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samedi 13 mars 2010 | By: Mickaelus

Edit du roi Henri II contre l'infanticide (1556), réaffirmé sous Louis XIV

ÉDIT du roi Henry II qui prononce la peine de mort contre les filles qui, ayant caché leur grossesse et leur accouchement, laissent périr leurs Enfants sans qu'ils aient reçu le baptême.


Du mois de février 1556.


Henry, par la grâce de Dieu, roy de France : à tous présents et à venir, salut. Comme nos prédécesseurs et progeniteurs très-chrétiens rois de France, ayent par actes vertueux et catholiques, chacun en son endroit, montré par leurs très louables effets qu'à droit et bonne raison ledit nom de très-chrétien, comme à eux propre et péculier, leur avoit été attribué : En quoi les voulant imiter et suivre, ayons par plusieurs bons et salutaires exemples témoigné la dévotion que avons à conserver et garder ce tant célèbre et excellent titre, duquel les principaux effets sont de faire initier les créatures que Dieu envoyé sur terre en nostre royaume, pais, terres et seigneuries de nostre ohéissance, aux sacremens, par lui ordonnez : Et quant il lui plaist les rapeller à soi, leur procurer curieusement les autres sacremens pour ce instituez, avec les derniers honneurs de sépulture. Et estant duement avertis d'un crime très-énorme et exécrable, fréquent en nostre royaume, qui est, que plusieurs femmes ayant conceu Enfant par moyens deshonestes ou autrement, persuadées par mauvais vouloir et conseil, déguisent, occultent et cachent leurs grossesses, sans en rien découvrir et déclarer : Et avenant le temps de leur part, et délivrance de leur fruit, occultement s'en délivrent puis le suffoquent, meurdrissent, et autrement suppriment, sans leur avoir fait impartir le saint sacremeat du baptême : ce fait, les jettent en lieux secrets et immundes, ou enfouissent en terre profane ; les privans par tel moyen de la sépulture coûtumière des chrétiens. De quoy estans provenues et accusées pardevant nos juges, s'excusent, disant avoir eu honle de déclarer leur vice, et que leurs Enfans s'ont sortis de leurs ventres morts, et sans aucune apparence ou espérance de vie : tellement que par faute d'autre preuve, les gens tenans tant nos cours de Parlemens, qu'autres nos juges, voulans procéder au jugement des procès criminels faits à l'encontre de telles femmes, sont tombez et entrez en diverses opinions, les uns concluans au supplice de mort, les autres a question extraordinaire, afin de sçavoir et entendre de leur bouche si à la vérité le fruit issu de leur ventre estoit mort ou vif. Après laquelle question endurée, pour n'avoir aucune chose voulu confesser, leur sont les prisons le plus souvent ouvertes, qui a esté et est cause de les faire retomber, récidiver et commettre tels et semblables délits, à notre très-grand regret et scandale de nos sujets : A quoi pour l'avenir, nous avons bien voulu pourvoir.

Sçavoir faisons, que nous désirans extirper et du tout faire cesser lesdits exécrables et énormes crimes, vices, iniquitez et délits qui se commettent en notredit royaume, et oster les occasions et racines d'iceux d'oresnavant commettre, avons (pour à ce obvier) dit, statué et ordonné, et par édit perpétuel, loi générale et irrévocable, de notre propre mouvement, pleine puissance et autorité royale, disons, statuons, voulons, ordonnons et nous plaît, que toute femme qui se trouvera deuement atteinte et convaincue d'avoir celé, couvert et occulté, tant sa grossesse que son enfantement, sans avoir déclaré l'un ou l'autre, et avoir prins de l'un ou de l'autre témoignage suffisant, même de la vie ou mort de son enfant, lors de l'issue de son ventre, et qu'après se trouve l'Enfant avoir esté privé tant du saint sacrement de baptême, que sépulture publique et accoutumée, soit telle femme tenue et réputée d'avoir homicide son Enfant. Et pour réparation, punie de mort et dernier supplice, et de telle rigueur que la qualité particulière du cas le méritera : afin que ce soit exemple à tous, et que ci-après n'y soit aucune doute ne difficulté. Si donnons en mandement par ces présentes à noz amez et féaux conseillers les gens tenans nos cours de parlement, prévost de Paris, baillifs, séneschaux et autres nos officiers et justiciers, ou à leurs lieutenants et à chacun d'eux, que cette présente ordonnance, édit, loy et statut, ils fassent chacun en droit soy lire, publier et enregistrer, et incontinent après la réception d'icelui, publier à son de trompe et cri public, par les carrefours et lieux publics, à faire cris et proclamations, tant de notre ville de Paris, qu'autres lieux de notre royaume ; et aussi par les officiers des seigneurs hauts justiciers en leurs seigneuries et justices, en manière qu'aucun n'en puisse prétendre cause d'ignorance, et ce de trois mois en trois mois. Et outre, qu'il soit leu et publié aux prônes des messes parrochiales desdites villes, pais, terres et seigneuries de notre obéissance, par les curez ou vicaires d'icelles ; et icelui édit gardent et observent, et fassent garder et observer de point en point selon sa forme et teneur, sans y contrevenir. Et pour ce que de cesdites présentes l'on pourra avoir affaire en plusieurs lieux, nous voulons qu'au vidimus d'icelles, fait sous scel royal, foy soit ajoutée comme à ce présent original, auquel en témoin de ce, afin que soit chose ferme et stable, nous avons fait mettre notre scel. Donné à Paris au mois de février, l'an de grâce mil cinq cens cinquante-six ; et de notre règne le dixième. Ainsi signé sur le repli, par le Roy en son conseil, CLAUSSE. Lecta, pubicata et registrata, audito et requirente Procuratore generali Regis, Parisiis in Parlamento, quarto die martii, anno Domini millesimo quingentesimo quinquagesimo sexto. Sic signatam, Du TILLET. Collation est faite à l'original, ainsi signé, Du TILLET.

***

DÉCLARATION du roy Louis XIV, qui ordonne la publication au prône des messes paroissiales de l'édit du roi Henry Second, du mois de février 1556, qui prononce la peine de mort contre les femmes qui, ayant caché leur grossesse et leur accouchement, laissent périr leurs Enfants sans recevoir le baptême.


Donnée à Versailles le 25 février 1708.


