dimanche 27 septembre 2009 | By: Mickaelus

Du mariage, par Louis de Bonald


Louis de Bonald et la famille


"Le mariage est l'engagement que prennent deux personnes de différent sexe, de s'unir pour former une société appelée famille.

La philosophie moderne donne au mariage une autre fin. Dans l'état de perfection chimérique où Condorcet, dans son ouvrage posthume sur les progrès de l'esprit humain, suppose que les hommes seront parvenus un jour, attribuant ainsi à l'individu la perfection qui doit être dans la société, «les hommes, » dit-il, « comprendront alors que s'ils ont quelque obligation envers les êtres qui ne sont pas encore, ce ne peut être de leur donner l'existence : » opinion mal sonnante, exprimée dans une phrase ridicule, et du même genre absolument que celle de ce militaire qui, chargé d'une exécution rigoureuse, répondait à un malheureux qui lui demandait la vie : «Mon ami, demande-moi tout ce que tu voudras, excepté la vie. »

L'union de tous avec tous indistinctement, est la promiscuité des brutes ; l'union successive d'un avec plusieurs est la polygamie, la répudiation, le divorce ; l'union indissoluble d'un avec un est le mariage chrétien autrefois, aujourd'hui catholique : toutes les formes de mariage se réduisent donc à unité d'union ou pluralité d'unions.

Ainsi, comme la promiscuité est l'union des êtres animés les plus imparfaits, des brutes, il semble que l'union indissoluble, qui est l'autre extrême, doit être l'union des êtres animés les plus parfaits, des hommes ; et que les états intermédiaires entre ces deux états seront plus ou moins parfaits, selon qu'ils se rapprocheront de l'un ou de l'autre : vérité universellement convenue, puisque les adversaires de l'indissolubilité ne lui reprochent que sa perfection.

Si le mariage humain est une union avec engagement de former société, il diffère essentiellement du concubinage, qui est une union sans engagement de former société, et plus encore du libertinage vague, qui est une union avec dessein de ne point former de société.

La fin du mariage n'est donc pas le bonheur des époux, si par bonheur on entend, comme dans une idylle, le plaisir du coeur et des sens, que l'homme amoureux de l'indépendance trouve bien plutôt dans des unions sans engagement.

La religion et l'Etat n'envisagent dans le mariage, que les devoirs qu'il impose ; et ils ne le regardent que comme l'acte de fondation d'une société, puisque cette société à venir est, dans le sacrement, l'objet des bénédictions de la religion, et dans le contrat civil, l'objet des clauses que ratifie et garantit l'Etat.

Tout engagement entre des êtres intelligents et sensibles qui ont la faculté de vouloir et d'agir, suppose liberté dans la volonté, puissance dans l'action. Ainsi, là où il y a contrainte reconnue ou impuissance prouvée, il n'y a pas de mariage, parce qu'il n'y a pas d'engagement, et qu'il ne peut en naître de société. Ce sont deux empêchements qu'on appelle dirimants, et auxquels tous les autres se rapportent.

Dès que l'engagement est valable, il ne peut y avoir de raison de le dissoudre, même pour cause de non-survenance d'enfants.

Les motifs de l'indissolubilité sont pris de la société domestique et de la société publique, parce que le mariage est à la fois domestique dans son principe, et public dans ses effets.

Le mariage est une société éventuelle, et la famille une société actuelle. La nature n'a pas fixé le terme de cette éventualité : et lors même que le mariage n'atteindrait pas son but social, et que les enfants ne surviennent pas, il n'y a pas de raison suffisante de rompre le premier engagement pour en former un autre, puisque la fécondité du second mariage est tout aussi éventuelle que celle du premier. Dès que l'enfant est survenu, le but est rempli, et la société, d'éventuelle, est devenue actuelle.

Ainsi, tant que le mari et la femme n'ont point d'enfants, il peut en survenir ; et le mariage n'étant formé que pour les enfants à venir, il n'y a pas de raison de rompre le mariage. Lorsque les enfants sont survenus, le mariage a atteint sa fin, et il y a raison de ne pas le rompre car il est à remarquer que l'impuissance ne se prouve pas contre la femme, même dans le cas d'infécondité.

En un mot, la raison du mariage est la production des enfants. Or, en rompant un premier mariage pour en contracter un second, la production devient impossible dans le premier, sans devenir plus assurée dans l'autre. Donc il n'y a pas de raison de rompre le mariage et après tout, quelque disposition qu'aient nos philosophes modernes à assimiler l'homme aux brutes, et quelque importance qu'attachent à la population ces grands dépopulateurs de l'univers, ils n'oseraient sans doute soutenir que, dans les mariages humains, on doive, comme dans les haras, procéder par essais.

Les raisons contre le divorce, tirées de la société publique, sont encore plus fortes que celles qui sont prises de la société domestique.

Le pouvoir politique ne peut garantir la stabilité des personnes domestiques sans les connaître ; de là la nécessité de l'acte civil, qui fait connaître l'engagement de l'homme et de la femme, et de l'acte de naissance, qui fait connaître le père, la mère et l'enfant.

Mais, et je prie le lecteur de faire attention à ce raisonnement, le pouvoir politique n'intervient par ses officiers dans le contrat d'union des époux, que parce qu'il y représente l'enfant à naître, seul objet social du mariage, et qu'il accepte l'engagement qu'ils prennent en sa présence et sous sa garantie, de lui donner l'être. Il y stipule les intérêts de l'enfant, puisque la plupart des clauses matrimoniales sont relatives à la survenance des enfants, et que même il accepte quelquefois certains avantages particuliers, stipulés d'avance en faveur d'un enfant à naître dans un certain ordre de naissance ou du sexe ; et témoin du lien qui doit lui donner l'existence, il en garantit la stabilité qui doit assurer sa conservation. L'engagement conjugal est donc réellement formé entre trois personnes présentes ou représentées car le pouvoir public, qui précède la famille et qui lui survit, représente toujours, dans la famille, la personne absente, soit l'enfant avant sa naissance, soit le père après sa mort.

