samedi 20 juin 2009 | By: Mickaelus

De la société domestique, par Louis de Bonald


Louis de Bonald et la famille


"L'homme, la femme, sont l'un et l'autre ; mais ils ne sont pas l'un comme l'autre ou d'une manière égale, et ils diffèrent de sexe.

Cette égalité dans l'être, cette inégalité dans la manière d'être, s'appelle similitude, et constitue des êtres qui sont semblables, mais non pas égaux, et ne peuvent jamais le devenir.

L'union des sexes est la raison de leur différence ; la production d'un être est la fin de leur union.

Cet être produit est d'un sexe comme l'un ou l'autre de ceux qui lui ont donné l'être ; mais ils sont formés, et il est à former ; il est jeune, et ils sont vieux. Autre inégalité, autre similitude.

Homme, femme, petit, considérés chacun en soi, et sans aucune relation entre eux, forment chacun un individu, c'est-à-dire, un tout qu'on ne peut diviser sans le détruire. Leurs manières d'être, de sexe et d'âge sont absolues, ce qui veut dire qu'elles existent l'une sans l'autre ; car pour l'être organisé, jeune n'est pas relatif de vieux ; et l'être organisé est, dans un sens absolu, jeune tant qu'il croit, et vieux quand il décroît.

Père, mère, enfant, qui expriment à la fois l'union des sexes et la production de l'être, ne peuvent être considérés que dépendamment l'un de l'autre, et relativement l'un à l'autre. Une femme pourrait exister sans qu'il existât d'homme ; mais il n'y a pas de mère s'il n'y a pas un père, ni un enfant sans l'un et sans l'autre. Chacune de ces manières d'être suppose et rappelle les deux autres ; c'est-à-dire qu'elles sont relatives. Ainsi considérées, elles s'appellent rapports, en latin ratio : père, mère, enfant, sont des personnes, et leur réunion forme la famille. L'union des sexes, qui est le fondement de tous ces rapports, s'appelle mariage.

Ainsi la similitude des êtres humains a produit des rapports entre eux ; comme la similitude des êtres matériels, considérés dans l'étendue, produit des rapports arithmétiques ou géométriques ; comme la similarité des êtres matériels, considérés dans leur substance, produit des affinités ou rapports chimiques. Ces points de contact entre les diverses sciences sont précieux à recueillir.

La production de l'homme est la fin du rapport des sexes ; sa conservation est la fin du rapport des âges, c'est-à-dire, que l'homme et la femme produisent l'enfant, que le père et la mère le conservent. La production et la conservation de l'homme sont donc la fin de la famille, et la raison de tous les rapports de sexe et d'âge qui la constituent.

La brute naît avec une impulsion, selon les uns ; avec une connaissance, selon les autres ; impulsion ou connaissance qu'on appelle instinct, qui guide invariablement chaque espèce et infailliblement toutes les espèces dans leur reproduction et leur conservation, pour lesquelles elles ont reçu chacune tout ce qui leur est nécessaire. La brute n'est pas plus libre de ne pas se reproduire que de ne pas se conserver. Le temps, la manière, tout est déterminé pour elle ; et ce que nos leçons ajoutent à son instinct, est pour nos besoins et jamais pour les siens, et prouve bien moins son industrie que la nôtre.

L'homme, au contraire, naît ignorant et désarmé ; et si la faculté de choisir et de vouloir, qui le distingue, n'est pas éclairée par l'instruction, il n'aura pas de choix ; il aura une impulsion et point de volonté, des mouvements et point d'action. Il cédera à quelques besoins involontaires, mais il ne saura ni prévoir aucun danger ni s'en défendre ; hors d'état de se conserver et peut-être de se reproduire (note : les hommes des deux sexes, hors de toute société, sans langage, et par conséquent sans raison, se fuiraient, se battraient, et ne s'uniraient pas. Ce qui le prouve, est que la passion de l'amour est plus faible dans l'homme à mesure qu'il est plus voisin de l'état barbare, et plus forte dans la brute à mesure qu'elle se rapproche de la vie sauvage. Tous les hommes trouvés dans des bois ont montré de l'éloignement pour les femmes, et réciproquement), il sera au-dessous de la brute, ou plutôt il ne sera rien, parce qu'il ne sera pas ce qu'il doit être, et qu'il n'a pas reçu, comme la brute, un instinct pour suppléer à sa volonté.