Louis, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre : à tous ceux qui ces présentes verront, SALUT. Le roy Henry Second ayant ordonné par son édit du mois de février 1556 que toutes les femmes qui auroient celé leur grossesse et leur accouchement, et dont les Enfans seraient morts sans avoir reçu le saint sacrement de baptesme, seraient présumées coupables de la mort de leurs Enfans et condamnées au dernier supplice. Ce prince crût en mesme temps qu'on ne pouvoit renouveller dans la suite avec trop de soin le souvenir d'une loy si juste et si salutaire ; ce fût dans cette vue qu'il ordonna qu'elle serait lue et publiée de trois mois en trois mois, par les curez ou leurs vicaires aux prônes des messes paroissiales ; mais quoy que la licence et le dérèglement des moeurs qui ont fait de continuels progrez depuis le temps de cet edit, en rendent tous les jours la plublication plus nécessaire, et que nostre parlement de Paris l'ait ainsi jugé par un arrest du 19 mars de l'année 1698, qui renouvelle à cet égard l'exécution de l'edit de l'année 1556. Nous apprenons néanmoins que depuis quelque temps plusieurs curez de nostre royaume ont fait difficulté de publier cet edit, sous prétexte que par l'article XXXII de nostre edit du mois d'avril 1695, concernant la juridiction ecclésiastique, nous avons ordonné que les curez ne seroient plus obligez de publier aux prônes ny pendant l'office divin, les actes de justice et autres qui regardent l'interest particulier de nos sujets, à quoy ils ajoustent encore, que nous avons bien voulu étendre cette règle à nos propres affaires, en ordonnant par nostre déclaration du 16 décembre 1698 que les publications qui se feroient pour nos interest ne se feroient plus au prône, et qu'elles seroient faites seulement à l'issue de la messe paroissiale, par les officiers qui en sont chargez ; et quoy qu'il soit visible que par là nous n'avons eu intention d'exclure que les publications qui se faisant pour des affaires purement séculières et profanes, ne doivent pas interrompre le service divin, comme nous l'avons assez marqué par nostredite déclaration du 16 décembre 1698. Nous avons crû néanmoins, pour faire cesser jusqu'aux moindres difficultez dans une matière si importante, devoir expliquer nos intentions sur ce point d'une "manière si précise, que rien ne put empescher à l'avenir une publication qui regarde non l'interest particulier de quelques uns de nos sujets ou le nostre mesme, mais le bien temporel et spirituel de nostre royaume, et que l'Eglise devrait nous demander si elle n'estoit pas encore ordonnée, puisqu'elle tend à assurer non seulement la vie, mais le salut éternel de plusieurs Enfans conçus dans le crime, qui periroient malheureusement sans avoir reçu le baptême, et que leurs meres sacrifieraient à un faux honneur, par un crime encore plus grand que celuy qui leur a donné la vie, si elles n'estoient retenues par la connoissance de la rigueur de la loy, et si la crainte des châtimens ne faisoit en elles l'office de la nature. A ces causes et autres à ce nous mouvans, de nostre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons, par ces présentes signées de nostre main, dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons, voulons et nous plaist, que l'edit du roy Henry second du mois de février 1556 soit exécuté selon la forme et teneur ; ce faisant que ledit edit soit publié de trois mois en trois mois, par tous les curez ou leurs vicaires, aux prônes des messes paroissiales. Enjoignons ausdits curez et vicaires, de faire ladite publication, et d'en envoyer un certificat signé d'eux à nos procureurs des bailliages et seneschaussées, dans l'étendue desquels leurs paroisses sont situées. Voulons qu'en cas de refus, ils puissent y estre contrains par saisie de leur temporel, à la requeste de nos procureurs généraux en nos cours de parlemens, poursuite et diligence de leurs substituts chacun dans leur ressort. Si donnons en mandement à nos amez et féaux, les gens tenans nostre cour du parlement de Paris, que ces présentes ils ayent à faire lire, publier et enregistrer, et le contenu en icelles exécuter, garder et observer selon leur forme et teneur, nonobstant tous edits, déclarations, arrests, reglemens et autres choses à ce contraires, ausquels nous avons dérogé et dérogeons par ces présentes : car tel est nostre plaisir ; en témoin de quoy nous avons fait mettre nostre scel à cesdites présentes. Donné à Versailles le vingt cinquième jour de février, l'an de grâce mil sept cens huit ; et de nostre règne le soixante-cinquième. Signé Louis. Et plus bas, par le roy, PHELYPEAUX. Et scellé du grand sceau de cire jaune. Registrées, ouy, et ce requérant le procureur gênerai du roy, pour estre exécutées selon leur forme et teneur, et copies collationnées envoyées dans les baillages et sénéchaussées du ressort, pour y estre lues, publiées et registrées ; enjoint aux substituts du procureur general du roy d'y tenir la main, et d'en certifier la Cour dans un mois, suivant l'arrest de ce jour. A Paris, en Parlement, le deux mars mil sept cens huit. Signé DONGLOIS.


Source : Travaux de la commission des Enfants-Trouvés instituée le 22 août 1849 (tome II)

samedi 6 février 2010 | By: Mickaelus

Prosopopée de Du Bellay, par Ronsard


Jean Cousin le Jeune, Portrait de Joachim du Bellay


[...] L'autre jour en dormant (comme une vaine idole
Qui deça qui dela au gré du vent s'en volle)
M'aparut du Bellay non pas tel qu'il estoit
Quand son vers doucereux les Princes arrestoit,
Et qu'il faisoit courir la France apres sa lyre,
Qui encore sur tous le pleint et le desire :
Mais have et descharné, planté sur de grands os.
Ses costes, sa carcasse et l'espine du dos
Estoyent veufves de chair, et sa diserte bouche,
Où jadiz se logeoit la mieilliere mouche,
Les Graces et Pithon, fut sans langue et sans dens,
Et ses yeux, qui estoyent si promps et si ardans
A voir dancer le bal des neuf doctes pucelles,
Estoyent sans blanc, sans noir, sans clarté ny prunelles,
Et sa teste, qui fut le Caballin coupeau,
Avoit le nez retraict, sans cheveux, et sans peau,
Point de forme d'oreille, et la creuse ouverture
De son ventre n'estoit que vers et pourriture.

Trois fois je le voulu en songes embrasser,
Et trois fois s'enfuyant ne se voulut laisser
Presser entre mes bras : et son umbre seulette
Volloit de place en place, ainsi qu'une alouette
Volle devant le chien, lequel la va suivant,
Et en pensant la prendre, il ne prent que du vent.
A la fin en ouvrant sa bouche morne et palle,
Fist sortir une voix comme d'une cygalle,
D'un petit gresillon, ou d'un petit poullet,
Quand bien loing de sa mere il pepie seullet.

Et me disoit : "Ronsard, que sans tache d'envye
J'aymé, quand je vivois, comme ma propre vie,
Qui premier me poussas et me formas la voix
A celebrer l'honneur du langage François,
Et compaignon d'un art, tu me monstras l'adresse
De me laver la bouche es ondes de Permesse :
Puis qu'il a pleu à Dieu me prendre devant toy,
Entends ceste leçon et la retiens de moy.

Crains Dieu sur toute chose, et jour et nuict medite
En la loy que son filz nous a laissée ecripte :
Ton esperance apres, et de corps et d'esprit,
Soit fermement fichée au sauveur Jesuchrist :
Obeis à ton Prince, et au bras de Justice,
Et fais à tes amis et plaisir et service :
Contente toy du tien, et ne sois desireux
De biens ny de faveurs, et tu seras heureux.
Quand au monde où tu es, ce n'es qu'une chimere,
Qui te sert de marastre en lieu de douce mere :
Tout y va par fortune et par opinion,
Et rien n'y est durable en parfaicte union.
Dieu ne change jamais : l'homme n'est que fumée
Qu'un petit traict de feu tient un jour allumée.

Bien heureux est celuy qui n'y vit longuement,
Et celuy qui sans nom vit si obscurement,
Qu'à peine est il cogneu de ceux de son vilage,
Celuy, amy Ronsard, celuy est le plus sage.

Sy aux esprits des mors tu veux adjouster foy,
Qui ne sont plus menteurs, Ronsard, retires toy,
Vy seul en ta maison, et ja grison delaisse
A suivre plus la court, ta Circe enchanteresse.

Quand aux champs où je suis, nous sommes tous egaux,
Les Manes des grands Rois et des hommes ruraux,
Des bouviers, des soldans, et des princes d'Asie,
Errent egallement selon leur fantaisie,
Qui deça qui dela en plaisir s'esbattant
Va de verger en autre à son gré volletant,
Simple, gresle et leger, comme on voit les avettes
Voller parmy voz prez sur les jeunes fleurettes.

Entre Homere et Virgille, ainsi qu'un demy dieu,
Environné d'esprits, j'ay ma place au meillieu,
Et suis en la façon que m'a decrit Masures,
Aux champs Elisians, aymé des ames pures
Des vaillans demy-dieux, et du prince Henry (1),
Qui se cachant sa playe erre seul et marry,
Dequoy la dure Parque a sans pitié ravie
Tout d'un coup son repos, son plaisir et sa vie.

Et j'erre comme luy de tristesse blessé,
Qui sans te dire à Dieu si tost je te laissé,
Et sans prendre congé de toute nostre bande,
A qui leur du Bellay par toy se recommande."

Ainsi dit ceste idolle, et comme un pront esclair
Dans la nue se pert, se perdit dedans l'air.


(1) Il s'agit bien sûr du roi de France Henri II


Pierre de Ronsard, extrait de "Elégie à Loïs des Masures" (1560), dans Discours, derniers vers

vendredi 13 novembre 2009 | By: Mickaelus

Remontrance au peuple français, de son devoir en ce temps envers la majesté du Roi (1559), par Guillaume Des Autels


S'il m'advient derechef, France, comme autrefois,
Que d'un vers lamentable, et d'une molle voix
Pour néant je te veuille assourdir les oreilles,
Chantant les passions, et douleurs nonpareilles
D'un cœur brûlé d'Amour, qu'un jeune souci point :
Je suis content que lors tu ne m'écoutes point.
Si par une affectée, et douce mignardise
Flattant tes mœurs, le vice en vertu je déguise :
Et traître à ton honneur, je te veuille inviter
A ce que je te dois conseiller d'éviter :
Si après un Timon par audace maline
Je mords le nom d'autrui d'une dent Theonine,
Envieux au travail des plus gentils esprits :
Refuse-moi l'honneur d'oeillader mes écrits.