L'engagement formé entre trois ne peut donc être rompu par deux au préjudice du tiers, puisque cette troisième personne est, sinon la première, du moins la plus importante ; que c'est à elle seule que tout se rapporte, et qu'elle est la raison de l'union sociale des deux autres, qui ne sont pas plus père ou mère sans l'enfant, que lui n'est fils sans elles. « Dans les sociétés ordinaires, » disent les rédacteurs du projet, «on stipule pour soi ; dans le mariage, on stipule pour autrui. » Le père et la mère qui font divorce, sont donc réellement deux forts qui s'arrangent pour dépouiller un faible ; et l'Etat qui y consent est complice de leur brigandage. Cette troisième personne ne peut, même présente, consentir jamais à la dissolution de la société qui lui a donné l'être, puisqu'elle est toujours mineure dans la famille, même alors qu'elle est majeure dans l'Etat ; par conséquent, toujours hors d'état de consentir rien à son préjudice : et le pouvoir politique, qui l'a représentée pour former le lien de la société, ne peut plus la représenter pour le dissoudre, parce que le tuteur est donné au pupille, moins pour accepter ce qui lui est utile, que pour l'empêcher de consentir à ce qui lui nuit ; ce qui fait qu'il peut acheter valablement au nom du pupille, et qu'il ne peut pas vendre.

Le mariage est donc indissoluble, sous le rapport domestique et public de société. Il est donc naturellement indissoluble ; car le naturel ou la nature de l'homme se compose à la fois de l'état domestique et de l'état public, et il y a de quoi s'étonner, sans doute, d'entendre les rédacteurs du projet de code civil, dire que le mariage n'est ni un acte civil, ni un acte religieux, mais un acte naturel : car si on entend par un acte naturel un acte physique, le mariage n'est qu'une rencontre d'animaux ; et si on entend autre chose, il n'est pas possible de deviner ce qu'on veut dire.

Le divorce est donc contraire au principe de la société ; nous prouverons, dans la suite de ce traité, qu'il est funeste dans ses effets sur la société."


Louis de Bonald, Du divorce considéré au XIXe siècle relativement à l'état domestique et à l'état public de la société (1801), dans Œuvres complètes de M. de Bonald, tome II

mercredi 16 septembre 2009 | By: Mickaelus

Gauvain et la femme infidèle

"Gauvain demeura plusieurs semaines en cette forteresse perdue, et cela dans la joie et l'allégresse. Puis il pensa que son séjour avait assez duré, et qu'il devait aller se présenter à la cour du roi Arthur, son oncle. Il alla trouver son hôte et lui demanda la permission de partir en compagnie de sa fille. L'hôte lui accorda bien volontiers cette permission, d'autant plus qu'il se sentait flatté que Gauvain emmenât sa fille chez le roi Arthur. Gauvain reprit les armes avec lesquelles il était arrivé et partit en prenant congé de son hôte, se félicitant de l'aventure qu'il avait vécue. [...] Puis ils se mirent en route et traversèrent la forêt.

C'est alors qu'ils virent arriver un chevalier monté sur un cheval bai, robuste et plein d'ardeur. L'homme chevauchait à vive allure et, quand il fut parvenu à leur hauteur, il éperonna son cheval et, sans prononcer un mot, se jeta entre Gauvain et la jeune femme dont il saisit la monture par les rênes. Puis il fit aussitôt demi-tour et elle, sans qu'il lui eût demandé quoi que ce fût, le suivit sans hésiter. Saisi de colère, Gauvain se précipita à la poursuite du ravisseur. Mais il pensait qu'il n'avait d'autres armes que son bouclier, sa lance et son épée tandis que l'autre était bien équipé, robuste, de grande taille et plein d'agressivité. Néanmoins, Gauvain se jeta contre son adversaire, la lance tendue, et s'écria : "Rends-moi mon amie ou montre-moi ton courage ! Bien que je sois peu armé devant toi, je te provoquerai au combat et tu seras obligé de me rendre raison de ton forfait !"

L'inconnu s'arrêta, souleva sa visière et répondit : "Je n'ai nulle envie de me battre avec toi, et si je me suis mal conduit, ce que tu prétends, je ne suis pas prêt à t'en demander pardon. Cette femme m'appartient. Et si tu veux confirmation de ce que je te dis, je peux te proposer une solution. Laissons cette femme sur ce chemin et allons-nous en chacun de notre côté. Elle décidera alors elle-même lequel d'entre nous elle préfère. Si elle veut partir avec toi, je te la laisserai, je t'en donne ma parole. Mais si elle décide de venir avec moi, il est juste que tu reconnaisses qu'elle est mienne !"

Gauvain accepta d'emblée la proposition. Il avait une telle confiance dans la jeune femme et avait tant d'amour pour elle qu'il était persuadé qu'elle ne l'abandonnerait pour rien au monde. Les deux hommes la laissèrent donc au milieu du chemin et s'en allèrent, l'un à droite et l'autre à gauche. La jeune femme les regarda tous les deux et se mit à réfléchir, ce qui étonna grandement Gauvain. Elle savait bien quelle était la prouesse de Gauvain, notamment lorsqu'il était au lit, mais elle voulait savoir si l'autre chevalier était aussi preux et aussi vaillant. Et c'est vers lui qu'elle se dirigea, sans un regard pour Gauvain.

