"Un des plus grands crimes qu'on puisse commettre, c'est sans doute l'attentat contre la souveraineté, nul n'ayant des suites plus terribles. Si la souveraineté réside sur une tête, et que cette tête tombe victime de l'attentat, le crime augmente d'atrocité. Mais si ce Souverain n'a mérité son sort par aucun crime ; si ses vertus même ont armé contre lui la main des coupables, le crime n'a plus de nom. A ces traits on reconnaît la mort de Louis XVI ; mais ce qu'il est important de remarquer, c'est que jamais un plus grand crime n'eut plus de complices. La mort de Charles Ier en eut bien moins, et cependant il était possible de lui faire des reproches que Louis XVI ne mérita point. Cependant on lui donna des preuves de l'intérêt le plus tendre et le plus courageux ; le bourreau même, qui ne faisait qu'obéir, n'osa pas se faire connaître. En France, Louis XVI marcha à la mort au milieu de 60000 hommes armés, qui n'eurent pas un coup de fusil pour Santerre : pas une voix ne s'éleva pour l'infortuné monarque, et les provinces furent aussi muettes que la capitale. On se serait exposé, disait-on. Français ! si vous trouvez cette raison bonne, ne parlez pas tant de votre courage, ou convenez que vous l'employez bien mal.
L'indifférence de l'armée ne fut pas moins remarquable. Elle servit les bourreaux de Louis XVI bien mieux qu'elle ne l'avait servi lui-même, car elle l'avait trahi. On ne vit pas de sa part le plus léger témoignage de mécontentement. Enfin, jamais un plus grand crime n'appartint (à la vérité avec une foule de gradations) à un plus grand nombre de coupables.
Il faut encore faire une observation importante : c'est que tout attentat commis contre la souveraineté, au nom de la nation, est toujours plus ou moins un crime national ; car c'est toujours plus ou moins la faute de la Nation, si un nombre quelconque de factieux s'est mis en état de commettre le crime en son nom. Ainsi, tous les Français, sans doute, n'ont pas voulu la mort de Louis XVI ; mais l'immense majorité du peuple a voulu, pendant plus de deux ans, toutes les folies, toutes les injustices, tous les attentats qui amenèrent la catastrophe du 21 janvier.
Or, tous les crimes nationaux contre la souveraineté sont punis sans délai et d'une manière terrible ; c'est une loi qui n'a jamais souffert d'exception. Peu de jours après l'exécution de Louis XVI, quelqu'un écrivait dans le Mercure universel : Peut-être il n'eût pas fallu en venir là ; mais puisque nos législateurs ont pris l'événement sur leur responsabilité, rallions-nous autour d'eux : éteignons toutes les haines, et qu'il n'en soit plus question. Fort bien : il eût fallu peut-être ne pas assassiner le Roi ; mais puisque la chose est faite, n'en parlons plus, et soyons tous bons amis. Ô démence ! Shakespeare en savait un peu plus lorsqu'il disait : La vie de tout individu est précieuse pour lui ; mais la vie de qui dépendent tant de vies, celle des souverains, est précieuse pour tous. Un crime fait-il disparaître la majesté royale ? A la place qu'elle occupait, il se forme un gouffre effroyable, et tout ce qui l'environne s'y précipite. Chaque goutte du sang de Louis XVI en coûtera des torrents à la France ; quatre millions de Français, peut-être, payeront de leur tête le grand crime national d'une insurrection anti-religieuse et anti-sociale, couronnée par un régicide.
[...] Il y eut des nations condamnées à mort au pied de la lettre comme des individus coupables, et nous savons pourquoi. S'il entrait dans les desseins de Dieu de nous révéler ses plans à l'égard de la Révolution française, nous lirions le châtiment des Français comme l'arrêt d'un parlement. - Mais que saurions-nous de plus ? Ce châtiment n'est-il pas visible ? N'avons-nous pas vu la France déshonorée par plus de cent mille meurtres ? le sol entier de ce beau royaume couvert d'échafauds ? et cette malheureuse terre abreuvée du sang de ses enfants par les massacres judiciaires, tandis que des tyrans inhumains le prodiguaient au dehors pour le soutien d'une guerre cruelle, soutenue pour leur propre intérêt ? Jamais le despote le plus sanguinaire ne s'est joué de la vie des hommes avec tant d'insolence, et jamais peuple passif ne se présenta à la boucherie avec plus de complaisance. Le fer et le feu, le froid et la faim, les privations, les souffrances de toute espèce, rien ne le dégoûte de son supplice ; tout ce qui est dévoué doit accomplir son sort ; on ne verra point de désobéissance, jusqu'à ce que le jugement soit accompli. [Etc.]"
