingratitude, il eut contre raison
La haine de son maistre, et six mois de prison.
Pa. E quels maistres eut il ? Pre. Philipes, et l'onsieme
Louis roi des François, et le Roi Charle huitieme :
Un Duc, et deus grands Rois, mais eussent ils encor
Esté plus qu'ils n'estoient riches de gens, et d'or
Eussent ils effroié le monde de leur trope,
Eussent ils tenu seuls les brides de l'Europe :
Si fussent-ils peris, et leur renom fût vain
Sans la vraye faveur de ce noble ecrivain,
Qui vifs hors du tombeau de la mort les delivre,
Et mieus qu'en leur vivant les fait encore vivre.
Or toi quiconque sois qui t'enquestes ainsi,
Si tu n'as plus que faire en cette eglise ici,
Retourne en ta maison, et conte à tes fils, comme
Tu as veu le tombeau du premier Gentilhomme,
Qui d'un coeur vertueus fit à la France voir
Que c'est honneur de joindre aus armes le sçavoir.

Pierre de Ronsard, Le Bocage (1554)

mercredi 5 décembre 2007 | By: Mickaelus

Ronsard : poèmes à quelques grands du royaume à la fin de la Nouvelle Continuation des Amours (1556)


46. SONET

A MADAME LA DUCHESSE DE VALENTINOIS

Jean Clouet, Diane de Poitiers

Seray-je seul vivant en France de vostre age
Sans chanter vostre nom si craint & si puissant ?
Diray-je point l'honneur de vostre beau Croissant ?
Feray-je point pour vous quelqu'immortel ouvrage ?
Ne rendra point Anet quelque beau tesmoignage
Qu'autrefois j'ay vescu en vous obeyssant ?
N'iray-je de mes vers tout le monde emplissant,
Celebrant vostre fille, & tout vostre lignage ?
Commandez moi, Diane, & me ferez honneur,
Si de vostre grandeur je deviens le sonneur,
Vous servant de ma muse à vostre nom vouée :
J'ay peur d'estre accusé de la posterité,
Qui tant oyra parler de vostre Deité,
De quoy, moy la voyant, je ne l'auray louée.


47. SONET

A MONSEIGNEUR LE CONNESTABLE

François Clouet (d'après), Le connétable
Anne de Montmorency


Si desormais le peuple en plaisir delectable,
En dances & festins s'esbat en sa maison,
Et si l'Eglise fait à Dieu son oraison,
Sans que Mars trouble plus son devoir charitable :
L'honneur vous en est deu, sage-preux Connestable,
Qui par vostre bon sens, bon conseil, & raison,
Apres avoir de guerre estainte la saison,
Vous donnez à la France un repos souhetable.
Quand on lira les faits de vous, Mommorency,
Vous aurez pour la guerre & pour la paix aussi
Un los, qui toujours vif volera sur la terre :
Mais plus aurez d'honneur pour avoir fait la paix,
Que pour avoir sous vous cent mille hommes deffaits,
D'autant que la paix est meilleure que la guerre.


48. A LUY MESME

L'an est passé, & jà l'autre commence,
Que je travaille à celebrer voz faits,
Et les combats qu'en la guerre avez faits,
Servant le Pere, & le Fils, & la France :
Et toutesfoys vostre grande puissance
Ne m'a du Roy fait sentir les bienfaits,
Et suis contraint de plier sous le fais,
S'il ne vous plaist en avoir souvenance.
Vous plaise donc me rendre ceste année
Mieux que l'autre an ma Muse fortunée,
Pour vous chanter plus que devant encor.
Ainsi tousjours du Roy le bon visage
Vous favorise, ainsi du vieux Nestor
Sain & dispos puissiez vous avoir l'age.


49. SONET

A MONSEIGNEUR LE DUC D'ANJOU


Germain Le Mannier, Charles IX
roi de France (1550-1574)


Croissez, enfant du Roy le plus grand de l'Europe,
Croissez ainsi qu'un lis dans un pré fleurissant,
Alors qu'au poinct du jour tout blanc s'epanissant
Hors de ses beaux boutons ses beaux plis develope :
Croissez, pour tost conduire une guerriere trope
Dessus la mer Tyrrhene, & d'un bras punissant
Tuer ainsi qu'Hercule un Aigle ravissant,
Qui cruel se repaist du coeur de Parthenope.
Cette maison d'Anjou, dont vous portez le nom,
Maison grosse d'honneur, de gloire, & de renom,
Presques dès le berceau aux guerres vous apelle.
Ainsi le Lyonneau, maugré les pastoureaux,
D'un grand Lyon yssu, sortant de la mammelle,
Pour son premier essay combat les grands Toreaux.