Mais puisque maintenant pour ton seul bien je veille :
Et que ton seul devoir, FRANCE, je te conseille :
Je te prie, mon pays, de ne me débouter :
Mais, ô mon cher pays, je te prie m'écouter.
Ne te fais point accroire être cas peu honnête,
De prêter ton oreille à la voix d'un Poète :
Car les Poètes sont favorisés des Cieux :
Et aux hommes d'en bas sont truchements des Dieux.
Des Poètes jadis l'antique sapience
Mit entre le public et privé différence,
Le profane et sacré d'ensemble divisa,
Du mariage feint première l'avisa,
La licence rompit des vagabondes noces,
Assembla les cités, bâtit les villes grosses,
Elle prophétisa, elle fit dans le bois
Dans la pierre, et l'airain graver les saintes lois.
Le Thracien Orphée apaisa les courages
Par ses vers admirés, des hommes lors sauvages,
Il les fit hors des bois par son doux prêchement
Ensemble tous d'accord vivre civilement.
C'est la raison pourquoi l'on dit les forêts mêmes,
L'avoir suivi au son de ses divins poèmes :
Et avoir adouci le Tigre, et le Lion.
Voilà pourquoi aussi l'on a dit, qu'Amphion
Par le son de sa lyre, et par prière humaine
Les pierres assembla de la ville thébaine.
Mais jadis les vaillants Lacédémoniens
Surent à votre dam, peuples mycéniens,
Combien peut le Poète, et quel courage baille
Un bon vers aux soldats le jour d'une bataille.
Or sus donc, mon pays, sus donc, écoute-moi,
Apprends combien tu es redoutable à ton Roi.

Si un Scythe barbare, et plein de félonie,
Étendait jusqu'ici sa fière tyrannie
(Que détournent les Dieux de l'empire gaulois)
Si faudrait-il pourtant obéir à ses lois
Le servir, l'adorer, offrir à sa requête
Non seulement les biens, mais encore la tête :
Là, malgré nous, faudrait notre vouloir ranger
De subir l'appétit d'un vilain étranger :
Mais il ne plaît à Dieu : notre bon Dieu nous aime :
Qui en FRANCE régner ne fait qu'un Français même.
Le Roi que nous avons est fils de ces Rois-là
Que nos pères ont eus : le Royaume qu'il a
Ses aïeux l'ont tenu : et toutes les richesses,
O peuple, que tu as, viennent de leurs largesses :
Ils ont pour ta sûreté enceint de toutes parts
Tes villes de fossés, de murs, et de remparts :
Tu as d'eux tous tes ports, tes temples, tes collèges,
Toutes tes libertés, et tous tes privilèges.
Et si te peux vanter, FRANCE, que tu n'es pas
Gouvernée par Rois descendus d'un lieu bas,
Et de la terre enfants, car au monde il ne reste
Plus des enfants des Dieux et leur race céleste,
Que nos Princes issus du sang hectorien,
Mêlé jadis en Gaule au sang herculéen :
Race toujours des Dieux très chèrement aimée,
Et du saint nom de Christ très chrétienne nommée :
Qui a eu la faveur d'avoir, du don des cieux,
Les saintes fleurs de lys, et l'onguent précieux
Qui oint tes Rois sacrés, le pouvoir admirable
De rendre guérison à un mal incurable
Par le seul attoucher de leur mains, et encor
L'effroi des Sarrasins, l'enseigne aux flammes d'or.

Qui s'osera vanter de tous les Rois étranges,
D'avoir vu en sa cour ambassades des anges ?
Par lesquels du haut ciel, Sa sainte maison, Dieu
A transmis ses présents jusques en ce bas lieu :
Pour au monde montrer, que c'est Lui qui a cure
De l'empire de Gaule, et veut que plus il dure
Que ces vieux renommés, soit des Assyriens,
Des Mèdes, des Persans, des Macédoniens,
Et de ceux qui encore aujourd'hui veulent dire
Que pour le moins le nom leur reste d'un empire.
Le tiens FRANCE est dernier, et le plus florissant :
Car ainsi que tu vois en ton fatal croissant
Deux cornes plus en plus étendre sa lumière,
Tant qu'il se soit parfait en sa rondeur entière :
Un semblable cours a le règne des Gaulois,
Qui l'Espagnol menace, et menace l'Anglais,
De deux cornes, l'une est en l'Océan baignée,
L'autre heurte le front du grand mont Pyrénées :
Son mi-rond tient depuis le rivage marin
Ce que Garonne lave, et la Seine, et le Rhin,
Défia bien élargi aux fertiles campagnes,
Que l'on laboure au pied des chenues montagnes :
Ou au peuple togé l'antique nom revient,
Qui depuis Rubicon jusqu'aux Alpes se tient :
Et va toujours croissant, tant que sa forme ronde
Embrasse entièrement tout l'empire du monde.

Or ne pense point, FRANCE, être mieux fortunés
Ceux, qui sont autrement que par Rois gouvernés :
Soit que du peuple y soit la tourbe autorisée,
Par laquelle est toujours la raison méprisée :
Ou que le pouvoir soit aux mains des grands seigneurs
L'un sur l'autre envieux des biens et des honneurs :
Enfin telle commune est toujours ruinée
Non par autre que soi contre soi mutinée :
Tu l'as bien effrayé, peuple cecropien,
Et la race d'Enée en témoignerait bien.

La Royauté n'est point seulement la plus belle
Forme de gouverner, mais seule est naturelle.
Un seul Dieu le premier tout ce monde conduit :
Un seul Soleil au ciel sur tous les astres luit :
Le cœur en notre corps tous les membres adresse :
Et la seule raison en notre âme est maîtresse.
Vois les mouches à miel (si l'on peut par raison
Faire d'un petit fait une grande comparaison)
Comme elles ont un Roi, qui de sa gent petite
Est craint et obéi autant qu'un Roi d'Égypte,
Que le Sophi de Perse, ou le Seigneur qui prend
Au monde maintenant seul le titre de grand,
Toutes il les gouverne, et garde leur ouvrage :
Toutes lui font honneur révérence et hommage,
L'accompagnent partout, le portent bien souvent,
Pour le garder des coups se mettent au devant
Quant elles font la guerre : et par plaie cruelle
En servant à leur Roi, cherchent une mort belle.

Ainsi, FRANCE, tu as envers ton chef Royal
Toujours eu jusqu'ici le courage loyal :
Et de tes Princes a fait croître la puissance
Par ton fidèle amour, et ton obéissance.
Aussi de leurs travaux la gloire leur suffit :
Toujours ils t'ont laissé pour ta part le profit :
Soit qu'outre l'Apennin, et les Alpes chenues,
Ils aient déployé leurs enseignes connues :
Soit que delà le Rhin leur armée ait esté :
Soit que le saint pays ils aient conquesté,
Ou la divine voix fut ouïe, et non crue,
Et où d'Euphrate l'eau et de Jourdain est bue :
Qu'ils aient chassé ceux de l'île d'Albion,
Jusqu'aux dernières fins du froid Septentrion :
Soit qu'en la terre, où gît la chaste Parthénope,
Ils aient commandé : ou que passant l'Europe
Devers Soleil couchant, ils aient fait le gain
Par faits chevaleresques du pays africain.
Ou que des Espagnols, les bandes obstinées
Ils aient repoussé delà leurs Pyrénées :
Tes Princes seulement ont été triomphants,
La dépouille a été à toi et tes Enfants.
Et quand leurs ennemis tenus coi par la crainte,
Ce sont faits quelquefois amis (amis par feinte)
Et pour n'avoir moyen de la guerre à propos,
T'ont, ô FRANCE, laissé jouir d'un doux repos :
Mon Dieu quel soin ont pris nos débonnaires Princes
De chasser pauvreté de toutes leurs provinces !
Les nobles ils ont fait monter aux grands honneurs,
Les faisant en leurs cours et pays gouverneurs,
De leurs rentes ils ont enrichi les églises,
Ils ont ouvert le cours à toutes marchandises,
Ils ont aux magistrats choisi les plus savants,
Les pauvres gens sans nom de leur travail vivant
Ils ont pris en leur garde : et t'ont donné, ô FRANCE,
Remplie de tous biens la corne d'Abondance.

Ici par moi Francus ne te sera loué,
Ni Pharamond aussi, Clovis, ni Mérovée,
Ni tous ces bons vieux Rois, dont nous n'avons mémoire
Sinon par le rapport que nous en fait l'histoire :
Ailleurs de leur honneur mes vers seront ouïs,
Des huit Charles encore, et des douze Louis :
Mais de ce grand François la clémence royale,
Avec la majesté aux plus grands Dieux égale,
Qui en l'amour de toi surmonta ses aïeux,
Encor représenter se peut devant tes yeux.
HENRI non seulement au sceptre lui succède :
Mais à la vertu sainte : et en tous deux l'excède.
Tu sais que de son règne, à son avènement,
La tranquille Paix fut l'heureux commencement :
Et combien qu'il connut que la sanglante guerre
Devait de son renom emplir toute la terre,
Et qu'en l'oisif repos son honneur flétrissait :
Toutefois, pour ton bien, la Paix il chérissait :
Ou connaître l'on peut, que ce qui plus lui plaise,
C'est la tranquillité de ses peuples, et l'aise.
Mais cependant qu'il est de ton repos ami :
L'audace vaine croît au cœur de l'ennemi :
Qui, possible, d'avoir affaire se présume
A un Sardanapale endormi en la plume.
Comme un matin voyant un sanglier dans le bois,
Qu'il prend pour autre porc, l'irrite avec abois :
Et s'attachant à lui de légères offenses,
Ne prend pas mal quand garde aux terribles défenses :
Mais pense qu'il ne sait rien sinon se coucher
Paresseux en la fange, et de la gland mâcher.
Le sanglier âpre à voir lors sa colère émue,
Enrage de combattre avec sa dent crochue,
Sa blanche dent, laquelle il aiguise, et qui sort
Bien avant hors la bouche, et qui porte la mort :
Il a tout écumeux le groin, et de malice
Sur le col et le dos tout le poil lui hérisse :
Au feu resplendissant semblent ses ardents yeux :
Puis courbe, et de travers se rue audacieux
Sur le chien ja fendu : qui finissant sa vie,
Par un tard repentir accuse sa folie.
Ainsi nos ennemis voyant que notre Roi
Les armes dédaignait : et pour l'amour de toi
Paisible, et seulement soigneux de la justice,
Et de mœurs, et de lois, reformait ta police :
D'un conseil imprudent, ont irrité le cœur
D'un Roi, qui de tous Rois doit être le vainqueur :
Dont ils ont rapporté à la fin de leur compte
La tarde repentance, et la perte et la honte.
Parme, La Mirandole, et Sienne, et plus loin
Ton Tibre même, Rome, en servent de témoin :
Témoin en soit le Rhin et l'Allemagne toute
Qui en mer ni en terre autre Roi ne redoute :
J'en appelle à témoin le bon peuple écossois :
(Le peuple maintenant du jeune Roi FRANÇOIS)
Le Milannais sait bien combien grande est sa force :
Si fait le Genevois déchassé hors de Corse :
En Flandre ne sera jamais anéanti
Ni de Mariembourg l'honneur, ni de Renty :
Metz pris et défendu, et Calais notre ville
Française derechef, et Guine, et Thionville
Témoignent son honneur. Il est vrai qu'il a pris,
Peuple, il a pris égard à tes larmoyants cris :
Qui lui ont fait lâcher hors des mains sa victoire,
Et couper le chemin à sa plus grande gloire :
Pour ramener la paix que tu désires tant,
Mettre fin à tes maux, et te rendre content.
Ce grand Charles lequel la doctrine, et sagesse,
La grandeur de la race, et du cœur la hautesse,
L'admirable éloquence, et le sacré chapeau,
Et toutes vertus font un miracle nouveau,
Tel que nous confessons jamais n'avoir pu être
Jusqu'ici, et jamais après ne pouvoir naître :
C'est lui, que notre Roi a voulu envoyer
Couronné d'un Rameau du paisible olivier,
Consentir à la paix qu'on lui a demandée :
Tant ton utilité lui est recommandée.
Et du Roi le fidèle Achate y est aussi,
De FRANCE le Nestor, le preux Montmorency,
Auquel faire ne peut la fortune décroître
La vertu, ni l'honneur, ni l'amour de son maître.
Quelle condition peuple (comme tu sais)
A refusé ton Roi, pour te donner la Paix ?
Combien a-t-il voulu, pour à tes vœux complaire,
Quitter de son bon droit ? que n'a-t-il voulu faire ?

Si quelques peuples sont (ayant les yeux bandés
D'une présomption) si fort outrecuidés :
Qu'ils méprisent le bien de cette heure opportune,
Pour se recommander aux vents de la fortune :
(Combien qu'un bon espoir soit encore avec nous,
Que PHILIPPE s'il est, comme on dit, sage et doux,
Connaîtra qu'il ne peut avoir une alliance
Digne de sa grandeur, en autre lieu qu'en France :
Et si l'occasion il laisse ore échapper
Pour néant par derrière la voudra-t-il happer.)
Si l'Anglais fier (te dis-je) ou autre, ne machine,
FRANCE, que te détruire, et rien que ta ruine,
Rien que son indigence assouvir de tes biens,
Rien qu'arroser la terre avec le sang des tiens,
Et faire, par l'ardeur des flammes enragées,
En cendre convertir tes villes saccagées :
Peuple s'il te vaut mieux attendre lâchement
La malheureuse fin d'un tel événement :
Que d'aller au devant, et lui porter en face
A lui-même, le mal duquel il te menace.
Le mal que recevra celui, qui obstiné
Te voudra faire guerre : ainsi est destiné :
C'est un arrêt fatal, et trop seront légères,
Pour y contrevenir, les forces étrangères :
Si tu n'y contreviens toi-même, en refusant
Ton devoir à toi-même, à toi-même nuisant.
Peuple tu dois penser, qu'un si grief soin ne pique
Notre bon Roi sinon pour ton profit public :
S'il n'avait autre soin que de son seul plaisir,
Sans peine il le pourrait, tout à son gré, choisir :
Il ne lui faudrait point, sous un harnois brûlant,
Souffrir la griève ardeur d'un été trop bouillant :
Ni d'un trop âpre hiver sentir la griève injure :
Mais, ô FRANCE, l'ennui, tout l'ennui qu'il endure,
FRANCE, tout est pour toi, comme d'un cher enfant
Le père a si grand soin : que plus il le défend
Et que son propre corps, et que sa propre vie :
Et pour le secourir ses affaires oublie :
Ainsi un Roi, un Roi, FRANCE, tel que le tien,
De son peuple a souci plutôt que de son bien :
Car en se faisant Roi, il charge ses épaules,
Ainsi qu'Atlas du ciel, de tous le soin de Gaule.
Tu as, FRANCE, tu as encore les moyens
Pour tenir contre tous, tu es riche de biens :
Craindras-tu maintenant pour ton Roi les dépendre ?
Que dis-je pour ton Roi ? mais bien pour te défendre ?
Et qu'en ferait le Roi qui seul en eût besoin ?
L'ardente affection que tu as, et le soin
De sa grandeur, te peut inciter le courage,
A ne craindre pour lui ni la mort, ni dommage.
Encor est avec toi ce Duc victorieux
Duquel l'honneur luisant et le nom glorieux
Les siècles à venir ne verront point éteindre :
Et lequel étant sauf, il ne te faut rien craindre,
Ce grand Prince Lorrain. Et puis en tes dangers
Et princes tu auras, et peuples étrangers
Plus prêts à ton secours, que toi à la requête :
Il faut que seulement ta volonté soit prête.
Mais en faut-il douter ? Ja les trompettes j'oy
Et tambourins sonner, ja reluire je voys
Les armes, et harnois, mon Dieu que d'étendards
Je vois ja déployés ! mon Dieu que de soudards !
Hé quelle infanterie, hé quels braves gendarmes,
Tous à combattre prêts, tous requièrent les armes.
Ce grand Roi persan, qui d'hommes assembla
Tant et tant de milliers, et sous lequel trembla
Toute la terre, alors qu'il effraya la Grèce,
N'avait point si bel ost que celui qui se dresse :
Mais je loue sur toutes les bonnes volontés
Des peuples que je vois venir de tous côtés
Offrir et vie et biens à la grandeur royale.
Or tant que tu seras, ma FRANCE, si loyale
Dieu toujours t'aidera : car à Dieu tout-puissant
Rien n'est qui plaise plus, qu'un peuple obéissant,
Et qui envers son Prince est de loyal courage :
Le très-bon très-grand Dieu rien ne hait davantage
Qu'un peuple déloyal aux Princes : car le lieu
Ils nous tiennent, et sont comme images de Dieu.
Par ce moyen tu peux la douce paix acquerre :
Et par ce seul moyen chasser dehors la guerre.
Quand l'ennemi saura quel bon devoir tu fais,
Lui-même nous tendra le vert rameau de Paix :
Sachant que nulle force a pouvoir d'effroyer
Un peuple si loyal qui sait bien guerroyer.
Alors tu recevras l'heureuse récompense
De ton Prince, qui prend mieux garde qu'on ne pense
Au bon vouloir des siens, et sait bien regarder
Qui prompt à son service a voulu moins tarder.
Encor le Roi Dauphin duquel si grand sagesse
Ressemble à un prodige en si tendre jeunesse,
De ce bon vouloir tien, toujours se souviendra
Et un jour à tes fils au double le rendra.


Note : j'ai modernisé l'orthographe, tout en conservant la ponctuation et un peu du vocabulaire original, inconnu en français moderne, notamment par fidélité à certains rythmes et à certaines rimes.


Guillaume Des Autels, Remonstrance au peuple françoys de son devoir en ce temps envers la majesté du roy (1559)

samedi 7 novembre 2009 | By: Mickaelus

Elégie sur les troubles d'Amboise (1560), par Ronsard


A Guillaume Des Autels gentilhomme charrolois


Des Autelz, que la loy, et que la rethoricque
Et la Muse cherist comme son filz unicque,
Je suis esmerveillé que les grandz de la Court
(Veu le temps orageux qui par l'Europe court)
Ne s'arment les costez d'hommes qui ont puissance
Comme toy de plaider leurs causes en la France,
Et revenger d'un art par toy renouvellé
Le sceptre que le peuple a par terre foulé.
Ce n'est pas aujourd'huy que les Rois et les Princes
Ont besoing de garder par armes leurs provinces,
Il ne faut acheter ny canons, ny harnois,
Mais il fault les garder seulement par la voix,
Qui pourra dextrement de la tourbe mutine
Appaiser le courage et flatter la poictrine :
Car il fault desormais deffendre noz maisons,
Non par le fer trenchant mais par vives raisons,
Et courageusement noz ennemis abbatre
Par les mesmes bastons dont ils nous veullent battre.
Ainsi que l'ennemy par livres a seduict
Le peuple devoyé qui faucement le suit,
Il fault en disputant par livres le confondre,
Par livres l'assaillir, par livres luy respondre,
Sans monstrer au besoing noz courages failliz,
Mais plus fort resister plus serons assailliz.

Si ne voy-je pourtant personne qui se pousse
Sur le haut de la breche et l'ennemy repousse,
Qui brave nous assault, et personne ne prend
La picque, et le rempart brusquement ne deffend :
Les peuples ont recours à la bonté celeste,
Et par priere à Dieu recommandent le reste,
Et sans jouer des mains demeurent ocieux :
Cependant les mutins se font victorieux.

Carles et toy et moy, seulz entre cent mille hommes
Que la France nourrist, opposez nous y sommes,
Et faisant de nous trois paroistre la vertu,
D'un magnanime cueur nous avons combatu,
Descouvrant l'estomac aux playes honorables,
Pour soustenir l'Église, et ses loix venerables,
Et celles du païs auquel nous sommes nez,
Et pour l'ayde duquel nous sommes ordonnez.

Durant la guerre à Troye, à l'heure que la Grece
Pressoit contre les murs la Troyenne jeunesse,
Et que le grand Achille empeschoit les ruisseaux
De porter à Thetis le tribut de leurs eaux,
Ceux qui estoyent dedans la muraille assiegée,
Ceux qui estoyent dehors dans le port de Sigée,
Failloyent egallement : mon Desautels, ainsi
Noz ennemis font faulte et nous faillons aussy.

Ils faillent de vouloir renverser nostre empire,
Et de vouloir par force aux Princes contredire,
Et de presumer trop de leur sens orgueilleux,
Et par songes nouveaux forcer la loy des vieulx :
Ils faillent de laisser le chemin de leurs peres,
Pour ensuyvre le train des sectes etrangeres :
Ilz faillent de semer libelles et placars,
Plains de derisions, d'envye, et de brocars,
Diffamans les plus grandz de nostre court Royalle,
Qui ne servent de rien qu'à nourrir un scandale :
Ils faillent de penser que tous soyent aveuglez,
Que seulz ils ont des yeux, que seulz ils sont reiglez,
Et que nous fourvoyez ensuyvons la doctrine
Humaine et corrompue, et non pas la divine :
Ilz faillent de penser qu'à Luther seulement
Dieu se soit apparu, et generalement
Que depuis neuf cens ans l'Église est depravée,
Du vin d'ipochrisie à longs traictz abreuvée,
Et que le seul escrit d'un Bucere vaut mieux,
D'un Zvingle, ou d'un Calvin (hommes seditieux),
Que l'accord de l'Église, et les statuz de mille
Docteurs, poussez de Dieu, convocquez au concile :
Que faudroit-il de Dieu desormais esperer,
Sy luy doux et clement avait soufert errer
Sy long temps son Église ? Est-il autheur de faute ?
Quel gain en reviendroit à sa majesté haute ?
Quel honneur, quel profict de s'estre tant celé
Pour s'estre à un Luther seulement revelé ?

Or nous faillons aussi, car depuis sainct Gregoire
Nul pape (dont le nom soit escrit en histoire)
En chaire ne prescha : et faillons d'autre part
Que le bien de l'Église aux enfans se depart.
Il ne faut s'estonner, Chrestiens, sy la nacelle
Du bon pasteur sainct Pierre en ce monde chancele,
Puis que les ignorans, les enfans de quinze ans,
Je ne scay quelz muguetz, je ne scay quels plaisans
Tiennent le gouvernal, puis que les benefices
Se vendent par argent, ainsi que les offices.

Mais que diroit sainct Paul, s'il revenoit icy,
De noz jeunes prelatz, qui n'ont poinct de soucy
De leur pauvre troupeau, dont ils prennent la laine,
Et quelque fois le cuir : qui tous vivent sans peine,
Sans prescher, sans prier, sans bon exemple d'eux,
Parfumez, decoupez, courtizans, amoureux,
Veneurs, et fauconniers, et avecq' la paillarde
Perdent les biens de Dieu, dont ilz n'ont que la garde.

Que diroit il de veoir l'Église à Jesuschrist,
Qui fut jadis fondée en humblesse d'esprit,
En toute patience, en toute obeissance,
Sans argent, sans credit, sans force, ny puissance,
Pauvre, nue, exilée, ayant jusques aux os
Les coups de fouetz sanglans imprimez sur le doz,
Et la voir aujourd'huy riche, grasse, et hautaine,
Toute pleine d'escuz, de rentes, et dommaine ?
Ses ministres enflez, et ses Papes encor,
Pompeusement vestuz de soye et de drap d'or ?
Il se repentiroit d'avoir soufert pour elle
Tant de coupz de baston, tant de peine cruelle,
Tant de bannissemens, et voyant tel mechef
Priroit qu'un traict de feu luy accablast le chef.

Il fault donc corriger de nostre saincte Église
Cent mille abuz commis par l'avare prestrise,
De peur que le courroux du Seigneur tout puissant
N'aylle avecques le feu noz fautes punissant.

Quelle fureur nouvelle a corrompu nostre aise ?
Las ! des Lutheriens la cause est tresmauvaise,
Et la deffendent bien : et par malheur fatal
La nostre est bonne et saincte, et la deffendons mal.

O heureuse la gent que la mort fortunée
Ha depuis neuf cens ans soubs la tombe emmenée !
Heureux les peres vieulx des bons siecles passez,
Qui sont sans varier en leur foy trespassez,
Ains que de tant d'abuz l'Église fust malade :
Qui n'ouyrent jamais parler d'Oecolampade,
De Zvingle, de Bucer, de Luther, de Calvin,
Mais sans rien innover au service divin,
Ont vescu longuement, puis d'une fin heureuse
En Jesus ont rendu leur ame genereuse.

Las ! pauvre France, helas ! comme une opinion
Diverse a corrompu ta premiere union !
Tes enfans, qui devroyent te garder, te travaillent,
Et pour un poil de bouc entre eulx mesmes bataillent,
Et comme reprouvez, d'un courage meschant
Contre ton estomac tournent le fer tranchant !

N'avions nous pas assez engressé la campaigne
De Flandres, De Piedmont, de Naples, et d'Espaigne,
En nostre propre sang, sans tourner les cousteaux
Contre toy, nostre mere, et tes propres boyaux ?
A fin que du grand Turc les peuples infidelles
Rissent en nous voyant sanglans de noz querelles ?
Et, en lieu qu'on les deust par armes surmonter,
Nous vissent de nos mains nous mesmes nous donter,
Ou par l'ire de Dieu, ou par la destinée
Qui te rend par les tiens, ô France, exterminée ?

Las ! fault il, ô destin, que le sceptre François,
Que le fier Allemant, l'Espagnol et l'Anglois
N'a sceu jamais froisser, tombe soubs la puissance
Du peuple qui devroit luy rendre obeïssance ?
Sceptre qui fut jadis tant craint de toutes pars,
Qui jadis envoya outre mer ses soldars
Gaigner la Palestine, et toute l'Idumée,
Tyr, Sydon, Antioche, et la ville nommée
Du sainct nom, où Jesus, en la croix attaché,
De son precieux sang lava nostre peché :
Sceptre qui fut jadis la terreur des Barbares,
Des Turcs, des Mammelus, des Perses et Tartares,
Bref, par tout l'univers tant craint et redouté,
Fault il que par les siens luy mesme soit donté !

France, de ton malheur tu es cause en partie,
Je t'en ay par mes vers mille fois advertye,
Tu es marastre aux tiens, et mere aux estrangers,
Qui se mocquent de toy quand tu es aux dangers :
Car la plus grande part des estrangers obtiennent
Les biens qui à tes fils justement appartiennent.

Pour exemple te soit ce docte Des Autelz,
Qui à ton los a faict des livres immortels,
Qui poursuyvoit en court des long temps une affaire,
De bien peu de valleur, et ne la pouvoir faire
Sans ce bon Cardinal, qui rompant le sejour
Le renvoia content en l'espace d'un jour.
Voila comme des tiens tu fais bien peu de conte,
Dont tu devrois au front toute rougir de honte.

Tu te mocques aussi des profetes que Dieu
Choisit en tes enfans, et les fait au meillieu
De ton sein apparoistre, à fin de te predire
Ton malheur advenir, mais tu n'en fais que rire.

Ou soit que du grand Dieu l'immense eternité
Ait de Nostradamus l'entousiasme excité,
Ou soit que le daimon bon ou mauvais l'agite,
Ou soit que de nature il ayt l'ame subite,
Et outre le mortel s'eslance jusqu'aux cieulx,
Et de là nous redit des faicts prodigieux :
Ou soit que son esprit sombre et melancolique,
D'humeurs grasses repeu, le rende fantastique,
Bref, il est ce qu'il est : si est ce toutesfois
Que par les mots douteux de sa profette voix,
Comme un oracle anticque, il a des mainte année
Predit la plus grand part de nostre destinée.

Je ne l'eusse pas creu, si le ciel, qui depart
Bien et mal aux humains, n'eust esté de sa part :
Certainement le ciel, marry de la ruine
D'un sceptre si gaillard, en a monstré le signe :
Depuis un an entier n'a cessé de pleurer :
On a veu la comette ardente demeurer
Droict sur nostre païs : et du ciel descendante
Tomber à Sainct Germain une collone ardente :
Nostre Prince au meillieu de ses plaisirs est mort :
Et son filz, jeune d'ans, a soustenu l'efort
De ses propres sujects, et la chambre honorée
De son palais Royal ne luy fut asseurée.

Doncques, ny les haults faicts des Princes ses ayeux,
Ny tant de temples saincts eslevez jusqu'aux cieulx
Par ses peres bastis, ny sa terre puissante,
Aux guerres furieuse, aux lettres fleurissante,
Ny sa propre vertu, bonté et piété,
Ny ses ans bien apris en toute honnesteté,
Ny la devotion, la foy, ny la priere
De sa femme pudicque, et de sa chaste mere,
N'ont envers le destin tant de graces trouvé,
Que malheur si nouveau ne luy soit arrivé,
Et que l'air infecté du terroy Saxonicque
N'ait empuenty l'air de sa terre Gallicque.

Que si des Guysians le couraige haultain
N'eust au besoing esté nostre rempart certain,
Voire et si tant soit peu leur ame genereuse
Se fust alors monstrée ou tardive, ou poureuse,
C'estoit faict que du sceptre, et la contagion
De Luther eust gasté nostre religion :
Mais François d'une part, tout seul avecq' les armes
Opposa sa poictrine à si chaudes alarmes,
Et Charles d'autre part, avecq' devotions
Et sermons, s'opposa à leurs seditions,
Et par sa prevoyance et doctrine severe
Par le peuple engarda de plus courir l'ulcere.

Ils ont maugré l'envye, et maugré le destin,
Et l'infidelle foy du vulgaire mutin,
A l'envy combatu la troupe sacrilege,
Et la religion ont remise en son siege.

O seigneur tout puissant ! pour loyer des bienfaicts
Que ces Princes Lorreins au besoing nous ont faicts,
Et si mes humbles voeus trouvent devant ta face
Quelque peu de credit, je te supply de grace,
Que ces deux Guysians, qui pour l'amour de toy
Ont ramassé l'honneur de nostre antique foy,
Fleurissent à jamais en faveur vers le Prince,
Et que jamais le bec des peuples ne les pince.

Donne que les enfans des enfans yssus d'eux
Soyent aussi bons Chrestiens, et aussi vaillans qu'eux,
Plus grands que nulle envye : et qu'en paix eternelle
Ils puissent habiter leur maison paternelle.
Ou si quelque desastre, ou le cruel malheur
Les menace tous deux, jaloux de leur valeur,
Tourne sur les mutins la menace et l'injure,
Ou sur l'ignare chef du vulgaire parjure,
Ny digne du soleil, ny digne de tirer
L'air, qui nous faict la vie es poulmons respirer.


Pierre de Ronsard, Elégie sur les troubles d'Amboise (1560) - dans Discours, derniers vers

samedi 5 janvier 2008 | By: Mickaelus

Epitaphe d'Hugues Salel, par Ronsard

Hugues Salel (1504-1553) est un poète français qui, comme le laisse entendre l'épitaphe qui suit, a eu les faveurs de François Ier - il a été son valet de chambre - et a composé à sa demande une traduction de l'Iliade (qui restera inachevée). Il mourra retiré dans l'abbaye de Saint-Cheron, donnée par François Ier, après être entré en défaveur sous Henri II.



XIII
EPITAFE DE HUGUES SALEL


Les rochers Capharés (où l'embusche traitresse
De Nauple fit noyer la flotte dompteresse
Du mur Neptunien, quand l'ireuse Palas
Destourna son courrous d'Ilion sus Ajax)
Te devoient faire sage, et te devoient aprendre
Salel, à plus n'oser le sang troyen espandre,
Et ne rensanglanter tes vers au sang des filz
De tant de puissans Dieus à Troye desconfitz.
Non pour autre raison aveuglé fut Homere,
Que pour avoir de neuf refraichi la misere
Des malheureus Troyens, et pour avoir encor,
Par ses vers retrainé la charongne d'Hector,
Pour avoir renavré la mole Cyprienne,
Pour avoir ressouillé la poudre Phrygienne
Au sang de Sarpedon, et pour avoir laissé
Encor Mars ressaigner, de sa plume blessé.
A toi, ainsi qu'à lui, les Dieus ont eu envie,
Qui favorisoient Troye, et t'ont coupé la vie
Au meillieu de tes ans, de peur qu'une autre fois
Hector ne fût r'occis par les vers d'un François.
Mais bien que mort tu sois au plus verd de ton age,
Si as tu pour confort gaigné cest avantage,
D'estre mort riche poete, et d'avoir par labeur
Le premier d'un grand Roi merité la faveur :
Qui chassa loing de toi la pauvreté moleste
A la troupe des Sœurs, dont la race celeste
Peut leur sert aujourdui, que cliquetans des dens
Que d'un pâle estomach affamé par dedans,
Que d'un œil enfoncé, que toutes desolées
De fain, parmi les bois n'errent eschevelées.
FRANCOIS, le premier Roi des vertus, et du nom,
Prenant à gré d'ouir l'Atride Agamenon
Parler en son langage, et par toi les gensdarmes
De Priam, son ayeul, faire bruire leurs armes
D'un murmure françois, Prince sus tous humain,
Te fit sentir les biens de sa Royale main,
Et le fit à bon droict, comme à l'un de sa France
Qui des premiers chassa le Monstre d'Ignorance
Et de qui le sçavoir avoit bien merité
D'être d'un si grand Roi si doucement traicté.
Ainsi toi bienheureus, si Poete heureus se treuve,
Plus dispos, et plus gay, tu traversas le fleuve,
Qui n'est point repassable, et t'en allas joyeux
Rencontrer ton Homere es chams delicieus,
Où sur des bancs herbus ces vieus Peres s'assisent
Et sans soing, de l'amour parmi les fleurs devisent
Au giron de leur dame : un se couche à l'envers
Sous un myrte esgaré, l'autre chante des vers,
L'un luitte sur le sable, et l'autre à l'escart saute
Et fait bondir la bale, où l'herbe est la moins haute.
Là, Orphée habillé d'un long sourpelis blanc
Contre quelque Laurier se repousant le flanc
Tient sa lyre cornüe, et d'une douce aubade
En rond parmi les prés fait dancer la brigade.
Là, les terres sans art portent de leur bon gré
L'heureuse Panacée, et le rosier pourpré
Fleurit entre les lis, et sur les rives franches
Naissent les beaux oeilletz, et les Paqrettes blanches.
Là, sans jamais cesser, jargonnent les oiseaux
Ore dans un bocage, et ores pres des eaus,
Et en tout saison avec Flore y souspire
D'un souspir eternel le gracieus Zephire.
Là, comme ici n'a lieu fortune ny destin,
Et le soir comme ici ne court vers le matin,
Le matin vers le soir, et comme ici la rage
D'acquerir des honneurs ne ronge leur courage.
Là, le bœuf laboureur, d'un col morne et lassé
Ne reporte au logis le coutre renversé,
Et là le marinier d'avirons n'importune
Chargé de lingos d'or, l'eschine de Neptune,
Mais oisifz dans les prez tousjours boivent du ciel
Le Nectar qui distille, et se paissent de miel.
Là, bienheureux Salel (ayant à la nature
Payé ce que luy doit chacune creature)
Tu vis franc de la mort, et du cruel soucy
Tu te moques là bas, qui nous tormente ici :
Et moi chetif, je vy ! et je traine ma vie
Entre mille douleurs, que la bourrelle Envie
Me suscite à grand tort, de pincemens cuisans
Me faisant le joüét d'un tas de mesdisans
Qui dechirent mon nom, et ma gloire naissante
(Dieus destournés ce mal !) par leur langue mechante.
Ah France, ingrate France, et fault-il recevoir
Tant de derisions, pour faire son devoir ?
Envoye de là bas (mon Salel) je te prie
Pour leur punition quelque horrible Furie,
Qui d'un foüét retors de serpens furieux
Leur frape sans repos et la bouche et les yeux,
Et d'un long repentir leur tourne dedans l'ame
Ici mon innocence, et là le meschant blasme
Qu'ilz commettent vers moy, et frayeur leur donnant
La nuict, de mille horreurs les aille espoinçonnant.
Et toi, Pere vangeur de la simple innocence,
Si j'ay d'un cœur devot suivy des mon enfance
Tes filles, les neuf Sœurs, si je suis coustumier
Tousjours mettre ton nom dans mes vers le premier,
Tonne là hault pour moy, et dardant la tempeste
Escarboille en cent lieus le cerveau de leur teste,
Signe de ta faveur, et ne laisse outrager
Si miserablement les tiens, sans les vanger.

