mardi 12 janvier 2010 | By: Mickaelus

Les ultraroyalistes ou ultras

Le mot ultra est souvent utilisé d'une manière péjorative pour qualifier quelqu'un d'excessif, surtout dans le cas qui nous intéresse ; il s'agit de l'abréviation du mot ultraroyaliste, encore employé par dérision aujourd'hui pour définir ou plutôt diaboliser à peu de frais les royalistes, légitimistes principalement, qui seraient restés trop traditionnels par rapport aux critères sociaux, moraux et politiques de notre époque, ou simplement par rapport à des critères bonaparto-orléanistes et/ou libéraux. Un ultra serait de ce point de vue le contre-révolutionnaire ultime, celui qui rejetterait tous les principes de la Révolution de 1793 mais aussi de 1789 et projetterait donc un retour radical vers les structures sociales et politiques d'Ancien Régime.

La tentative d'analyse de l'ultracisme écrite par Benoît Yvert (à propos de l'épisode de la "Chambre introuvable") que je vous propose ci-dessous a le mérite de casser certains clichés en montrant d'une part que la tendance ultra est divisée et qu'une partie soutient sincèrement la Charte de 1814 et le régime constitutionnel, voire parlementaire, d'autre part que ses motivations sont parfois différentes de celles que poursuivent les légitimistes traditionnels aujourd'hui. On constate par exemple qu'un certains nombre d'ultras, dits conservateurs dans le texte, sont surtout soucieux de recouvrer un contre-pouvoir de la noblesse, via le parlement étonnamment, contre la souveraineté royale absolue d'Ancien Régime, colportant pour se faire le mythe de droits politiques de la noblesse au moyen-âge, qui n'ont jamais existé que de manière conjoncturelle et temporaire suite à la décomposition du pouvoir royal carolingien.

Les légitimistes traditionnels d'aujourd'hui, ceux de l'Union des Cercles Légitimistes de France notamment, ne sauraient donc être qualifiés d'ultras malgré certains points communs évidents, puisqu'ils ne soutiennent ni la perspective parlementaire ou la demi-teinte libérale des ultras modérés, ni la réaction nobiliaire des ultras conservateurs, ni la reconstitution factice de la société des trois ordres : c'est la souveraineté royale absolue et indépendante dont ils réclament la restauration en la personne de Louis XX, dans la perspective du Bien commun. En ce qui me concerne, un terme comme légitimiste absolutiste me conviendrait parfaitement.


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"N'ayant pas trouvé son historien définitif, l'ultraroyalisme reste à étudier avec précision, tant sociologiquement que politiquement. A défaut d'une synthèse satisfaisante, on peut cependant tenter d'en esquisser une définition.

Fruit des Cent-Jours, l'ultracisme de la majorité de la Chambre introuvable repose sur quelques convictions solides. Contre-révolutionnaire avant tout, l'ultra ressent à un degré variable la nostalgie d'une société hiérarchisée fondée sur la religion catholique et la juste séparation des individus en plusieurs ordres, le premier étant naturellement la noblesse dont la supériorité héréditaire est justifiée par l'expérience, antidote des passions égalitaires qui mènent toute société à l'anarchie. La Révolution française, cruellement vécue par la plupart des députés dans leur jeunesse, est avant tout attribuée au travail de sape des philosophes des Lumières qui ont, selon eux, dangereusement opposé l'homme à la société, le mérite à l'hérédité, l'égalité à la propriété et la raison à la religion. Pour réussir, la Contre-Révolution doit donc à la fois pourchasser les hommes mais aussi les idées. Pour endoctriner les âmes, il faut et favoriser une renaissance spirituelle du clergé en reconstituant son patrimoine et en favorisant son emprise sur l'éducation, et créer une nouvelle littérature, "expression de la société" selon Bonald, dont le romantisme naissant sera le symbole, enfin rendre à la noblesse une primauté sociale perdue par la centralisation.

Ce programme commun cache pourtant une lézarde profonde entre ceux que nous définirons comme "ultras conservateurs" et "ultras du mouvement" pour reprendre une typologie classique. L'opposition vient de l'interprétation de la Révolution française. Pour l'ultra conservateur, la Révolution française est le fruit d'un complot conjoncturel, diversement attribué aux francs-maçons, au duc d'Orléans ou à la bourgeoisie dans son ensemble, et qui ne reflète donc pas une crise de société profonde. Nourri par les écrits des théocrates, Joseph de Maistre et Louis de Bonald, l'ultra conservateur interprète surtout la Révolution comme un châtiment divin voulu par le Créateur pour punir la France libérale et libertine des Lumières. La Restauration est donc l'occasion d'une expiation nécessaire mais facilement réalisable car, l'homme n'étant pour rien dans la Révolution, il suffit d'une politique profondément religieuse et conservatrice pour ramener le pays dans le droit chemin. Cet ultra-là n'est pourtant pas, comme on l'a trop souvent écrit, un fils spirituel de l'absolutisme. L'idée de châtiment n'épargne pas le pouvoir royal, coupable d'avoir violé les lois fondamentales du royaume en réduisant sa noblesse en esclavage honorifique et en aliénant le magistère spirituel de son clergé par un gallicanisme autoritaire. La solution de la crise française réside donc pour eux dans un retour à la monarchie médiévale tempérée dans laquelle clergé et noblesse jouaient chacun un rôle de contre-pouvoir spirituel et politique efficace. Héritier du frondeur, l'ultra conservateur s'apprête à défier le pouvoir royal, dont la Charte vient de concrétiser la prépondérance, en prenant d'assaut la société par le seul pouvoir, le parlementaire, dans lequel il compte la majorité. Quant à la chambre des pairs, fausse vitrine de l'aristocratie car globalement peuplée d'anciens révolutionnaires et de bonapartistes, elle est souverainement méprisée.