50. SONET

AU ROY


François Clouet (d'après), Henri II,
roi de France (1519-1559)


Roy, qui les autres Roys surmontez de courage,
Ne vous excusez plus desormais sur la guerre,
Que vostre ayeul Francus ne vienne en vostre terre,
Qui durant voz combats differoit son voyage.
Apres la guerre il faut qu'on remette en usage
Les Muses & Phebus, & que leur bande asserre
Des chappeaux de Laurier, de Mirthe, & de l'Ierre,
Pour ceux qui vous feront present d'un bel ouvrage.
En guerre il faut parler d'armes & de harnoys :
En tems de paix, d'esbats, de joustes, de tournois,
De nopces, de festins, d'amour, & de la danse :
Et de chercher quelqu'un pour celebrer voz faits :
Car il vaudroit autant ne les avoir point faits,
Si la posterité n'en avoit cognoissance.


51. SONET

A MADAME MARGUERITE, SEUR DU ROY

François Clouet (atelier), Marguerite de France,
duchesse de Berry, puis de Savoie (1523-1574)


Ny du Roy, ny de vous, ny de mon cher Mecene
Je n'ay de quoy me plaindre, aussi je ne m'en plains,
Seulement de Fortune à bon droit me complains,
Qui ose de vous trois triompher de la peine.
Mais d'où vient que tousjours, douce mere, elle ameine
Des biens aux hommes sots, inutiles, & vains ?
Et que les bons esprits volontiers sont contraints
De la nommer tousjours leur marâtre inhumaine ?
Contre son impudence un espoir me conforte,
C'est qu'elle, qui sans cesse en tous lieux se pourmeine,
Viendra sans y penser, quelque jour à ma porte,
Et maugré qu'elle en ait me sera plus humaine :
Car je suis asseuré qu'elle n'est assez forte
Pour seule veincre un Roy, et vous, et mon Mecene.


52. SONET

A MONSEIGNEUR LE REVERENDISSIME
CARDINAL DE LORREINE


François Clouet, Charles,
cardinal de Lorraine


Delos ne reçoit point d'un si joyeux visage
Apollon, qui revient de Delphes ou de Patere,
Annoncer les secrets de Juppiter son pere,
Quand au bout de six mois il a fait son voiage :
Comme toute la France, apres vostre message,
Joyeuse vous reçoit, vous estime & revere :
S'eba[ï]ssant de voir vostre front si severe,
Si prudent, & si vieil, en la fleur de vostre age.
Apollon et vous seul sçavez interpreter,
L'un les segrets d'un Roy, l'autre de Juppiter :
L'un craint au ciel, & l'autre en la terre habitable :
Tant seulement d'un point vous differez tous deux,
C'est qu'Apollon souvent est obscur & douteux,
Et vous estes tousjours certain & veritable.


