Des Autelz, que la loy, et que la rethoricque
Et la Muse cherist comme son filz unicque,
Je suis esmerveillé que les grandz de la Court
(Veu le temps orageux qui par l'Europe court)
Ne s'arment les costez d'hommes qui ont puissance
Comme toy de plaider leurs causes en la France,
Et revenger d'un art par toy renouvellé
Le sceptre que le peuple a par terre foulé.
Ce n'est pas aujourd'huy que les Rois et les Princes
Ont besoing de garder par armes leurs provinces,
Il ne faut acheter ny canons, ny harnois,
Mais il fault les garder seulement par la voix,
Qui pourra dextrement de la tourbe mutine
Appaiser le courage et flatter la poictrine :
Car il fault desormais deffendre noz maisons,
Non par le fer trenchant mais par vives raisons,
Et courageusement noz ennemis abbatre
Par les mesmes bastons dont ils nous veullent battre.
Ainsi que l'ennemy par livres a seduict
Le peuple devoyé qui faucement le suit,
Il fault en disputant par livres le confondre,
Par livres l'assaillir, par livres luy respondre,
Sans monstrer au besoing noz courages failliz,
Mais plus fort resister plus serons assailliz.
Si ne voy-je pourtant personne qui se pousse
Sur le haut de la breche et l'ennemy repousse,
Qui brave nous assault, et personne ne prend
La picque, et le rempart brusquement ne deffend :
Les peuples ont recours à la bonté celeste,
Et par priere à Dieu recommandent le reste,
Et sans jouer des mains demeurent ocieux :
Cependant les mutins se font victorieux.
Carles et toy et moy, seulz entre cent mille hommes
Que la France nourrist, opposez nous y sommes,
Et faisant de nous trois paroistre la vertu,
D'un magnanime cueur nous avons combatu,
Descouvrant l'estomac aux playes honorables,
Pour soustenir l'Église, et ses loix venerables,
Et celles du païs auquel nous sommes nez,
Et pour l'ayde duquel nous sommes ordonnez.
Durant la guerre à Troye, à l'heure que la Grece
Pressoit contre les murs la Troyenne jeunesse,
Et que le grand Achille empeschoit les ruisseaux
De porter à Thetis le tribut de leurs eaux,
Ceux qui estoyent dedans la muraille assiegée,
Ceux qui estoyent dehors dans le port de Sigée,
Failloyent egallement : mon Desautels, ainsi
Noz ennemis font faulte et nous faillons aussy.
Ils faillent de vouloir renverser nostre empire,
Et de vouloir par force aux Princes contredire,
Et de presumer trop de leur sens orgueilleux,
Et par songes nouveaux forcer la loy des vieulx :
Ils faillent de laisser le chemin de leurs peres,
Pour ensuyvre le train des sectes etrangeres :
Ilz faillent de semer libelles et placars,
Plains de derisions, d'envye, et de brocars,
Diffamans les plus grandz de nostre court Royalle,
Qui ne servent de rien qu'à nourrir un scandale :
Ils faillent de penser que tous soyent aveuglez,
Que seulz ils ont des yeux, que seulz ils sont reiglez,
Et que nous fourvoyez ensuyvons la doctrine
Humaine et corrompue, et non pas la divine :
Ilz faillent de penser qu'à Luther seulement
Dieu se soit apparu, et generalement
Que depuis neuf cens ans l'Église est depravée,
Du vin d'ipochrisie à longs traictz abreuvée,
Et que le seul escrit d'un Bucere vaut mieux,
D'un Zvingle, ou d'un Calvin (hommes seditieux),
Que l'accord de l'Église, et les statuz de mille
Docteurs, poussez de Dieu, convocquez au concile :
Que faudroit-il de Dieu desormais esperer,
Sy luy doux et clement avait soufert errer
Sy long temps son Église ? Est-il autheur de faute ?
Quel gain en reviendroit à sa majesté haute ?
Quel honneur, quel profict de s'estre tant celé
Pour s'estre à un Luther seulement revelé ?
Or nous faillons aussi, car depuis sainct Gregoire
Nul pape (dont le nom soit escrit en histoire)
En chaire ne prescha : et faillons d'autre part
Que le bien de l'Église aux enfans se depart.
Il ne faut s'estonner, Chrestiens, sy la nacelle
Du bon pasteur sainct Pierre en ce monde chancele,
Puis que les ignorans, les enfans de quinze ans,
Je ne scay quelz muguetz, je ne scay quels plaisans
Tiennent le gouvernal, puis que les benefices
Se vendent par argent, ainsi que les offices.