"Seigneur, dit alors le chevalier, il n'y a pas de contestation possible : cette jeune femme a choisi librement qui elle voulait. - Certes, répondit Gauvain, profondément ulcéré. Que Dieu me maudisse si je conteste quoi que ce soit et si je me bats pour qui se moque de moi !" Et il s'en alla à travers la forêt en emmenant avec lui les lévriers.

Cependant, au bout d'une lande, la jeune femme s'arrêta brusquement et le chevalier lui en demanda la raison. "Seigneur, répondit-elle, je ne serai jamais ton amie tant que je n'aurai pas repris possession de mes lévriers que ce chevalier, là-bas, emporte avec lui. - Tu les auras !" s'écria-t-il. Et il piqua des deux pour rejoindre Gauvain. "Pourquoi emportes-tu ces lévriers qui ne t'appartiennent pas ? demanda-t-il. - Seigneur, répondit Gauvain, je les considère comme miens, et si quelqu'un vient me les disputer, je devrait les défendre comme mon bien propre. Mais si tu veux mon avis, il serait bon de recourir à l'épreuve que tu m'as proposée tout à l'heure lorsque nous avons mis la jeune femme au milieu du chemin pour savoir avec qui elle irait." Le chevalier dit qu'il acceptait la proposition. Il pensait en effet que si les lévriers venaient de son côté, il se les approprierait sans combattre, et que, de toute façon, s'ils allaient de l'autre côté, il serait bien temps pour lui de les conquérir par la force. Ils laissèrent donc les bêtes au milieu du chemin. Alors les lévriers se précipitèrent vers Gauvain et lui firent fête. Gauvain les flatta longuement du geste et de la voix, tout heureux que les chiens eussent choisi sa compagnie.

Et comme la jeune femme arrivait, furieuse de voir que ses lévriers étaient autour de Gauvain, celui-ci dit encore : "J'ai fait tout ce que cette femme m'a demandé et je lui ai donné mon amour. Voilà la façon dont elle me récompense ! Mais ces chiens, je les ai connus dans la forteresse de son père. Je les ai caressés et ils m'ont donné leur amitié. Les chiens sont une chose, et les femmes une autre ! Sachez donc qu'un animal ne trahira jamais un humain qui lui a donné son amitié et à qui il a promis son affection. Les lévriers ne m'ont pas abandonné. Je peux donc prouver ainsi qu'ils sont à moi et que leur amitiés m'est plus précieuse que le faux amour que cette femme a manifesté envers moi !"

Mais l'autre chevalier se montra de plus en plus arrogant. "Ton discours ne m'intéresse pas ! s'écria-t-il. Donne-moi les chiens ou prépare-toi à te défendre !" Gauvain saisit alors son bouclier et le plaça contre sa poitrine. L'autre se précipita sur lui et tous deux s'affrontèrent de toute la force de leurs chevaux. Bientôt, Gauvain fit vider les étriers à son adversaire et, sautant à bas de sa monture, il le poursuivit l'épée à la main. Il y mit toute sa rage, car le tort et l'insulte qu'il venait de recevoir excitaient sa haine. Il le malmena et maltraita si fort que, soulevant le pan du haubert de son adversaire, il lui perça le flan de sa bonne épée. Sa vengeance assouvie, il abandonna le corps sans un regard pour le cheval, le haubert et le bouclier. Il alla appeler les lévriers, puis courut reprendre son cheval. Il sauta en selle sans plus attendre.

"Seigneur ! s'écria la jeune femme. Au nom de Dieu, ne me laisse pas seule ! Ce serait un acte ignoble ! Si j'ai manqué de sagesse, ne m'en fais pas reproche ! Je n'ai pas osé te suivre parce que j'ai eu très peur quand j'ai vu que tu étais mal équipé alors que ton adversaire était parfaitement armé !" En entendant ces paroles, Gauvain se mit à rire. Puis il dit : "En vérité, qui veut récolter un autre blé que celui qu'il a semé, ou qui attend d'une femme autre chose que ce qu'elle est par nature, n'a pas de sagesse ! Ta compassion ne visait pas à préserver ma vie ou mon honneur, elle avait une tout autre source. Je n'ai plus aucune raison de t'écouter et je te laisse en tête à tête avec toi-même !"

Jean Markale, Les chevaliers de la Table ronde (1993), dans Le cycle du Graal, tome 1

vendredi 4 septembre 2009 | By: Mickaelus

Le combat de la Pénissière, d'après divers historiens (1832)

Le soulèvement que tenta de provoquer en Vendée la duchesse de Berry en 1832, peu de temps après l'accession au trône de l'usurpateur Louis-Philippe, s'il ne fut pas un succès, engendra cependant quelques hauts faits qui furent autant d'hommages et d'échos à la guerre des géants de 1793. Ce combat de la Pénissière, située à La Bernardière, mérite de rester dans les mémoires des légitimistes, qui doivent entretenir le souvenir des derniers héros à s'être battus pour la France royale et catholique.


"Nous, maire de la commune de la Bernardière, canton de Montaigu, département de la Vendée, certifions à qui de droit qu'il s'est donné un combat entre les Libéraux et les Royalistes à la Pénissière la Cour, commune de la Bernardière, le 6 juin 1832. Le parti libéral a remporté la victoire sur les royalistes après un combat de 6 heures. Les royalistes n'étaient qu'au nombre de 50 à 56, mais bien tous dévoués à leur cause, au lieu que les Libéraux étaient au nombre de 7 à 800 hommes. Les royalistes étaient renfermés dans le château, leur dernière ressource.

Les libéraux ont remporté la victoire sur eux après avoir mis le feu au château et avoir brûlé les deux métairies dépendantes.

Fait par nous, Maire de la Benardière, le 7 juin 1832, le lendemain de la bataille.