« L'homme n'est donc pas, » comme le dit Saint-Lambert, » une masse organisée et sensible, qui reçoit l'esprit de tout ce qui l'environne et de ses besoins ; » mais l'homme est une intelligence servie par des organes, qui reçoivent de leur conformation et de l'instruction une disposition à seconder l'intelligence dans l'exercice de sa volonté et la direction de son action (Note : tantum abest ut corpus quoquo modo sui juris sit, dit le célèbre Sthal, ut potius alterius sit juris, animae, inquam, et intelligendi ac volendi actus ministret).

Le moyen de cette instruction est la parole ; car l'homme en société n'agit pas sans moyen, milieu, médiateur, mots absolument synonymes.

La parole, qui exprime la pensée du père pour former la pensée du fils, l'enseigner à vouloir, et par conséquent à agir, est connue du père, inconnue au fils ; car même on n'a pu désigner le petit de l'espèce humaine qu'en disant, celui qui ne parle pas, infans.

Ainsi, dans la conservation ou instruction de l'homme, comme dans sa reproduction, le père est actif ou fort, l'enfant passif ou faible ; la mère, moyen terme entre les deux extrêmes de cette proportion continue, passive pour concevoir, active pour produire, reçoit pour transmettre, apprend pour instruire, et obéit pour commander.

Cette gradation dans leurs rapports, dans laquelle seule se trouve la solution de la question du divorce, est marquée d'une manière sensible dans les relations même purement physiques des êtres. L'homme, doué de connaissance, n'est père qu'avec volonté ; la femme, même avec connaissance, peut devenir mère malgré sa volonté ; l'enfant n'a ni la volonté de naître, ni la connaissance qu'il naît.

Cette coopération nécessaire de la mère à l'action du père pour l'enfant, ce double rapport qui l'unit à l'un et l'unit à l'autre, et qui fait que, dans son corps comme dans son esprit, la femme participe de la force de l'un et de la faiblesse de l'autre, s'appelle moyen ou ministère.

Ainsi l'on peut dire, « que le père a, ou est le pouvoir d'accomplir, par le moyen ou le ministère de la mère, l'action reproductive et conservatrice, dont l'enfant est le terme ou le sujet. »

Qu'on me permette d'éliminer, comme dans l'analyse, l'expression des rapports physiques, père, mère, enfant, qui conviennent à la brute comme à l'homme, et nous aurons l'expression pouvoir, ministre, sujet, relatifs comme père, mère, enfant : expression des rapports moraux qui ne conviennent qu'à l'être intelligent ; mais qui conviennent à tous les êtres intelligents, embrassent la généralité, l'immensité de leurs rapports, et ouvrent à la méditation les portes mêmes de l'infini.

Père, mère, enfant, étaient les personnes physiques, leurs rapports étaient physiques, et formaient la famille animale : pouvoir, ministre, sujet, sont les personnes morales ou sociales, ou simplement les personnes (note : personne vient de per se sonat, qui exprime par lui-même une relation sociale. Paul est un mot qui désigne un individu, et n'énonce aucune qualité. Pouvoir, ministre, sujet, sont des personnes ; c'est-à-dire qu'ils expriment par eux-mêmes, per se sonant, des rapports, et ne désignent point d'individu) ; leurs rapports sont moraux ou sociaux, et forment la famille morale, ou société appelée domestique, a domo, parce que la communauté d'habitation en est une condition nécessaire.

