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jeudi 10 janvier 2013 | By: Mickaelus

Manifeste de Mgr le duc d'Anjou au sujet du mariage pour tous




Madame, Mademoiselle, Monsieur, mes chers compatriotes,


Le monde politique s'est saisi d'un sujet remettant en cause l'institution universelle et intemporelle qu'est la Famille, ce qui constitue une menace aux fondements mêmes de notre société. L'humanité toute entière et, en particulier, notre histoire commune, celle de la France, s'est bâtie sur le seul socle familial. Mille ans de notre histoire reposent sur une famille dont je suis l'héritier, le fils aîné, et que j'ai l'immense charge de représenter auprès de vous.

Or, certains souhaitent que l'institution du mariage, sur laquelle repose toute la structure familiale, soit banalisée au point de l'étendre aux personnes du même sexe et, par voie de conséquence, de permettre l'adoption et donc la filiation d'enfants résultant de cette union.

De tous temps, l'homme et la femme se sont unis, naturellement, pour concevoir et élever des enfants. Que serions-nous si nos parents, nos aïeux n'avaient pas suivi ce processus naturel, institutionnalisé et sacralisé ensuite par le mariage chrétien ? Comment accepter d'établir un droit à l'enfant au risque d'aller à l'encontre des droits de l'enfant ?

Nos hommes politiques ne peuvent prendre la responsabilité de redéfinir les lois immémoriales de la nature humaine. Certes, nous devons nous adapter continuellement aux évolutions de notre société mais certains principes immuables tels que l'union d'un homme et d'une femme pour fonder une famille et éduquer des enfants ne peuvent être remis en cause.

Nous avons le devoir de nous manifester auprès des responsables politiques qui souhaitent traiter ces questions d'une extrême gravité pour leur faire part de nos réflexions et de nos craintes. Il n'est nullement question de stigmatiser la communauté homosexuelle, dont je sais qu'elle est loin d'être unanime sur la question du mariage pour des personnes de même sexe, de l'adoption des enfants par ces derniers et de leur filiation. Il faut, au contraire, l'écouter tout en s'assurant que la cellule familiale n'est pas menacée. Je refuse que cette discussion soit traitée sous un angle politicien ou idéologique. La défense de l'institution du mariage entre un homme et une femme est un sujet de civilisation que la France doit aborder sans passion.

La vision de mes aïeux, et notamment celle d'Hugues Capet, de Saint Louis, d'Henri IV ou encore de Louis XIV, était de construire, dans l'intérêt de tous, une Nation française qui rayonnerait pendant des siècles. Elle ne s'arrêtait pas aux intérêts particuliers susceptibles de compromettre ses valeurs fondatrices. Mon regretté père, le prince Alphonse, dans la lignée duquel je m'inscris, disait qu'"il ne saurait y avoir dans quelque société que ce soit de permanence et de continuité sans le respect des droits fondamentaux de la Famille qui est la cellule de base de toute société constituée selon l'ordre naturel et chrétien. Il appartient à chacun d'y réfléchir. Puisse la miséricorde divine pourvoir à cette utile méditation pour que chacun se reprenne à espérer. ".

J'appelle donc aujourd'hui, hors de toute position politique partisane, tous les Français à défendre les valeurs si chèrement défendues pendant des siècles par nos aînés et à faire connaître leur soutien aux défenseurs de la Famille et des droits de l'enfant. Il en va de notre avenir. Les Français doivent montrer l'exemple aux autres nations.


Paris, le 8 janvier 2013.

Louis, duc d'Anjou





samedi 13 mars 2010 | By: Mickaelus

Edit du roi Henri II contre l'infanticide (1556), réaffirmé sous Louis XIV

ÉDIT du roi Henry II qui prononce la peine de mort contre les filles qui, ayant caché leur grossesse et leur accouchement, laissent périr leurs Enfants sans qu'ils aient reçu le baptême.


Du mois de février 1556.


Henry, par la grâce de Dieu, roy de France : à tous présents et à venir, salut. Comme nos prédécesseurs et progeniteurs très-chrétiens rois de France, ayent par actes vertueux et catholiques, chacun en son endroit, montré par leurs très louables effets qu'à droit et bonne raison ledit nom de très-chrétien, comme à eux propre et péculier, leur avoit été attribué : En quoi les voulant imiter et suivre, ayons par plusieurs bons et salutaires exemples témoigné la dévotion que avons à conserver et garder ce tant célèbre et excellent titre, duquel les principaux effets sont de faire initier les créatures que Dieu envoyé sur terre en nostre royaume, pais, terres et seigneuries de nostre ohéissance, aux sacremens, par lui ordonnez : Et quant il lui plaist les rapeller à soi, leur procurer curieusement les autres sacremens pour ce instituez, avec les derniers honneurs de sépulture. Et estant duement avertis d'un crime très-énorme et exécrable, fréquent en nostre royaume, qui est, que plusieurs femmes ayant conceu Enfant par moyens deshonestes ou autrement, persuadées par mauvais vouloir et conseil, déguisent, occultent et cachent leurs grossesses, sans en rien découvrir et déclarer : Et avenant le temps de leur part, et délivrance de leur fruit, occultement s'en délivrent puis le suffoquent, meurdrissent, et autrement suppriment, sans leur avoir fait impartir le saint sacremeat du baptême : ce fait, les jettent en lieux secrets et immundes, ou enfouissent en terre profane ; les privans par tel moyen de la sépulture coûtumière des chrétiens. De quoy estans provenues et accusées pardevant nos juges, s'excusent, disant avoir eu honle de déclarer leur vice, et que leurs Enfans s'ont sortis de leurs ventres morts, et sans aucune apparence ou espérance de vie : tellement que par faute d'autre preuve, les gens tenans tant nos cours de Parlemens, qu'autres nos juges, voulans procéder au jugement des procès criminels faits à l'encontre de telles femmes, sont tombez et entrez en diverses opinions, les uns concluans au supplice de mort, les autres a question extraordinaire, afin de sçavoir et entendre de leur bouche si à la vérité le fruit issu de leur ventre estoit mort ou vif. Après laquelle question endurée, pour n'avoir aucune chose voulu confesser, leur sont les prisons le plus souvent ouvertes, qui a esté et est cause de les faire retomber, récidiver et commettre tels et semblables délits, à notre très-grand regret et scandale de nos sujets : A quoi pour l'avenir, nous avons bien voulu pourvoir.

Sçavoir faisons, que nous désirans extirper et du tout faire cesser lesdits exécrables et énormes crimes, vices, iniquitez et délits qui se commettent en notredit royaume, et oster les occasions et racines d'iceux d'oresnavant commettre, avons (pour à ce obvier) dit, statué et ordonné, et par édit perpétuel, loi générale et irrévocable, de notre propre mouvement, pleine puissance et autorité royale, disons, statuons, voulons, ordonnons et nous plaît, que toute femme qui se trouvera deuement atteinte et convaincue d'avoir celé, couvert et occulté, tant sa grossesse que son enfantement, sans avoir déclaré l'un ou l'autre, et avoir prins de l'un ou de l'autre témoignage suffisant, même de la vie ou mort de son enfant, lors de l'issue de son ventre, et qu'après se trouve l'Enfant avoir esté privé tant du saint sacrement de baptême, que sépulture publique et accoutumée, soit telle femme tenue et réputée d'avoir homicide son Enfant. Et pour réparation, punie de mort et dernier supplice, et de telle rigueur que la qualité particulière du cas le méritera : afin que ce soit exemple à tous, et que ci-après n'y soit aucune doute ne difficulté. Si donnons en mandement par ces présentes à noz amez et féaux conseillers les gens tenans nos cours de parlement, prévost de Paris, baillifs, séneschaux et autres nos officiers et justiciers, ou à leurs lieutenants et à chacun d'eux, que cette présente ordonnance, édit, loy et statut, ils fassent chacun en droit soy lire, publier et enregistrer, et incontinent après la réception d'icelui, publier à son de trompe et cri public, par les carrefours et lieux publics, à faire cris et proclamations, tant de notre ville de Paris, qu'autres lieux de notre royaume ; et aussi par les officiers des seigneurs hauts justiciers en leurs seigneuries et justices, en manière qu'aucun n'en puisse prétendre cause d'ignorance, et ce de trois mois en trois mois. Et outre, qu'il soit leu et publié aux prônes des messes parrochiales desdites villes, pais, terres et seigneuries de notre obéissance, par les curez ou vicaires d'icelles ; et icelui édit gardent et observent, et fassent garder et observer de point en point selon sa forme et teneur, sans y contrevenir. Et pour ce que de cesdites présentes l'on pourra avoir affaire en plusieurs lieux, nous voulons qu'au vidimus d'icelles, fait sous scel royal, foy soit ajoutée comme à ce présent original, auquel en témoin de ce, afin que soit chose ferme et stable, nous avons fait mettre notre scel. Donné à Paris au mois de février, l'an de grâce mil cinq cens cinquante-six ; et de notre règne le dixième. Ainsi signé sur le repli, par le Roy en son conseil, CLAUSSE. Lecta, pubicata et registrata, audito et requirente Procuratore generali Regis, Parisiis in Parlamento, quarto die martii, anno Domini millesimo quingentesimo quinquagesimo sexto. Sic signatam, Du TILLET. Collation est faite à l'original, ainsi signé, Du TILLET.

***

DÉCLARATION du roy Louis XIV, qui ordonne la publication au prône des messes paroissiales de l'édit du roi Henry Second, du mois de février 1556, qui prononce la peine de mort contre les femmes qui, ayant caché leur grossesse et leur accouchement, laissent périr leurs Enfants sans recevoir le baptême.


Donnée à Versailles le 25 février 1708.


