dimanche 27 septembre 2009 | By: Mickaelus

Du mariage, par Louis de Bonald


Louis de Bonald et la famille


"Le mariage est l'engagement que prennent deux personnes de différent sexe, de s'unir pour former une société appelée famille.

La philosophie moderne donne au mariage une autre fin. Dans l'état de perfection chimérique où Condorcet, dans son ouvrage posthume sur les progrès de l'esprit humain, suppose que les hommes seront parvenus un jour, attribuant ainsi à l'individu la perfection qui doit être dans la société, «les hommes, » dit-il, « comprendront alors que s'ils ont quelque obligation envers les êtres qui ne sont pas encore, ce ne peut être de leur donner l'existence : » opinion mal sonnante, exprimée dans une phrase ridicule, et du même genre absolument que celle de ce militaire qui, chargé d'une exécution rigoureuse, répondait à un malheureux qui lui demandait la vie : «Mon ami, demande-moi tout ce que tu voudras, excepté la vie. »

L'union de tous avec tous indistinctement, est la promiscuité des brutes ; l'union successive d'un avec plusieurs est la polygamie, la répudiation, le divorce ; l'union indissoluble d'un avec un est le mariage chrétien autrefois, aujourd'hui catholique : toutes les formes de mariage se réduisent donc à unité d'union ou pluralité d'unions.

Ainsi, comme la promiscuité est l'union des êtres animés les plus imparfaits, des brutes, il semble que l'union indissoluble, qui est l'autre extrême, doit être l'union des êtres animés les plus parfaits, des hommes ; et que les états intermédiaires entre ces deux états seront plus ou moins parfaits, selon qu'ils se rapprocheront de l'un ou de l'autre : vérité universellement convenue, puisque les adversaires de l'indissolubilité ne lui reprochent que sa perfection.

Si le mariage humain est une union avec engagement de former société, il diffère essentiellement du concubinage, qui est une union sans engagement de former société, et plus encore du libertinage vague, qui est une union avec dessein de ne point former de société.

La fin du mariage n'est donc pas le bonheur des époux, si par bonheur on entend, comme dans une idylle, le plaisir du coeur et des sens, que l'homme amoureux de l'indépendance trouve bien plutôt dans des unions sans engagement.

La religion et l'Etat n'envisagent dans le mariage, que les devoirs qu'il impose ; et ils ne le regardent que comme l'acte de fondation d'une société, puisque cette société à venir est, dans le sacrement, l'objet des bénédictions de la religion, et dans le contrat civil, l'objet des clauses que ratifie et garantit l'Etat.

Tout engagement entre des êtres intelligents et sensibles qui ont la faculté de vouloir et d'agir, suppose liberté dans la volonté, puissance dans l'action. Ainsi, là où il y a contrainte reconnue ou impuissance prouvée, il n'y a pas de mariage, parce qu'il n'y a pas d'engagement, et qu'il ne peut en naître de société. Ce sont deux empêchements qu'on appelle dirimants, et auxquels tous les autres se rapportent.

Dès que l'engagement est valable, il ne peut y avoir de raison de le dissoudre, même pour cause de non-survenance d'enfants.

Les motifs de l'indissolubilité sont pris de la société domestique et de la société publique, parce que le mariage est à la fois domestique dans son principe, et public dans ses effets.

Le mariage est une société éventuelle, et la famille une société actuelle. La nature n'a pas fixé le terme de cette éventualité : et lors même que le mariage n'atteindrait pas son but social, et que les enfants ne surviennent pas, il n'y a pas de raison suffisante de rompre le premier engagement pour en former un autre, puisque la fécondité du second mariage est tout aussi éventuelle que celle du premier. Dès que l'enfant est survenu, le but est rempli, et la société, d'éventuelle, est devenue actuelle.

Ainsi, tant que le mari et la femme n'ont point d'enfants, il peut en survenir ; et le mariage n'étant formé que pour les enfants à venir, il n'y a pas de raison de rompre le mariage. Lorsque les enfants sont survenus, le mariage a atteint sa fin, et il y a raison de ne pas le rompre car il est à remarquer que l'impuissance ne se prouve pas contre la femme, même dans le cas d'infécondité.