J'insiste à dessein sur ces expressions morales qui désignent les personnes domestiques : 1° parce que celles de père, de mère, d'enfant, ne présentant que des rapports de sexe et d'âge, les sophistes modernes en ont abusé, pour ne nous considérer que comme des mâles, des femelles et des petits, et qu'il faut en quelque sorte spiritualiser l'homme et ses rapports, à proportion des efforts qu'on fait pour les matérialiser.

2° Parce que les expressions de pouvoir, de ministre, de sujet, portent avec elles l'énoncé des fonctions et des devoirs de chaque membre de la société.

3° Parce que ces expressions générales, usitées dans la société publique, montrent à découvert sa similitude avec la société domestique, et simplifient le développement de leurs principes communs.

La religion chrétienne elle-même, que je ne citerai jamais dans le cours de cet ouvrage que pour en faire voir la conformité avec la raison, appelle l'homme la raison, le chef, le pouvoir de la femme : Vir caput est mulieris, dit saint Paul. (Ephes. v, 23.) Elle appelle la femme l'aide ou le ministre de l'homme : Faisons à l'homme, dit la Genèse (II, 18), un aide semblable à lui. Elle appelle l'enfant sujet, puisqu'elle lui dit, en mille endroits, d'obéir à ses parents.

La famille a donc pris un caractère de moralité, et c'est ce que dit en d'autres termes l'auteur du discours préliminaire du projet de code civil : « Quand une nation est formée, on s'occupe plus de la dignité du mariage que de sa fin. »

La malice de l'homme monte toujours ; c'est-à-dire que l'homme tend, par un penchant né avec lui, à exagérer son pouvoir, la femme à l'usurper, l'enfant à s'y soustraire. Cette disposition, quelle qu'en soit la cause, est un fait à l'abri de contestation.

La religion ne fait donc que nous raconter un fait, lorsqu'elle nous enseigne que nous naissons tous avec un penchant originel ou natif à la domination, appelé orgueil ; penchant qui trahit notre grandeur naturelle, et dont la société est le frein, puisque la société renferme les institutions qui maintiennent, contre les passions des hommes, le pouvoir légitime, conservateur des êtres, et qu'elle n'est que la protection de la faiblesse contre l'abus de la force ; et la philosophie moderne nie la vérité et la raison, lorsqu'elle nous dit, par l'organe de J. -J. Rousseau : « L'homme est né bon et la société le déprave. »

La force physique du père ne pourrait contenir ce penchant à l'indépendance dans les autres membres de la famille ; car plusieurs enfants sont plus forts qu'un père, et la vie même de l'homme est à tout instant à la disposition de sa femme.

Quel sera donc le lien qui retiendra les personnes domestiques à la place que leurs devoirs leur assignent ? Les affections naturelles, disent les sophistes, qui ne manquent pas de citer en preuve les affections des brutes ; la sympathie, disent les romanciers ; le sentiment, disent les âmes sensibles. Mais si ces affections sont naturelles en nous, comme le besoin de digérer et de dormir, pourquoi des pères injustes, des enfants ingrats, des femmes infidèles, des frères ennemis ? Pourquoi des lois, lorsqu'il y a des nécessités ? Cette affection prétendue naturelle des autres, n'est-elle pas trop souvent prête à céder à l'affection de soi ? Et bien loin qu'elle soit naturelle ne faut-il jamais d'efforts sur eux-mêmes, aux époux, pour demeurer unis et aux enfants pour leur rester soumis ? Ces affections naturelles ne sont donc que des affections raisonnables, que l'habitude, la reconnaissance, surtout l'amour de soi, rendent chères, faciles, aveugles quelquefois ; et si elles sont des affections raisonnables, elles sont raisonnées ou apprises. Car l'homme nait capable de raison mais il apprend à raisonner, et ne raisonne pas, s'il n'a pas appris à le faire. Ainsi l'on peut dire que la raison de toutes nos affections raisonnables, ou de tous nos devoirs, ne se trouve que dans la raison.