(Document inédit.) CAILLÉ, maire de la Bernardière."


"Le château de la Pénissière, qui désormais tiendra sa place dans l'histoire, comme tant de pauvres villages qu'un combat célèbre a tirés de leur obscurité, n'était plus depuis longtemps qu'un vieux manoir tout démantelé, presqu'une ruine. Il était si bien déchu de ses honneurs de castel féodal qu'on l'avait transformé en une paisible ferme. A peine le découvrait-on au milieu des haies et des arbres touffus qui couvrent les bords de la Sèvre-Nantaise et de la Maine. Ses murailles, lézardées par le temps, s'affaissaient à demi sous le poids de sa couverture"

(Théodore MURET.)


"Quarante-deux royalistes du corps d'Auguste de la Rochejaquelein venaient le 5 juin chercher un abri contre l'orage dans cette masure à un seul étage, percée de quinze ouvertures de forme irrégulière et entourée par une prairie entrecoupée de haies vives, et que l'abondance des pluies avait transformée en lac.

Parmi eux en comptait cinq officiers de la garde royale ou de la ligne, des paysans, des jeune gens de toute condition, des séminaristes et quelques vieillards. Leurs noms ne doivent pas, ne peuvent pas être oubliées dans l'histoire de la Vendée militaire. Les quatre frères Eugène, Emmanuel, Victor et Egisthe de Girardin, Lévêque, Auclerc, Jamin, les trois frères Fouré, Aubry, Leclerc, Raffegeau, Motreuil, Joulin, père et fils, Mony, Augé, Juret, les deux Aubert, Bondu, Guinefolle, Thomasy, de Chevreuse, Bouleau, Jary, Touche, Monnier, Blandin, Ripoche, Gazeau, Martin, les deux François, et Guichard, composaient cette héroïque phalange. - DENIAU (Guerre de la Vendée), ajoute les trois noms suivants : Beauchamp, Lecomte et Rousselot et dit que onze d'entre eux étaient des anciens élèves de Beaupreau.

Le nom des six derniers combattants s'est perdu même dans la mémoire de leurs compagnons de la Pénissière. La gloire passe si vite ! C'étaient des gens du pays, des laboureurs que le hasard avait le matin même conduits à ce manoir, et qui ne faisaient encore partie d'aucun corps d'armée."

(CRÉTINEAU-JOLY.)


"Ils étaient là cinquante-trois, cinquante-trois braves, les uns chefs, les autres soldats ; ou plutôt, non, tous étaient chefs et soldats à la fois, tous étaient frères et camarades. Comme dans la première guerre de la Vendée, où Lescure et Larochejaquelein avaient pour égaux de simples paysans dont ils serraient fraternellement la main, il n'était parmi les défenseurs de la Pénissière qu'une seule distinction, celle que chacun s'efforcerait de mériter par son courage ; car dans toutes les guerres entreprises pour la cause royale, ce fut parmi les soutiens de cette cause qui, selon les révolutionnaires, étaient la cause de la noblesse et des privilèges, que l'égalité semblait avoir fixé son séjour.

Oh ! c'était un beau spectacle que celui de ces cinquante-trois hommes déterminés à mourir ! Il y avait là de pauvres paysans qu'un attachement héréditaire à leur foi politique et religieuse avait seul arrachés du sein de leurs travaux, lorsqu'il s'était agi de se rallier à la vieille bannière que la Vendée arrosa tant de fois de son sang. Il y avait des officiers et des soldats de la garde royale, de cette élite fidèle qui, au moment du départ de Rambouillet, brisait ses armes de désespoir, car on lui interdisait ce combat demandé avec tant d'ardeur. Près d'eux, on voyait aussi des jeunes gens qui, dans notre siècle égoïste et froid, avaient renoncé à tous les plaisirs que donne l'opulence, pour courir aux armes et braver la mort ; et là, tous confondus, ils n'avaient qu'une seule pensée : combattre jusqu'à leur dernier soupir."

(Théodore MURET.)


"Malgré son nom de château, la Pénissière, située dans la commune de la Bernardière, n'était qu'une simple gentilhommière fort irrégulièrement bâtie, se composant de quelques grandes chambres et de beaucoup de petites, avec deux escaliers, l'un assez large, placé en face de la porte d'entrée et conduisant du premier étage aux greniers.

C'est là que le mardi 5 juin, vers quatre heures du soir, quarante-deux légitimistes sous les armes vinrent chercher un abri contre une pluie torrentielle. Leur intention était de prendre part au soulèvement et de se porter le lendemain sur Cugand pour y désarmer la garde nationale. Ils passèrent tranquillement la nuit du 5 au 6 juin dans le château, mais leur présence y avait été signalée au 29e de ligne, cantonné dans le voisinage, à Clisson, et ils s'apprêtaient à sortir du manoir, quand le cri : Aux armes ! retentit. C'étaient les rouges qui approchaient avec une supériorité numérique si considérable que les Vendéens durent se former à la défensive ; mais cette défense est restée légendaire…

Vers onze heures du matin, le combat ou, pour mieux dire, le siège commence.

