Le pape Urbain II prêche la sainte croisade lors du concile de Clermont le 27 novembre 1095
"Les écrivains du XVIIIe siècle se sont plu à représenter les croisades sous un jour odieux. J'ai réclamé un des premiers contre cette ignorance ou cette injustice. Les croisades ne furent des folies, comme on affectait de les appeler, ni dans leur principe ni dans leur résultat. Les chrétiens n'étaient point les agresseurs. Si les sujets d'Omar, partis de Jérusalem, après avoir fait le tour de l'Afrique, fondirent sur la Sicile, sur l'Espagne, sur la France même, où Charles Martel les extermina, pourquoi des sujets de Philippe Ier, sortis de la France, n'auraient-ils pas fait le tour de l'Asie pour se venger des descendants d'Omar jusque dans Jérusalem ? C'est un grand spectacle sans doute que ces deux armées de l'Europe et de l'Asie marchant en sens contraire autour de la Méditerranée et venant, chacune sous la bannière de sa religion, attaquer Mahomet et Jésus-Christ au milieu de leurs adorateurs. N'apercevoir dans les croisades que des pèlerins armés qui courent délivrer un tombeau en Palestine, c'est montrer une vue très bornée en histoire. Il s'agissait non seulement de la délivrance de ce tombeau sacré, mais encore de savoir qui devait l'emporter sur la terre, ou d'un culte ennemi de la civilisation, favorable par système à l'ignorance, au despotisme, à l'esclavage, ou d'un culte qui a fait revivre chez les modernes le génie de la docte antiquité et aboli la servitude. Il suffit de lire le discours du pape Urbain II au concile de Clermont pour se convaincre que les chefs de ces entreprises guerrières n'avaient pas les petites idées qu'on leur suppose, et qu'ils pensaient à sauver le monde d'une inondation de nouveaux barbares. L'esprit du mahométisme est la persécution et la conquête ; l'Evangile, au contraire, ne prêche que la tolérance et la paix. Aussi les chrétiens supportèrent-ils pendant sept cent soixante-quatre ans tous les maux que le fanatisme des Sarrasins leur voulut faire souffrir ; ils tâchèrent seulement d'intéresser en leur faveur Charlemagne. Mais ni les Espagnes soumises, ni la France envahie, ni la Grèce et les deux Siciles ravagées, ni l'Afrique entière tombée dans les fers, ne purent déterminer pendant près de huit siècles les chrétiens à prendre les armes. Si enfin les cris de tant de victimes égorgées en Orient, si les progrès des barbares, déjà aux portes de Constantinople, réveillèrent la chrétienté et la firent courir à sa propre défense, qui oserait dire que la cause des guerres sacrées fut injuste ? Où en serions-nous si nos pères n'eussent repoussé la force par la force ? Que l'on contemple la Grèce, et l'on apprendra ce que devient un peuple sous le joug des musulmans. Ceux qui s'applaudissent tant aujourd'hui du progrès des lumières auraient-ils donc voulu voir régner parmi nous une religion qui a brûlé la bibliothèque d'Alexandrie, qui se fait un mérite de fouler aux pieds les hommes et de mépriser souverainement les lettres et les arts ?
Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l'Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. Elles ont fait plus : elles nous ont sauvés de nos propres révolutions ; elles ont suspendu, par la paix de Dieu , nos guerres intestines ; elles ont ouvert une issue à cet excès de population qui tôt ou tard cause la ruine des Etats remarque que le père Maimbourg a faite et que M. de Bonald a développée.
Quant aux autres résultats des croisades, on commence à convenir que ces entreprises guerrières ont été favorables au progrès des lettres et de la civilisation. Robertson a parfaitement traité ce sujet dans son Histoire du Commerce des Anciens aux Indes Orientales . J'ajouterai qu'il ne faut pas dans ces calculs omettre la renommée que les armes européennes ont obtenue dans les expéditions d'outre-mer. Le temps de ces expéditions est le temps héroïque de notre histoire ; c'est celui qui a donné naissance à notre poésie épique. Tout ce qui répand du merveilleux sur une nation ne doit point être méprisé par cette nation même. On voudrait en vain se le dissimuler, il y a quelque chose dans notre coeur qui nous fait aimer la gloire ; l'homme ne se compose pas absolument de calculs positifs pour son bien et. pour son mal : ce serait trop le ravaler ; c'est en entretenant les Romains de l'éternité de leur ville qu'on les a menés à la conquête du monde et qu'on leur a fait laisser dans l'histoire un nom éternel."
François-René de Chateaubriand, Itinéraires de Paris à Jérusalem : Et de Jérusalem à Paris suivi de Journal de Julien (1811)
Si tout se vaut, plus rien ne vaut.
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vendredi 24 novembre 2006
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Mickaelus
Chateaubriand nous parle des Croisades
Dans cet extrait de l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, Chateaubriand profite de son voyage entrepris en 1807 en direction de Jérusalem - en passant notamment par ce qui correspond aujourd'hui à la Grèce et à la Turquie, la première étant alors sous la domination de l'Empire ottoman - pour entretenir son lecteur des traces glorieuses laissées par les Français dans les endroits qu'il visite, en accord en cela avec le projet qui sous-tend ce voyage, c'est-à-dire (re)trouver ses racines culturelles alors qu'il a quitté une France en pleine période révolutionnaire, ce à cause de quoi sa famille a payé un lourd tribu. Ces traces sont notamment historiques à travers les Croisades - dont l'évocation est aussi littéraire à travers l'œuvre du Tasse, la Jérusalem délivrée, ailleurs dans ce récit de voyage.
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9 commentaires:
Extrait magistral!
J'aime tout particulièrement chez Châteaubriand ces passages de ses Mémoires où il nous fait sentir, en évoquant l'histoire de son nom, combien était précaire le destin de ses pairs, les "chevaliers", nombreux cadets des familles nobles désargentées, aux temps de la révolution. Ce qui est beau, c'est d'une part le dérisoire désir de reconnaîssance qui parfois les tiraille, et les grandes pompes de l'Ordre de Malte pour fédérer cela, et le phénomène massif de retour à la terre et de disparition "dans le peuple" dont la plupart sont victimes.
C'est une image sociale du cycle naturel - donc forcément une image cruelle : la tête des plus grandes familles est coupée et les ramifications secondaires des dynasties anciennes retournent alimenter le sol, à la base d'un cycle nouveau, celui, très long, encore inachevé sans doute, au terme duquel la bourgeoisie accouchera des nouvelles élites.
Pour moi, notre société, sous ses faux-airs démocratique, est une société qui se hiérarchise... Où les gens, en particulier dans les grandes villes, n'arrivent parfois plus à différencier leur appréciation d'autrui du stade auquel ils le place en quelque sorte sur l'échelle de cette grande évolution : celle d'un certain affinement des moeurs dont l'aboutissement correspond à la définition moyenâgeuse du "gentilhomme".
Qu'en pensez-vous? :)
Peut-être à bientôt.
J'ai pu retrouver grâce à votre pseudo le texte exact que vous avez commenté, ce qui éclaircit le sens de votre commentaire, même s'il était tout à fait compréhensible de manière autonome. Cela étant dit, passons au "commentaire du commentaire".
Je ne puis qu'être d'accord avec vous quant à la vision d'une noblesse bien plus désargentée qu'on ne voudrait le comprendre aujourd'hui, quand la propagande républicaine voudrait faire croire qu'il n'y avait aucun degré entre le "noble riche et puissant" et le "pauvre laboureur écrasé". La noblesse était diverse non seulement à la Révolution, comme le souligne votre extrait, mais de façon très nette également à l'époque de Louis XIV également (j'ai publié sur ce blog un article concernant la diversité sociale sous l'Ancien Régime, qui explique comment déjà, à l'époque, des bourgeois pouvaient être bien plus riches que des hobereaux de campagne). Et ces aventures de cadets de grandes familles en quête de terres et d'une reconnaissance conformes à leur nom et à leur rang ne datent pas d'hier, de la Révolution, car c'était justement l'une des motivations de ces croisés dont Chateaubriand parle dans mon extrait que de se tailler des royaumes en Orient, empêchés qu'ils étaient en Occident par leur rang de cadet.