Pierre de Ronsard, Le Bocage (1554)

jeudi 20 décembre 2007 | By: Mickaelus

Epitaphe d'Albert de Ripa, par Ronsard

Albert de Ripa, mort vers 1551, était un musicien italien qui fut au service de deux rois de France, à savoir François Ier puis son fils Henri II.

XI
EPITAFE D'ALBERT,
JOÜEUR DE LUC DU ROI



ENTREPARLEURS : LE PASSANT, ET LE PRESTRE

Pa. Qu'oi-je dans ce tombeau resonner ? Pre. une lyre.
Pa. N'est ce pas celle là qui peut si bien redire
Les chansons d'Apollon, que flatés de sa vois
Tiroit, racine et tous les Rochiers et les bois ?
Et pres de Pierie, ainsi qu'une ceinture
En un rond les serroit sur la pleine verdure ?
Pre. Ce n'est pas celle là. Pa. E laquelle est ce donc ?
Pre. C'est celle là d'Albert, que Phebus au poil blond
Aprist des le berceau, et lui donna la harpe,
Et le Luc le meilleur qu'il mist onc en écharpe,
Si bien qu'apres sa mort son Luc mesmes enclôs
Dedans sa tombe, encor sonne contre ses ôs.
Pa. Je suis esmerveillé que sa lyre premiere
En son art ne flechit la Parque sa meurtriere ?
Pre. Point n'en faut s'ebahir, Orfée qui fut bien
Enfant de Calliope, et du Dieu Cynthien,
Ne la sceut onc flechir, et pour la fois seconde,
D'où plus il ne revint, alla voir l'autre monde.
Pa. Quelle mort le tua ? Pre. Une pierre qui vint
Lui boucher la vecie, et le conduit lui print
En celle part, où l'eau par son canal chemine,
Et tout d'un coup boucha sa vie et son urine.
Pa. Je suis tout esbahi que lui qui flechissoit
Les pierres de son Luc, ne se l'amolissoit.
Pre. Aussi fit il long tans, car durant sa jeunesse
Que ses dois remüoyent d'une agile souplesse,
Et qu'il touchoit le Luc plus viste et mieus à point,
Toujours elle estoit mole, et ne roidissoit point,
Mais quand il devint vieil, et que sa main pesante
S'engourdit sur le Luc à demi languissante,
La pierre d'un cousté dure à ses chans estoit,
Et de l'autre cousté toujours mole restoit,
Comme on voit le coural dessous la mer s'espendre
Endurci d'un cousté, de l'autre cousté tendre.
Cerbere à son passer tient ses gousiers fermés,
Et les Manes des mors par l'oreille charmés,
Oublioient leur travaus, Titye sur la pleine
Aus vautours estendu en oublia sa peine,
Flegyas l'oublia, Sisyfe ne sentoit
Le vain labeur du roc, la roüe s'absentoit
Des membres d'Ixion, et les Sœurs Beleides
Ce jour là tout entier n'eurent leurs cruches vuides,
Et Tantale au meillieu de son troisieme ennui
D'un gousier mal jouieus rit en despit de lui,
Et les horribles Sœurs beantes se dresserent,
Et tomber à leurs piés leurs grans torches laisserent.
Mais quel proufit nous esse, et puis que ceus d'abas
En ont tout le plaisir, et nous ne l'avons pas ?
Or toi quiconque sois, jette lui mile branches
De Laurier sur sa tombe, et mile roses franches,
Et le laisse dormir, et pense qu'aujourd'hui,
Ou peut estre demain, tu seras comme lui.

Pierre de Ronsard, Le Bocage (1554)

mercredi 5 décembre 2007 | By: Mickaelus

Ronsard : poèmes à quelques grands du royaume à la fin de la Nouvelle Continuation des Amours (1556)


46. SONET

A MADAME LA DUCHESSE DE VALENTINOIS

Jean Clouet, Diane de Poitiers

Seray-je seul vivant en France de vostre age
Sans chanter vostre nom si craint & si puissant ?
Diray-je point l'honneur de vostre beau Croissant ?
Feray-je point pour vous quelqu'immortel ouvrage ?
Ne rendra point Anet quelque beau tesmoignage
Qu'autrefois j'ay vescu en vous obeyssant ?
N'iray-je de mes vers tout le monde emplissant,
Celebrant vostre fille, & tout vostre lignage ?
Commandez moi, Diane, & me ferez honneur,
Si de vostre grandeur je deviens le sonneur,
Vous servant de ma muse à vostre nom vouée :
J'ay peur d'estre accusé de la posterité,
Qui tant oyra parler de vostre Deité,
De quoy, moy la voyant, je ne l'auray louée.


47. SONET

A MONSEIGNEUR LE CONNESTABLE

François Clouet (d'après), Le connétable
Anne de Montmorency


Si desormais le peuple en plaisir delectable,
En dances & festins s'esbat en sa maison,
Et si l'Eglise fait à Dieu son oraison,
Sans que Mars trouble plus son devoir charitable :
L'honneur vous en est deu, sage-preux Connestable,
Qui par vostre bon sens, bon conseil, & raison,
Apres avoir de guerre estainte la saison,
Vous donnez à la France un repos souhetable.
Quand on lira les faits de vous, Mommorency,
Vous aurez pour la guerre & pour la paix aussi
Un los, qui toujours vif volera sur la terre :
Mais plus aurez d'honneur pour avoir fait la paix,
Que pour avoir sous vous cent mille hommes deffaits,
D'autant que la paix est meilleure que la guerre.


48. A LUY MESME

L'an est passé, & jà l'autre commence,
Que je travaille à celebrer voz faits,
Et les combats qu'en la guerre avez faits,
Servant le Pere, & le Fils, & la France :
Et toutesfoys vostre grande puissance
Ne m'a du Roy fait sentir les bienfaits,
Et suis contraint de plier sous le fais,
S'il ne vous plaist en avoir souvenance.
Vous plaise donc me rendre ceste année
Mieux que l'autre an ma Muse fortunée,
Pour vous chanter plus que devant encor.
Ainsi tousjours du Roy le bon visage
Vous favorise, ainsi du vieux Nestor
Sain & dispos puissiez vous avoir l'age.