L'enfant reçoit de ses parents la raison par la communication de la parole, comme il en a reçu l'être par la communication de la vie. Ses parents ont reçu l'un et l'autre de ceux qui les ont précédés. La progression sensible de la population, partout où des causes accidentelles ou locales ne la contrarient pas, prouve, comme toute progression géométrique, un premier terme générateur. Tout peuple, et le genre humain lui-même, est né d'une famille puisque encore il pourrait recommencer par une famille, si elle restait seule dans l'univers. Aussi, dans l'enfance du monde, les peuples ne s'appelaient que du nom d'une famille : enfants d'Héber, de Moab, d'Edom, Dardanidae, Pelasgi, etc.

Cette première famille est-elle née de la terre ou de la mer, du soleil ou de la lune ? On l'a dit dans ce siècle, où l'on a renouvelé les fables de Prométhée et de Deucalion. Mais pourquoi les éléments, aujourd'hui, ne produisent-ils rien de semblable? Qu'on nous montre un insecte né sans père ni mère, d'une matière en fermentation, et nous pourrons croire à la formation de l'homme par la matière. Disons donc, avec la raison et l'histoire, qu'un être intelligent a produit l'être intelligent. Que si nous ignorons le mystère de cette génération divine, nous ne connaissons pas davantage le mystère de la génération humaine, parce que tout dans l'univers, et l'homme lui-même, est un mystère pour l'homme. Ainsi nous imaginons les effets, tels que la fluidité, la force du vent, la gravitation, l'adhésion, etc., sans les concevoir ; et nous concevons la chose sans l'imaginer. Car cette proposition : Il n'y a pas d'effet sans cause, est aussi évidente à la raison que celle-ci : Il n'y a pas de corps sans étendue, est certaine à l'imagination.

Cet être, auteur de l'homme, supérieur par conséquent à l'homme, comme la cause l'est à l'effet, nous l'appelons Dieu, et c'est même une absurdité de dire que l'homme ait inventé Dieu ; car inventer un être, ce serait le créer, et l'homme ne peut pas plus créer les êtres qu'il ne peut les détruire. Il développe les rapports, il change les formes : là se bornent et son invention et son action ; l'on peut défier tous les philosophes ensemble d'inventer quelque chose dont les hommes n'aient pas l'idée précédente, comme de tracer une figure qui ne soit pas dans des dimensions déjà connues.

Dans Dieu est donc la raison de la création ; dans Dieu est la raison de la conservation, qui est une création continuée.

Si Dieu a créé l'homme, il y a dans Dieu, comme dans l'homme, intelligence qui a voulu, action qui a exécuté. Il y a donc similitude, et l'homme est fait à son image et à sa ressemblance. Il y a donc des rapports, une société ; et je vois dans tout l'univers la religion aussitôt que la famille, la société de l'homme avec Dieu aussitôt que la société de l'homme avec l'homme : cette religion primitive se nomme naturelle ou domestique.

Mais si l'homme d'aujourd'hui reçoit la parole comme l'être ; s'il ne parle qu'autant qu'il entend parler, et que le langage qu'il entend parler ; si même il est physiquement impossible que l'homme invente de lui-même à parler, comme il est impossible qu'il invente de lui-même à être (ce qui peut être démontré par la considération des opérations de la pensée et de l'organe vocal), il est nécessaire que l'homme du commencement ait reçu, ensemble, l'être et la parole. Or, cette vérité, qui serait une démonstration, même physique, de l'existence d'un premier être, combattue, ou plutôt méconnue par des sophistes, s'établit peu à peu dans la société ; et déjà J. -J. Rousseau avait dit : « Effrayé des difficultés qui se multiplient (dans la discussion du roman de Condillac, sur l'invention du langage), et convaincu de l'impossibilité presque démontrée que les langues aient pu naître et s'établir par des moyens purement humains, je laisse à qui voudra l'entreprendre la discussion de ce difficile problème... et je crois que la parole a été fort nécessaire pour inventer la parole. »

C'est, en effet, dans ces derniers mots qu'est la raison de l'impossibilité de l'invention du langage par les hommes : car inventer est penser, et penser est parler intérieurement. Il faut des signes pour penser, parce qu'il en faut pour parler ; et l'on peut dire, en se résumant, que l'homme pense sa parole avant de parler sa pensée, et exprime sa pensée pour lui-même avant de l'exprimer pour les autres.