53. ODE

A MONSEIGNEUR LE REVERENDISSIME
CARDINAL DE CHASTILLO
N

François Clouet, Odet de Coligny,
Cardinal de Chatillon


Mais d'où vien[t] cela, mon odet ?
Si de fortune par la rue
Quelque courtisan je salue
Ou de la voix, ou du bonnet,
Ou d'un clin d'oeil tant seulement,
De la teste, ou d'un autre geste,
Soudain par serment il proteste
Qu'il est à mon commandement :
Soit qu'il me trouve chez le Roy,
Soit que j'y entre, ou que j'en vienne,
Il met sa main dedans la mienne,
Et jure qu'il est tout à moy :
Il me promet montaignes d'or,
La mer d'or, & toute son onde,
Et si plus grande bourde au monde
Se trouve, il la promet encor'.
Mais quand un affaire de soing
Me presse à luy faire requeste,
Tout soudain il tourne la teste,
Et me delaisse à mon besoing :
Et si je veux le r'aborder
Ou l'acoster en quelque sorte,
Mon courtisan passe une porte
Et ne daigne me regarder :
Et plus je ne luy suis cogneu,
Ny mes vers, ny ma Poësie,
Non plus qu'un estrange d'Asie,
Ou quelqu'un d'Afrique venu.
Mais vous, mon support gracieux,
Mon appuy, mon Prelat, que j'ayme
Mille foys plus, ny que moymesme,
Ny que mon cœur, ny que mes yeux :
Vous ne m'en faittes pas ainsi,
Car si quelque affaire me presse,
Librement à vous je m'adresse,
Qui de mon fait avez soucy :
Vous avez soing de mon honneur,
Et voulez que mon bien prospere,
M'aymant tout ainsi qu'un doux pere,
Et non comme un rude seigneur :
Sans me promettre ces grand mons,
Ny ces grans mers d'or ondoyantes :
Car telles bourdes impudentes
Sont indignes des Chastillons :
La raison (Prelat) je l'entends,
C'est que vous estes veritable,
Et non Courtisan variable,
Qui sert aux faveurs & au temps.


54. ODE

A LA ROYNE D'ESCOSSE


Calixte Serrur, Marie Stuart

O belle & plus que belle & agreable Aurore,
Qui avez delaissé vostre terre Escossoise
Pour venir habiter la region Françoise
Qui de vostre clarté maintenant se decore.
Si j'ay eu cet honneur d'avoir quitté la France
Vogant dessus la mer pour suivre vostre Pere,
Si loing de mon païs, de freres & de mere,
J'ay dans le vostre usé trois ans de mon enfance :
Prenez ces vers en gré, Royne, que je vous donne
Pour fuyr d'un ingrat le miserable vice,
D'autant que je suis né pour faire humble service
A vous, à vostre terre, & à vostre couronne.


Pierre de Ronsard, Nouvelle Continuation des Amours (1556) [dans Les Amours]

lundi 19 novembre 2007 | By: Mickaelus

Sonnets de Ronsard pour la naissance du fils aîné d'Antoine de Bourbon

Dans Les Amours, recueil poétique de sonnets amoureux d'inspiration pétrarquiste et platonicienne (mais où la sensualité voire l'érotisme sont loin d'être absents), on ne peut pas dire que Ronsard fasse beaucoup référence à la France (sinon parfois à son domaine de manière poétique) comme ce pourra être le cas dans ses dernières années, ce qui est normal puisque le prince des poètes vit alors les belles années de la Renaissance sous Henri II, tout dévoué qu'il est à sa Cassandre comme Pétrarque pouvait l'être à sa Laure. Toutefois, on peut tout de même remarquer par exemple ces deux sonnets écrits à l'occasion de la naissance du fils aîné d'Antoine de Bourbon, duc de Vendôme et suzerain des Ronsard. Ce fils, l'aîné du futur Henri IV, ne vivra malheureusement que deux ans.


Léonard Limosin, Antoine de Bourbon,
roi de Navarre (1518-1562),
père de Henri IV, miniature (émaillerie)


199

Que Gâtine ait tout le chef jaunissant
De maint citron & mainte belle orenge,
Que toute odeur de toute terre étrange
Aille par tout nos plaines remplissant.
Le Loir soit lait, son rampart verdissant,
En un tapis d'esmeraudes se change,
Et le sablon, qui dans Braie se range,
D'arenes d'or soit par tout blondissant.
Pleuve le ciel des parfums & des roses,
Soient des grans vens les aleines encloses,
La mer soit calme, & l'aer plein de bon heur :
Voici le jour, que l'enfant de mon maître,
Naissant au monde, au monde a fait renaitre,
La foi premiere & le premier honneur.

200

Jeune Herculin, qui dès le ventre saint
Fus destiné pour le commun service :
Et qui naissant rompis la teste au vice
De ton beau nom dedans les astres peint :
Quand l'age d'homme aura ton coeur atteint,
S'il reste encor quelque trac de malice,
Le monde adonc ploié sous ta police
Le pourra voir totalement estaint.
Encependant croîs, enfant, & prospere,
Et sage, apren les haus faits de ton pere,
Et ses vertus, & les honneurs des Rois.
Puis autre Hector, tu courras à la guerre,
Autre Jason, tu t'en iras conquerre,
Non la toison, mais les chams Navarrois.

Pierre de Ronsard, Les Amours (1552)