Louis, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre : à tous ceux qui ces présentes verront, SALUT. Le roy Henry Second ayant ordonné par son édit du mois de février 1556 que toutes les femmes qui auroient celé leur grossesse et leur accouchement, et dont les Enfans seraient morts sans avoir reçu le saint sacrement de baptesme, seraient présumées coupables de la mort de leurs Enfans et condamnées au dernier supplice. Ce prince crût en mesme temps qu'on ne pouvoit renouveller dans la suite avec trop de soin le souvenir d'une loy si juste et si salutaire ; ce fût dans cette vue qu'il ordonna qu'elle serait lue et publiée de trois mois en trois mois, par les curez ou leurs vicaires aux prônes des messes paroissiales ; mais quoy que la licence et le dérèglement des moeurs qui ont fait de continuels progrez depuis le temps de cet edit, en rendent tous les jours la plublication plus nécessaire, et que nostre parlement de Paris l'ait ainsi jugé par un arrest du 19 mars de l'année 1698, qui renouvelle à cet égard l'exécution de l'edit de l'année 1556. Nous apprenons néanmoins que depuis quelque temps plusieurs curez de nostre royaume ont fait difficulté de publier cet edit, sous prétexte que par l'article XXXII de nostre edit du mois d'avril 1695, concernant la juridiction ecclésiastique, nous avons ordonné que les curez ne seroient plus obligez de publier aux prônes ny pendant l'office divin, les actes de justice et autres qui regardent l'interest particulier de nos sujets, à quoy ils ajoustent encore, que nous avons bien voulu étendre cette règle à nos propres affaires, en ordonnant par nostre déclaration du 16 décembre 1698 que les publications qui se feroient pour nos interest ne se feroient plus au prône, et qu'elles seroient faites seulement à l'issue de la messe paroissiale, par les officiers qui en sont chargez ; et quoy qu'il soit visible que par là nous n'avons eu intention d'exclure que les publications qui se faisant pour des affaires purement séculières et profanes, ne doivent pas interrompre le service divin, comme nous l'avons assez marqué par nostredite déclaration du 16 décembre 1698. Nous avons crû néanmoins, pour faire cesser jusqu'aux moindres difficultez dans une matière si importante, devoir expliquer nos intentions sur ce point d'une "manière si précise, que rien ne put empescher à l'avenir une publication qui regarde non l'interest particulier de quelques uns de nos sujets ou le nostre mesme, mais le bien temporel et spirituel de nostre royaume, et que l'Eglise devrait nous demander si elle n'estoit pas encore ordonnée, puisqu'elle tend à assurer non seulement la vie, mais le salut éternel de plusieurs Enfans conçus dans le crime, qui periroient malheureusement sans avoir reçu le baptême, et que leurs meres sacrifieraient à un faux honneur, par un crime encore plus grand que celuy qui leur a donné la vie, si elles n'estoient retenues par la connoissance de la rigueur de la loy, et si la crainte des châtimens ne faisoit en elles l'office de la nature. A ces causes et autres à ce nous mouvans, de nostre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons, par ces présentes signées de nostre main, dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons, voulons et nous plaist, que l'edit du roy Henry second du mois de février 1556 soit exécuté selon la forme et teneur ; ce faisant que ledit edit soit publié de trois mois en trois mois, par tous les curez ou leurs vicaires, aux prônes des messes paroissiales. Enjoignons ausdits curez et vicaires, de faire ladite publication, et d'en envoyer un certificat signé d'eux à nos procureurs des bailliages et seneschaussées, dans l'étendue desquels leurs paroisses sont situées. Voulons qu'en cas de refus, ils puissent y estre contrains par saisie de leur temporel, à la requeste de nos procureurs généraux en nos cours de parlemens, poursuite et diligence de leurs substituts chacun dans leur ressort. Si donnons en mandement à nos amez et féaux, les gens tenans nostre cour du parlement de Paris, que ces présentes ils ayent à faire lire, publier et enregistrer, et le contenu en icelles exécuter, garder et observer selon leur forme et teneur, nonobstant tous edits, déclarations, arrests, reglemens et autres choses à ce contraires, ausquels nous avons dérogé et dérogeons par ces présentes : car tel est nostre plaisir ; en témoin de quoy nous avons fait mettre nostre scel à cesdites présentes. Donné à Versailles le vingt cinquième jour de février, l'an de grâce mil sept cens huit ; et de nostre règne le soixante-cinquième. Signé Louis. Et plus bas, par le roy, PHELYPEAUX. Et scellé du grand sceau de cire jaune. Registrées, ouy, et ce requérant le procureur gênerai du roy, pour estre exécutées selon leur forme et teneur, et copies collationnées envoyées dans les baillages et sénéchaussées du ressort, pour y estre lues, publiées et registrées ; enjoint aux substituts du procureur general du roy d'y tenir la main, et d'en certifier la Cour dans un mois, suivant l'arrest de ce jour. A Paris, en Parlement, le deux mars mil sept cens huit. Signé DONGLOIS.


Source : Travaux de la commission des Enfants-Trouvés instituée le 22 août 1849 (tome II)

lundi 26 octobre 2009 | By: Mickaelus

Considérations générales sur le divorce, par Louis de Bonald


Louis de Bonald et la famille


"La répudiation, tolérée chez les Juifs, était une loi dure, tout à l'avantage du mari contre la femme et qui faisait de l'un un despote, de l'autre une esclave. Elle ne peut donc pas convenir à des peuples chrétiens, dont la charité est la première loi, et chez qui le mariage, ramené à l'institution du commencement, fait de la femme, non un être égal à l'homme, mais un aide (ou ministre) semblable à lui.

Le divorce est une loi dure et fausse à la fois, puisqu'elle permet non seulement au mari la faculté de répudier sa femme mais qu'elle l'accorde à la femme contre son époux.

Le divorce est aujourd'hui plus que jamais une loi faible ou oppressive pour les deux sexes, parce qu'elle les livre à la dépravation de leurs penchants, précisément à l'époque où les passions, exaltées par le progrès des arts, ont le plus besoin d'être contenues par la sévérité des lois.

Le divorce n'est toléré, chez des peuples commerçants, que parce qu'ils se représentent la société domestique, et même la société politique, comme une association de commerce, un contrat social. Ce n'est qu'un jeu de mots, dont la plus légère attention suffit pour dissiper l'illusion.

La société domestique n'est point une association de commerce, où les associés entrent avec des mises égales, et d'où ils puissent se retirer avec des résultats égaux. C'est une société où l'homme met la protection de la force, la femme les besoins de la faiblesse ; l'un le pouvoir, l'autre le devoir ; société où l'homme se place avec la autorité, femme avec dignité ; d'où l'homme sort avec toute son autorité, mais d'où la femme ne peut sortir avec toute sa dignité car de tout ce qu'elle a porté dans la société elle ne peut, en cas de dissolution reprendre que son argent. Et n'est-il pas souverainement injuste que la femme, entrée dans la famille avec la jeunesse et la fécondité, puisse en sortir avec la stérilité et la vieillesse, et que, n'appartenant qu'à l'état domestique, elle soit mise hors de la famille à qui elle a donné l'existence à l'âge auquel la nature lui refuse la faculté d'en former une autre ?

Le mariage n'est donc pas un contrat ordinaire, puisqu'en le résiliant, les deux parties ne peuvent se remettre au même état où elles étaient avant de le former. Je dis plus : et si le contrat est volontaire lors de sa formation, il peut ne plus l'être, et ne l'est presque jamais lors de sa résiliation, puisque celle des deux parties qui a manifesté le désir de la dissoudre, ôte à l'autre toute liberté de s'y refuser, et n'a que trop de moyens de forcer son consentement.

Et admirez ici l'inconséquence où tombe le projet de code civil. Il ne s'agit pas, dit-il, de savoir si la faculté du divorce est bonne en soi, mais « s'il est convenable que les lois fassent intervenir le pouvoir coactif dans une chose qui est naturellement si libre, et où le cœur doit avoir tant de part. » Et ailleurs, « la société conjugale ne ressemble à aucune autre ; le consentement mutuel ne peut dissoudre le mariage (note : le code civil permet la dissolution du mariage par le consentement mutuel des époux), quoiqu'il puisse dissoudre toute autre société. » Ainsi la loi elle-même reconnaît si peu la liberté à cette chose naturellement si libre, et si peu de pouvoir aux parties de dissoudre, même de leur consentement, une union formée de leur consentement, que la preuve de leur accord mutuel à dissoudre leur union est une cause qui en empêche la dissolution, et que leur collusion sur ce point est un délit que la loi punit par une amende ; en sorte que, pour former l'association, il a été nécessaire de prouver le consentement mutuel des deux parties, et pour la rompre, il faut prouver que les deux parties n'y consentent pas ; comme si leur concert à vouloir se séparer n'était pas la plus forte preuve que la loi puisse désirer de l'absence de toute affection, et de la nécessité d'une séparation.

Le divorce, qui peut être favorable dans quelques cas à la perpétuité d'une famille, est contraire à la conservation de l'espèce humaine ; parce que des époux qui voudront divorcer n'auront point d'enfants, pour acquérir un motif de divorce, et que l'abandon où il laisse trop souvent les enfants, nuit à leur conservation, même quand un second mariage n'exposerait pas leur vie ; et comme une société se forme de ce qui subsiste, et non de ce qui naît, si la polygamie fait naître plus d'enfants, la monogamie en conserve davantage.

Mais si la nature ne veut pas que le lien du mariage soit jamais dissous, la société ne demande-t-elle pas qu'il puisse quelquefois se dissoudre ?

Une société qui est à son premier âge n'a d'autre passion que la guerre. C'est un enfant qui croît, et dont le goût dominant est l'exercice nécessaire à son développement physique. Alors la dissolubilité du lien conjugal est sans danger, parce que sa dissolution est sans exemple ; et quelquefois même, comme chez les Juifs, la dissolubilité est tolérée pour favoriser la multiplication d'un peuple naissant.

Mais l'âge de la puberté arrive pour la société comme pour l'homme, et les passions prennent un autre caractère. Dans le premier âge, l'homme faisait la guerre à l'homme ; dans le second, il fait la guerre à la femme ; et la volupté opprime un sexe, comme la guerre détruisait l'autre. Les progrès de la civilisation éveillent le goût du plaisir, et les arts se disputent le soin de l'embellir : tout devient art, et même la nature ; et les nécessités mêmes de l'humanité ne sont plus que des jouissances factices, que l'homme poursuit avec ardeur et souvent aux dépens de ses semblables. A cet âge de la société, permettre la dissolubilité du lien conjugal, c'est en commander la dissolution. Alors la loi ne peut autoriser le divorce sans introduire une polygamie illimitée pour les deux sexes. A une nation qui a des plaisirs publics, et jusqu'à des femmes publiques, il faut un frein public aussi et des lois publiques, toutes générales, toutes impératives, qui maintiennent l'ordre général entre tous, et non des lois privées, en quelque sorte, qui ne statuent que sur un ordre particulier de circonstances ; des lois de dispense, facultatives pour les passions et les faiblesses de quelques-uns.

Ainsi, du côté que l'homme penche, la loi le redresse ; et elle doit interdire aujourd'hui la dissolution à des hommes dissolus, comme elle interdit, il y a quelques siècles, la vengeance privée à des hommes féroces et vindicatifs : et c'est uniquement dans cette amélioration des lois, et non dans les progrès des arts, que consiste cette perfectibilité de l'espèce humaine, sur laquelle on ne discute que faute de s'entendre.

D'ailleurs, s'il y avait des motifs de divorce, ce seraient ceux qui viennent de la nature même, comme les infirmités corporelles qui sont hors du domaine des volontés humaines, et que l'homme n'a aucun moyen de faire cesser ; et c'est pour cette raison que la loi des Juifs en faisait des motifs de répudiation. Mais permettre aux époux de se quitter lorsque, livrés, par l'espoir même du divorce, à l'inconstance de leurs goûts et à la violence de leurs penchants, ils ont formé ailleurs des amours adultères ; dissoudre leur union, parce qu'ils ne veulent pas commander à leur humeur, ou parce que la loi ne veut pas veiller sur leur conduite ; leur permettre de rompre le lien, lorsqu'ils l'ont relâché par une absence volontaire : c'est affaiblir la volonté, c'est dépraver les actions, c'est dérégler l'homme (et il ne faut pas plus de lois pour dérégler que de plan pour détruire) ; c'est placer la famille et l'État dans une situation fausse et contre nature, puisqu'il faut que la famille oppose la force de ses mœurs à la faiblesse de la loi, au lieu de trouver dans la force de la loi un appui contre la faiblesse de ses mœurs. Mais là où la loi est faible, la règle des mœurs est faussée, et il n'y a plus de remède à leur corruption inévitable ; et là où la loi est forte, l'autorité publique a une règle fixe, immuable, sur laquelle elle peut toujours maintenir les mœurs ou les redresser.