L'indifférence de l'armée ne fut pas moins remarquable. Elle servit les bourreaux de Louis XVI bien mieux qu'elle ne l'avait servi lui-même, car elle l'avait trahi. On ne vit pas de sa part le plus léger témoignage de mécontentement. Enfin, jamais un plus grand crime n'appartint (à la vérité avec une foule de gradations) à un plus grand nombre de coupables.
Il faut encore faire une observation importante : c'est que tout attentat commis contre la souveraineté, au nom de la nation, est toujours plus ou moins un crime national ; car c'est toujours plus ou moins la faute de la Nation, si un nombre quelconque de factieux s'est mis en état de commettre le crime en son nom. Ainsi, tous les Français, sans doute, n'ont pas voulu la mort de Louis XVI ; mais l'immense majorité du peuple a voulu, pendant plus de deux ans, toutes les folies, toutes les injustices, tous les attentats qui amenèrent la catastrophe du 21 janvier.
Or, tous les crimes nationaux contre la souveraineté sont punis sans délai et d'une manière terrible ; c'est une loi qui n'a jamais souffert d'exception. Peu de jours après l'exécution de Louis XVI, quelqu'un écrivait dans le Mercure universel : Peut-être il n'eût pas fallu en venir là ; mais puisque nos législateurs ont pris l'événement sur leur responsabilité, rallions-nous autour d'eux : éteignons toutes les haines, et qu'il n'en soit plus question. Fort bien : il eût fallu peut-être ne pas assassiner le Roi ; mais puisque la chose est faite, n'en parlons plus, et soyons tous bons amis. Ô démence ! Shakespeare en savait un peu plus lorsqu'il disait : La vie de tout individu est précieuse pour lui ; mais la vie de qui dépendent tant de vies, celle des souverains, est précieuse pour tous. Un crime fait-il disparaître la majesté royale ? A la place qu'elle occupait, il se forme un gouffre effroyable, et tout ce qui l'environne s'y précipite. Chaque goutte du sang de Louis XVI en coûtera des torrents à la France ; quatre millions de Français, peut-être, payeront de leur tête le grand crime national d'une insurrection anti-religieuse et anti-sociale, couronnée par un régicide.
[...] Il y eut des nations condamnées à mort au pied de la lettre comme des individus coupables, et nous savons pourquoi. S'il entrait dans les desseins de Dieu de nous révéler ses plans à l'égard de la Révolution française, nous lirions le châtiment des Français comme l'arrêt d'un parlement. - Mais que saurions-nous de plus ? Ce châtiment n'est-il pas visible ? N'avons-nous pas vu la France déshonorée par plus de cent mille meurtres ? le sol entier de ce beau royaume couvert d'échafauds ? et cette malheureuse terre abreuvée du sang de ses enfants par les massacres judiciaires, tandis que des tyrans inhumains le prodiguaient au dehors pour le soutien d'une guerre cruelle, soutenue pour leur propre intérêt ? Jamais le despote le plus sanguinaire ne s'est joué de la vie des hommes avec tant d'insolence, et jamais peuple passif ne se présenta à la boucherie avec plus de complaisance. Le fer et le feu, le froid et la faim, les privations, les souffrances de toute espèce, rien ne le dégoûte de son supplice ; tout ce qui est dévoué doit accomplir son sort ; on ne verra point de désobéissance, jusqu'à ce que le jugement soit accompli. [Etc.]"
Joseph de Maistre, Considérations sur la France (1796), dans Oeuvres
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire