Albert de Ripa, mort vers 1551, était un musicien italien qui fut au service de deux rois de France, à savoir François Ier puis son fils Henri II.
XI
EPITAFE D'ALBERT,
JOÜEUR DE LUC DU ROI
ENTREPARLEURS : LE PASSANT, ET LE PRESTRE
Pa. Qu'oi-je dans ce tombeau resonner ? Pre. une lyre.
Pa. N'est ce pas celle là qui peut si bien redire
Les chansons d'Apollon, que flatés de sa vois
Tiroit, racine et tous les Rochiers et les bois ?
Et pres de Pierie, ainsi qu'une ceinture
En un rond les serroit sur la pleine verdure ?
Pre. Ce n'est pas celle là. Pa. E laquelle est ce donc ?
Pre. C'est celle là d'Albert, que Phebus au poil blond
Aprist des le berceau, et lui donna la harpe,
Et le Luc le meilleur qu'il mist onc en écharpe,
Si bien qu'apres sa mort son Luc mesmes enclôs
Dedans sa tombe, encor sonne contre ses ôs.
Pa. Je suis esmerveillé que sa lyre premiere
En son art ne flechit la Parque sa meurtriere ?
Pre. Point n'en faut s'ebahir, Orfée qui fut bien
Enfant de Calliope, et du Dieu Cynthien,
Ne la sceut onc flechir, et pour la fois seconde,
D'où plus il ne revint, alla voir l'autre monde.
Pa. Quelle mort le tua ? Pre. Une pierre qui vint
Lui boucher la vecie, et le conduit lui print
En celle part, où l'eau par son canal chemine,
Et tout d'un coup boucha sa vie et son urine.
Pa. Je suis tout esbahi que lui qui flechissoit
Les pierres de son Luc, ne se l'amolissoit.
Pre. Aussi fit il long tans, car durant sa jeunesse
Que ses dois remüoyent d'une agile souplesse,
Et qu'il touchoit le Luc plus viste et mieus à point,
Toujours elle estoit mole, et ne roidissoit point,
Mais quand il devint vieil, et que sa main pesante
S'engourdit sur le Luc à demi languissante,
La pierre d'un cousté dure à ses chans estoit,
Et de l'autre cousté toujours mole restoit,
Comme on voit le coural dessous la mer s'espendre
Endurci d'un cousté, de l'autre cousté tendre.
Cerbere à son passer tient ses gousiers fermés,
Et les Manes des mors par l'oreille charmés,
Oublioient leur travaus, Titye sur la pleine
Aus vautours estendu en oublia sa peine,
Flegyas l'oublia, Sisyfe ne sentoit
Le vain labeur du roc, la roüe s'absentoit
Des membres d'Ixion, et les Sœurs Beleides
Ce jour là tout entier n'eurent leurs cruches vuides,
Et Tantale au meillieu de son troisieme ennui
D'un gousier mal jouieus rit en despit de lui,
Et les horribles Sœurs beantes se dresserent,
Et tomber à leurs piés leurs grans torches laisserent.
Mais quel proufit nous esse, et puis que ceus d'abas
En ont tout le plaisir, et nous ne l'avons pas ?
Or toi quiconque sois, jette lui mile branches
De Laurier sur sa tombe, et mile roses franches,
Et le laisse dormir, et pense qu'aujourd'hui,
Ou peut estre demain, tu seras comme lui.
Pierre de Ronsard, Le Bocage (1554)
EPITAFE D'ALBERT,
JOÜEUR DE LUC DU ROI
ENTREPARLEURS : LE PASSANT, ET LE PRESTRE
Pa. Qu'oi-je dans ce tombeau resonner ? Pre. une lyre.
Pa. N'est ce pas celle là qui peut si bien redire
Les chansons d'Apollon, que flatés de sa vois
Tiroit, racine et tous les Rochiers et les bois ?
Et pres de Pierie, ainsi qu'une ceinture
En un rond les serroit sur la pleine verdure ?
Pre. Ce n'est pas celle là. Pa. E laquelle est ce donc ?
Pre. C'est celle là d'Albert, que Phebus au poil blond
Aprist des le berceau, et lui donna la harpe,
Et le Luc le meilleur qu'il mist onc en écharpe,
Si bien qu'apres sa mort son Luc mesmes enclôs
Dedans sa tombe, encor sonne contre ses ôs.
Pa. Je suis esmerveillé que sa lyre premiere
En son art ne flechit la Parque sa meurtriere ?
Pre. Point n'en faut s'ebahir, Orfée qui fut bien
Enfant de Calliope, et du Dieu Cynthien,
Ne la sceut onc flechir, et pour la fois seconde,
D'où plus il ne revint, alla voir l'autre monde.
Pa. Quelle mort le tua ? Pre. Une pierre qui vint
Lui boucher la vecie, et le conduit lui print
En celle part, où l'eau par son canal chemine,
Et tout d'un coup boucha sa vie et son urine.
Pa. Je suis tout esbahi que lui qui flechissoit
Les pierres de son Luc, ne se l'amolissoit.
Pre. Aussi fit il long tans, car durant sa jeunesse
Que ses dois remüoyent d'une agile souplesse,
Et qu'il touchoit le Luc plus viste et mieus à point,
Toujours elle estoit mole, et ne roidissoit point,
Mais quand il devint vieil, et que sa main pesante
S'engourdit sur le Luc à demi languissante,
La pierre d'un cousté dure à ses chans estoit,
Et de l'autre cousté toujours mole restoit,
Comme on voit le coural dessous la mer s'espendre
Endurci d'un cousté, de l'autre cousté tendre.
Cerbere à son passer tient ses gousiers fermés,
Et les Manes des mors par l'oreille charmés,
Oublioient leur travaus, Titye sur la pleine
Aus vautours estendu en oublia sa peine,
Flegyas l'oublia, Sisyfe ne sentoit
Le vain labeur du roc, la roüe s'absentoit
Des membres d'Ixion, et les Sœurs Beleides
Ce jour là tout entier n'eurent leurs cruches vuides,
Et Tantale au meillieu de son troisieme ennui
D'un gousier mal jouieus rit en despit de lui,
Et les horribles Sœurs beantes se dresserent,
Et tomber à leurs piés leurs grans torches laisserent.
Mais quel proufit nous esse, et puis que ceus d'abas
En ont tout le plaisir, et nous ne l'avons pas ?
Or toi quiconque sois, jette lui mile branches
De Laurier sur sa tombe, et mile roses franches,
Et le laisse dormir, et pense qu'aujourd'hui,
Ou peut estre demain, tu seras comme lui.
Pierre de Ronsard, Le Bocage (1554)
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