mercredi 5 décembre 2007 | By: Mickaelus

Ronsard : poèmes à quelques grands du royaume à la fin de la Nouvelle Continuation des Amours (1556)


46. SONET

A MADAME LA DUCHESSE DE VALENTINOIS

Jean Clouet, Diane de Poitiers

Seray-je seul vivant en France de vostre age
Sans chanter vostre nom si craint & si puissant ?
Diray-je point l'honneur de vostre beau Croissant ?
Feray-je point pour vous quelqu'immortel ouvrage ?
Ne rendra point Anet quelque beau tesmoignage
Qu'autrefois j'ay vescu en vous obeyssant ?
N'iray-je de mes vers tout le monde emplissant,
Celebrant vostre fille, & tout vostre lignage ?
Commandez moi, Diane, & me ferez honneur,
Si de vostre grandeur je deviens le sonneur,
Vous servant de ma muse à vostre nom vouée :
J'ay peur d'estre accusé de la posterité,
Qui tant oyra parler de vostre Deité,
De quoy, moy la voyant, je ne l'auray louée.


47. SONET

A MONSEIGNEUR LE CONNESTABLE

François Clouet (d'après), Le connétable
Anne de Montmorency


Si desormais le peuple en plaisir delectable,
En dances & festins s'esbat en sa maison,
Et si l'Eglise fait à Dieu son oraison,
Sans que Mars trouble plus son devoir charitable :
L'honneur vous en est deu, sage-preux Connestable,
Qui par vostre bon sens, bon conseil, & raison,
Apres avoir de guerre estainte la saison,
Vous donnez à la France un repos souhetable.
Quand on lira les faits de vous, Mommorency,
Vous aurez pour la guerre & pour la paix aussi
Un los, qui toujours vif volera sur la terre :
Mais plus aurez d'honneur pour avoir fait la paix,
Que pour avoir sous vous cent mille hommes deffaits,
D'autant que la paix est meilleure que la guerre.


48. A LUY MESME

L'an est passé, & jà l'autre commence,
Que je travaille à celebrer voz faits,
Et les combats qu'en la guerre avez faits,
Servant le Pere, & le Fils, & la France :
Et toutesfoys vostre grande puissance
Ne m'a du Roy fait sentir les bienfaits,
Et suis contraint de plier sous le fais,
S'il ne vous plaist en avoir souvenance.
Vous plaise donc me rendre ceste année
Mieux que l'autre an ma Muse fortunée,
Pour vous chanter plus que devant encor.
Ainsi tousjours du Roy le bon visage
Vous favorise, ainsi du vieux Nestor
Sain & dispos puissiez vous avoir l'age.


49. SONET

A MONSEIGNEUR LE DUC D'ANJOU


Germain Le Mannier, Charles IX
roi de France (1550-1574)


Croissez, enfant du Roy le plus grand de l'Europe,
Croissez ainsi qu'un lis dans un pré fleurissant,
Alors qu'au poinct du jour tout blanc s'epanissant
Hors de ses beaux boutons ses beaux plis develope :
Croissez, pour tost conduire une guerriere trope
Dessus la mer Tyrrhene, & d'un bras punissant
Tuer ainsi qu'Hercule un Aigle ravissant,
Qui cruel se repaist du coeur de Parthenope.
Cette maison d'Anjou, dont vous portez le nom,
Maison grosse d'honneur, de gloire, & de renom,
Presques dès le berceau aux guerres vous apelle.
Ainsi le Lyonneau, maugré les pastoureaux,
D'un grand Lyon yssu, sortant de la mammelle,
Pour son premier essay combat les grands Toreaux.


50. SONET

AU ROY


François Clouet (d'après), Henri II,
roi de France (1519-1559)


Roy, qui les autres Roys surmontez de courage,
Ne vous excusez plus desormais sur la guerre,
Que vostre ayeul Francus ne vienne en vostre terre,
Qui durant voz combats differoit son voyage.
Apres la guerre il faut qu'on remette en usage
Les Muses & Phebus, & que leur bande asserre
Des chappeaux de Laurier, de Mirthe, & de l'Ierre,
Pour ceux qui vous feront present d'un bel ouvrage.
En guerre il faut parler d'armes & de harnoys :
En tems de paix, d'esbats, de joustes, de tournois,
De nopces, de festins, d'amour, & de la danse :
Et de chercher quelqu'un pour celebrer voz faits :
Car il vaudroit autant ne les avoir point faits,
Si la posterité n'en avoit cognoissance.