Si la dissolution du lien conjugal est permise, même pour cause d'adultère, toutes les femmes qui voudront divorcer se rendront coupables d'adultère. Les femmes seront une marchandise en circulation, et l'accusation d'adultère sera la monnaie courante et le moyen convenu de tous les échanges : car c'est à ce point de corruption que l'homme est parvenu en Angleterre. Et dans les débats qui ont eu lieu il n'y a pas longtemps, au parlement, sur la nécessité de restreindre la faculté de divorcer, l'évêque de Rochester, répondant à lord Mulgrave, avança que sur dix demandes en divorce pour cause d'adultère, car on ne divorce pas en Angleterre pour d'autres motifs, il y en avait neuf où le séducteur était convenu d'avance, avec le mari, de lui donner des preuves de l'infidélité de sa femme (note : le même orateur avança que les hommes qui s'étaient montrés, en Angleterre, les plus indulgents pour le divorce, s'y étaient montrés les partisans les plus outrés de la démagogie française. Le code civil interdit à la femme divorcée pour cause d'adultère de se remarier avec son complice. Cette restriction compromet la vie du mari : rien de plus dangereux que de composer ainsi avec les passions, de les laisser aller jusqu'à un certain point pour les arrêter ensuite).

C'est ici le lieu d'observer que, dans une cause d'adultère entre des personnes du plus haut rang, plaidée récemment en Angleterre (note : M. Sturt, membre du parlement d'Angleterre, contre le marquis de Blanford, fils aîné du duc de Marlborough, pour adultère commis avec Anne Sturt, fille du comte de Schafftesbury. Dans le même temps, autre procès intenté par l'honorable M.Windham, ministre de S. M. B. à Florence, contre le comte Wycombe, fils aîné du marquis de Lansdown), lord Kenyon, l'oracle de la loi qui présidait au jugement, dans le résumé de l'affaire qu'il présenta aux juges, atténua les torts de la femme et même ceux de son séducteur, par la considération de torts du même genre de la part du mari ; et, par forme de compensation, réduisit la demande en dommages que celui-ci avait formée contre le séducteur à 100 livres sterling.

Rien ne prouve mieux qu'un pareil jugement à quel point les idées sociales de justice, et même d'honneur, sont perverties chez cette nation mercantile. En effet, il suppose entre le mari et la femme l'égalité naturelle de torts, et par conséquent de devoirs. Mais l'infidélité de la femme dissout le lien domestique, puisqu'elle met dans le famille des enfants étrangers ; au lieu que les désordres du mari, quelques graves qu'ils puissent être, sont sans conséquence pour la famille, et ne peuvent affliger que le cœur de l'épouse (note : « Nous voyons », dit l'abbé de Rastignac dans un canon de la seconde lettre de saint Basile à Amphiloque, « que dans les peines canoniques la coutume était moins sévère envers les hommes qu'envers les femmes, dans le cas même où les hommes et les femmes étaient coupables du même péché »).

Le jugement dont je parle prouve l'extrême avilissement des mœurs en Angleterre, où un mari, même dans les rangs les plus élevés et les conditions les plus opulentes, ne rougit pas de recevoir le prix de son déshonneur, et peut à l'avance spéculer sur l'infidélité de sa femme et composer avec la fortune de son séducteur (note : il en est à peu près de même chez plusieurs peuples sauvages, où le mari fait payer un cochon rôti à l'amant surpris avec sa femme, et le mange avec eux. Le principe est le même, la monnaie du payement n'y fait rien. On retrouve chez les Anglais, sous les dehors brillants de la politesse et des progrès dans les arts, beaucoup de caractères des peuples sauvages. Le vol, la passion pour les liqueurs fortes, le goût de la viande demi-crue et sans pain, l'imperfection des lois, etc., etc. « Un fils, à peine dans l'adolescence, » dit l'Essai sur la puissance paternelle, « a été appelé en témoignage contre son père ; sa déposition a complété la preuve d'un crime capital, et l'arrêt de mort de son père est presque sorti de sa bouche. Ce jugement a été prononcé aux dernières assises de Carrik-Fergus : l'accusé se nommait William Mowens »). C'est par le même principe qu'en cas d'intention de duel, la loi, en Angleterre, fait donner aux deux parties caution pécuniaire qu'elles n'en viendront pas au combat ; et l'on en a un exemple récent. On avait, en France, des idées plus justes, et surtout des mœurs plus relevées : le particulier prévenu d'intention de duel donnait caution d'honneur de sa déférence à la loi ; et un époux outragé, même dans les dernières classes du peuple, eût été noté d'infamie s'il avait poursuivi devant les tribunaux une réparation pécuniaire.

Le commerce est, dans la société, ce qu'est dans l'homme la nécessité naturelle de manger et de boire. L'homme ne peut faire, du manger et du boire, sa principale affaire, sans tomber dans le plus profond avilissement et dans un oubli total de ses devoirs. Un peuple qui met le commerce au rang des institutions sociales, qui y voit un devoir et non un besoin, qui lui donne par tous les moyens possibles une extension illimitée, au lieu de le renfermer dans les bornes de l'indispensable nécessaire, peut éblouir par l'éclat de ses entreprises et la grandeur de ses succès ; mais son embonpoint physique cache des âmes avilies et des mœurs abjectes : c'est un peuple tout matériel, et il sera tôt ou tard asservi par un peuple moral. En France, la fureur du commerce était contenue par des institutions qui en interdisaient la pratique à certaines classes de la société (note : de là vient que certaines personnes en France ne pouvaient, sans déshonneur, signer des engagements qui pussent les soumettre à la contrainte par corps, parce que leur personne, déjà engagée au service de la société, ne pouvait être aliénée au particulier), et maintenaient l'esprit de détachement des richesses et la disposition à tout quitter pour remplir ses devoirs. Là était la force de la France ; et si la révolution en avait anéanti le principe, les Français seraient assez punis et leurs ennemis assez vengés.

De même qu'en Angleterre, l'adultère est le seul moyen de divorce : l'incompatibilité d'humeur, décrétée comme cause de divorce par la loi existante, et redemandée par le tribunal de cassation, serait, en France, le moyen banal de ceux qui n'en auraient pas d'autre ; et déjà l'on voit cette incompatibilité alléguée par tous les époux qui veulent se séparer, et alléguée par ceux mêmes à qui le public n'a à reprocher que l'excessive compatibilité de leurs goûts et une infâme complaisance pour leurs mutuels désordres.

Il faut observer que les rédacteurs du projet de code civil qui s'élèvent avec raison contre le motif d'incompatibilité d'humeur, suffisant aujourd'hui pour opérer la dissolution du lien conjugal, la permettent lorsque la conduite habituelle de l'un des époux envers l'autre rend à celui-ci la vie insupportable ; motif qui ressemble fort à celui de l'incompatibilité, et que des époux peuvent toujours alléguer, parce que personne ne peut les contredire.

Et remarquez ici l'inconvenance, pour ne rien dire de plus, de la loi, qui permet de former de nouveaux nœuds à la femme convaincue d'avoir violé par l'adultère ses premiers engagements, et qui récompense ainsi l'oubli des devoirs et l'infraction des lois : car, dans un Etat bien réglé, le mariage, permis à tous les hommes, devrait être interdit aux époux divorcés, par la même raison que la carrière de l'administration publique, accessible à tous les citoyens, est fermée sans retour à ceux qui ont été négligents ou prévaricateurs dans l'exercice de leurs fonctions.

Ainsi, dans les premiers temps, l'interdiction du mariage était au nombre des peines canoniques que l'Église infligeait à l'assassin et à l'incestueux ; et, cette peine pourrait encore être employée avec succès par une administration vigilante. Quand même on considérerait le célibat comme une peine, l'époux qui aurait éloigné de lui une femme coupable, empêché d'en épouser une autre, ne serait pas toujours injustement puni, parce que les torts de la femme sont trop souvent ceux du mari, et accusent presque toujours son choix d'intérêt ou de légèreté, son humeur de tyrannie, sa conduite de faiblesse ou de mauvais exemple.

Le projet de code civil retire, il est vrai, d'une main ce qu'il donne de l'autre : en même temps qu'il permet la faculté du divorce, il en gêne l'exercice. Mais c'est ici surtout que la loi paraît défectueuse, et le remède insuffisant et dérisoire.

Le législateur déclare le mariage dissoluble : là finit, son action. C'est aux personnes domestiques à se faire l'une à l'autre l'application de la loi. Seules elles peuvent être juges des délits domestiques, parce que seules elles peuvent en avoir la connaissance, et que la conviction intime qui naît pour chacune d'elles, même de ses soupçons et de ses craintes, équivaut, pour un délit domestique, à la conviction que le magistrat chargé de poursuivre les délits publics doit chercher dans des témoignages extérieurs.

En effet, des cinq causes que le projet de code civil assigne au divorce, deux seulement, la diffamation publique et l'abandonnement d'une partie par l'autre, peuvent être l'objet d'une preuve publique, parce que ces délits sortent l'un et l'autre de l'enceinte domestique ; et cela est si vrai, que la diffamation devant des domestiques seulement, ou l'abandon qui aurait lieu entre deux époux qui resteraient dans la même enceinte, séparés et sans communication entre eux, ce qui est possible et même fréquent, ne seraient pas admis comme motifs d'une demande en divorce, les deux parties habitassent-elles aux deux extrémités d'un parc de plusieurs lieues d'étendue, si elles étaient dans la même clôture, parce que, dans ce cas, la diffamation ni l'abandon, quoique réels, ne seraient pas publics. Mais pour les trois autres causes, les plus communes et les plus graves de toutes : 1° la conduite habituelle qui rend la vie commune insupportable ; 2° l'attentat à la vie d'un époux par l'autre ; 3° l'adultère : « où est, » demande avec raison, dans son avis, le tribunal de cassation, qui, conséquent à ses principes, veut que si la loi permet le divorce, la volonté d'une partie suffise pour l'obtenir ; « où est le fait qu'un mari, qu'une femme, puissent poser ? où est celui qu'ils puissent prouver ? où est celui qu'on puisse juger ? » Une femme aura prouvé victorieusement son innocence devant les tribunaux, qu'elle sera sans retour condamnée par son époux, et souvent par le public. Les juges n'auront pas acquis la preuve de l'humeur fâcheuse d'un époux, tandis que sa femme aura la conviction qu'elle est insupportable ; ils ne verront quelquefois que douceur et soumission, là où il y aura dessein et tentative d'homicide ; le sacré caractère de la vertu brillera pour eux sur le front d'un profane adultère. Et certes il n'y a pas de tyrannie moins raisonnable à la fois et plus risible, que celle d'un magistrat qui, s'interposant entre le mari et la femme, mécontents l'un de l'autre, vient interroger leurs dispositions mutuelles, pour juger froidement du degré de leur éloignement réciproque, conseille à la haine d'aimer et à la fureur de s'adoucir, prescrit des délais à l'impatience et des lenteurs à la passion, nie à la jalousie ses soupçons (note : Molière a mis deux fois ce sujet en scène dans Georges Dandin et dans le Tartufe, où Mme Pernelle s'obstine à nier ce qu'Orgon assure si plaisamment avoir vu) et au cœur même sa blessure, et semble dire à des époux qui s'accusent réciproquement d'assassinat et d'adultère : « Attendez, vous n'êtes pas encore assez divisés pour que je vous sépare. »

On a voulu gêner la faculté du divorce par les formes longues et dispendieuses qui en accompagnent la demande et en retardent la décision. Mais a-t-on bien refléchi aux inconvénients d'une loi facultative, qui, à cause des difficultés de son exécution, ne sera facultative que pour les passions, et les faiblesses des gens riches, c'est-à-dire, de ceux qui ont en général les passions moins violentes et les humeurs plus compatibles, parce que l'éducation et les bienséances leur ont appris à les contraindre ? La faculté du divorce sera-t-elle comme ces spectacles, où le riche entre à grands frais, et se place commodément, et où le pauvre, qui veut voir aussi, assiège les fenêtres et les toits ; et n'est-il pas évident que là où les uns divorceront à force d'argent, les autres divorceront à force de crimes ?