Dans la parole divine est la raison humaine, comme dans la parole du père est la raison de l'enfant. De là vient qu'en grec, parole et raison s'expriment par le même mot, logos ; et l'homme n'aurait pu de lui-même raisonner, puisque de lui-même il n'aurait même pu parler ; et si je ne connais pas l'incompréhensible mystère de la parole humaine, pourquoi voudrais-je pénétrer le mystère de la parole divine ?

La société, entre Dieu et l'homme primitif, a tous les caractères généraux de la société que nous avons remarquée entre les hommes, et j'y vois les personnes morales : le pouvoir, qui est Dieu ; les sujets, qui sont les personnes domestiques ; le ministre, qui est le père de famille ; moyen aussi entre les deux extrêmes de cette proportion continue, « Dieu est au père, comme le père est à l'enfant. » Le père est passif, actif à la fois, participant de la dépendance de l'enfant et du pouvoir de Dieu même, recevant des ordres pour les transmettre, et obéissant à l'un pour commander à l'autre.

Et je ne vois nulle part de vérité historique mieux prouvée que la religion des premières familles et le sacerdoce des premiers patriarches.

Dans ce culte domestique de la Divinité, la mère avait une place distinguée, ou peut-être quelque fonction particulière relative à son rang dans la famille. De là les prêtresses de la religion païenne, et cette disposition ordinaire aux peuples anciens, dont on aperçoit encore des traces dans les temps modernes, à attribuer aux femmes quelque chose de surhumain, et particulièrement la connaissance de l'avenir. Inesse quin etiam feminis sanctum aliquid et providum putant, dit Tacite en parlant des Germains.

Ainsi l'existence de l'homme prouve la création des êtres, et l'existence de la famille prouve la conservation de l'homme : donc elle prouve la connaissance des rapports naturels des hommes en famille, seuls moyens de conservation ; l'instruction, seul moyen de connaissance ; la parole, seul moyen d'instruction ; Dieu enfin, qui seul connaît par lui-même les rapports des êtres qu'il a créés, et qui peut seul les révéler aux hommes.

Cette parole, qui apprend les rapports naturels, s'appelle loi. La loi est donc l'énoncé des rapports naturels entre les personnes : vérité universellement convenue depuis Cicéron, qui a dit : Lex est ratio profecta a natura rerum, jusqu'à J.-J. Rousseau, qui a dit : « Les rapports naturels et les lois doivent tomber toujours de concert sur les mêmes points. »

C'est par le sentiment de cette vérité que les législateurs anciens ont appelé les lois la pensée de Dieu : mentem Dei, dit Cicéron ; que J.-J. Rousseau a appelé les lois la parole de Dieu : « Ce que Dieu veut qu'un homme fasse, » dit-il, « il ne le lui fait pas dire par un autre homme, il le lui dit lui-même, et l'écrit au fond de son cœur. » Et le vrai philosophe qui sent que cette opinion (note : le fanatisme consiste à croire que Dieu agit perpétuellement sans moyens, comme un prince qui, s'en remettant à Dieu du soin de le défendre par une opération surnaturelle, négligerait de lever des troupes. La superstition consiste à croire que Dieu agit toujours par des moyens sans rapport à leur fin, verbis, herbis, lapidibus, disait Cagliostro. L'enthousiasme ou zèle est bon ou mauvais, selon sa fin et ses moyens) fanatique est la théorie de toutes les extravagances et l'arsenal de tous les forfaits, met la réalité à la place de la métaphore, complète la pensée de Cicéron, redresse celle de J.-J. Rousseau ; croit, avec l'un, à une pensée divine ; avec l'autre, à une parole divine, mais parole donnée à un homme pour les hommes, parole réelle, et que l'homme puisse entendre quand il veut bien l'écouter. C'est ce qui fait dire à Ch. Bonnet : «La loi (révélée) est l'expression même physique de la volonté de Dieu. »