Mais que diroit sainct Paul, s'il revenoit icy,
De noz jeunes prelatz, qui n'ont poinct de soucy
De leur pauvre troupeau, dont ils prennent la laine,
Et quelque fois le cuir : qui tous vivent sans peine,
Sans prescher, sans prier, sans bon exemple d'eux,
Parfumez, decoupez, courtizans, amoureux,
Veneurs, et fauconniers, et avecq' la paillarde
Perdent les biens de Dieu, dont ilz n'ont que la garde.
Que diroit il de veoir l'Église à Jesuschrist,
Qui fut jadis fondée en humblesse d'esprit,
En toute patience, en toute obeissance,
Sans argent, sans credit, sans force, ny puissance,
Pauvre, nue, exilée, ayant jusques aux os
Les coups de fouetz sanglans imprimez sur le doz,
Et la voir aujourd'huy riche, grasse, et hautaine,
Toute pleine d'escuz, de rentes, et dommaine ?
Ses ministres enflez, et ses Papes encor,
Pompeusement vestuz de soye et de drap d'or ?
Il se repentiroit d'avoir soufert pour elle
Tant de coupz de baston, tant de peine cruelle,
Tant de bannissemens, et voyant tel mechef
Priroit qu'un traict de feu luy accablast le chef.
Il fault donc corriger de nostre saincte Église
Cent mille abuz commis par l'avare prestrise,
De peur que le courroux du Seigneur tout puissant
N'aylle avecques le feu noz fautes punissant.
Quelle fureur nouvelle a corrompu nostre aise ?
Las ! des Lutheriens la cause est tresmauvaise,
Et la deffendent bien : et par malheur fatal
La nostre est bonne et saincte, et la deffendons mal.
O heureuse la gent que la mort fortunée
Ha depuis neuf cens ans soubs la tombe emmenée !
Heureux les peres vieulx des bons siecles passez,
Qui sont sans varier en leur foy trespassez,
Ains que de tant d'abuz l'Église fust malade :
Qui n'ouyrent jamais parler d'Oecolampade,
De Zvingle, de Bucer, de Luther, de Calvin,
Mais sans rien innover au service divin,
Ont vescu longuement, puis d'une fin heureuse
En Jesus ont rendu leur ame genereuse.
Las ! pauvre France, helas ! comme une opinion
Diverse a corrompu ta premiere union !
Tes enfans, qui devroyent te garder, te travaillent,
Et pour un poil de bouc entre eulx mesmes bataillent,
Et comme reprouvez, d'un courage meschant
Contre ton estomac tournent le fer tranchant !
N'avions nous pas assez engressé la campaigne
De Flandres, De Piedmont, de Naples, et d'Espaigne,
En nostre propre sang, sans tourner les cousteaux
Contre toy, nostre mere, et tes propres boyaux ?
A fin que du grand Turc les peuples infidelles
Rissent en nous voyant sanglans de noz querelles ?
Et, en lieu qu'on les deust par armes surmonter,
Nous vissent de nos mains nous mesmes nous donter,
Ou par l'ire de Dieu, ou par la destinée
Qui te rend par les tiens, ô France, exterminée ?
Las ! fault il, ô destin, que le sceptre François,
Que le fier Allemant, l'Espagnol et l'Anglois
N'a sceu jamais froisser, tombe soubs la puissance
Du peuple qui devroit luy rendre obeïssance ?
Sceptre qui fut jadis tant craint de toutes pars,
Qui jadis envoya outre mer ses soldars
Gaigner la Palestine, et toute l'Idumée,
Tyr, Sydon, Antioche, et la ville nommée
Du sainct nom, où Jesus, en la croix attaché,
De son precieux sang lava nostre peché :
Sceptre qui fut jadis la terreur des Barbares,
Des Turcs, des Mammelus, des Perses et Tartares,
Bref, par tout l'univers tant craint et redouté,
Fault il que par les siens luy mesme soit donté !
France, de ton malheur tu es cause en partie,
Je t'en ay par mes vers mille fois advertye,
Tu es marastre aux tiens, et mere aux estrangers,
Qui se mocquent de toy quand tu es aux dangers :
Car la plus grande part des estrangers obtiennent
Les biens qui à tes fils justement appartiennent.