Voilà les soldats de Louis-Philippe qui se développent autour des murs et des clôtures, occupent la chapelle, la grange, les maisons de ferme, et de tous ces points engagent une fusillade à laquelle les assiégés répondent vigoureusement. Un effectif de quarante-deux hommes, avec trois clairons de voltigeurs pour musique, une douzaine d'espingoles, des carabines avec leurs baïonnettes, des pistolets, des poignards, quelques sabres ; comme munitions quarante cartouches par homme et deux gargousses contenant dix livres de poudre, voilà les ressources des Vendéens pour lutter pendant neuf heures de suite contre plusieurs centaines de combattants. Ils ont placé à chacun des étages un clairon dont la fanfare retentira pendant tout le combat. Leurs plus habiles tireurs, embusqués derrière les quinze fenêtres, déchargent à chaque seconde sur les assiégeants les espingoles que leurs camarades rechargent avec une extrême promptitude, et que de main en main on se passe, pour ne pas laisser se ralentir le feu. Chaque espingole porte au moins vingt-cinq balles ; les Vendéens en tirent neuf ou dix à la fois ; on dirait une batterie chargée à mitraille. "Rendez-vous, brigands !" s'écrient les soldats de Louis-Philippe. "Vive Henri V !" répondent les assiégés. Deux fois les assiégeants sont arrivés jusqu'à vingt pas du château, deux fois ils ont été repoussés. Les Vendéens ont décarrélé le plancher des chambres hautes, et, le mettant à jour à coups de hache dans différents endroits, ont pratiqué quelques meurtrières et consolidé les barricades avec des meubles et des madriers. Mais voici un nouvel ennemi : l'incendie. Les assiégeants sont parvenus à percer le mur d'une grange faisant face à un pignon du château, pignon qui ne présente aucune ouverture, et que les assiégés avaient négligé de créneler ; ils ont donc pu s'en approcher, en se glissant le long de la ferme qui se trouve dans la cour. Une fois arrivés au mur, ils y ont appliqué une échelle, et, montant jusqu'au toit, ils ont jeté dans l'intérieur du grenier des matières enflammées et se sont retirés ensuite. Une colonne de fumée s'échappe du toit, au travers duquel la flamme se fait jour. Les clairons vendéens ne cessent pas de sonner.

On entend dans le lointain le bruit du tambour. Sont-ce des chouans qui arrivent pour secourir les assiégés ? Non, c'est un renfort considérable que reçoivent les assiégeants ; c'est le commandant Georges, du 29e de ligne, qui leur amène des troupes fraîches.

La fusillade devient de plus en plus nourrie. Les boiseries des fenêtres volent en éclats sous la grêle des balles qui frappent les murs. La fumée tourbillonne dans les chambres. Des craquements sourds annoncent que la toiture va s'effondrer. Il pleut ; les assiégés espéraient que la pluie éteindrait les flammes dans le grenier. Mais après l'incendie d'en haut, voici l'incendie d'en bas. Les assiégeants, prenant des fagots et de la paille au bout de leurs baïonnettes, sont parvenus à les jeter dans le château par une fenêtre du rez-de-chaussée. Cernés de toutes parts, ayant le feu sous leurs pieds et au-dessus de leurs têtes, les Vendéens comprennent que la prolongation de la résistance ne sera pas possible. Mais se rendront-ils ? Non. Pendant que leurs clairons sonnent toujours, ils se décident à faire une trouée. Avant d'exécuter cette résolution héroïque, un d'eux s'écrie : "Amis, après avoir combattu en braves, mourons en Vendéens ! A genoux !" Et tous, agenouillés, ils récitent le Miserere au milieu des flammes Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam.

La grêle des balles redouble. L'incendie augmente de seconde en seconde ses ravages. Et secundum multiudinem miserationum tuarum dele iniquitatem meam.

Les solives craquent. La fumée, s'engouffrant par les fenêtres, est tellement épaisse qu'on se voit à peine. Amplius lava me ab iniquitate meâ, et à peccato meo munda me. Et ainsi de suite jusqu'à la fin du dernier verset.

Les hommes qui viennent de prier se relèvent. "Une trouée !" s'écrient-ils. Chefs en tête, ils descendent l'escalier, se serrant la main les uns les autres en signe d'adieu, car ils croient aller à la mort. Ils traversent une chambre complètement incendiée : puis, enfonçant la porte qui donne sur le jardin, ils s'élancent au pas de course, en bon ordre, clairons en tête. Dans cette sortie, cinq d'entre eux succombent : Mony, Gazeau, Leclerc, Jarry et Emmanuel de Girardin. Les autres traversent la prairie, franchissant, sous le feu des soldats et en ripostant, un torrent où ils ont de l'eau jusqu'à la ceinture, baignés de sueur et sortant d'une fournaise.

Enfin, après un quart d'heure de marche, ils cessent de se trouver sous le feu des soldats, qui négligent de les poursuivre, et, à la nuit, ils arrivent dans une ferme, où des soins leur sont prodigués par des paysans et un curé du voisinage. En pénétrant dans cette ferme, ils prient quelques jeunes villageois de se rendre sans armes au château de la Pénissière, afin de recueillir les blessés qu'ils trouveraient, et ceux des combattants qui se seraient égarés dans la retraite.

Le lendemain matin, les villageois, attendus avec impatience, arrivent vers les huit heures à la ferme. Ils y amènent avec eux les braves qui étaient restés au château et que leurs compagnons avaient crus perdus. Ces hommes, sauvés comme par miracle, sont au nombre de huit. Pendant que des solives en flammes craquaient de toutes parts, ils s'étaient retirés dans une espèce d'enfoncement formé par un retrait de mur, décidés à s'y défendre jusqu'à la dernière extrémité. Au même moment, le plancher était tombé avec un bruit affreux. Puis la fusillade avait cessé, les soldats de Louis-Philippe croyant que les derniers défenseurs du château venaient d'être écrasés dans les décombres.