J'ai fréquemment comparé, dans le cours de cet ouvrage, le divorce tel qu'il est pratiqué chez les Chrétiens à la polygamie pratiquée en Orient, parce qu'effectivement le divorce est une véritable polygamie. Les auteurs protestants eux-mêmes ne le considèrent pas autrement ; et Théodore de Bèze commence ainsi son traité De la polygamie et du divorce, imprimé à Deventer :

« J'appelle polygamie la pluralité des mariages ; il y en a de deux espèces : ou un homme épouse à la fois plusieurs femmes, ou le mariage précédent dissous, il épouse une autre femme. »

Dans les premiers temps de la Réforme, les tribunaux considérèrent le divorce comme une tolérance tacite de la polygamie. On trouve dans un recueil d'arrêts le fait suivant, cité en abrégé dans le Journal de jurisprudence de le Brun : « T. Gautier et Jacquette Pourceau, mari et femme, après une séparation de fait, se marièrent chacun de leur côté. Le gouverneur de la Rochelle les condamna à être exposés pendant deux heures devant le palais, attaché chacun à un collier, l'homme avec deux quenouilles, la femme avec deux chapeaux. Il leur fut enjoint de retourner ensemble, et défendu d'habiter, ni de se remarier avec d'autres sous peine de la vie. Cette sentence fut confirmée par arrêt donné à la chambre de l'édit, le 23 novembre 1606. » Et ce jugement, ajoute l'arrêtiste, fut ainsi modéré, attendu que les accusés étaient de la religion prétendue réformée. Le journal de le Brun rapporte ainsi ce fait, ou un autre semblable : « Au rapport d'un ancien arrêtiste, » dit-il, « N. et sa femme, convaincus de bigamie, au parlement de Paris, furent condamnés seulement à l'exposition, attendu qu'ils étaient calvinistes, et que leur loi permet le divorce ; » ce qui veut dire que la bigamie ou la polygamie, que nos lois punissaient d'une peine capitale, parurent aux tribunaux plus dignes d'excuse chez des hommes à qui leur religion permettait la dissolution du lien conjugal. Ainsi la police ne tolérerait pas que des Orientaux, établis en France, y pratiquassent publiquement la polygamie ; mais les lois ne les puniraient pas pour en avoir fait usage, et n'y verraient qu'une conséquence de leurs mœurs et de leurs lois.

Mais si la polygamie des Orientaux est aussi funeste à la famille que le divorce, le divorce est en général plus dangereux pour l'État. En effet, la polygamie laisse les enfants auprès de ceux qui leur ont donné le jour, le divorce les sépare forcément de l'un ou de l'autre. La polygamie, renfermée dans le secret de la famille, se pratique sans trouble et sans scandale ; le divorce fait retentir les tribunaux de ses plaintes, et amuse l'oisiveté des cercles de ses révélations indiscrètes. Les Turcs achètent la fille de leur voisin ; nous, avec le divorce, nous enlevons la femme de notre ami. En Orient les femmes sont réservées : «Rien n'égale, » dit Montesquieu, « la modestie des femmes turques et persanes. » Partout où la faculté du divorce permet à une femme de voir dans tout homme un mari possible, les femmes sont sans pudeur, ou du moins sans délicatesse, parce que la pluralité des hommes qui est la suite du divorce, est plus contraire à la nature et aux mœurs publiques, que la pluralité des femmes que permet aux hommes la polygamie d'Orient. « Si on laisse, » dit Mme Necker, « aux femmes mariées la liberté de faire un nouveau choix, bientôt leurs regards erreront sur tous les hommes, et bientôt le seul privilège du parjure les distinguera des actrices, qui ont le droit des préférences et le goût des changements. »

Que sont auprès de ces raisons naturelles en faveur de l'indissolubilité du lien conjugal, tous les motifs humains qu'on peut alléguer pour justifier la faculté de le dissoudre ? Qu'importe, après tout, que quelques individus souffrent dans le cours de cette vie passagère, pourvu que la raison, la nature, la société, ne soient pas en souffrance ? Et si l'homme porte quelquefois avec regret une chaîne qu'il ne peut rompre, ne souffre-t-il pas à tous les moments de sa vie, de ses passions qu'il ne peut dompter, de son inconstance qu'il ne peut fixer, et la vie entière de l'homme de bien est-elle autre chose qu'un combat continuel contre ses penchants ? C'est à l'homme à assortir dans le mariage les humeurs et les caractères, et à prévenir les désordres dans la famille, par l'égalité de son humeur et la sagesse de sa conduite. Mais, lorsqu'il s'est décidé dans un choix contre toutes les lois de la raison, et uniquement par des motifs de caprice ou d'intérêt, lorsqu'il a fondé le bonheur de sa vie sur ce qui ne fait que le plaisir de quelques instants, lorsqu'il a empoisonné lui-même les douceurs d'une union raisonnable, par une conduite faible ou injuste ; malheureux par sa faute, a-t-il le droit de demander à la société compte de ses erreurs ou de ses torts ? Faut-il dissoudre la famille, pour ménager de nouveaux plaisirs à ses passions, ou de nouvelles chances à son inconstance, et corrompre tout un peuple, parce que quelques-uns sont corrompus ?

Combien plus sage est la religion chrétienne ! Elle interdit aux hommes l'amour des richesses et des plaisirs, cause féconde de mariages mal assortis ; elle ordonne aux enfants de suivre les conseils de leurs parents, dans cette action la plus importante de leur vie. Une fois l'union formée, elle commande le support au plus fort, la douceur au plus faible, la vertu à tous. Elle s'interpose sans cesse pour prévenir les mécontentements, ou terminer les discussions. Mais si, malgré ses exhortations, les défauts et les vices changent le lien de toute la vie en un malheur de tous les jours, elle le relâche, mais sans le rompre. Elle sépare les corps, mais sans dissoudre la société ; et laissant aux humeurs aigries le temps de s'adoucir, elle ménage aux cœurs l'espoir et la facilité de se réunir : et cette religion, qui défend tout aux passions, et pardonne tout à la fragilité ; cette religion, qui ordonne à l'homme coupable d'espérer en la bonté de son Créateur, ne veut pas que la femme imprudente ou légère désespère de la tendresse de son époux. La philosophie élève le divorce entre des époux comme un mur impénétrable ; la religion place entre eux la séparation comme un voile officieux. La philosophie, qui rejette de la société humaine comme de la religion tous les moyens de grâce (note : les philosophes qui gouvernaient ou inspiraient la révolution en France, en donnant au peuple le droit de condamner, avaient ôté au roi celui de faire grâce) et de rémission, flétrit sans retour une femme plus faible que coupable, par le sceau ineffaçable du divorce qu'elle imprime sur son front ; et lui ôtant la dignité d'épouse qu'une seconde union ne saurait lui rendre, et avec laquelle, comme dit Tacite, on transige une fois et pour la vie, cum spe votoque uxoris semel transigitur, elle la livre sans défense à toute l'inconstance de ses penchants : mais la doctrine de celui qui a pardonné à la femme adultère, plus indulgente pour la faiblesse humaine, conserve à la partie infidèle le nom de son époux, au moment où, par la séparation, les hommes lui ôtent les droits d'une femme, et veille encore sur l'honneur de celle qui n'a pas eu soin de son bonheur.

C'est à la loi civile à faire le reste ; et les séparations, devenues si communes depuis quelque temps, seraient bien moins fréquentes, si la loi imposait aux époux séparés des conditions qui en fissent une peine pour tous, et non une complaisance pour aucun d'eux.

Et, par exemple, toute femme séparée de son époux, même pour violences et mauvais traitements, devrait, à l'avenir, se retirer dans le sein de la société religieuse, seule société à laquelle elle appartienne encore. Cet asile, ouvert au repentir, à la faiblesse, au malheur, lui offrirait, dans une union plus intime avec la Divinité, les seules consolations que doive chercher et que puisse goûter une femme vertueuse délaissée par un mari injuste ; on ferait disparaître de la société le scandale d'un être qui est hors de sa place naturelle, d'une épouse qui n'est plus sous la dépendance de son époux, et d'une mère qui n'exerce plus d'autorité sur ses enfants, et dont la conduite, trop souvent équivoque, comme l'existence, porte dans la famille des autres le trouble qu'elle a mis dans la sienne. Il serait également nécessaire et extrêmement utile pour les mœurs publiques, que tout homme séparé de sa femme fût obligé de renoncer, et prohibé d'aspirer à toute fonction publique, parce qu'il est indispensable pour la famille que le chef y exerce l'autorité par lui-même, lorsqu'il n'a plus de ministre pour l'exercer à sa place ; et surtout parce qu'il est important d'apprendre aux hommes que les fonctions publiques ne les dispensent pas des vertus domestiques. Cette loi, très naturelle, serait plus efficace contre l'abus des séparations que la faculté du divorce.

Peut-être aussi la loi devrait considérer des époux séparés comme des parents morts, et alors elle nommerait à leurs enfants un tuteur, s'ils avaient des propriétés, ou, s'ils n'en avaient pas, elle confierait leur éducation à l'administration qui, les recueillant dans les établissements publics, les arracherait au malheur de se voir partagés entre les parents désunis, pour être élevés dans la haine d'un père ou le mépris d'une mère, héritiers de leurs ressentiments mutuels,
et condamnés à les perpétuer dans des haines fraternelles.

Il faut répondre à quelques objections. On oppose l'exemple de la Pologne, où la religion catholique permet le divorce, et celui des pays protestants qui le pratiquent, dit-on, sans inconvénient ; on va même jusqu'à prétendre que les mœurs y sont meilleures que dans les pays où le divorce est défendu.

1° On nie, à perte de cause, que la dissolution du lien conjugal, formé avec toutes les conditions requises pour sa validité, soit permise en Pologne ; et pour ne pas interrompre la suite de ces réflexions par des citations trop longues, on renvoie à la fin de l'ouvrage les pièces justificatives qui établissent formellement la fausseté d'une opinion que les hommes instruits ne peuvent plus se permettre de soutenir.

Il en résulte que le mariage est indissoluble en Pologne comme dans les autres États catholiques ; mais que les motifs de nullité y sont plus fréquents ou plus légèrement prononcé ; et c'est, à mon avis, une dernière preuve, mais concluante et décisive, du principe si souvent répété dans cet ouvrage, de l'homogénéité des deux sociétés, domestique et publique, religieuse et physique, et de l'analogie de leurs constitutions respectives dans toute nation. En effet, comme la Pologne est le seul Etat monarchique de l'Europe qui n'ait pas pu parvenir à sa constitution naturelle, la famille même catholique y est moins fortement constituée que dans les autres Etats de la même religion, et le christianisme lui-même y est en souffrance par un mélange de Grecs, de Juifs, de sociniens, d'anabaptistes, ou même de sectes occultes qu'on soupçonne avoir pris naissance dans ce malheureux pays, et y avoir encore leur foyer. Nation infortunée, qui, retombée depuis quelques siècles dans l'état d'enfance, a péri en voulant revenir à la virilité !

2° Les mœurs dit-on, sont meilleures dans les pays protestants que dans les États catholiques. Cette assertion, mille fois répétée par les nombreux ennemis du christianisme, demande quelque développement ; et c'est ici qu'if faut distinguer la faiblesse de l'homme de la faiblesse des lois.

La licence dans les mœurs de l'homme naquit, il est vrai, en Italie, des progrès des arts, suite nécessaire des progrès du commerce, favorisé par des princes qu'il avait enrichis et élevés ; mais la licence dans les règles mêmes des mœurs, ou dans les lois, commença au Nord, avec les opinions de Luther, appuyées par des princes avides de nouveautés et de richesses. Les désordres en Italie étaient personnels et cherchaient l'ombre du mystère ; en Allemagne, ils furent publics ou autorisés ; et tandis que l'Italien ourdissait une intrigue pour séduire la femme de son voisin, l'Allemand la lui enlevait en vertu d'une sentence du juge, et l'épousait par-devant notaire ; et c'est ce que les Allemands appelèrent la bienheureuse réforme, comme nous disions, en 90, notre superbe constitution. Bientôt, s'il faut en croire les plus zélés disciples de Luther, la dissolution des mœurs, suite infaillible de pareilles lois, fut au comble en Allemagne, et comparable à la licence du mahométisme ; et nous avons déjà vu que Luther lui-même permit la polygamie au landgrave de Hesse, mais en grand secret, et même sous le sceau de la confession, sub sigillo confessionis (note : la consultation extrêmement curieuse du landgrave de Hesse, et la décision non moins curieuse de Luther et de sept autres fameux docteurs de son parti, fut publiée en 1679, en forme authentique, par le prince palatin, avec l'instrument du second mariage. On les trouve dans l'Histoire des variations).

Le christianisme fut donc attaqué aux deux extrémités de la chrétienté à la fois, dans les mœurs de l'homme et les lois de la société, lorsque la chrétienté elle-même était attaquée dans son territoire par les armes alors si redoutables de l'empire ottoman. Ces deux causes de désordre, la licence dans les arts et la faiblesse dans les lois, ont, depuis ce temps, marché parallèlement dans la société, jusqu'au moment où la philosophie moderne, qui se compose à fois des opinions les plus faibles sur les lois, et du goût le plus décidé pour les arts, a combiné en France, comme dans un foyer placé au centre de l'Europe, ces deux principes de désordre domestique et public : épouvantable combinaison, dont l'explosion violente a réagi à la fois contre le Nord et contre le Midi ; semblable à ces détonations terribles, subitement produites par le mélange de deux liqueurs.

Les arts du Midi avaient pénétré au Nord, quoique avec lenteur, à la suite des richesses que le commerce produit ; mais des causes politiques et religieuses avaient empêché dans le Midi la propagation publique des principes de la Réforme. Il y avait donc dans l'Europe protestante un principe de licence de plus que dans l'Europe catholique ; et comment la raison pourrait-elle admettre que des causes en plus grand nombre produisissent moins d'effet, surtout si l'on considère que la religion catholique, avec son culte sensible et ses pratiques gênantes, impose à nos passions un frein plus présent et plus sévère, en même temps qu'elle nous offre dans les règles austères de quelques institutions, toujours plus fortes que les hommes, des modèles de détachement de tous les plaisirs ?

Je ne crains donc pas d'affirmer qu'il y avait depuis longtemps plus de désordres du genre de ceux dont il est question ici, chez les peuples protestants que dans les États catholiques : je dis les peuples ; car là où, comme en France, il n'y a que des individus mêlés à une population nombreuse de Catholiques, on ne distingue pas de différence dans les habitudes. Je citerai, à l'appui de mon assertion, le major Weiss, sénateur de Berne, connu par son attachement à la révolution française, dont il a voulu, trop tard, empêcher les progrès dans sa patrie, et qui montre dans ses écrits une extrême prévention, pour les nations protestantes : « Les deux nations les plus mâles (note : c'est un compliment que M. le major Weiss adresse à deux nations, dont l'une enrichissait la Suisse de ses guinées, et dont l'autre accordait sa protection au canton de Berne. Les nations les plus mâles sont les nations les plus fortes et les meilleures, et ce n'est, en Europe, ni l'anglaise ni la prussienne) de l'Europe, » dit-il dans ses Principes philosophiques, « l'anglaise et la prussienne, sont celles où les faiblesses de l'amour sont traitées avec le plus d'indulgence. » Chez les Anglais, le théâtre est d'une indécence révoltante, et M. Hugh Blair, célèbre professeur de belles lettres d'Edimbourg, remarque que les Français, particulièrement, en sont choqués. Berlin est la ville de l'Europe la plus corrompue. Depuis longtemps, à Genève, la licence des principes l'avait emporté sur le rigorisme des formes, et il y avait plus de désordres que dans toute ville de France du même rang. Les mœurs, en France, étaient bonnes dans les campagnes, et décentes au moins dans les grandes villes. Il y a des départements où, même aujourd'hui, le divorce est inouï, et où le peuple n'en verrait le premier exemple qu'avec horreur. Enfin, là où l'identité de climat, de productions, d'aliments, les mêmes institutions politiques, les mêmes habitudes domestiques, une ignorance égale des arts agréables, permettent d'établir entre les peuples des deux communions un parallèle parfaitement exact, je veux dire en Suisse, l'avantage reste tout entier aux Catholiques, et les mœurs étaient aussi pures à Fribourg qu'elles étaient dissolues à Berne. Je m'appuie encore ici de l'autorité de l'écrivain bernois. « Je ne connais pas, » dit-il, « de pays en Europe où le gros du peuple soit moins continent que dans le canton de Berne ; » et il en cite des exemples fort étranges, qui rappellent les usages des Lapons envers leurs hôtes, ou ceux des insulaires de la mer du Sud.

D'ailleurs, il faut observer que, même à égalité de désordres, la faiblesse des moeurs est plus apparente, là où elle contraste davantage avec la sévérité des lois. L'ivresse, qui n'est pas même remarquée en Angleterre, est un phénomène en Espagne ; et dans tous les pays où le divorce est permis, c'est un bon ménage que celui où les époux ne forment pas ailleurs de nouveaux liens.

« C'est en vain, » dit Mme Necker, « qu'on voudrait faire valoir, en faveur du divorce, la bonne intelligence des époux dans les pays protestants, et la pureté des mœurs domestiques dans les premiers siècles de Rome. Cet argument me paraît nul ; car il prouve seulement que la permission du divorce n'a aucune influence dangereuse dans les lieux où l'on n'en profite jamais. » En un mot, attribuer les bonnes mœurs d'un peuple à la faculté du divorce, dont il n'use pas, c'est faire honneur de la bonne santé des habitants d'une contrée, à un médecin du voisinage qui n'y serait jamais appelé.

Au fond, la bonté ou la corruption des mœurs conjugales est moins dans les actions qui en résultent, que dans le sentiment dont elles émanent. Un peuple, livré à l'amour du gain, comme le sont en général les peuples presbytériens, est moins accessible à tout autre sentiment. Là, si l'homme est bon, il l'est sans vertu, parce qu'il l'est sans effort ; et il n'y a pas de grands désordres dans les affections humaines, parce qu'il y a peu d'affection entre les hommes. Magis extra vitia quam cum virtutibus.

Mais comment, après tout, ose-t-on alléguer, en faveur du divorce, la pratique des nations protestantes, lorsqu'on les voit elles-mêmes, fatiguées de la licence qu'il a introduite, chercher dans les mœurs un remède contre la loi ; des protestants eux-mêmes (note : Mme Necker, et D. Hume, 18e Essai) écrire contre le divorce ; et le parlement d'Angleterre, persuadé qu'il n'est plus aujourd'hui qu'un moyen d'adultère, occupé à se préserver des effets désastreux d'une loi dont il fut le premier auteur ?

Et qu'on ne s'y trompe pas ; si l'on remarquait encore, il y a trente ou quarante ans, quelque rigidité de mœurs, ou plutôt quelque rigorisme, chez les peuples qui obéissent à la réformation, il faut l'attribuer uniquement à cette jalousie de secte, qui, en présence d'une religion plus sévère, retenait les peuples sur la pente rapide de la corruption où les place l'imperfection de leurs dogmes. La religion catholique gouvernait dans ce sens la religion presbytérienne, comme les monarchies d'Europe en gouvernaient les démocraties. Et l'on ne peut pas douter que les mœurs dans toute la chrétienté ne devinssent pires qu'elles ne l'ont été sous le paganisme, ou même en France, au temps où l'on plaçait le vice sur les autels et la vertu sur l'échafaud, s'il n'y avait d'autre digue à leur débordement que la sentence de la philosophie, ou les phylactères des théophilanthropes (note : ces phylactères étaient des sentences morales que les Pharisiens étalaient sur leur poitrine et sur leur front, et que nos théophilanthropes affichent sur les murs des lieux où ils s'assemblent).

Otez le catholicisme de l'univers, et le divorce y deviendra pire que la polygamie d'Orient, cet état imparfait de société domestique, et contre la nature de la société publique, qui produit l'esclavage, l'exposition des enfants, l'oppression de toutes les faiblesses de l'humanité, et qui n'est séparé de la promiscuité des brutes, que par la réclusion d'un sexe et la mutilation d'un autre.

Je ne crains pas de le dire ; si le divorce est décrété en même temps que l'exercice de la religion catholique est établi, le peuple croira, ou que l'on veut au fond détruire la religion, ou que la religion permet le divorce ; et l'une ou l'autre de ces opinions peut produire de grands désordres. On ne le répétera jamais assez : le divorce ne fut, en 1792, qu'une conséquence ; on pouvait tout décréter alors ; le temps et les hommes prémunissaient assez contre la séduction. Aujourd'hui le divorce sera regardé comme un principe, et la différence est incalculable.

Je finirai par une réflexion importante. Les mariages, qui sont faits pour unir les familles d'une même contrée, deviendraient par leur dissolution, chez un peuple sensible et délicat, juste appréciateur du bienfait et de l'offense, une source féconde de haines héréditaires, qui ramèneraient la société à l'âge des guerres privées et de la vindicte domestique ; et il n'y a pas de petite ville en province qu'un seul divorce ne pût mettre dans la plus grande confusion. Le Journal de Paris éleva, il y a quelques mois, cette question : Si l'opposition dans le corps législatif peut être aussi véhémente en France qu'elle l'est en Angleterre. Il allégua, pour établir la négative, des raisons qui toutes conviennent bien mieux à la question que nous examinons ici , et soutint, avec fondement, que chez un peuple comme le Français, qui se nourrit de pain et de vin, un outrage personnel ne reste pas impuni, et, à bien plus forte raison, un outrage domestique ; car la vindicte domestique, différente de la vengeance personnelle, n'était, chez les Francs, et n'est partout, que le supplément à la vindicte publique, et une marque certaine de l'insuffisance et de la faiblesse des lois politiques.

L'autorité publique ne doit jamais perdre de vue que la religion même, en même temps qu'elle ordonne à l'homme de pardonner, enjoint au pouvoir de punir ; « car, » dit-elle, « ce n'est pas en vain qu'il porte le glaive : » Non enim sine causa gladium portat. De là vient qu'autrefois, là où les tribunaux ne pouvaient pas juger, ni par conséquent punir, l'autorité publique permettait la vindicte à l'homme dans !e combat judiciaire ; et qu'encore aujourd'hui la vengeance personnelle est plus commune dans les pays où, comme en Italie, la vindicte publique est exercée avec moins de force. Notre procédure par jury, en matière criminelle, est un reste de l'ancien jugement domestique qui précède le jugement public et l'administration régulière de la justice ; nouvelle preuve du rare discernement de nos philosophes, qui, en tout, ramènent la nation de l'Europe la plus avancée aux habitudes imparfaites de son premier âge.

Il faut donc revenir à une législation plus forte, et interdire aux passions tout espoir de se satisfaire légalement.

Il faut se pénétrer de cette vérité, que les lois faibles ne conviennent qu'aux peuples naissants, et qu'elles doivent être plus sévères à mesure que !a société est plus avancée et l'homme plus relâché. Ainsi l'homme fait a des devoirs à remplir bien plus étendus et bien autrement obligatoires que ceux auxquels l'enfant est soumis.

Il est temps que le pouvoir public reconnaisse qu'il a empiété sur le pouvoir domestique, et qu'il ne peut rétablir les bonnes mœurs qu'en lui rendant ses justes droits, puisque les bonnes mœurs ne sont que l'observation des lois domestiques. Les choix seront plus prudents, lorsque les suites seront plus sérieuses ; le pouvoir sera plus doux lorsqu'il ne sera plus disputé et que la femme n'aura ni la propriété de sa personne, ni la disposition de ses biens. La paix et la vertu s'asseyeront aux foyers domestiques, lorsque la loi de l'État maintiendra entre le père, la mère et les enfants, les rapports naturels qui constituent la famille, et qu'il n'y aura dans la société domestique, comme dans la société publique, ni confusion de personnes, ni déplacement de pouvoir."


Louis de Bonald, Du divorce considéré au XIXe siècle relativement à l'état domestique et à l'état public de la société (1801), dans Œuvres complètes de M. de Bonald, tome II

dimanche 27 septembre 2009 | By: Mickaelus

Du mariage, par Louis de Bonald


Louis de Bonald et la famille


"Le mariage est l'engagement que prennent deux personnes de différent sexe, de s'unir pour former une société appelée famille.

La philosophie moderne donne au mariage une autre fin. Dans l'état de perfection chimérique où Condorcet, dans son ouvrage posthume sur les progrès de l'esprit humain, suppose que les hommes seront parvenus un jour, attribuant ainsi à l'individu la perfection qui doit être dans la société, «les hommes, » dit-il, « comprendront alors que s'ils ont quelque obligation envers les êtres qui ne sont pas encore, ce ne peut être de leur donner l'existence : » opinion mal sonnante, exprimée dans une phrase ridicule, et du même genre absolument que celle de ce militaire qui, chargé d'une exécution rigoureuse, répondait à un malheureux qui lui demandait la vie : «Mon ami, demande-moi tout ce que tu voudras, excepté la vie. »

L'union de tous avec tous indistinctement, est la promiscuité des brutes ; l'union successive d'un avec plusieurs est la polygamie, la répudiation, le divorce ; l'union indissoluble d'un avec un est le mariage chrétien autrefois, aujourd'hui catholique : toutes les formes de mariage se réduisent donc à unité d'union ou pluralité d'unions.

Ainsi, comme la promiscuité est l'union des êtres animés les plus imparfaits, des brutes, il semble que l'union indissoluble, qui est l'autre extrême, doit être l'union des êtres animés les plus parfaits, des hommes ; et que les états intermédiaires entre ces deux états seront plus ou moins parfaits, selon qu'ils se rapprocheront de l'un ou de l'autre : vérité universellement convenue, puisque les adversaires de l'indissolubilité ne lui reprochent que sa perfection.

Si le mariage humain est une union avec engagement de former société, il diffère essentiellement du concubinage, qui est une union sans engagement de former société, et plus encore du libertinage vague, qui est une union avec dessein de ne point former de société.

La fin du mariage n'est donc pas le bonheur des époux, si par bonheur on entend, comme dans une idylle, le plaisir du coeur et des sens, que l'homme amoureux de l'indépendance trouve bien plutôt dans des unions sans engagement.

La religion et l'Etat n'envisagent dans le mariage, que les devoirs qu'il impose ; et ils ne le regardent que comme l'acte de fondation d'une société, puisque cette société à venir est, dans le sacrement, l'objet des bénédictions de la religion, et dans le contrat civil, l'objet des clauses que ratifie et garantit l'Etat.

Tout engagement entre des êtres intelligents et sensibles qui ont la faculté de vouloir et d'agir, suppose liberté dans la volonté, puissance dans l'action. Ainsi, là où il y a contrainte reconnue ou impuissance prouvée, il n'y a pas de mariage, parce qu'il n'y a pas d'engagement, et qu'il ne peut en naître de société. Ce sont deux empêchements qu'on appelle dirimants, et auxquels tous les autres se rapportent.

Dès que l'engagement est valable, il ne peut y avoir de raison de le dissoudre, même pour cause de non-survenance d'enfants.

Les motifs de l'indissolubilité sont pris de la société domestique et de la société publique, parce que le mariage est à la fois domestique dans son principe, et public dans ses effets.

Le mariage est une société éventuelle, et la famille une société actuelle. La nature n'a pas fixé le terme de cette éventualité : et lors même que le mariage n'atteindrait pas son but social, et que les enfants ne surviennent pas, il n'y a pas de raison suffisante de rompre le premier engagement pour en former un autre, puisque la fécondité du second mariage est tout aussi éventuelle que celle du premier. Dès que l'enfant est survenu, le but est rempli, et la société, d'éventuelle, est devenue actuelle.

Ainsi, tant que le mari et la femme n'ont point d'enfants, il peut en survenir ; et le mariage n'étant formé que pour les enfants à venir, il n'y a pas de raison de rompre le mariage. Lorsque les enfants sont survenus, le mariage a atteint sa fin, et il y a raison de ne pas le rompre car il est à remarquer que l'impuissance ne se prouve pas contre la femme, même dans le cas d'infécondité.

En un mot, la raison du mariage est la production des enfants. Or, en rompant un premier mariage pour en contracter un second, la production devient impossible dans le premier, sans devenir plus assurée dans l'autre. Donc il n'y a pas de raison de rompre le mariage et après tout, quelque disposition qu'aient nos philosophes modernes à assimiler l'homme aux brutes, et quelque importance qu'attachent à la population ces grands dépopulateurs de l'univers, ils n'oseraient sans doute soutenir que, dans les mariages humains, on doive, comme dans les haras, procéder par essais.

Les raisons contre le divorce, tirées de la société publique, sont encore plus fortes que celles qui sont prises de la société domestique.

Le pouvoir politique ne peut garantir la stabilité des personnes domestiques sans les connaître ; de là la nécessité de l'acte civil, qui fait connaître l'engagement de l'homme et de la femme, et de l'acte de naissance, qui fait connaître le père, la mère et l'enfant.

Mais, et je prie le lecteur de faire attention à ce raisonnement, le pouvoir politique n'intervient par ses officiers dans le contrat d'union des époux, que parce qu'il y représente l'enfant à naître, seul objet social du mariage, et qu'il accepte l'engagement qu'ils prennent en sa présence et sous sa garantie, de lui donner l'être. Il y stipule les intérêts de l'enfant, puisque la plupart des clauses matrimoniales sont relatives à la survenance des enfants, et que même il accepte quelquefois certains avantages particuliers, stipulés d'avance en faveur d'un enfant à naître dans un certain ordre de naissance ou du sexe ; et témoin du lien qui doit lui donner l'existence, il en garantit la stabilité qui doit assurer sa conservation. L'engagement conjugal est donc réellement formé entre trois personnes présentes ou représentées car le pouvoir public, qui précède la famille et qui lui survit, représente toujours, dans la famille, la personne absente, soit l'enfant avant sa naissance, soit le père après sa mort.

L'engagement formé entre trois ne peut donc être rompu par deux au préjudice du tiers, puisque cette troisième personne est, sinon la première, du moins la plus importante ; que c'est à elle seule que tout se rapporte, et qu'elle est la raison de l'union sociale des deux autres, qui ne sont pas plus père ou mère sans l'enfant, que lui n'est fils sans elles. « Dans les sociétés ordinaires, » disent les rédacteurs du projet, «on stipule pour soi ; dans le mariage, on stipule pour autrui. » Le père et la mère qui font divorce, sont donc réellement deux forts qui s'arrangent pour dépouiller un faible ; et l'Etat qui y consent est complice de leur brigandage. Cette troisième personne ne peut, même présente, consentir jamais à la dissolution de la société qui lui a donné l'être, puisqu'elle est toujours mineure dans la famille, même alors qu'elle est majeure dans l'Etat ; par conséquent, toujours hors d'état de consentir rien à son préjudice : et le pouvoir politique, qui l'a représentée pour former le lien de la société, ne peut plus la représenter pour le dissoudre, parce que le tuteur est donné au pupille, moins pour accepter ce qui lui est utile, que pour l'empêcher de consentir à ce qui lui nuit ; ce qui fait qu'il peut acheter valablement au nom du pupille, et qu'il ne peut pas vendre.

Le mariage est donc indissoluble, sous le rapport domestique et public de société. Il est donc naturellement indissoluble ; car le naturel ou la nature de l'homme se compose à la fois de l'état domestique et de l'état public, et il y a de quoi s'étonner, sans doute, d'entendre les rédacteurs du projet de code civil, dire que le mariage n'est ni un acte civil, ni un acte religieux, mais un acte naturel : car si on entend par un acte naturel un acte physique, le mariage n'est qu'une rencontre d'animaux ; et si on entend autre chose, il n'est pas possible de deviner ce qu'on veut dire.

Le divorce est donc contraire au principe de la société ; nous prouverons, dans la suite de ce traité, qu'il est funeste dans ses effets sur la société."


Louis de Bonald, Du divorce considéré au XIXe siècle relativement à l'état domestique et à l'état public de la société (1801), dans Œuvres complètes de M. de Bonald, tome II

samedi 20 juin 2009 | By: Mickaelus

De la société domestique, par Louis de Bonald


Louis de Bonald et la famille


"L'homme, la femme, sont l'un et l'autre ; mais ils ne sont pas l'un comme l'autre ou d'une manière égale, et ils diffèrent de sexe.

