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vendredi 13 novembre 2009 | By: Mickaelus

Remontrance au peuple français, de son devoir en ce temps envers la majesté du Roi (1559), par Guillaume Des Autels


S'il m'advient derechef, France, comme autrefois,
Que d'un vers lamentable, et d'une molle voix
Pour néant je te veuille assourdir les oreilles,
Chantant les passions, et douleurs nonpareilles
D'un cœur brûlé d'Amour, qu'un jeune souci point :
Je suis content que lors tu ne m'écoutes point.
Si par une affectée, et douce mignardise
Flattant tes mœurs, le vice en vertu je déguise :
Et traître à ton honneur, je te veuille inviter
A ce que je te dois conseiller d'éviter :
Si après un Timon par audace maline
Je mords le nom d'autrui d'une dent Theonine,
Envieux au travail des plus gentils esprits :
Refuse-moi l'honneur d'oeillader mes écrits.

Mais puisque maintenant pour ton seul bien je veille :
Et que ton seul devoir, FRANCE, je te conseille :
Je te prie, mon pays, de ne me débouter :
Mais, ô mon cher pays, je te prie m'écouter.
Ne te fais point accroire être cas peu honnête,
De prêter ton oreille à la voix d'un Poète :
Car les Poètes sont favorisés des Cieux :
Et aux hommes d'en bas sont truchements des Dieux.
Des Poètes jadis l'antique sapience
Mit entre le public et privé différence,
Le profane et sacré d'ensemble divisa,
Du mariage feint première l'avisa,
La licence rompit des vagabondes noces,
Assembla les cités, bâtit les villes grosses,
Elle prophétisa, elle fit dans le bois
Dans la pierre, et l'airain graver les saintes lois.
Le Thracien Orphée apaisa les courages
Par ses vers admirés, des hommes lors sauvages,
Il les fit hors des bois par son doux prêchement
Ensemble tous d'accord vivre civilement.
C'est la raison pourquoi l'on dit les forêts mêmes,
L'avoir suivi au son de ses divins poèmes :
Et avoir adouci le Tigre, et le Lion.
Voilà pourquoi aussi l'on a dit, qu'Amphion
Par le son de sa lyre, et par prière humaine
Les pierres assembla de la ville thébaine.
Mais jadis les vaillants Lacédémoniens
Surent à votre dam, peuples mycéniens,
Combien peut le Poète, et quel courage baille
Un bon vers aux soldats le jour d'une bataille.
Or sus donc, mon pays, sus donc, écoute-moi,
Apprends combien tu es redoutable à ton Roi.

Si un Scythe barbare, et plein de félonie,
Étendait jusqu'ici sa fière tyrannie
(Que détournent les Dieux de l'empire gaulois)
Si faudrait-il pourtant obéir à ses lois
Le servir, l'adorer, offrir à sa requête
Non seulement les biens, mais encore la tête :
Là, malgré nous, faudrait notre vouloir ranger
De subir l'appétit d'un vilain étranger :
Mais il ne plaît à Dieu : notre bon Dieu nous aime :
Qui en FRANCE régner ne fait qu'un Français même.
Le Roi que nous avons est fils de ces Rois-là
Que nos pères ont eus : le Royaume qu'il a
Ses aïeux l'ont tenu : et toutes les richesses,
O peuple, que tu as, viennent de leurs largesses :
Ils ont pour ta sûreté enceint de toutes parts
Tes villes de fossés, de murs, et de remparts :
Tu as d'eux tous tes ports, tes temples, tes collèges,
Toutes tes libertés, et tous tes privilèges.
Et si te peux vanter, FRANCE, que tu n'es pas
Gouvernée par Rois descendus d'un lieu bas,
Et de la terre enfants, car au monde il ne reste
Plus des enfants des Dieux et leur race céleste,
Que nos Princes issus du sang hectorien,
Mêlé jadis en Gaule au sang herculéen :
Race toujours des Dieux très chèrement aimée,
Et du saint nom de Christ très chrétienne nommée :
Qui a eu la faveur d'avoir, du don des cieux,
Les saintes fleurs de lys, et l'onguent précieux
Qui oint tes Rois sacrés, le pouvoir admirable
De rendre guérison à un mal incurable
Par le seul attoucher de leur mains, et encor
L'effroi des Sarrasins, l'enseigne aux flammes d'or.

Qui s'osera vanter de tous les Rois étranges,
D'avoir vu en sa cour ambassades des anges ?
Par lesquels du haut ciel, Sa sainte maison, Dieu
A transmis ses présents jusques en ce bas lieu :
Pour au monde montrer, que c'est Lui qui a cure
De l'empire de Gaule, et veut que plus il dure
Que ces vieux renommés, soit des Assyriens,
Des Mèdes, des Persans, des Macédoniens,
Et de ceux qui encore aujourd'hui veulent dire
Que pour le moins le nom leur reste d'un empire.
Le tiens FRANCE est dernier, et le plus florissant :
Car ainsi que tu vois en ton fatal croissant
Deux cornes plus en plus étendre sa lumière,
Tant qu'il se soit parfait en sa rondeur entière :
Un semblable cours a le règne des Gaulois,
Qui l'Espagnol menace, et menace l'Anglais,
De deux cornes, l'une est en l'Océan baignée,
L'autre heurte le front du grand mont Pyrénées :
Son mi-rond tient depuis le rivage marin
Ce que Garonne lave, et la Seine, et le Rhin,
Défia bien élargi aux fertiles campagnes,
Que l'on laboure au pied des chenues montagnes :
Ou au peuple togé l'antique nom revient,
Qui depuis Rubicon jusqu'aux Alpes se tient :
Et va toujours croissant, tant que sa forme ronde
Embrasse entièrement tout l'empire du monde.

Or ne pense point, FRANCE, être mieux fortunés
Ceux, qui sont autrement que par Rois gouvernés :
Soit que du peuple y soit la tourbe autorisée,
Par laquelle est toujours la raison méprisée :
Ou que le pouvoir soit aux mains des grands seigneurs
L'un sur l'autre envieux des biens et des honneurs :
Enfin telle commune est toujours ruinée
Non par autre que soi contre soi mutinée :
Tu l'as bien effrayé, peuple cecropien,
Et la race d'Enée en témoignerait bien.

La Royauté n'est point seulement la plus belle
Forme de gouverner, mais seule est naturelle.
Un seul Dieu le premier tout ce monde conduit :
Un seul Soleil au ciel sur tous les astres luit :
Le cœur en notre corps tous les membres adresse :
Et la seule raison en notre âme est maîtresse.
Vois les mouches à miel (si l'on peut par raison
Faire d'un petit fait une grande comparaison)
Comme elles ont un Roi, qui de sa gent petite
Est craint et obéi autant qu'un Roi d'Égypte,
Que le Sophi de Perse, ou le Seigneur qui prend
Au monde maintenant seul le titre de grand,
Toutes il les gouverne, et garde leur ouvrage :
Toutes lui font honneur révérence et hommage,
L'accompagnent partout, le portent bien souvent,
Pour le garder des coups se mettent au devant
Quant elles font la guerre : et par plaie cruelle
En servant à leur Roi, cherchent une mort belle.

Ainsi, FRANCE, tu as envers ton chef Royal
Toujours eu jusqu'ici le courage loyal :
Et de tes Princes a fait croître la puissance
Par ton fidèle amour, et ton obéissance.
Aussi de leurs travaux la gloire leur suffit :
Toujours ils t'ont laissé pour ta part le profit :
Soit qu'outre l'Apennin, et les Alpes chenues,
Ils aient déployé leurs enseignes connues :
Soit que delà le Rhin leur armée ait esté :
Soit que le saint pays ils aient conquesté,
Ou la divine voix fut ouïe, et non crue,
Et où d'Euphrate l'eau et de Jourdain est bue :
Qu'ils aient chassé ceux de l'île d'Albion,
Jusqu'aux dernières fins du froid Septentrion :
Soit qu'en la terre, où gît la chaste Parthénope,
Ils aient commandé : ou que passant l'Europe
Devers Soleil couchant, ils aient fait le gain
Par faits chevaleresques du pays africain.
Ou que des Espagnols, les bandes obstinées
Ils aient repoussé delà leurs Pyrénées :
Tes Princes seulement ont été triomphants,
La dépouille a été à toi et tes Enfants.
Et quand leurs ennemis tenus coi par la crainte,
Ce sont faits quelquefois amis (amis par feinte)
Et pour n'avoir moyen de la guerre à propos,
T'ont, ô FRANCE, laissé jouir d'un doux repos :
Mon Dieu quel soin ont pris nos débonnaires Princes
De chasser pauvreté de toutes leurs provinces !
Les nobles ils ont fait monter aux grands honneurs,
Les faisant en leurs cours et pays gouverneurs,
De leurs rentes ils ont enrichi les églises,
Ils ont ouvert le cours à toutes marchandises,
Ils ont aux magistrats choisi les plus savants,
Les pauvres gens sans nom de leur travail vivant
Ils ont pris en leur garde : et t'ont donné, ô FRANCE,
Remplie de tous biens la corne d'Abondance.

Ici par moi Francus ne te sera loué,
Ni Pharamond aussi, Clovis, ni Mérovée,
Ni tous ces bons vieux Rois, dont nous n'avons mémoire
Sinon par le rapport que nous en fait l'histoire :
Ailleurs de leur honneur mes vers seront ouïs,
Des huit Charles encore, et des douze Louis :
Mais de ce grand François la clémence royale,
Avec la majesté aux plus grands Dieux égale,
Qui en l'amour de toi surmonta ses aïeux,
Encor représenter se peut devant tes yeux.
HENRI non seulement au sceptre lui succède :
Mais à la vertu sainte : et en tous deux l'excède.
Tu sais que de son règne, à son avènement,
La tranquille Paix fut l'heureux commencement :
Et combien qu'il connut que la sanglante guerre
Devait de son renom emplir toute la terre,
Et qu'en l'oisif repos son honneur flétrissait :
Toutefois, pour ton bien, la Paix il chérissait :
Ou connaître l'on peut, que ce qui plus lui plaise,
C'est la tranquillité de ses peuples, et l'aise.
Mais cependant qu'il est de ton repos ami :
L'audace vaine croît au cœur de l'ennemi :
Qui, possible, d'avoir affaire se présume
A un Sardanapale endormi en la plume.
Comme un matin voyant un sanglier dans le bois,
Qu'il prend pour autre porc, l'irrite avec abois :
Et s'attachant à lui de légères offenses,
Ne prend pas mal quand garde aux terribles défenses :
Mais pense qu'il ne sait rien sinon se coucher
Paresseux en la fange, et de la gland mâcher.
Le sanglier âpre à voir lors sa colère émue,
Enrage de combattre avec sa dent crochue,
Sa blanche dent, laquelle il aiguise, et qui sort
Bien avant hors la bouche, et qui porte la mort :
Il a tout écumeux le groin, et de malice
Sur le col et le dos tout le poil lui hérisse :
Au feu resplendissant semblent ses ardents yeux :
Puis courbe, et de travers se rue audacieux
Sur le chien ja fendu : qui finissant sa vie,
Par un tard repentir accuse sa folie.
Ainsi nos ennemis voyant que notre Roi
Les armes dédaignait : et pour l'amour de toi
Paisible, et seulement soigneux de la justice,
Et de mœurs, et de lois, reformait ta police :
D'un conseil imprudent, ont irrité le cœur
D'un Roi, qui de tous Rois doit être le vainqueur :
Dont ils ont rapporté à la fin de leur compte
La tarde repentance, et la perte et la honte.
Parme, La Mirandole, et Sienne, et plus loin
Ton Tibre même, Rome, en servent de témoin :
Témoin en soit le Rhin et l'Allemagne toute
Qui en mer ni en terre autre Roi ne redoute :
J'en appelle à témoin le bon peuple écossois :
(Le peuple maintenant du jeune Roi FRANÇOIS)
Le Milannais sait bien combien grande est sa force :
Si fait le Genevois déchassé hors de Corse :
En Flandre ne sera jamais anéanti
Ni de Mariembourg l'honneur, ni de Renty :
Metz pris et défendu, et Calais notre ville
Française derechef, et Guine, et Thionville
Témoignent son honneur. Il est vrai qu'il a pris,
Peuple, il a pris égard à tes larmoyants cris :
Qui lui ont fait lâcher hors des mains sa victoire,
Et couper le chemin à sa plus grande gloire :
Pour ramener la paix que tu désires tant,
Mettre fin à tes maux, et te rendre content.
Ce grand Charles lequel la doctrine, et sagesse,
La grandeur de la race, et du cœur la hautesse,
L'admirable éloquence, et le sacré chapeau,
Et toutes vertus font un miracle nouveau,
Tel que nous confessons jamais n'avoir pu être
Jusqu'ici, et jamais après ne pouvoir naître :
C'est lui, que notre Roi a voulu envoyer
Couronné d'un Rameau du paisible olivier,
Consentir à la paix qu'on lui a demandée :
Tant ton utilité lui est recommandée.
Et du Roi le fidèle Achate y est aussi,
De FRANCE le Nestor, le preux Montmorency,
Auquel faire ne peut la fortune décroître
La vertu, ni l'honneur, ni l'amour de son maître.
Quelle condition peuple (comme tu sais)
A refusé ton Roi, pour te donner la Paix ?
Combien a-t-il voulu, pour à tes vœux complaire,
Quitter de son bon droit ? que n'a-t-il voulu faire ?

Si quelques peuples sont (ayant les yeux bandés
D'une présomption) si fort outrecuidés :
Qu'ils méprisent le bien de cette heure opportune,
Pour se recommander aux vents de la fortune :
(Combien qu'un bon espoir soit encore avec nous,
Que PHILIPPE s'il est, comme on dit, sage et doux,
Connaîtra qu'il ne peut avoir une alliance
Digne de sa grandeur, en autre lieu qu'en France :
Et si l'occasion il laisse ore échapper
Pour néant par derrière la voudra-t-il happer.)
Si l'Anglais fier (te dis-je) ou autre, ne machine,
FRANCE, que te détruire, et rien que ta ruine,
Rien que son indigence assouvir de tes biens,
Rien qu'arroser la terre avec le sang des tiens,
Et faire, par l'ardeur des flammes enragées,
En cendre convertir tes villes saccagées :
Peuple s'il te vaut mieux attendre lâchement
La malheureuse fin d'un tel événement :
Que d'aller au devant, et lui porter en face
A lui-même, le mal duquel il te menace.
Le mal que recevra celui, qui obstiné
Te voudra faire guerre : ainsi est destiné :
C'est un arrêt fatal, et trop seront légères,
Pour y contrevenir, les forces étrangères :
Si tu n'y contreviens toi-même, en refusant
Ton devoir à toi-même, à toi-même nuisant.
Peuple tu dois penser, qu'un si grief soin ne pique
Notre bon Roi sinon pour ton profit public :
S'il n'avait autre soin que de son seul plaisir,
Sans peine il le pourrait, tout à son gré, choisir :
Il ne lui faudrait point, sous un harnois brûlant,
Souffrir la griève ardeur d'un été trop bouillant :
Ni d'un trop âpre hiver sentir la griève injure :
Mais, ô FRANCE, l'ennui, tout l'ennui qu'il endure,
FRANCE, tout est pour toi, comme d'un cher enfant
Le père a si grand soin : que plus il le défend
Et que son propre corps, et que sa propre vie :
Et pour le secourir ses affaires oublie :
Ainsi un Roi, un Roi, FRANCE, tel que le tien,
De son peuple a souci plutôt que de son bien :
Car en se faisant Roi, il charge ses épaules,
Ainsi qu'Atlas du ciel, de tous le soin de Gaule.
Tu as, FRANCE, tu as encore les moyens
Pour tenir contre tous, tu es riche de biens :
Craindras-tu maintenant pour ton Roi les dépendre ?
Que dis-je pour ton Roi ? mais bien pour te défendre ?
Et qu'en ferait le Roi qui seul en eût besoin ?
L'ardente affection que tu as, et le soin
De sa grandeur, te peut inciter le courage,
A ne craindre pour lui ni la mort, ni dommage.
Encor est avec toi ce Duc victorieux
Duquel l'honneur luisant et le nom glorieux
Les siècles à venir ne verront point éteindre :
Et lequel étant sauf, il ne te faut rien craindre,
Ce grand Prince Lorrain. Et puis en tes dangers
Et princes tu auras, et peuples étrangers
Plus prêts à ton secours, que toi à la requête :
Il faut que seulement ta volonté soit prête.
Mais en faut-il douter ? Ja les trompettes j'oy
Et tambourins sonner, ja reluire je voys
Les armes, et harnois, mon Dieu que d'étendards
Je vois ja déployés ! mon Dieu que de soudards !
Hé quelle infanterie, hé quels braves gendarmes,
Tous à combattre prêts, tous requièrent les armes.
Ce grand Roi persan, qui d'hommes assembla
Tant et tant de milliers, et sous lequel trembla
Toute la terre, alors qu'il effraya la Grèce,
N'avait point si bel ost que celui qui se dresse :
Mais je loue sur toutes les bonnes volontés
Des peuples que je vois venir de tous côtés
Offrir et vie et biens à la grandeur royale.
Or tant que tu seras, ma FRANCE, si loyale
Dieu toujours t'aidera : car à Dieu tout-puissant
Rien n'est qui plaise plus, qu'un peuple obéissant,
Et qui envers son Prince est de loyal courage :
Le très-bon très-grand Dieu rien ne hait davantage
Qu'un peuple déloyal aux Princes : car le lieu
Ils nous tiennent, et sont comme images de Dieu.
Par ce moyen tu peux la douce paix acquerre :
Et par ce seul moyen chasser dehors la guerre.
Quand l'ennemi saura quel bon devoir tu fais,
Lui-même nous tendra le vert rameau de Paix :
Sachant que nulle force a pouvoir d'effroyer
Un peuple si loyal qui sait bien guerroyer.
Alors tu recevras l'heureuse récompense
De ton Prince, qui prend mieux garde qu'on ne pense
Au bon vouloir des siens, et sait bien regarder
Qui prompt à son service a voulu moins tarder.
Encor le Roi Dauphin duquel si grand sagesse
Ressemble à un prodige en si tendre jeunesse,
De ce bon vouloir tien, toujours se souviendra
Et un jour à tes fils au double le rendra.


Note : j'ai modernisé l'orthographe, tout en conservant la ponctuation et un peu du vocabulaire original, inconnu en français moderne, notamment par fidélité à certains rythmes et à certaines rimes.


Guillaume Des Autels, Remonstrance au peuple françoys de son devoir en ce temps envers la majesté du roy (1559)

samedi 7 novembre 2009 | By: Mickaelus

Elégie sur les troubles d'Amboise (1560), par Ronsard


A Guillaume Des Autels gentilhomme charrolois


Des Autelz, que la loy, et que la rethoricque
Et la Muse cherist comme son filz unicque,
Je suis esmerveillé que les grandz de la Court
(Veu le temps orageux qui par l'Europe court)
Ne s'arment les costez d'hommes qui ont puissance
Comme toy de plaider leurs causes en la France,
Et revenger d'un art par toy renouvellé
Le sceptre que le peuple a par terre foulé.
Ce n'est pas aujourd'huy que les Rois et les Princes
Ont besoing de garder par armes leurs provinces,
Il ne faut acheter ny canons, ny harnois,
Mais il fault les garder seulement par la voix,
Qui pourra dextrement de la tourbe mutine
Appaiser le courage et flatter la poictrine :
Car il fault desormais deffendre noz maisons,
Non par le fer trenchant mais par vives raisons,
Et courageusement noz ennemis abbatre
Par les mesmes bastons dont ils nous veullent battre.
Ainsi que l'ennemy par livres a seduict
Le peuple devoyé qui faucement le suit,
Il fault en disputant par livres le confondre,
Par livres l'assaillir, par livres luy respondre,
Sans monstrer au besoing noz courages failliz,
Mais plus fort resister plus serons assailliz.

Si ne voy-je pourtant personne qui se pousse
Sur le haut de la breche et l'ennemy repousse,
Qui brave nous assault, et personne ne prend
La picque, et le rempart brusquement ne deffend :
Les peuples ont recours à la bonté celeste,
Et par priere à Dieu recommandent le reste,
Et sans jouer des mains demeurent ocieux :
Cependant les mutins se font victorieux.

Carles et toy et moy, seulz entre cent mille hommes
Que la France nourrist, opposez nous y sommes,
Et faisant de nous trois paroistre la vertu,
D'un magnanime cueur nous avons combatu,
Descouvrant l'estomac aux playes honorables,
Pour soustenir l'Église, et ses loix venerables,
Et celles du païs auquel nous sommes nez,
Et pour l'ayde duquel nous sommes ordonnez.

Durant la guerre à Troye, à l'heure que la Grece
Pressoit contre les murs la Troyenne jeunesse,
Et que le grand Achille empeschoit les ruisseaux
De porter à Thetis le tribut de leurs eaux,
Ceux qui estoyent dedans la muraille assiegée,
Ceux qui estoyent dehors dans le port de Sigée,
Failloyent egallement : mon Desautels, ainsi
Noz ennemis font faulte et nous faillons aussy.

Ils faillent de vouloir renverser nostre empire,
Et de vouloir par force aux Princes contredire,
Et de presumer trop de leur sens orgueilleux,
Et par songes nouveaux forcer la loy des vieulx :
Ils faillent de laisser le chemin de leurs peres,
Pour ensuyvre le train des sectes etrangeres :
Ilz faillent de semer libelles et placars,
Plains de derisions, d'envye, et de brocars,
Diffamans les plus grandz de nostre court Royalle,
Qui ne servent de rien qu'à nourrir un scandale :
Ils faillent de penser que tous soyent aveuglez,
Que seulz ils ont des yeux, que seulz ils sont reiglez,
Et que nous fourvoyez ensuyvons la doctrine
Humaine et corrompue, et non pas la divine :
Ilz faillent de penser qu'à Luther seulement
Dieu se soit apparu, et generalement
Que depuis neuf cens ans l'Église est depravée,
Du vin d'ipochrisie à longs traictz abreuvée,
Et que le seul escrit d'un Bucere vaut mieux,
D'un Zvingle, ou d'un Calvin (hommes seditieux),
Que l'accord de l'Église, et les statuz de mille
Docteurs, poussez de Dieu, convocquez au concile :
Que faudroit-il de Dieu desormais esperer,
Sy luy doux et clement avait soufert errer
Sy long temps son Église ? Est-il autheur de faute ?
Quel gain en reviendroit à sa majesté haute ?
Quel honneur, quel profict de s'estre tant celé
Pour s'estre à un Luther seulement revelé ?

Or nous faillons aussi, car depuis sainct Gregoire
Nul pape (dont le nom soit escrit en histoire)
En chaire ne prescha : et faillons d'autre part
Que le bien de l'Église aux enfans se depart.
Il ne faut s'estonner, Chrestiens, sy la nacelle
Du bon pasteur sainct Pierre en ce monde chancele,
Puis que les ignorans, les enfans de quinze ans,
Je ne scay quelz muguetz, je ne scay quels plaisans
Tiennent le gouvernal, puis que les benefices
Se vendent par argent, ainsi que les offices.

Mais que diroit sainct Paul, s'il revenoit icy,
De noz jeunes prelatz, qui n'ont poinct de soucy
De leur pauvre troupeau, dont ils prennent la laine,
Et quelque fois le cuir : qui tous vivent sans peine,
Sans prescher, sans prier, sans bon exemple d'eux,
Parfumez, decoupez, courtizans, amoureux,
Veneurs, et fauconniers, et avecq' la paillarde
Perdent les biens de Dieu, dont ilz n'ont que la garde.