51. SONET

A MADAME MARGUERITE, SEUR DU ROY

François Clouet (atelier), Marguerite de France,
duchesse de Berry, puis de Savoie (1523-1574)


Ny du Roy, ny de vous, ny de mon cher Mecene
Je n'ay de quoy me plaindre, aussi je ne m'en plains,
Seulement de Fortune à bon droit me complains,
Qui ose de vous trois triompher de la peine.
Mais d'où vient que tousjours, douce mere, elle ameine
Des biens aux hommes sots, inutiles, & vains ?
Et que les bons esprits volontiers sont contraints
De la nommer tousjours leur marâtre inhumaine ?
Contre son impudence un espoir me conforte,
C'est qu'elle, qui sans cesse en tous lieux se pourmeine,
Viendra sans y penser, quelque jour à ma porte,
Et maugré qu'elle en ait me sera plus humaine :
Car je suis asseuré qu'elle n'est assez forte
Pour seule veincre un Roy, et vous, et mon Mecene.


52. SONET

A MONSEIGNEUR LE REVERENDISSIME
CARDINAL DE LORREINE


François Clouet, Charles,
cardinal de Lorraine


Delos ne reçoit point d'un si joyeux visage
Apollon, qui revient de Delphes ou de Patere,
Annoncer les secrets de Juppiter son pere,
Quand au bout de six mois il a fait son voiage :
Comme toute la France, apres vostre message,
Joyeuse vous reçoit, vous estime & revere :
S'eba[ï]ssant de voir vostre front si severe,
Si prudent, & si vieil, en la fleur de vostre age.
Apollon et vous seul sçavez interpreter,
L'un les segrets d'un Roy, l'autre de Juppiter :
L'un craint au ciel, & l'autre en la terre habitable :
Tant seulement d'un point vous differez tous deux,
C'est qu'Apollon souvent est obscur & douteux,
Et vous estes tousjours certain & veritable.


53. ODE

A MONSEIGNEUR LE REVERENDISSIME
CARDINAL DE CHASTILLO
N

François Clouet, Odet de Coligny,
Cardinal de Chatillon


Mais d'où vien[t] cela, mon odet ?
Si de fortune par la rue
Quelque courtisan je salue
Ou de la voix, ou du bonnet,
Ou d'un clin d'oeil tant seulement,
De la teste, ou d'un autre geste,
Soudain par serment il proteste
Qu'il est à mon commandement :
Soit qu'il me trouve chez le Roy,
Soit que j'y entre, ou que j'en vienne,
Il met sa main dedans la mienne,
Et jure qu'il est tout à moy :
Il me promet montaignes d'or,
La mer d'or, & toute son onde,
Et si plus grande bourde au monde
Se trouve, il la promet encor'.
Mais quand un affaire de soing
Me presse à luy faire requeste,
Tout soudain il tourne la teste,
Et me delaisse à mon besoing :
Et si je veux le r'aborder
Ou l'acoster en quelque sorte,
Mon courtisan passe une porte
Et ne daigne me regarder :
Et plus je ne luy suis cogneu,
Ny mes vers, ny ma Poësie,
Non plus qu'un estrange d'Asie,
Ou quelqu'un d'Afrique venu.
Mais vous, mon support gracieux,
Mon appuy, mon Prelat, que j'ayme
Mille foys plus, ny que moymesme,
Ny que mon cœur, ny que mes yeux :
Vous ne m'en faittes pas ainsi,
Car si quelque affaire me presse,
Librement à vous je m'adresse,
Qui de mon fait avez soucy :
Vous avez soing de mon honneur,
Et voulez que mon bien prospere,
M'aymant tout ainsi qu'un doux pere,
Et non comme un rude seigneur :
Sans me promettre ces grand mons,
Ny ces grans mers d'or ondoyantes :
Car telles bourdes impudentes
Sont indignes des Chastillons :
La raison (Prelat) je l'entends,
C'est que vous estes veritable,
Et non Courtisan variable,
Qui sert aux faveurs & au temps.


54. ODE

A LA ROYNE D'ESCOSSE


Calixte Serrur, Marie Stuart

O belle & plus que belle & agreable Aurore,
Qui avez delaissé vostre terre Escossoise
Pour venir habiter la region Françoise
Qui de vostre clarté maintenant se decore.
Si j'ay eu cet honneur d'avoir quitté la France
Vogant dessus la mer pour suivre vostre Pere,
Si loing de mon païs, de freres & de mere,
J'ay dans le vostre usé trois ans de mon enfance :
Prenez ces vers en gré, Royne, que je vous donne
Pour fuyr d'un ingrat le miserable vice,
D'autant que je suis né pour faire humble service
A vous, à vostre terre, & à vostre couronne.


Pierre de Ronsard, Nouvelle Continuation des Amours (1556) [dans Les Amours]