Pour gouverner par la Chambre, il faut nécessairement accepter la Charte, "seul point, selon Villèle, auquel puissent se rallier tous les Français, et le seul levier qu'on puisse en ce moment substituer au pouvoir royal". Comme l'a noté avec sa justesse habituelle Mme de Staël, les ultras entrent dans la Charte comme les Grecs dans le cheval de Troie pour se réclamer, à l'instar des constituants, détenteurs d'une souveraineté qu'ils vont opposer à celle d'un roi qu'ils haïssent pour la plupart depuis l'émigration. Ainsi vont-ils rapidement réclamer à tue-tête l'instauration à leur profit de l'initiative des lois et la responsabilité politique des ministres. Cette tendance, qui groupe l'immense majorité de l'ultracisme, se divise entre impatients, partisans d'une contre-révolution rapide et brutale dont le chef est le député La Bourdonnaye, et pragmatiques, réunis derrière Villèle et Corbière, qui entendent mener une politique plus prudente, notamment dans l'opposition contre la Couronne. L'élection d'une Chambre ardemment royaliste, le discrédit des libéraux et des bonapartistes durant les Cent-Jours donnent à ces "royalistes purs", comme ils s'intitulent eux-mêmes, l'espoir d'imiter leurs ennemis de la génération précédente en faisant table rase du passé proche. "Il fallait, comme l'écrit Villèle dans ses mémoires, s'emparer de l'animosité que la tyrannie de Bonaparte avait soulevée contre lui, tant en France qu'à l'étranger, et profiter de sa tentative et de sa chute pour porter un coup mortel aux idées de la Révolution dont il était le représentant ; il fallait ensevelir dans la même défaite de Waterloo le turbulent génie de la guerre perpétuelle et les décevantes théories révolutionnaires."

Pour l'ultra du mouvement, dont Chateaubriand et le publiciste Joseph Fiévée sont les représentants les plus éclatants, la Révolution française est au contraire jugée comme une crise en profondeur, largement justifiable, qui a balayé sans espoir de retour la société de l'Ancien Régime. Elle a manifesté une double aspiration libérale et égalitaire qu'il faut dissocier. Leur analyse, proche des libéraux sur ce point, distingue entre les aspirations respectables des constituants et leur débordement par le despotisme de la multitude durant la Terreur. La Révolution s'étant soldée par l'arbitraire impérial, les valeurs libérales de 1789 restent, selon eux, toujours ancrées au cœur des Français. Retournant la rhétorique des Lumières, comme il l'a déjà fait dans le Génie du christianisme, Chateaubriand veut transformer la monarchie restaurée en bouclier des libertés, principalement la liberté de la presse, conçue comme un contre-pouvoir à part entière, alors que les conservateurs comme Bonald voient en elle un instrument de perversion des masses qu'il faut étroitement contrôler. "Point de gouvernement représentatif sans la liberté de la presse, rétorque René. Voici pourquoi : le gouvernement représentatif s'éclaire par l'opinion publique, et est fondé sur elle. Les Chambres ne peuvent connaître cette opinion, si cette opinion n'a point d'organes." Convaincus que l'irresponsabilité royale est le meilleur bouclier du trône, les ultras du mouvement militent, eux, sincèrement, pour l'évolution du régime vers une monarchie parlementaire dans laquelle, et c'est sur ce point qu'ils sont en opposition avec les gauches, la noblesse et le clergé retrouveront par leur supériorité naturelle un rôle premier dans la conduite des affaires.

Ainsi existe-t-il dès l'origine une césure profonde entre partisans sincères et conjoncturels du gouvernement représentatif au sein du parti ultra, ce qui explique le grand embarras des libéraux à porter un jugement cohérent sur une Chambre qui présente l'étrange paradoxe de défendre la primauté du pouvoir parlementaire et la liberté d'expression au nom de la Contre-Révolution. [...]"


Emmanuel de Waresquiel et Benoît Yvert, Histoire de la restauration - 1814-1830 (2002 dans la collection Tempus) - L'extrait cité est écrit par Benoît Yvert

1 commentaires:

Colbert a dit…

Je partage totalement (bien que n'étant pas légitimiste) votre point de vue négatif sur les "ultras" de 1815, qui sont bien plus féodalistes que royalistes, plus Téméraire que Louis XI.