Ainsi, adore Dieu, honore ton père et ta mère, dut être la première parole dite à la famille, comme, plus tard, elle fut la première écrite pour un peuple ; et alors Dieu, le pouvoir, les fonctions, les devoirs, tout fut révélé à l'homme, et le père de famille n'eut qu'à en transmettre la connaissance et à en ordonner l'exécution.

« C'est surtout par les rapports des patriarches avec la société, » dit l'estimable auteur de l'Essai historique sur la puissance paternelle (note : M. A. Nougarède), « que la puissance du père s'accrut dans les premiers âges. On confondit peu à peu ses volontés avec celles dont le culte religieux le rendait l'organe. Ainsi se forma cette opinion générale des siècles héroïques, qui leur attribuait une influence surnaturelle sur les éléments et sur la destinée. Cette influence plaçait dans ses mains tous les attributs de la justice divine. » De là, suivant le même auteur, la malédiction paternelle, ou l'excommunication domestique, qui imprima une terreur si profonde, qu'elle s'est prolongée au travers des siècles jusqu'à nos jours.

Aussi c'est uniquement dans le pouvoir divin que la religion chrétienne trouve la raison des lois domestiques. Maris, dit-elle, aimez vos femmes comme le Seigneur a aimé son Église, et jusqu'à se livrer à la mort pour elle ; femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur ; enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur. (Ephes. v, 25 ; Col. III, 19, 20.)

Ainsi l'homme ne doit rien à l'homme, que pour Dieu et en vue de Dieu : là est la vraie égalité et la vraie liberté des enfants de Dieu, à laquelle le christianisme nous élève, et tout devoir humain cesse là où l'on ne reconnait plus de pouvoir divin.

Ainsi les lois physiques domestiques sont l'énoncé des relations ou rapports du père, de la mère, de l'enfant ; et les lois morales domestiques que l'on appelle aussi mœurs, sont l'énoncé des relations ou rapports des personnes morales, du pouvoir, du ministre, du sujet.

Ainsi toute famille où le père ne pourra pas cesser d'être pouvoir, la mère d'être subordonnée, le fils d'être dépendant, aura de bonnes lois ou de bonnes mœurs ; et la famille aura de mauvaises lois ou de mauvaises mœurs, lorsque les personnes morales pourront cesser d'être dans leurs rapports respectifs.

Ainsi les mœurs domestiques sont différentes des mœurs individuelles, ou de la conduite de l'individu ; car l'homme peut être déréglé dans une société bien réglée, ou réglé lui-même dans une société qui ne l'est pas. Ici, l'homme est meilleur que la société ; là, la société est meilleure que l'homme.

Ainsi, adore Dieu, honore ton père et ta mère, est la loi fondamentale de la famille, dont les lois domestiques subséquentes doivent être la conséquence ; conséquence naturelle ou vraie, là où Dieu sera servi et le père obéi ; fausse et contre nature, là où Dieu sera outragé par un culte faux, et le pouvoir domestique anéanti par des lois insensées.

Ainsi la religion est le lien des personnes domestiques, le lien de Dieu et des hommes, le lien des êtres intelligents, a religare, lier doublement."


Louis de Bonald, Du divorce considéré au XIXe siècle relativement à l'état domestique et à l'état public de la société (1801), dans Œuvres complètes de M. de Bonald, tome II