En un mot, la raison du mariage est la production des enfants. Or, en rompant un premier mariage pour en contracter un second, la production devient impossible dans le premier, sans devenir plus assurée dans l'autre. Donc il n'y a pas de raison de rompre le mariage et après tout, quelque disposition qu'aient nos philosophes modernes à assimiler l'homme aux brutes, et quelque importance qu'attachent à la population ces grands dépopulateurs de l'univers, ils n'oseraient sans doute soutenir que, dans les mariages humains, on doive, comme dans les haras, procéder par essais.

Les raisons contre le divorce, tirées de la société publique, sont encore plus fortes que celles qui sont prises de la société domestique.

Le pouvoir politique ne peut garantir la stabilité des personnes domestiques sans les connaître ; de là la nécessité de l'acte civil, qui fait connaître l'engagement de l'homme et de la femme, et de l'acte de naissance, qui fait connaître le père, la mère et l'enfant.

Mais, et je prie le lecteur de faire attention à ce raisonnement, le pouvoir politique n'intervient par ses officiers dans le contrat d'union des époux, que parce qu'il y représente l'enfant à naître, seul objet social du mariage, et qu'il accepte l'engagement qu'ils prennent en sa présence et sous sa garantie, de lui donner l'être. Il y stipule les intérêts de l'enfant, puisque la plupart des clauses matrimoniales sont relatives à la survenance des enfants, et que même il accepte quelquefois certains avantages particuliers, stipulés d'avance en faveur d'un enfant à naître dans un certain ordre de naissance ou du sexe ; et témoin du lien qui doit lui donner l'existence, il en garantit la stabilité qui doit assurer sa conservation. L'engagement conjugal est donc réellement formé entre trois personnes présentes ou représentées car le pouvoir public, qui précède la famille et qui lui survit, représente toujours, dans la famille, la personne absente, soit l'enfant avant sa naissance, soit le père après sa mort.

L'engagement formé entre trois ne peut donc être rompu par deux au préjudice du tiers, puisque cette troisième personne est, sinon la première, du moins la plus importante ; que c'est à elle seule que tout se rapporte, et qu'elle est la raison de l'union sociale des deux autres, qui ne sont pas plus père ou mère sans l'enfant, que lui n'est fils sans elles. « Dans les sociétés ordinaires, » disent les rédacteurs du projet, «on stipule pour soi ; dans le mariage, on stipule pour autrui. » Le père et la mère qui font divorce, sont donc réellement deux forts qui s'arrangent pour dépouiller un faible ; et l'Etat qui y consent est complice de leur brigandage. Cette troisième personne ne peut, même présente, consentir jamais à la dissolution de la société qui lui a donné l'être, puisqu'elle est toujours mineure dans la famille, même alors qu'elle est majeure dans l'Etat ; par conséquent, toujours hors d'état de consentir rien à son préjudice : et le pouvoir politique, qui l'a représentée pour former le lien de la société, ne peut plus la représenter pour le dissoudre, parce que le tuteur est donné au pupille, moins pour accepter ce qui lui est utile, que pour l'empêcher de consentir à ce qui lui nuit ; ce qui fait qu'il peut acheter valablement au nom du pupille, et qu'il ne peut pas vendre.

Le mariage est donc indissoluble, sous le rapport domestique et public de société. Il est donc naturellement indissoluble ; car le naturel ou la nature de l'homme se compose à la fois de l'état domestique et de l'état public, et il y a de quoi s'étonner, sans doute, d'entendre les rédacteurs du projet de code civil, dire que le mariage n'est ni un acte civil, ni un acte religieux, mais un acte naturel : car si on entend par un acte naturel un acte physique, le mariage n'est qu'une rencontre d'animaux ; et si on entend autre chose, il n'est pas possible de deviner ce qu'on veut dire.

Le divorce est donc contraire au principe de la société ; nous prouverons, dans la suite de ce traité, qu'il est funeste dans ses effets sur la société."


Louis de Bonald, Du divorce considéré au XIXe siècle relativement à l'état domestique et à l'état public de la société (1801), dans Œuvres complètes de M. de Bonald, tome II