"Gauvain demeura plusieurs semaines en cette forteresse perdue, et cela dans la joie et l'allégresse. Puis il pensa que son séjour avait assez duré, et qu'il devait aller se présenter à la cour du roi Arthur, son oncle. Il alla trouver son hôte et lui demanda la permission de partir en compagnie de sa fille. L'hôte lui accorda bien volontiers cette permission, d'autant plus qu'il se sentait flatté que Gauvain emmenât sa fille chez le roi Arthur. Gauvain reprit les armes avec lesquelles il était arrivé et partit en prenant congé de son hôte, se félicitant de l'aventure qu'il avait vécue. [...] Puis ils se mirent en route et traversèrent la forêt.
C'est alors qu'ils virent arriver un chevalier monté sur un cheval bai, robuste et plein d'ardeur. L'homme chevauchait à vive allure et, quand il fut parvenu à leur hauteur, il éperonna son cheval et, sans prononcer un mot, se jeta entre Gauvain et la jeune femme dont il saisit la monture par les rênes. Puis il fit aussitôt demi-tour et elle, sans qu'il lui eût demandé quoi que ce fût, le suivit sans hésiter. Saisi de colère, Gauvain se précipita à la poursuite du ravisseur. Mais il pensait qu'il n'avait d'autres armes que son bouclier, sa lance et son épée tandis que l'autre était bien équipé, robuste, de grande taille et plein d'agressivité. Néanmoins, Gauvain se jeta contre son adversaire, la lance tendue, et s'écria : "Rends-moi mon amie ou montre-moi ton courage ! Bien que je sois peu armé devant toi, je te provoquerai au combat et tu seras obligé de me rendre raison de ton forfait !"
L'inconnu s'arrêta, souleva sa visière et répondit : "Je n'ai nulle envie de me battre avec toi, et si je me suis mal conduit, ce que tu prétends, je ne suis pas prêt à t'en demander pardon. Cette femme m'appartient. Et si tu veux confirmation de ce que je te dis, je peux te proposer une solution. Laissons cette femme sur ce chemin et allons-nous en chacun de notre côté. Elle décidera alors elle-même lequel d'entre nous elle préfère. Si elle veut partir avec toi, je te la laisserai, je t'en donne ma parole. Mais si elle décide de venir avec moi, il est juste que tu reconnaisses qu'elle est mienne !"
Gauvain accepta d'emblée la proposition. Il avait une telle confiance dans la jeune femme et avait tant d'amour pour elle qu'il était persuadé qu'elle ne l'abandonnerait pour rien au monde. Les deux hommes la laissèrent donc au milieu du chemin et s'en allèrent, l'un à droite et l'autre à gauche. La jeune femme les regarda tous les deux et se mit à réfléchir, ce qui étonna grandement Gauvain. Elle savait bien quelle était la prouesse de Gauvain, notamment lorsqu'il était au lit, mais elle voulait savoir si l'autre chevalier était aussi preux et aussi vaillant. Et c'est vers lui qu'elle se dirigea, sans un regard pour Gauvain.
"Seigneur, dit alors le chevalier, il n'y a pas de contestation possible : cette jeune femme a choisi librement qui elle voulait. - Certes, répondit Gauvain, profondément ulcéré. Que Dieu me maudisse si je conteste quoi que ce soit et si je me bats pour qui se moque de moi !" Et il s'en alla à travers la forêt en emmenant avec lui les lévriers.
Cependant, au bout d'une lande, la jeune femme s'arrêta brusquement et le chevalier lui en demanda la raison. "Seigneur, répondit-elle, je ne serai jamais ton amie tant que je n'aurai pas repris possession de mes lévriers que ce chevalier, là-bas, emporte avec lui. - Tu les auras !" s'écria-t-il. Et il piqua des deux pour rejoindre Gauvain. "Pourquoi emportes-tu ces lévriers qui ne t'appartiennent pas ? demanda-t-il. - Seigneur, répondit Gauvain, je les considère comme miens, et si quelqu'un vient me les disputer, je devrait les défendre comme mon bien propre. Mais si tu veux mon avis, il serait bon de recourir à l'épreuve que tu m'as proposée tout à l'heure lorsque nous avons mis la jeune femme au milieu du chemin pour savoir avec qui elle irait." Le chevalier dit qu'il acceptait la proposition. Il pensait en effet que si les lévriers venaient de son côté, il se les approprierait sans combattre, et que, de toute façon, s'ils allaient de l'autre côté, il serait bien temps pour lui de les conquérir par la force. Ils laissèrent donc les bêtes au milieu du chemin. Alors les lévriers se précipitèrent vers Gauvain et lui firent fête. Gauvain les flatta longuement du geste et de la voix, tout heureux que les chiens eussent choisi sa compagnie.