L'image de "cycle naturel" me paraît donc juste, d'autant plus quand on veut bien comprendre, et donc se donner la peine d'adopter une large vision historique de la monarchie française, que la noblesse n'a jamais formé un bloc uniforme, et certainement pas de Clovis à Louis XVI. Voilà qui met un coup à la légende noire de certains gens de gauche du XIXe siècle qui proclamaient volontiers que la Révolution était une revanche du peuple gaulois opprimé depuis si longtemps par les nobles francs ! Voici une bien drôle d'Histoire quand on songe que nos grandes familles nobles d'Ancien Régime trouvent leur origine, pour le mieux, au temps glorieux des Croisades, et que les chefs de Clovis et autres comtes de Charlemagne sont bien loin dans le passé.
Quant à la bourgeoisie... Je ne sais pas bien si on peut dire qu'elle a charnellement à puiser dans le terreau d'une noblesse retournée à son humble origine, mais toujours est-il que culturellement elle n'a jamais pu prendre le relève de la "caste" qu'elle a voulu et réussi à détrôner définitivement à la Révolution. Balzac le montre trop bien dans La Comédie humaine, dont la majorité des romans se déroule sous la monarchie de juillet de Louis-Philippe, cette monarchie du "juste milieu" faite sur mesure pour les bourgeois enfin dominants et dont l'étalon moral n'est que l'argent. Adieu donc, la monarchie traditionnelle capétienne et les valeurs d'honneur, de courage, de service, des nobles et anciens chevaliers. Non, il n'y a pas eu de relève dans l'élite, et la triste laideur et décadence de notre pays aujourd'hui en témoigne largement.
Néanmoins, malgré ce ratage historique auquel nous assistons depuis plus de 200 ans désormais, vous avez raison de dire que la société n'a pu se passer de hiérarchisation. D'abord parce que les arrivistes bourgeois avaient besoin d'un système pour se maintenir, et la démocratie et ses mises en scène avilissantes ont émergé pour leur bonheur. Ensuite, parce que l'homme est ainsi fait que l'inégalité est naturelle et qu'on trouvera toujours le moyen de se comparer sur quelque critère. Maintenant, quant à l'affinement des mœurs, je n'en suis pas certain. La mollesse apparente n'est peut-être pas tant fine que débile - au sens de faible. Cet individualisme égoïste a sans doute plus à voir avec la décadence de la fin de Rome, telle qu'on la représente souvent du moins, qu'avec la vitalité du chevalier du moyen-âge, et la culture de l'"honnête homme" (Molière et cie.) ou de l'"homme de bien" (La Bruyère et autres moralistes) du XVIIe s.
Admirable réponse.
Je suis d'accord en tout. :) Comment ne pas l'être?
Oui, le fait que les blasons les plus anciens et les plus illustres traitent des exploits de ces cadets du 11e siècles envoyés par Urbain II "chasser le miracle en orient" - un peu comme on chasse le Dahut - pour gérer certains problèmes de sécurité extérieure et surtout purger les familles nombreuses de leurs bouches "à doter" excédentaires est, je trouve un phénomène particulièrement évocateur, romantique, dirais-je même...
Si ces jeunes gens n'étaient pas partis mourir ou s'enrichir à l'étranger, sans doute que la couronne de France aurait eu plus de mal encore, dans les siècles qui suivirent, à fédérer les patrimoines et les terres qui allaient composer notre nation.
"Le cycle naturel" opérant son oeuvre, au lieu de permettre au Roi de considérer à nouveau Comtes et Ducs comme ses vassaux, peut-être qu'un système d'alliances mal géré aurait abouti à une dissémination de tous les biens du royaume à travers les ramifications de sa descendance... L'image qui se présente là vous fera peut-être frémir d'effroi ; je me dis que ç'aurait peut-être été le plus souple et indolore phénomène de démocratisation de l'histoire. ^^
Vous êtes un historien, je suis une rêveuse... Ne me tenez pas trop rigueur du manque de rigueur scientifique qui caractérise cette forme de connaissance du monde si controversée qui est la mienne: l'utopie.
Quand je parlais d'un possible "affinement des moeurs" qui aboutirait à la création d'une nouvelle forme d'aristocratie basée sur des valeurs morales immémoriales, je ne pensais pas précisément aux rejetons pouponnés de la haute bourgeoisie régnante... Je supposais là seulement que la société bourgeoise, dans son ensemble, dont nous sommes tous partie prenante aujourd'hui, sans exception, à cause de la généralisation du comportement consumériste qui la caractérise à tous les acteurs du monde moderne, était susceptible, dans n'importe laquelle de ses strates, de donner naissance à des individus mus par un idéal supérieur, et qui seraient capables de se lancer dans une croisade personnelle ou collective afin de reconquérir une certaine idée de la noblesse perdue...