Cette égalité dans l'être, cette inégalité dans la manière d'être, s'appelle similitude, et constitue des êtres qui sont semblables, mais non pas égaux, et ne peuvent jamais le devenir.

L'union des sexes est la raison de leur différence ; la production d'un être est la fin de leur union.

Cet être produit est d'un sexe comme l'un ou l'autre de ceux qui lui ont donné l'être ; mais ils sont formés, et il est à former ; il est jeune, et ils sont vieux. Autre inégalité, autre similitude.

Homme, femme, petit, considérés chacun en soi, et sans aucune relation entre eux, forment chacun un individu, c'est-à-dire, un tout qu'on ne peut diviser sans le détruire. Leurs manières d'être, de sexe et d'âge sont absolues, ce qui veut dire qu'elles existent l'une sans l'autre ; car pour l'être organisé, jeune n'est pas relatif de vieux ; et l'être organisé est, dans un sens absolu, jeune tant qu'il croit, et vieux quand il décroît.

Père, mère, enfant, qui expriment à la fois l'union des sexes et la production de l'être, ne peuvent être considérés que dépendamment l'un de l'autre, et relativement l'un à l'autre. Une femme pourrait exister sans qu'il existât d'homme ; mais il n'y a pas de mère s'il n'y a pas un père, ni un enfant sans l'un et sans l'autre. Chacune de ces manières d'être suppose et rappelle les deux autres ; c'est-à-dire qu'elles sont relatives. Ainsi considérées, elles s'appellent rapports, en latin ratio : père, mère, enfant, sont des personnes, et leur réunion forme la famille. L'union des sexes, qui est le fondement de tous ces rapports, s'appelle mariage.

Ainsi la similitude des êtres humains a produit des rapports entre eux ; comme la similitude des êtres matériels, considérés dans l'étendue, produit des rapports arithmétiques ou géométriques ; comme la similarité des êtres matériels, considérés dans leur substance, produit des affinités ou rapports chimiques. Ces points de contact entre les diverses sciences sont précieux à recueillir.

La production de l'homme est la fin du rapport des sexes ; sa conservation est la fin du rapport des âges, c'est-à-dire, que l'homme et la femme produisent l'enfant, que le père et la mère le conservent. La production et la conservation de l'homme sont donc la fin de la famille, et la raison de tous les rapports de sexe et d'âge qui la constituent.

La brute naît avec une impulsion, selon les uns ; avec une connaissance, selon les autres ; impulsion ou connaissance qu'on appelle instinct, qui guide invariablement chaque espèce et infailliblement toutes les espèces dans leur reproduction et leur conservation, pour lesquelles elles ont reçu chacune tout ce qui leur est nécessaire. La brute n'est pas plus libre de ne pas se reproduire que de ne pas se conserver. Le temps, la manière, tout est déterminé pour elle ; et ce que nos leçons ajoutent à son instinct, est pour nos besoins et jamais pour les siens, et prouve bien moins son industrie que la nôtre.

L'homme, au contraire, naît ignorant et désarmé ; et si la faculté de choisir et de vouloir, qui le distingue, n'est pas éclairée par l'instruction, il n'aura pas de choix ; il aura une impulsion et point de volonté, des mouvements et point d'action. Il cédera à quelques besoins involontaires, mais il ne saura ni prévoir aucun danger ni s'en défendre ; hors d'état de se conserver et peut-être de se reproduire (note : les hommes des deux sexes, hors de toute société, sans langage, et par conséquent sans raison, se fuiraient, se battraient, et ne s'uniraient pas. Ce qui le prouve, est que la passion de l'amour est plus faible dans l'homme à mesure qu'il est plus voisin de l'état barbare, et plus forte dans la brute à mesure qu'elle se rapproche de la vie sauvage. Tous les hommes trouvés dans des bois ont montré de l'éloignement pour les femmes, et réciproquement), il sera au-dessous de la brute, ou plutôt il ne sera rien, parce qu'il ne sera pas ce qu'il doit être, et qu'il n'a pas reçu, comme la brute, un instinct pour suppléer à sa volonté.

« L'homme n'est donc pas, » comme le dit Saint-Lambert, » une masse organisée et sensible, qui reçoit l'esprit de tout ce qui l'environne et de ses besoins ; » mais l'homme est une intelligence servie par des organes, qui reçoivent de leur conformation et de l'instruction une disposition à seconder l'intelligence dans l'exercice de sa volonté et la direction de son action (Note : tantum abest ut corpus quoquo modo sui juris sit, dit le célèbre Sthal, ut potius alterius sit juris, animae, inquam, et intelligendi ac volendi actus ministret).

Le moyen de cette instruction est la parole ; car l'homme en société n'agit pas sans moyen, milieu, médiateur, mots absolument synonymes.

La parole, qui exprime la pensée du père pour former la pensée du fils, l'enseigner à vouloir, et par conséquent à agir, est connue du père, inconnue au fils ; car même on n'a pu désigner le petit de l'espèce humaine qu'en disant, celui qui ne parle pas, infans.

Ainsi, dans la conservation ou instruction de l'homme, comme dans sa reproduction, le père est actif ou fort, l'enfant passif ou faible ; la mère, moyen terme entre les deux extrêmes de cette proportion continue, passive pour concevoir, active pour produire, reçoit pour transmettre, apprend pour instruire, et obéit pour commander.

Cette gradation dans leurs rapports, dans laquelle seule se trouve la solution de la question du divorce, est marquée d'une manière sensible dans les relations même purement physiques des êtres. L'homme, doué de connaissance, n'est père qu'avec volonté ; la femme, même avec connaissance, peut devenir mère malgré sa volonté ; l'enfant n'a ni la volonté de naître, ni la connaissance qu'il naît.

Cette coopération nécessaire de la mère à l'action du père pour l'enfant, ce double rapport qui l'unit à l'un et l'unit à l'autre, et qui fait que, dans son corps comme dans son esprit, la femme participe de la force de l'un et de la faiblesse de l'autre, s'appelle moyen ou ministère.

Ainsi l'on peut dire, « que le père a, ou est le pouvoir d'accomplir, par le moyen ou le ministère de la mère, l'action reproductive et conservatrice, dont l'enfant est le terme ou le sujet. »

Qu'on me permette d'éliminer, comme dans l'analyse, l'expression des rapports physiques, père, mère, enfant, qui conviennent à la brute comme à l'homme, et nous aurons l'expression pouvoir, ministre, sujet, relatifs comme père, mère, enfant : expression des rapports moraux qui ne conviennent qu'à l'être intelligent ; mais qui conviennent à tous les êtres intelligents, embrassent la généralité, l'immensité de leurs rapports, et ouvrent à la méditation les portes mêmes de l'infini.

Père, mère, enfant, étaient les personnes physiques, leurs rapports étaient physiques, et formaient la famille animale : pouvoir, ministre, sujet, sont les personnes morales ou sociales, ou simplement les personnes (note : personne vient de per se sonat, qui exprime par lui-même une relation sociale. Paul est un mot qui désigne un individu, et n'énonce aucune qualité. Pouvoir, ministre, sujet, sont des personnes ; c'est-à-dire qu'ils expriment par eux-mêmes, per se sonant, des rapports, et ne désignent point d'individu) ; leurs rapports sont moraux ou sociaux, et forment la famille morale, ou société appelée domestique, a domo, parce que la communauté d'habitation en est une condition nécessaire.

J'insiste à dessein sur ces expressions morales qui désignent les personnes domestiques : 1° parce que celles de père, de mère, d'enfant, ne présentant que des rapports de sexe et d'âge, les sophistes modernes en ont abusé, pour ne nous considérer que comme des mâles, des femelles et des petits, et qu'il faut en quelque sorte spiritualiser l'homme et ses rapports, à proportion des efforts qu'on fait pour les matérialiser.

2° Parce que les expressions de pouvoir, de ministre, de sujet, portent avec elles l'énoncé des fonctions et des devoirs de chaque membre de la société.

3° Parce que ces expressions générales, usitées dans la société publique, montrent à découvert sa similitude avec la société domestique, et simplifient le développement de leurs principes communs.

La religion chrétienne elle-même, que je ne citerai jamais dans le cours de cet ouvrage que pour en faire voir la conformité avec la raison, appelle l'homme la raison, le chef, le pouvoir de la femme : Vir caput est mulieris, dit saint Paul. (Ephes. v, 23.) Elle appelle la femme l'aide ou le ministre de l'homme : Faisons à l'homme, dit la Genèse (II, 18), un aide semblable à lui. Elle appelle l'enfant sujet, puisqu'elle lui dit, en mille endroits, d'obéir à ses parents.

La famille a donc pris un caractère de moralité, et c'est ce que dit en d'autres termes l'auteur du discours préliminaire du projet de code civil : « Quand une nation est formée, on s'occupe plus de la dignité du mariage que de sa fin. »

La malice de l'homme monte toujours ; c'est-à-dire que l'homme tend, par un penchant né avec lui, à exagérer son pouvoir, la femme à l'usurper, l'enfant à s'y soustraire. Cette disposition, quelle qu'en soit la cause, est un fait à l'abri de contestation.

La religion ne fait donc que nous raconter un fait, lorsqu'elle nous enseigne que nous naissons tous avec un penchant originel ou natif à la domination, appelé orgueil ; penchant qui trahit notre grandeur naturelle, et dont la société est le frein, puisque la société renferme les institutions qui maintiennent, contre les passions des hommes, le pouvoir légitime, conservateur des êtres, et qu'elle n'est que la protection de la faiblesse contre l'abus de la force ; et la philosophie moderne nie la vérité et la raison, lorsqu'elle nous dit, par l'organe de J. -J. Rousseau : « L'homme est né bon et la société le déprave. »

La force physique du père ne pourrait contenir ce penchant à l'indépendance dans les autres membres de la famille ; car plusieurs enfants sont plus forts qu'un père, et la vie même de l'homme est à tout instant à la disposition de sa femme.

Quel sera donc le lien qui retiendra les personnes domestiques à la place que leurs devoirs leur assignent ? Les affections naturelles, disent les sophistes, qui ne manquent pas de citer en preuve les affections des brutes ; la sympathie, disent les romanciers ; le sentiment, disent les âmes sensibles. Mais si ces affections sont naturelles en nous, comme le besoin de digérer et de dormir, pourquoi des pères injustes, des enfants ingrats, des femmes infidèles, des frères ennemis ? Pourquoi des lois, lorsqu'il y a des nécessités ? Cette affection prétendue naturelle des autres, n'est-elle pas trop souvent prête à céder à l'affection de soi ? Et bien loin qu'elle soit naturelle ne faut-il jamais d'efforts sur eux-mêmes, aux époux, pour demeurer unis et aux enfants pour leur rester soumis ? Ces affections naturelles ne sont donc que des affections raisonnables, que l'habitude, la reconnaissance, surtout l'amour de soi, rendent chères, faciles, aveugles quelquefois ; et si elles sont des affections raisonnables, elles sont raisonnées ou apprises. Car l'homme nait capable de raison mais il apprend à raisonner, et ne raisonne pas, s'il n'a pas appris à le faire. Ainsi l'on peut dire que la raison de toutes nos affections raisonnables, ou de tous nos devoirs, ne se trouve que dans la raison.