Et comme la jeune femme arrivait, furieuse de voir que ses lévriers étaient autour de Gauvain, celui-ci dit encore : "J'ai fait tout ce que cette femme m'a demandé et je lui ai donné mon amour. Voilà la façon dont elle me récompense ! Mais ces chiens, je les ai connus dans la forteresse de son père. Je les ai caressés et ils m'ont donné leur amitié. Les chiens sont une chose, et les femmes une autre ! Sachez donc qu'un animal ne trahira jamais un humain qui lui a donné son amitié et à qui il a promis son affection. Les lévriers ne m'ont pas abandonné. Je peux donc prouver ainsi qu'ils sont à moi et que leur amitiés m'est plus précieuse que le faux amour que cette femme a manifesté envers moi !"
Mais l'autre chevalier se montra de plus en plus arrogant. "Ton discours ne m'intéresse pas ! s'écria-t-il. Donne-moi les chiens ou prépare-toi à te défendre !" Gauvain saisit alors son bouclier et le plaça contre sa poitrine. L'autre se précipita sur lui et tous deux s'affrontèrent de toute la force de leurs chevaux. Bientôt, Gauvain fit vider les étriers à son adversaire et, sautant à bas de sa monture, il le poursuivit l'épée à la main. Il y mit toute sa rage, car le tort et l'insulte qu'il venait de recevoir excitaient sa haine. Il le malmena et maltraita si fort que, soulevant le pan du haubert de son adversaire, il lui perça le flan de sa bonne épée. Sa vengeance assouvie, il abandonna le corps sans un regard pour le cheval, le haubert et le bouclier. Il alla appeler les lévriers, puis courut reprendre son cheval. Il sauta en selle sans plus attendre.
"Seigneur ! s'écria la jeune femme. Au nom de Dieu, ne me laisse pas seule ! Ce serait un acte ignoble ! Si j'ai manqué de sagesse, ne m'en fais pas reproche ! Je n'ai pas osé te suivre parce que j'ai eu très peur quand j'ai vu que tu étais mal équipé alors que ton adversaire était parfaitement armé !" En entendant ces paroles, Gauvain se mit à rire. Puis il dit : "En vérité, qui veut récolter un autre blé que celui qu'il a semé, ou qui attend d'une femme autre chose que ce qu'elle est par nature, n'a pas de sagesse ! Ta compassion ne visait pas à préserver ma vie ou mon honneur, elle avait une tout autre source. Je n'ai plus aucune raison de t'écouter et je te laisse en tête à tête avec toi-même !"
C'est alors qu'ils virent arriver un chevalier monté sur un cheval bai, robuste et plein d'ardeur. L'homme chevauchait à vive allure et, quand il fut parvenu à leur hauteur, il éperonna son cheval et, sans prononcer un mot, se jeta entre Gauvain et la jeune femme dont il saisit la monture par les rênes. Puis il fit aussitôt demi-tour et elle, sans qu'il lui eût demandé quoi que ce fût, le suivit sans hésiter. Saisi de colère, Gauvain se précipita à la poursuite du ravisseur. Mais il pensait qu'il n'avait d'autres armes que son bouclier, sa lance et son épée tandis que l'autre était bien équipé, robuste, de grande taille et plein d'agressivité. Néanmoins, Gauvain se jeta contre son adversaire, la lance tendue, et s'écria : "Rends-moi mon amie ou montre-moi ton courage ! Bien que je sois peu armé devant toi, je te provoquerai au combat et tu seras obligé de me rendre raison de ton forfait !"
L'inconnu s'arrêta, souleva sa visière et répondit : "Je n'ai nulle envie de me battre avec toi, et si je me suis mal conduit, ce que tu prétends, je ne suis pas prêt à t'en demander pardon. Cette femme m'appartient. Et si tu veux confirmation de ce que je te dis, je peux te proposer une solution. Laissons cette femme sur ce chemin et allons-nous en chacun de notre côté. Elle décidera alors elle-même lequel d'entre nous elle préfère. Si elle veut partir avec toi, je te la laisserai, je t'en donne ma parole. Mais si elle décide de venir avec moi, il est juste que tu reconnaisses qu'elle est mienne !"
Gauvain accepta d'emblée la proposition. Il avait une telle confiance dans la jeune femme et avait tant d'amour pour elle qu'il était persuadé qu'elle ne l'abandonnerait pour rien au monde. Les deux hommes la laissèrent donc au milieu du chemin et s'en allèrent, l'un à droite et l'autre à gauche. La jeune femme les regarda tous les deux et se mit à réfléchir, ce qui étonna grandement Gauvain. Elle savait bien quelle était la prouesse de Gauvain, notamment lorsqu'il était au lit, mais elle voulait savoir si l'autre chevalier était aussi preux et aussi vaillant. Et c'est vers lui qu'elle se dirigea, sans un regard pour Gauvain.