49. SONET

A MONSEIGNEUR LE DUC D'ANJOU


Germain Le Mannier, Charles IX
roi de France (1550-1574)


Croissez, enfant du Roy le plus grand de l'Europe,
Croissez ainsi qu'un lis dans un pré fleurissant,
Alors qu'au poinct du jour tout blanc s'epanissant
Hors de ses beaux boutons ses beaux plis develope :
Croissez, pour tost conduire une guerriere trope
Dessus la mer Tyrrhene, & d'un bras punissant
Tuer ainsi qu'Hercule un Aigle ravissant,
Qui cruel se repaist du coeur de Parthenope.
Cette maison d'Anjou, dont vous portez le nom,
Maison grosse d'honneur, de gloire, & de renom,
Presques dès le berceau aux guerres vous apelle.
Ainsi le Lyonneau, maugré les pastoureaux,
D'un grand Lyon yssu, sortant de la mammelle,
Pour son premier essay combat les grands Toreaux.


50. SONET

AU ROY


François Clouet (d'après), Henri II,
roi de France (1519-1559)


Roy, qui les autres Roys surmontez de courage,
Ne vous excusez plus desormais sur la guerre,
Que vostre ayeul Francus ne vienne en vostre terre,
Qui durant voz combats differoit son voyage.
Apres la guerre il faut qu'on remette en usage
Les Muses & Phebus, & que leur bande asserre
Des chappeaux de Laurier, de Mirthe, & de l'Ierre,
Pour ceux qui vous feront present d'un bel ouvrage.
En guerre il faut parler d'armes & de harnoys :
En tems de paix, d'esbats, de joustes, de tournois,
De nopces, de festins, d'amour, & de la danse :
Et de chercher quelqu'un pour celebrer voz faits :
Car il vaudroit autant ne les avoir point faits,
Si la posterité n'en avoit cognoissance.


51. SONET

A MADAME MARGUERITE, SEUR DU ROY

François Clouet (atelier), Marguerite de France,
duchesse de Berry, puis de Savoie (1523-1574)


Ny du Roy, ny de vous, ny de mon cher Mecene
Je n'ay de quoy me plaindre, aussi je ne m'en plains,
Seulement de Fortune à bon droit me complains,
Qui ose de vous trois triompher de la peine.
Mais d'où vient que tousjours, douce mere, elle ameine
Des biens aux hommes sots, inutiles, & vains ?
Et que les bons esprits volontiers sont contraints
De la nommer tousjours leur marâtre inhumaine ?
Contre son impudence un espoir me conforte,
C'est qu'elle, qui sans cesse en tous lieux se pourmeine,
Viendra sans y penser, quelque jour à ma porte,
Et maugré qu'elle en ait me sera plus humaine :
Car je suis asseuré qu'elle n'est assez forte
Pour seule veincre un Roy, et vous, et mon Mecene.


52. SONET

A MONSEIGNEUR LE REVERENDISSIME
CARDINAL DE LORREINE


François Clouet, Charles,
cardinal de Lorraine


Delos ne reçoit point d'un si joyeux visage
Apollon, qui revient de Delphes ou de Patere,
Annoncer les secrets de Juppiter son pere,
Quand au bout de six mois il a fait son voiage :
Comme toute la France, apres vostre message,
Joyeuse vous reçoit, vous estime & revere :
S'eba[ï]ssant de voir vostre front si severe,
Si prudent, & si vieil, en la fleur de vostre age.
Apollon et vous seul sçavez interpreter,
L'un les segrets d'un Roy, l'autre de Juppiter :
L'un craint au ciel, & l'autre en la terre habitable :
Tant seulement d'un point vous differez tous deux,
C'est qu'Apollon souvent est obscur & douteux,
Et vous estes tousjours certain & veritable.


53. ODE

A MONSEIGNEUR LE REVERENDISSIME
CARDINAL DE CHASTILLO
N

François Clouet, Odet de Coligny,
Cardinal de Chatillon


Mais d'où vien[t] cela, mon odet ?
Si de fortune par la rue
Quelque courtisan je salue
Ou de la voix, ou du bonnet,
Ou d'un clin d'oeil tant seulement,
De la teste, ou d'un autre geste,
Soudain par serment il proteste
Qu'il est à mon commandement :
Soit qu'il me trouve chez le Roy,
Soit que j'y entre, ou que j'en vienne,
Il met sa main dedans la mienne,
Et jure qu'il est tout à moy :
Il me promet montaignes d'or,
La mer d'or, & toute son onde,
Et si plus grande bourde au monde
Se trouve, il la promet encor'.
Mais quand un affaire de soing
Me presse à luy faire requeste,
Tout soudain il tourne la teste,
Et me delaisse à mon besoing :
Et si je veux le r'aborder
Ou l'acoster en quelque sorte,
Mon courtisan passe une porte
Et ne daigne me regarder :
Et plus je ne luy suis cogneu,
Ny mes vers, ny ma Poësie,
Non plus qu'un estrange d'Asie,
Ou quelqu'un d'Afrique venu.
Mais vous, mon support gracieux,
Mon appuy, mon Prelat, que j'ayme
Mille foys plus, ny que moymesme,
Ny que mon cœur, ny que mes yeux :
Vous ne m'en faittes pas ainsi,
Car si quelque affaire me presse,
Librement à vous je m'adresse,
Qui de mon fait avez soucy :
Vous avez soing de mon honneur,
Et voulez que mon bien prospere,
M'aymant tout ainsi qu'un doux pere,
Et non comme un rude seigneur :
Sans me promettre ces grand mons,
Ny ces grans mers d'or ondoyantes :
Car telles bourdes impudentes
Sont indignes des Chastillons :
La raison (Prelat) je l'entends,
C'est que vous estes veritable,
Et non Courtisan variable,
Qui sert aux faveurs & au temps.


54. ODE

A LA ROYNE D'ESCOSSE


Calixte Serrur, Marie Stuart

O belle & plus que belle & agreable Aurore,
Qui avez delaissé vostre terre Escossoise
Pour venir habiter la region Françoise
Qui de vostre clarté maintenant se decore.
Si j'ay eu cet honneur d'avoir quitté la France
Vogant dessus la mer pour suivre vostre Pere,
Si loing de mon païs, de freres & de mere,
J'ay dans le vostre usé trois ans de mon enfance :
Prenez ces vers en gré, Royne, que je vous donne
Pour fuyr d'un ingrat le miserable vice,
D'autant que je suis né pour faire humble service
A vous, à vostre terre, & à vostre couronne.


Pierre de Ronsard, Nouvelle Continuation des Amours (1556) [dans Les Amours]

lundi 19 novembre 2007 | By: Mickaelus

Sonnets de Ronsard pour la naissance du fils aîné d'Antoine de Bourbon

Dans Les Amours, recueil poétique de sonnets amoureux d'inspiration pétrarquiste et platonicienne (mais où la sensualité voire l'érotisme sont loin d'être absents), on ne peut pas dire que Ronsard fasse beaucoup référence à la France (sinon parfois à son domaine de manière poétique) comme ce pourra être le cas dans ses dernières années, ce qui est normal puisque le prince des poètes vit alors les belles années de la Renaissance sous Henri II, tout dévoué qu'il est à sa Cassandre comme Pétrarque pouvait l'être à sa Laure. Toutefois, on peut tout de même remarquer par exemple ces deux sonnets écrits à l'occasion de la naissance du fils aîné d'Antoine de Bourbon, duc de Vendôme et suzerain des Ronsard. Ce fils, l'aîné du futur Henri IV, ne vivra malheureusement que deux ans.


Léonard Limosin, Antoine de Bourbon,
roi de Navarre (1518-1562),
père de Henri IV, miniature (émaillerie)


199

Que Gâtine ait tout le chef jaunissant
De maint citron & mainte belle orenge,
Que toute odeur de toute terre étrange
Aille par tout nos plaines remplissant.
Le Loir soit lait, son rampart verdissant,
En un tapis d'esmeraudes se change,
Et le sablon, qui dans Braie se range,
D'arenes d'or soit par tout blondissant.
Pleuve le ciel des parfums & des roses,
Soient des grans vens les aleines encloses,
La mer soit calme, & l'aer plein de bon heur :
Voici le jour, que l'enfant de mon maître,
Naissant au monde, au monde a fait renaitre,
La foi premiere & le premier honneur.

200

Jeune Herculin, qui dès le ventre saint
Fus destiné pour le commun service :
Et qui naissant rompis la teste au vice
De ton beau nom dedans les astres peint :
Quand l'age d'homme aura ton coeur atteint,
S'il reste encor quelque trac de malice,
Le monde adonc ploié sous ta police
Le pourra voir totalement estaint.
Encependant croîs, enfant, & prospere,
Et sage, apren les haus faits de ton pere,
Et ses vertus, & les honneurs des Rois.
Puis autre Hector, tu courras à la guerre,
Autre Jason, tu t'en iras conquerre,
Non la toison, mais les chams Navarrois.

Pierre de Ronsard, Les Amours (1552)