Cette erreur les sauva. Ils se tinrent immobiles tandis que les assiégeants s'éloignaient avec répugnance d'un foyer qui dévorait à la fois amis et ennemis, vivants et morts. Et alors, à l'aide des ténèbres, les huit Vendéens se sont laissés glisser le long des murs. Ils sont sortis ainsi de la fournaise rouge et fumante où il ne restait plus que quelques cadavres éclairés par les dernières lueurs de l'incendie, et ils sont parvenus à rejoindre leurs camarades. On s'embrasse, mais on pleure, car il faut se séparer et l'on ne sait pas si l'on se reverra jamais, et les commissions militaires, les prisons vont réclamer les défenseurs du château de la Pénissière, les héros du suprême combat de la légitimité. "Adieu, disent-ils, adieu, et à des temps meilleurs !" Et pour la dernière fois ils jettent leur cri de guerre, le vieux cri des Vendéens : "Vive le roi !"

(IMBERT DE SAINT-AMAND. - La duchesse de Berry en Vendée)


"C'était le 5 juin 1832, quarante-cinq royalistes de la division d'Auguste de la Rochejaquelein, dont l'histoire doit buriner les noms, se trouvèrent attardés par un orage dans le manoir de la Pénissière, près Clisson. Leur présence y fut bientôt signalée au commandant Georges, qui occupait Clisson, et qui se disposa sur-le-champ à les entourer avec deux compagnies de grenadiers et une compagnie du 29e. Les quarante-cinq royalistes, avertis du danger qui les menace, n'en tiennent pas compte ; se fiant sur les secours des communes voisines qui sont prêtes à se soulever, et cédant du reste au besoin de repos qui les presse, ils prennent la résolution d'attendre de pied ferme l'attaque dont ils sont menacés.

La nuit se passe sans aucune apparition de la troupe ; le 6, au matin, ils se préparaient à se remettre en route pour joindre leur corps d'armée, lorsque tout à coup un cri se fit entendre : "Aux armes !" et en même temps plusieurs coups tirés sur leur sentinelle leur annoncent la présence des soldats de Georges et des gardes nationaux qui arrivent à travers le bocage.

Sans perdre de temps, ils sont à leur poste de combat ; ils barricadent les portes et les croisées du manoir, et font des ouvertures dans ses murs. L'action s'engage. "Mort aux chouans !" crie-t-on d'un côté. "Vive Henri V !" répond-on de l'autre. Les soldats, qu'on a surexcités avec de l'eau-de-vie, se précipitent avec furie contre les blancs en poussant de nouveaux cris et des hurlements, et font une décharge générale de leurs fusils, mais ils sont repoussés avec perte.

La Pénissière est une antique maison à un seul étage, percée de quinze ouvertures de grandeur inégale et irrégulière ; une chapelle ruinée en est séparée par un petit chemin. Il était difficile d'y forcer des hommes énergiques et courageux qui s'étaient juré de s'y défendre jusqu'à la mort. Les Philippistes, déconcertés par une résistance à laquelle ils ne s'attendaient pas, se retirent, mais excités par des gendarmes qui arrivent pour les soutenir, ils reviennent sur le manoir et s'emparent de la chapelle, des maisons des fermiers et des granges et se postant derrière les murs du jardin et de la cour, au-dessus desquels ils pratiquent des créneaux : la fusillade qui recommence, donne l'éveil aux cantonnements voisins des bleus, bientôt plusieurs compagnies avec des gardes nationaux arrivent au secours des soldats de Georges. Ils se reportent en avant pour forcer les royalistes. Les soldats sont de nouveau repoussés. Ils retournent une troisième fois à l'assaut. Leurs efforts sont encore impuissants ; chaque espingole des royalistes leur lance vingt-cinq balles à la fois, et à chaque seconde une espingole part. Les adroits tireurs sont blottis derrière les fenêtres, pendant que leurs camarades leur passent rapidement les armes chargées. Le gros des soldats ripostent de loin et criblent les fenêtres. La lutte devient acharnée. Les Philippistes arborent le drapeau noir et font entendre des cris de mort, mais les pertes sont de leur côté ; dix-neuf charrettes sont pleines de leurs morts et de leurs blessés, et aucun assiégé n'a encore succombé. Les soldats entrent en fureur. "Ce ne sont pas des hommes que nous avons à combattre, disent-ils, ce sont des diables." Les gardes nationaux, au lieu de soutenir les soldats, se tiennent prudemment à distance, l'arme au pied.

Cependant le commandant Georges veut en finir, il appelle de nouvelles forces à son secours, bientôt neuf cents troupiers enveloppent la Pénissière, des compagnies de voltigeurs sont disséminées dans la campagne pour repousser toute attaque du dehors. Les assiégés ne s'en effraient pas, ils s'excitent à se battre de plus en plus avec courage et crient constamment : vive Henri V ! Le clairon Monnier sonne la charge pour engager leurs amis qu'ils supposent en armes dans le voisinage, à venir les dégager.