"Seigneur, dit alors le chevalier, il n'y a pas de contestation possible : cette jeune femme a choisi librement qui elle voulait. - Certes, répondit Gauvain, profondément ulcéré. Que Dieu me maudisse si je conteste quoi que ce soit et si je me bats pour qui se moque de moi !" Et il s'en alla à travers la forêt en emmenant avec lui les lévriers.
Cependant, au bout d'une lande, la jeune femme s'arrêta brusquement et le chevalier lui en demanda la raison. "Seigneur, répondit-elle, je ne serai jamais ton amie tant que je n'aurai pas repris possession de mes lévriers que ce chevalier, là-bas, emporte avec lui. - Tu les auras !" s'écria-t-il. Et il piqua des deux pour rejoindre Gauvain. "Pourquoi emportes-tu ces lévriers qui ne t'appartiennent pas ? demanda-t-il. - Seigneur, répondit Gauvain, je les considère comme miens, et si quelqu'un vient me les disputer, je devrait les défendre comme mon bien propre. Mais si tu veux mon avis, il serait bon de recourir à l'épreuve que tu m'as proposée tout à l'heure lorsque nous avons mis la jeune femme au milieu du chemin pour savoir avec qui elle irait." Le chevalier dit qu'il acceptait la proposition. Il pensait en effet que si les lévriers venaient de son côté, il se les approprierait sans combattre, et que, de toute façon, s'ils allaient de l'autre côté, il serait bien temps pour lui de les conquérir par la force. Ils laissèrent donc les bêtes au milieu du chemin. Alors les lévriers se précipitèrent vers Gauvain et lui firent fête. Gauvain les flatta longuement du geste et de la voix, tout heureux que les chiens eussent choisi sa compagnie.
Et comme la jeune femme arrivait, furieuse de voir que ses lévriers étaient autour de Gauvain, celui-ci dit encore : "J'ai fait tout ce que cette femme m'a demandé et je lui ai donné mon amour. Voilà la façon dont elle me récompense ! Mais ces chiens, je les ai connus dans la forteresse de son père. Je les ai caressés et ils m'ont donné leur amitié. Les chiens sont une chose, et les femmes une autre ! Sachez donc qu'un animal ne trahira jamais un humain qui lui a donné son amitié et à qui il a promis son affection. Les lévriers ne m'ont pas abandonné. Je peux donc prouver ainsi qu'ils sont à moi et que leur amitiés m'est plus précieuse que le faux amour que cette femme a manifesté envers moi !"
Mais l'autre chevalier se montra de plus en plus arrogant. "Ton discours ne m'intéresse pas ! s'écria-t-il. Donne-moi les chiens ou prépare-toi à te défendre !" Gauvain saisit alors son bouclier et le plaça contre sa poitrine. L'autre se précipita sur lui et tous deux s'affrontèrent de toute la force de leurs chevaux. Bientôt, Gauvain fit vider les étriers à son adversaire et, sautant à bas de sa monture, il le poursuivit l'épée à la main. Il y mit toute sa rage, car le tort et l'insulte qu'il venait de recevoir excitaient sa haine. Il le malmena et maltraita si fort que, soulevant le pan du haubert de son adversaire, il lui perça le flan de sa bonne épée. Sa vengeance assouvie, il abandonna le corps sans un regard pour le cheval, le haubert et le bouclier. Il alla appeler les lévriers, puis courut reprendre son cheval. Il sauta en selle sans plus attendre.
"Seigneur ! s'écria la jeune femme. Au nom de Dieu, ne me laisse pas seule ! Ce serait un acte ignoble ! Si j'ai manqué de sagesse, ne m'en fais pas reproche ! Je n'ai pas osé te suivre parce que j'ai eu très peur quand j'ai vu que tu étais mal équipé alors que ton adversaire était parfaitement armé !" En entendant ces paroles, Gauvain se mit à rire. Puis il dit : "En vérité, qui veut récolter un autre blé que celui qu'il a semé, ou qui attend d'une femme autre chose que ce qu'elle est par nature, n'a pas de sagesse ! Ta compassion ne visait pas à préserver ma vie ou mon honneur, elle avait une tout autre source. Je n'ai plus aucune raison de t'écouter et je te laisse en tête à tête avec toi-même !"
Jean Markale, Les chevaliers de la Table ronde (1993), dans Le cycle du Graal, tome 1
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