L'enfant reçoit de ses parents la raison par la communication de la parole, comme il en a reçu l'être par la communication de la vie. Ses parents ont reçu l'un et l'autre de ceux qui les ont précédés. La progression sensible de la population, partout où des causes accidentelles ou locales ne la contrarient pas, prouve, comme toute progression géométrique, un premier terme générateur. Tout peuple, et le genre humain lui-même, est né d'une famille puisque encore il pourrait recommencer par une famille, si elle restait seule dans l'univers. Aussi, dans l'enfance du monde, les peuples ne s'appelaient que du nom d'une famille : enfants d'Héber, de Moab, d'Edom, Dardanidae, Pelasgi, etc.

Cette première famille est-elle née de la terre ou de la mer, du soleil ou de la lune ? On l'a dit dans ce siècle, où l'on a renouvelé les fables de Prométhée et de Deucalion. Mais pourquoi les éléments, aujourd'hui, ne produisent-ils rien de semblable? Qu'on nous montre un insecte né sans père ni mère, d'une matière en fermentation, et nous pourrons croire à la formation de l'homme par la matière. Disons donc, avec la raison et l'histoire, qu'un être intelligent a produit l'être intelligent. Que si nous ignorons le mystère de cette génération divine, nous ne connaissons pas davantage le mystère de la génération humaine, parce que tout dans l'univers, et l'homme lui-même, est un mystère pour l'homme. Ainsi nous imaginons les effets, tels que la fluidité, la force du vent, la gravitation, l'adhésion, etc., sans les concevoir ; et nous concevons la chose sans l'imaginer. Car cette proposition : Il n'y a pas d'effet sans cause, est aussi évidente à la raison que celle-ci : Il n'y a pas de corps sans étendue, est certaine à l'imagination.

Cet être, auteur de l'homme, supérieur par conséquent à l'homme, comme la cause l'est à l'effet, nous l'appelons Dieu, et c'est même une absurdité de dire que l'homme ait inventé Dieu ; car inventer un être, ce serait le créer, et l'homme ne peut pas plus créer les êtres qu'il ne peut les détruire. Il développe les rapports, il change les formes : là se bornent et son invention et son action ; l'on peut défier tous les philosophes ensemble d'inventer quelque chose dont les hommes n'aient pas l'idée précédente, comme de tracer une figure qui ne soit pas dans des dimensions déjà connues.

Dans Dieu est donc la raison de la création ; dans Dieu est la raison de la conservation, qui est une création continuée.

Si Dieu a créé l'homme, il y a dans Dieu, comme dans l'homme, intelligence qui a voulu, action qui a exécuté. Il y a donc similitude, et l'homme est fait à son image et à sa ressemblance. Il y a donc des rapports, une société ; et je vois dans tout l'univers la religion aussitôt que la famille, la société de l'homme avec Dieu aussitôt que la société de l'homme avec l'homme : cette religion primitive se nomme naturelle ou domestique.

Mais si l'homme d'aujourd'hui reçoit la parole comme l'être ; s'il ne parle qu'autant qu'il entend parler, et que le langage qu'il entend parler ; si même il est physiquement impossible que l'homme invente de lui-même à parler, comme il est impossible qu'il invente de lui-même à être (ce qui peut être démontré par la considération des opérations de la pensée et de l'organe vocal), il est nécessaire que l'homme du commencement ait reçu, ensemble, l'être et la parole. Or, cette vérité, qui serait une démonstration, même physique, de l'existence d'un premier être, combattue, ou plutôt méconnue par des sophistes, s'établit peu à peu dans la société ; et déjà J. -J. Rousseau avait dit : « Effrayé des difficultés qui se multiplient (dans la discussion du roman de Condillac, sur l'invention du langage), et convaincu de l'impossibilité presque démontrée que les langues aient pu naître et s'établir par des moyens purement humains, je laisse à qui voudra l'entreprendre la discussion de ce difficile problème... et je crois que la parole a été fort nécessaire pour inventer la parole. »

C'est, en effet, dans ces derniers mots qu'est la raison de l'impossibilité de l'invention du langage par les hommes : car inventer est penser, et penser est parler intérieurement. Il faut des signes pour penser, parce qu'il en faut pour parler ; et l'on peut dire, en se résumant, que l'homme pense sa parole avant de parler sa pensée, et exprime sa pensée pour lui-même avant de l'exprimer pour les autres.

Dans la parole divine est la raison humaine, comme dans la parole du père est la raison de l'enfant. De là vient qu'en grec, parole et raison s'expriment par le même mot, logos ; et l'homme n'aurait pu de lui-même raisonner, puisque de lui-même il n'aurait même pu parler ; et si je ne connais pas l'incompréhensible mystère de la parole humaine, pourquoi voudrais-je pénétrer le mystère de la parole divine ?

La société, entre Dieu et l'homme primitif, a tous les caractères généraux de la société que nous avons remarquée entre les hommes, et j'y vois les personnes morales : le pouvoir, qui est Dieu ; les sujets, qui sont les personnes domestiques ; le ministre, qui est le père de famille ; moyen aussi entre les deux extrêmes de cette proportion continue, « Dieu est au père, comme le père est à l'enfant. » Le père est passif, actif à la fois, participant de la dépendance de l'enfant et du pouvoir de Dieu même, recevant des ordres pour les transmettre, et obéissant à l'un pour commander à l'autre.

Et je ne vois nulle part de vérité historique mieux prouvée que la religion des premières familles et le sacerdoce des premiers patriarches.

Dans ce culte domestique de la Divinité, la mère avait une place distinguée, ou peut-être quelque fonction particulière relative à son rang dans la famille. De là les prêtresses de la religion païenne, et cette disposition ordinaire aux peuples anciens, dont on aperçoit encore des traces dans les temps modernes, à attribuer aux femmes quelque chose de surhumain, et particulièrement la connaissance de l'avenir. Inesse quin etiam feminis sanctum aliquid et providum putant, dit Tacite en parlant des Germains.

Ainsi l'existence de l'homme prouve la création des êtres, et l'existence de la famille prouve la conservation de l'homme : donc elle prouve la connaissance des rapports naturels des hommes en famille, seuls moyens de conservation ; l'instruction, seul moyen de connaissance ; la parole, seul moyen d'instruction ; Dieu enfin, qui seul connaît par lui-même les rapports des êtres qu'il a créés, et qui peut seul les révéler aux hommes.

Cette parole, qui apprend les rapports naturels, s'appelle loi. La loi est donc l'énoncé des rapports naturels entre les personnes : vérité universellement convenue depuis Cicéron, qui a dit : Lex est ratio profecta a natura rerum, jusqu'à J.-J. Rousseau, qui a dit : « Les rapports naturels et les lois doivent tomber toujours de concert sur les mêmes points. »

C'est par le sentiment de cette vérité que les législateurs anciens ont appelé les lois la pensée de Dieu : mentem Dei, dit Cicéron ; que J.-J. Rousseau a appelé les lois la parole de Dieu : « Ce que Dieu veut qu'un homme fasse, » dit-il, « il ne le lui fait pas dire par un autre homme, il le lui dit lui-même, et l'écrit au fond de son cœur. » Et le vrai philosophe qui sent que cette opinion (note : le fanatisme consiste à croire que Dieu agit perpétuellement sans moyens, comme un prince qui, s'en remettant à Dieu du soin de le défendre par une opération surnaturelle, négligerait de lever des troupes. La superstition consiste à croire que Dieu agit toujours par des moyens sans rapport à leur fin, verbis, herbis, lapidibus, disait Cagliostro. L'enthousiasme ou zèle est bon ou mauvais, selon sa fin et ses moyens) fanatique est la théorie de toutes les extravagances et l'arsenal de tous les forfaits, met la réalité à la place de la métaphore, complète la pensée de Cicéron, redresse celle de J.-J. Rousseau ; croit, avec l'un, à une pensée divine ; avec l'autre, à une parole divine, mais parole donnée à un homme pour les hommes, parole réelle, et que l'homme puisse entendre quand il veut bien l'écouter. C'est ce qui fait dire à Ch. Bonnet : «La loi (révélée) est l'expression même physique de la volonté de Dieu. »

Ainsi, adore Dieu, honore ton père et ta mère, dut être la première parole dite à la famille, comme, plus tard, elle fut la première écrite pour un peuple ; et alors Dieu, le pouvoir, les fonctions, les devoirs, tout fut révélé à l'homme, et le père de famille n'eut qu'à en transmettre la connaissance et à en ordonner l'exécution.

« C'est surtout par les rapports des patriarches avec la société, » dit l'estimable auteur de l'Essai historique sur la puissance paternelle (note : M. A. Nougarède), « que la puissance du père s'accrut dans les premiers âges. On confondit peu à peu ses volontés avec celles dont le culte religieux le rendait l'organe. Ainsi se forma cette opinion générale des siècles héroïques, qui leur attribuait une influence surnaturelle sur les éléments et sur la destinée. Cette influence plaçait dans ses mains tous les attributs de la justice divine. » De là, suivant le même auteur, la malédiction paternelle, ou l'excommunication domestique, qui imprima une terreur si profonde, qu'elle s'est prolongée au travers des siècles jusqu'à nos jours.

Aussi c'est uniquement dans le pouvoir divin que la religion chrétienne trouve la raison des lois domestiques. Maris, dit-elle, aimez vos femmes comme le Seigneur a aimé son Église, et jusqu'à se livrer à la mort pour elle ; femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur ; enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur. (Ephes. v, 25 ; Col. III, 19, 20.)

Ainsi l'homme ne doit rien à l'homme, que pour Dieu et en vue de Dieu : là est la vraie égalité et la vraie liberté des enfants de Dieu, à laquelle le christianisme nous élève, et tout devoir humain cesse là où l'on ne reconnait plus de pouvoir divin.

Ainsi les lois physiques domestiques sont l'énoncé des relations ou rapports du père, de la mère, de l'enfant ; et les lois morales domestiques que l'on appelle aussi mœurs, sont l'énoncé des relations ou rapports des personnes morales, du pouvoir, du ministre, du sujet.

Ainsi toute famille où le père ne pourra pas cesser d'être pouvoir, la mère d'être subordonnée, le fils d'être dépendant, aura de bonnes lois ou de bonnes mœurs ; et la famille aura de mauvaises lois ou de mauvaises mœurs, lorsque les personnes morales pourront cesser d'être dans leurs rapports respectifs.

Ainsi les mœurs domestiques sont différentes des mœurs individuelles, ou de la conduite de l'individu ; car l'homme peut être déréglé dans une société bien réglée, ou réglé lui-même dans une société qui ne l'est pas. Ici, l'homme est meilleur que la société ; là, la société est meilleure que l'homme.

Ainsi, adore Dieu, honore ton père et ta mère, est la loi fondamentale de la famille, dont les lois domestiques subséquentes doivent être la conséquence ; conséquence naturelle ou vraie, là où Dieu sera servi et le père obéi ; fausse et contre nature, là où Dieu sera outragé par un culte faux, et le pouvoir domestique anéanti par des lois insensées.

Ainsi la religion est le lien des personnes domestiques, le lien de Dieu et des hommes, le lien des êtres intelligents, a religare, lier doublement."


Louis de Bonald, Du divorce considéré au XIXe siècle relativement à l'état domestique et à l'état public de la société (1801), dans Œuvres complètes de M. de Bonald, tome II