Louis de Ronsard, père du fameux poète, est mort en 1544 et a combattu pour la France sous Charles VIII, Louis XII et François Ier, notamment pendant les guerres d'Italie aux côtés de Bayard. Dans cette prosopopée, il visite son fils en esprit pour lui donner des recommandations qui sont utiles à tout catholique et à tout honnête homme.
XVI
PROSOPOPÉE DE LOUIS DE RONSARD
SON PERE
Vous qui sans foi errés à l'aventure,
Vous qui tenés la secte d'Epicure,
Amandés vous, pour Dieu ne croyés pas
Que l'ame meure avecques le trespas.
La nuit hastait la moitié de sa course
Et mi-courbé le gardien de l'Ourse
Viroit son char d'un assés petit tour,
Au rond du Pole, en attendant le jour,
Quand j'aperçeu sur mon lit une image
Gresle, sans ôs, qui l'œil, et le visage,
Le cors, la taille, et la parole avoit
De feu mon pere a l'heure qu'il vivoit :
En me poussant, trois fois elle me touche,
La retouchant, s'en vola de ma couche
Loin, par trois fois, et par trois fois revint :
A la parfin plus afreuse me print
La gauche main, et foulant ma poitrine
Me dit ces mots tous remplis de doctrine :
"Mon cher enfant, par le congé de Dieu
Je suis d'enhaut descendue en ce lieu
Pour t'enseigner quel chemin tu dois suivre
En ce bas monde, et comme tu dois vivre,
Comme tu dois plein d'amour et de foi
Venir un jour au ciel avecques moi.
Premierement crain Dieu sur toute chose,
Aye tousjours dedans ton ame enclose,
Sa saincte loi, et toujours JESUSCHRIT,
Nostre Sauveur, en ton cœur soit ecrit.
Apres, mon fils, autant comme toimesme
Ardentement aime ton cher proëme,
Car Dieu le veut, et ne te ry de lui,
Si par malheur lui survient quelque ennui.
D'un serment vain le nom de Dieu ne jure,
Fuy le larcin, abstien toi de luxure,
Ne soi meurdrier, ne soi point glorieus,
Sois humble à tous, porte honneur au plus vieus
En jugement pour gain, ou pour dommage,
Ou pour rancueur ne di faus temoinage.
Ne soie point d'avarice entaché,
Fui les gloutons, fui du vin le peché,
Ne soi menteur, n'use de flaterie,
N'use, malin, d'aucune tromperie
Vers l'Innocent, et soie toujours veu
Croire en la foi que tes peres ont creu.
Mais par sur tout, obeis à ton Prince,
Et n'enfrain point les loix de ta Province,
Soi dous, et sage, et ne sois avancé
De dire à tous ce que tu as pensé,
Ains temporise, et toujours te conseille
Aus gens de bien, et leur preste l'oreille.
Vivant ainsi, tu seras bien heureus,
Riche d'honneurs, et de biens plantureus,
Et, mort, ton ame en la vie eternelle
Se viendra joindre à la mienne, et à celle
De ton feus oncle, et de ta mere aussi,
Qui voit du ciel la peine et le souci
Qui te tourmente, et fait à Dieu priere
Pour ton grand bien de ne t'y lésser guere."
Et par trois fois je la voulu presser,
La cherissant, mais la nueuse idole,
Fraudant mes dois, ainsi que vent s'en vole,
Trois fois touchée, et de peur estonné
M'a dans le lit tout seul abandonné.
Pierre de Ronsard, Le Bocage (1554)
PROSOPOPÉE DE LOUIS DE RONSARD
SON PERE
Vous qui sans foi errés à l'aventure,
Vous qui tenés la secte d'Epicure,
Amandés vous, pour Dieu ne croyés pas
Que l'ame meure avecques le trespas.
La nuit hastait la moitié de sa course
Et mi-courbé le gardien de l'Ourse
Viroit son char d'un assés petit tour,
Au rond du Pole, en attendant le jour,
Quand j'aperçeu sur mon lit une image
Gresle, sans ôs, qui l'œil, et le visage,
Le cors, la taille, et la parole avoit
De feu mon pere a l'heure qu'il vivoit :
En me poussant, trois fois elle me touche,
La retouchant, s'en vola de ma couche
Loin, par trois fois, et par trois fois revint :
A la parfin plus afreuse me print
La gauche main, et foulant ma poitrine
Me dit ces mots tous remplis de doctrine :
"Mon cher enfant, par le congé de Dieu
Je suis d'enhaut descendue en ce lieu
Pour t'enseigner quel chemin tu dois suivre
En ce bas monde, et comme tu dois vivre,
Comme tu dois plein d'amour et de foi
Venir un jour au ciel avecques moi.
Premierement crain Dieu sur toute chose,
Aye tousjours dedans ton ame enclose,
Sa saincte loi, et toujours JESUSCHRIT,
Nostre Sauveur, en ton cœur soit ecrit.
Apres, mon fils, autant comme toimesme
Ardentement aime ton cher proëme,
Car Dieu le veut, et ne te ry de lui,
Si par malheur lui survient quelque ennui.
D'un serment vain le nom de Dieu ne jure,
Fuy le larcin, abstien toi de luxure,
Ne soi meurdrier, ne soi point glorieus,
Sois humble à tous, porte honneur au plus vieus
En jugement pour gain, ou pour dommage,
Ou pour rancueur ne di faus temoinage.
Ne soie point d'avarice entaché,
Fui les gloutons, fui du vin le peché,
Ne soi menteur, n'use de flaterie,
N'use, malin, d'aucune tromperie
Vers l'Innocent, et soie toujours veu
Croire en la foi que tes peres ont creu.
Mais par sur tout, obeis à ton Prince,
Et n'enfrain point les loix de ta Province,
Soi dous, et sage, et ne sois avancé
De dire à tous ce que tu as pensé,
Ains temporise, et toujours te conseille
Aus gens de bien, et leur preste l'oreille.
Vivant ainsi, tu seras bien heureus,
Riche d'honneurs, et de biens plantureus,
Et, mort, ton ame en la vie eternelle
Se viendra joindre à la mienne, et à celle
De ton feus oncle, et de ta mere aussi,
Qui voit du ciel la peine et le souci
Qui te tourmente, et fait à Dieu priere
Pour ton grand bien de ne t'y lésser guere."
Et par trois fois je la voulu presser,
La cherissant, mais la nueuse idole,
Fraudant mes dois, ainsi que vent s'en vole,
Trois fois touchée, et de peur estonné
M'a dans le lit tout seul abandonné.
Pierre de Ronsard, Le Bocage (1554)
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