Pour exemple te soit ce docte Des Autelz,
Qui à ton los a faict des livres immortels,
Qui poursuyvoit en court des long temps une affaire,
De bien peu de valleur, et ne la pouvoir faire
Sans ce bon Cardinal, qui rompant le sejour
Le renvoia content en l'espace d'un jour.
Voila comme des tiens tu fais bien peu de conte,
Dont tu devrois au front toute rougir de honte.
Tu te mocques aussi des profetes que Dieu
Choisit en tes enfans, et les fait au meillieu
De ton sein apparoistre, à fin de te predire
Ton malheur advenir, mais tu n'en fais que rire.
Ou soit que du grand Dieu l'immense eternité
Ait de Nostradamus l'entousiasme excité,
Ou soit que le daimon bon ou mauvais l'agite,
Ou soit que de nature il ayt l'ame subite,
Et outre le mortel s'eslance jusqu'aux cieulx,
Et de là nous redit des faicts prodigieux :
Ou soit que son esprit sombre et melancolique,
D'humeurs grasses repeu, le rende fantastique,
Bref, il est ce qu'il est : si est ce toutesfois
Que par les mots douteux de sa profette voix,
Comme un oracle anticque, il a des mainte année
Predit la plus grand part de nostre destinée.
Je ne l'eusse pas creu, si le ciel, qui depart
Bien et mal aux humains, n'eust esté de sa part :
Certainement le ciel, marry de la ruine
D'un sceptre si gaillard, en a monstré le signe :
Depuis un an entier n'a cessé de pleurer :
On a veu la comette ardente demeurer
Droict sur nostre païs : et du ciel descendante
Tomber à Sainct Germain une collone ardente :
Nostre Prince au meillieu de ses plaisirs est mort :
Et son filz, jeune d'ans, a soustenu l'efort
De ses propres sujects, et la chambre honorée
De son palais Royal ne luy fut asseurée.
Doncques, ny les haults faicts des Princes ses ayeux,
Ny tant de temples saincts eslevez jusqu'aux cieulx
Par ses peres bastis, ny sa terre puissante,
Aux guerres furieuse, aux lettres fleurissante,
Ny sa propre vertu, bonté et piété,
Ny ses ans bien apris en toute honnesteté,
Ny la devotion, la foy, ny la priere
De sa femme pudicque, et de sa chaste mere,
N'ont envers le destin tant de graces trouvé,
Que malheur si nouveau ne luy soit arrivé,
Et que l'air infecté du terroy Saxonicque
N'ait empuenty l'air de sa terre Gallicque.
Que si des Guysians le couraige haultain
N'eust au besoing esté nostre rempart certain,
Voire et si tant soit peu leur ame genereuse
Se fust alors monstrée ou tardive, ou poureuse,
C'estoit faict que du sceptre, et la contagion
De Luther eust gasté nostre religion :
Mais François d'une part, tout seul avecq' les armes
Opposa sa poictrine à si chaudes alarmes,
Et Charles d'autre part, avecq' devotions
Et sermons, s'opposa à leurs seditions,
Et par sa prevoyance et doctrine severe
Par le peuple engarda de plus courir l'ulcere.
Ils ont maugré l'envye, et maugré le destin,
Et l'infidelle foy du vulgaire mutin,
A l'envy combatu la troupe sacrilege,
Et la religion ont remise en son siege.
O seigneur tout puissant ! pour loyer des bienfaicts
Que ces Princes Lorreins au besoing nous ont faicts,
Et si mes humbles voeus trouvent devant ta face
Quelque peu de credit, je te supply de grace,
Que ces deux Guysians, qui pour l'amour de toy
Ont ramassé l'honneur de nostre antique foy,
Fleurissent à jamais en faveur vers le Prince,
Et que jamais le bec des peuples ne les pince.
Donne que les enfans des enfans yssus d'eux
Soyent aussi bons Chrestiens, et aussi vaillans qu'eux,
Plus grands que nulle envye : et qu'en paix eternelle
Ils puissent habiter leur maison paternelle.
Ou si quelque desastre, ou le cruel malheur
Les menace tous deux, jaloux de leur valeur,
Tourne sur les mutins la menace et l'injure,
Ou sur l'ignare chef du vulgaire parjure,
Ny digne du soleil, ny digne de tirer
L'air, qui nous faict la vie es poulmons respirer.
Pierre de Ronsard, Elégie sur les troubles d'Amboise (1560) - dans Discours, derniers vers
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