Que diroit il de veoir l'Église à Jesuschrist,
Qui fut jadis fondée en humblesse d'esprit,
En toute patience, en toute obeissance,
Sans argent, sans credit, sans force, ny puissance,
Pauvre, nue, exilée, ayant jusques aux os
Les coups de fouetz sanglans imprimez sur le doz,
Et la voir aujourd'huy riche, grasse, et hautaine,
Toute pleine d'escuz, de rentes, et dommaine ?
Ses ministres enflez, et ses Papes encor,
Pompeusement vestuz de soye et de drap d'or ?
Il se repentiroit d'avoir soufert pour elle
Tant de coupz de baston, tant de peine cruelle,
Tant de bannissemens, et voyant tel mechef
Priroit qu'un traict de feu luy accablast le chef.

Il fault donc corriger de nostre saincte Église
Cent mille abuz commis par l'avare prestrise,
De peur que le courroux du Seigneur tout puissant
N'aylle avecques le feu noz fautes punissant.

Quelle fureur nouvelle a corrompu nostre aise ?
Las ! des Lutheriens la cause est tresmauvaise,
Et la deffendent bien : et par malheur fatal
La nostre est bonne et saincte, et la deffendons mal.

O heureuse la gent que la mort fortunée
Ha depuis neuf cens ans soubs la tombe emmenée !
Heureux les peres vieulx des bons siecles passez,
Qui sont sans varier en leur foy trespassez,
Ains que de tant d'abuz l'Église fust malade :
Qui n'ouyrent jamais parler d'Oecolampade,
De Zvingle, de Bucer, de Luther, de Calvin,
Mais sans rien innover au service divin,
Ont vescu longuement, puis d'une fin heureuse
En Jesus ont rendu leur ame genereuse.

Las ! pauvre France, helas ! comme une opinion
Diverse a corrompu ta premiere union !
Tes enfans, qui devroyent te garder, te travaillent,
Et pour un poil de bouc entre eulx mesmes bataillent,
Et comme reprouvez, d'un courage meschant
Contre ton estomac tournent le fer tranchant !

N'avions nous pas assez engressé la campaigne
De Flandres, De Piedmont, de Naples, et d'Espaigne,
En nostre propre sang, sans tourner les cousteaux
Contre toy, nostre mere, et tes propres boyaux ?
A fin que du grand Turc les peuples infidelles
Rissent en nous voyant sanglans de noz querelles ?
Et, en lieu qu'on les deust par armes surmonter,
Nous vissent de nos mains nous mesmes nous donter,
Ou par l'ire de Dieu, ou par la destinée
Qui te rend par les tiens, ô France, exterminée ?

Las ! fault il, ô destin, que le sceptre François,
Que le fier Allemant, l'Espagnol et l'Anglois
N'a sceu jamais froisser, tombe soubs la puissance
Du peuple qui devroit luy rendre obeïssance ?
Sceptre qui fut jadis tant craint de toutes pars,
Qui jadis envoya outre mer ses soldars
Gaigner la Palestine, et toute l'Idumée,
Tyr, Sydon, Antioche, et la ville nommée
Du sainct nom, où Jesus, en la croix attaché,
De son precieux sang lava nostre peché :
Sceptre qui fut jadis la terreur des Barbares,
Des Turcs, des Mammelus, des Perses et Tartares,
Bref, par tout l'univers tant craint et redouté,
Fault il que par les siens luy mesme soit donté !

France, de ton malheur tu es cause en partie,
Je t'en ay par mes vers mille fois advertye,
Tu es marastre aux tiens, et mere aux estrangers,
Qui se mocquent de toy quand tu es aux dangers :
Car la plus grande part des estrangers obtiennent
Les biens qui à tes fils justement appartiennent.

Pour exemple te soit ce docte Des Autelz,
Qui à ton los a faict des livres immortels,
Qui poursuyvoit en court des long temps une affaire,
De bien peu de valleur, et ne la pouvoir faire
Sans ce bon Cardinal, qui rompant le sejour
Le renvoia content en l'espace d'un jour.
Voila comme des tiens tu fais bien peu de conte,
Dont tu devrois au front toute rougir de honte.

Tu te mocques aussi des profetes que Dieu
Choisit en tes enfans, et les fait au meillieu
De ton sein apparoistre, à fin de te predire
Ton malheur advenir, mais tu n'en fais que rire.

Ou soit que du grand Dieu l'immense eternité
Ait de Nostradamus l'entousiasme excité,
Ou soit que le daimon bon ou mauvais l'agite,
Ou soit que de nature il ayt l'ame subite,
Et outre le mortel s'eslance jusqu'aux cieulx,
Et de là nous redit des faicts prodigieux :
Ou soit que son esprit sombre et melancolique,
D'humeurs grasses repeu, le rende fantastique,
Bref, il est ce qu'il est : si est ce toutesfois
Que par les mots douteux de sa profette voix,
Comme un oracle anticque, il a des mainte année
Predit la plus grand part de nostre destinée.

Je ne l'eusse pas creu, si le ciel, qui depart
Bien et mal aux humains, n'eust esté de sa part :
Certainement le ciel, marry de la ruine
D'un sceptre si gaillard, en a monstré le signe :
Depuis un an entier n'a cessé de pleurer :
On a veu la comette ardente demeurer
Droict sur nostre païs : et du ciel descendante
Tomber à Sainct Germain une collone ardente :
Nostre Prince au meillieu de ses plaisirs est mort :
Et son filz, jeune d'ans, a soustenu l'efort
De ses propres sujects, et la chambre honorée
De son palais Royal ne luy fut asseurée.

Doncques, ny les haults faicts des Princes ses ayeux,
Ny tant de temples saincts eslevez jusqu'aux cieulx
Par ses peres bastis, ny sa terre puissante,
Aux guerres furieuse, aux lettres fleurissante,
Ny sa propre vertu, bonté et piété,
Ny ses ans bien apris en toute honnesteté,
Ny la devotion, la foy, ny la priere
De sa femme pudicque, et de sa chaste mere,
N'ont envers le destin tant de graces trouvé,
Que malheur si nouveau ne luy soit arrivé,
Et que l'air infecté du terroy Saxonicque
N'ait empuenty l'air de sa terre Gallicque.

Que si des Guysians le couraige haultain
N'eust au besoing esté nostre rempart certain,
Voire et si tant soit peu leur ame genereuse
Se fust alors monstrée ou tardive, ou poureuse,
C'estoit faict que du sceptre, et la contagion
De Luther eust gasté nostre religion :
Mais François d'une part, tout seul avecq' les armes
Opposa sa poictrine à si chaudes alarmes,
Et Charles d'autre part, avecq' devotions
Et sermons, s'opposa à leurs seditions,
Et par sa prevoyance et doctrine severe
Par le peuple engarda de plus courir l'ulcere.

Ils ont maugré l'envye, et maugré le destin,
Et l'infidelle foy du vulgaire mutin,
A l'envy combatu la troupe sacrilege,
Et la religion ont remise en son siege.

O seigneur tout puissant ! pour loyer des bienfaicts
Que ces Princes Lorreins au besoing nous ont faicts,
Et si mes humbles voeus trouvent devant ta face
Quelque peu de credit, je te supply de grace,
Que ces deux Guysians, qui pour l'amour de toy
Ont ramassé l'honneur de nostre antique foy,
Fleurissent à jamais en faveur vers le Prince,
Et que jamais le bec des peuples ne les pince.

Donne que les enfans des enfans yssus d'eux
Soyent aussi bons Chrestiens, et aussi vaillans qu'eux,
Plus grands que nulle envye : et qu'en paix eternelle
Ils puissent habiter leur maison paternelle.
Ou si quelque desastre, ou le cruel malheur
Les menace tous deux, jaloux de leur valeur,
Tourne sur les mutins la menace et l'injure,
Ou sur l'ignare chef du vulgaire parjure,
Ny digne du soleil, ny digne de tirer
L'air, qui nous faict la vie es poulmons respirer.


Pierre de Ronsard, Elégie sur les troubles d'Amboise (1560) - dans Discours, derniers vers