Irrité d'une résistance à laquelle il ne s'attendait pas, et voulant débusquer les assiégés à tout prix, le commandant Georges ordonne de mettre le feu à plusieurs corps de servitudes, afin que les flammes se communiquent au principal corps du logis ; des sapeurs armés de leurs haches s'avancent en même temps avec une rare intrépidité pour défoncer les portes de ce bâtiment ; des grenadiers, favorisés par un pignon qui n'a pas d'ouvertures, et sous la protection du feu continuel des autres soldats, se glissent jusqu'aux croisées les plus basses, pendant que les tambours battent la charge. Sous leurs efforts combinés, les portes et les croisées du rez-de-chaussée menacent d'être forcées. Le commandant des blancs, Eugène de Girardin, craignant alors une lutte trop inégale si les volontaires sont obligés de lutter corps à corps avec les assaillants, fait monter tous ses hommes au premier étage et barricade fortement la porte qui y donne accès. Malgré leur rage, sapeurs et grenadiers ne peuvent enfoncer la porte principale. Les décharges meurtrières des assiégés les forcent, après des pertes fort sensibles, à se reporter de nouveau en arrière. Cependant, avant de se retirer, ils ont pu mettre le feu à une des fenêtres basses et à la porte qu'ils n'ont pu briser. Les flammes produisant des effets destructeurs et le cordon des assiégeants ne cessant de tirailler sur le manoir, la position des assiégés devient critique. On les somme de se rendre. Ils répondent par des cris encore plus enthousiastes de vive Henri V ! et continuent leur fusillade ; elle durait depuis cinq heures ; le feu donnait de plus en plus à la troupe des chances de succès ; voulant profiter de ses ravages, elle tente une nouvelle charge et se précipite du côté du jardin et de celui de la cour d'entrée. Elle est encore reçue à coup d'espingoles et de carabines qui tuent et qui blessent un grand nombre d'hommes. Cependant, malgré les feux continuels des assiégés, une compagnie de grenadiers parvient à enfoncer la porte d'une salle basse, donnant sur le jardin ; en même temps une compagnie du centre entrait dans ce même appartement par la croisée que les sapeurs venaient de briser. Cet appartement communiquait au grand escalier que les soldats se proposaient d'enlever, et cet escalier, une fois en leur possession, ils pouvaient pénétrer jusqu'aux chambres occupées par les royalistes. Déjà ils tentaient d'enfoncer la porte de communication lorsque des décharges, parties des meurtrières pratiquées au plafond, nettoient en un instant l'appartement occupé et le jonchent de morts et de blessés. D'autres décharges faites au dehors achèvent de réduire à un fort petit nombre la colonne envahissante. Les soldats de Georges sont de nouveau forcés de reculer et d'abandonner leurs blessés au milieu des flammes. Mais, enhardis par le progrès effrayant que faisaient ces flammes, ils retournent encore à la charge jusqu'à deux fois, mais toujours sans succès.

Ils avaient perdu déjà cent cinquante hommes, et les royalistes n'avaient que six blessés dont un seul hors de combat. Cependant la position de ces derniers n'était plus tenable, des brasiers ardents les entouraient et la fumée de l'incendie et de la poudre les suffoquait. Leur mort leur paraissait certaine. N'ayant pas pris de nourriture depuis vingt-quatre heures, et n'ayant ni vivre pour réparer leurs forces, ni eau pour étancher leur soif ardente, ils succombaient d'épuisement. C'était un spectacle digne des temps antiques. Il fallait prendre un parti. Eugène de Girardin, quoique blessé à la tête, aurait voulu prolonger la lutte jusqu'à la nuit afin de s'évader avec moins de danger; mais il n'y avait plus moyen de différer. L'escalier par lequel ils devaient descendre brûlait déjà, il ordonne de se jeter au milieu de l'ennemi du côté du jardin. "Mourons, crie-t-il à ses volontaires, mourons pour Henri V." Les trente-quatre hommes qui l'entourent répètent avec amour ce cri de désespoir, et traversant deux appartements envahis par les flammes, ils se disposent à s'échapper par une porte sur laquelle l'ennemi faisait constamment converger ses feux. En colonne serrée, ils traversent rapidement le jardin, escaladent par une brèche son mur d'enceinte où sont embusqués des soldats qu'ils culbutent et se trouvent dans un pré entourés par deux cents soldats ; marchant toujours en avant et espérant de nouveaux prodiges de valeur, ils voient tomber sous leurs coups un officier et trente soldats [extrait du rapport fait à la duchesse de Berry par Eugène de Girardin], les balles semblent les respecter [dans le temps on m'a affirmé qu'une balle s'était aplatie sur le scapulaire de l'un de ces braves]. Dans cette sortie, cinq royalistes seulement succombent, Mony, Gazeau, Leclerc, Jarry et Emmanuel de Girardin.

Ce dernier est tué à côté de son frère Eugène. Se sentant atteint dans le dos, il se retourne vers celui qui l'a frappé : "Tu m'achèveras au moins," lui dit-il en plein visage. Eugène de Girardin put s'échapper avec ses autres camarades ; un ruisseau qu'il traverse met fin à la poursuite des bleus [Un des fuyards se vit mettre en joue à dix pas seulement par un voltigeur ; il se retourna vers lui et, payant d'audace, il l'ajuste avec son fusil chargé. Le voltigeur, épouvanté, se sauva à toutes jambes].

Mais tout n'était pas fini ; huit des assiégés qui se trouvaient à une extrémité du manoir et qui n'avaient pas eu connaissance de la sortie de leurs compagnons d'armes, continuaient toujours à faire feu contre les assiégeants et à les repousser. Cette résistance fait croire au commandant Georges que la sortie des trente-quatre Vendéens n'est qu'une ruse de guerre pour le détourner d'un assaut général, il néglige d'envoyer à leur poursuite, c'est ce qui sauva Eugène de Girardin et ses camarades, et leur permit de se retirer à Treize-Septiers.

Cependant, le manoir étant ouvert, les fantassins de Georges y pénètrent, mais pour y subir de nouvelles pertes.

Les huit royalistes qui y sont restés leur opposent toujours la résistance la plus héroïque. Il faut laisser Lévêque, leur chef, en raconter lui-même toutes les péripéties.

"Trois soldats, dit-il, passèrent à côté de nous pour entrer dans la grande chambre sans se douter que nous fussions dans un enfoncement ; mais un quatrième, plus défiant, veut s'assurer s'il n'y a personne de caché dans le petit réduit qui nous abrite. Il tâte avec sa baïonnette et me la passe le long des reins ; aussitôt il lâche son coup. Nous fonçons sur les quatre soldats, ils tombent morts. Nous montons aussitôt l'escalier qui conduit aux mansardes ; c'est alors qu'en jetant les yeux par une ouverture, nous aperçûmes un officier occupé à faire porter les blessés à l'ambulance établie dans le chemin derrière la fuie aux pigeons, et à faire enlever les morts : un de nous l'ajuste, il tombe. A cette vue, des cris de : "Mort aux brigands !" se font entendre avec encore plus de rage. Ce bruit retentit dans les escaliers que les fantassins remplissent. Ils font sur eux une décharge presque à bout portant, et se précipitent ensuite en avant la baïonnette croisée ; mais deux coups d'espingoles chargées jusqu'à la gueule suffisent pour balayer l'escalier.

Après cette décharge, il ne nous restait que douze cartouches pour nous huit. Une seconde fois, les grenadiers se précipitent sur nous. Les malheureux soldats qui gravissent l'escalier périssent encore. Les cris des mourants et des combattants faisaient frémir."

Motreuil, dans ce moment de fureur, montra un sang-froid extraordinaire. Un soldat ayant gravi l'escalier rencontre ce séminariste et s'apprête à le tuer en proférant d'horribles blasphèmes. Motreuil le terrasse, le désarme et lui dit : "Je pourrais et devrais peut-être t'ôter la vie, mais, en le faisant, je t'enverrais en enfer : éloigne-toi et épargne-moi un remords [Souvenirs de l'abbé Boutillier, condisciple de Motreuil]."

Le capitaine qui commandait la troupe, continue Levêque, ne voyant pas revenir ses soldats, défendit de monter dans cet endroit dangereux. L'incendie n'allant pas assez vite à son gré, il ordonne de mettre le feu à vingt endroits différents. La dernière partie, un bâtiment où nous nous étions retirés, devient la proie des flammes ; elles nous cernent de toutes parts et nous font éprouver les plus cruelles souffrances.

Nous n'avions plus de cartouches, deux espingoles venaient de crever entre nos mains, le feu cessa forcément". Il était neuf heures du soir : ces intrépides volontaires s'étaient battus depuis onze heures du matin. Le silence qui succède aux détonations, l'incendie qui paraît avoir tout consumé fait croire à Georges que tous les blancs sont ensevelis sous les débris du vieux manoir [Les royalistes eurent en tout cinq tués et dix blessés]. Il s'éloigne après avoir perdu près de deux cents hommes.

Vers dix heures du soir, au moyen de leurs mouchoirs qu'ils lient ensemble, les huit royalistes s'échappent du milieu des ruines ; un cabinet pratiqué dans l'épaisseur d'une muraille les avait providentiellement préservés des flammes.

Ce fait d'armes a toujours été cité comme le plus beau de ces derniers temps ; quarante-cinq jeunes gens, dont la plupart étaient des paysans et des séminaristes, avaient tenu en échec et décimé douze ou quinze cents hommes aguerris et bien disciplinés. C'était comme un souvenir de la guerre des géants faite par leurs pères, et qui montrait de quoi eût été encore capable la Vendée s'il y avait eu plus d'entente parmi les chefs et si ses élans n'avaient pas été comprimés.

Le lendemain, les rouges vinrent inspecter les ruines qui devaient couvrir, pensaient-ils, un grand nombre des ennemis qu'ils avaient eu à combattre. Ils furent stupéfaits de n'y rencontrer aucun cadavre."

(DENIAU. - Histoire de la Vendée, T. VI.)


"Telle fut cette journée sanglante et glorieuse, bien digne de clore cette grande épopée qui commence en 1793 et se termine en 1832. Ce fut, à proprement parler, la dernière bataille livrée pour la défense de la royauté légitime. La duchesse de Berry pleura, en l'entendant raconter. La Vendée militaire sembla être descendue dans la tombe avec Emmanuel de Girardin et ses valeureux compagnons.

Ils dorment, les braves, enveloppés dans les plis du drapeau blanc fleurdelisé ! ils dorment jusqu'au jour où se lèvera le chantre prédestiné qui doit les faire revivre !

En attendant, le temps accumule sur leurs noms son rayonnement et son prestige. Leur mémoire grandit, et c'est justice. L'histoire a immortalisé les Coclès et les Léonidas. Quand on s'interroge, on ne voit pas bien ce que les Chouans de la Pénissière pourraient envier à ces héros."

(Alcide LEROUX, Vendée militaire.)


"Aujourd'hui le vieux château de la Pénissière subsiste encore ; son squelette noirci par la poudre et l'incendie ; ses murs d'enceinte, dont le crénelage irrégulier retrace parfaitement l'admirable résistance des héros assiégés, semblent des murs de cimetière au milieu duquel se trouve une sépulture de famille abandonnée. Rien de plus merveilleux, et pourtant rien de plus exact que le récit de cet immortel fait d'armes. Dans le champ qui fait partie de l'enclos, on voit çà et là quelques tombes, dont la seule marque de distinction est une croix de bois, renouvelée par la piété des habitants. On ne peut se faire une idée de l'impression produite par ces lieux si féconds en souvenirs.

Je ne veux pas oublier de dire qu'en apprenant le combat de la Pénissière, les paysans des environs s'empressèrent de prendre les armes. MM. de N… et de C… se mirent à leur tête et se portèrent en toute hâte au secours des braves assiégés ; mais au moment où ils allaient arriver près d'eux, on leur annonça que les troupes venaient de se retirer, croyant avoir englouti les Vendéens dans une fournaise ardente."

(JOHANET. La Vendée à trois époques.)

L'auteur écrivait en 1840. Le château a été démoli depuis.

F.

D'après la Chronique paroissiale de La Bernardière. On consultera avec profit les chroniques qui concernent d'autres communes du nord-est de la Vendée, et dont certaines peuvent se télécharger à cette adresse.