La démocratisation culturelle a cet avantage qu'elle a peut-être vocation, à terme, à permettre de se distinguer de la pensée matérialiste vulgaire ceux dont le coeur aspire à un but supérieur pour leur vie. Peut-être que certaines personnes se cachent dans le paysage qui ont envie de courir à nouveau "après le Dahut". Et si cela les rends meilleurs aux autres, et plus forts, peut-être d'autres personnes se laisseront envoûter par le récit fabuleux de leurs conquêtes.
C'est toute la gageur du parcourt initiatique : faire avancer l'humanité sur la base d'un Graâl invisible à l'oeil nu.
Et c'est ce en quoi je crois, car Chrétien de Troyes vit encore en moi aussi fort que dans le coeur des premiers chevaliers.
Bien à vous,
à la prochaine.
Millie
Bonsoir Millie, je vous remercie pour votre réponse intéressante. Je tiens d’entrée à vous rassurer : il n’est pas question de vous tenir rigueur d’être une « rêveuse », d’autant que ce mode d’appréhension du monde ne m’est pas étranger, même si mon blog, parce que son ambition est avant tout politique et commémorative de la monarchie légitime et de l’ancienne France (y compris par le biais culturel, notamment à travers les rubriques littéraires), n’en témoigne pas car il n’est pas personnel – ni de l’ordre d’une correspondance, ni d’un écrit strictement littéraire, etc. Je ne suis de fait pas à proprement parler historien mais intéressé par l’histoire, et ai à la base une formation littéraire. Evidemment, un honnête homme (au sens classique), sait bien qu’un bon lettré n’est pas seulement littéraire au sens moderne, mais aussi cultivé un minimum dans les domaines de l’histoire, de la philosophie, de la théologie.
Quant au mot utopie que vous employez, tout dépend dans quel sens il l’est... Il en est que je n’aime pas, comme vous pouvez vous en douter, quand elles sont politiques comme le communisme et la franc-maçonnerie. Du coup, je préfère souvent pour ma part parler d’imaginaire, de fantastique, de spirituel, de religieux évidemment en tant que catholique, etc. (tout cela appelle bien sûr à maintes nuances selon qu’on parle de champs littéraires, philosophiques ou autres). Maintenant, ce qu’il est amusant de constater est que beaucoup de gens peuvent facilement penser qu’être royaliste légitimiste comme je le suis tient justement de l’utopie aujourd’hui ! Car l’utopie a évidemment partie liée avec l’idéalisme.
Votre remarque sur l’histoire de France et la démocratisation est cette fois du domaine de l’uchronie. Pour ma part, autant vous le dire tout de suite, je ne crois pas du tout que les choses auraient pu se passer ainsi ; si les Capétiens n’avaient pas unifié la France, j’imagine que notre territoire serait resté féodal et que de grands seigneurs auraient dominé de vastes ensembles. Peut-être même que des puissances étrangères se seraient chargées d’unifier le territoire sur notre dos, et ce ne sont pas les occasions qui ont manqué, avec la Guerre de Cent ans ou les guerres avec Charles Quint. Le morcellement féodal qui suit l’ère carolingienne n’est qu’un accident de l’histoire qui a une cause majeure : la faiblesse commune aux Mérovingiens et aux Carolingiens au niveau de la transmission du pouvoir, puisque le royaume pouvait être partagé entre plusieurs fils du défunt roi (évidemment, on s’arrangeait « à la romaine » pour éliminer les frères rivaux si possible). Les Capétiens ont corrigé ce défaut en limitant la succession à l’aîné, ce qui a beaucoup contribué à leur succès. Nous avons connu l’apogée de leur politique avec Louis XIV qui a voulu redonner à la noblesse sa vocation de service de l’Etat (militaire pour la noblesse d’épée évidemment) et qui a défini le « pré carré » français au niveau de nos frontières.
Quant à la démocratie, je pense qu’il ne s’agit que d’un concept éthéré, une vue de l’esprit qui n’a jamais connu et qui ne connaîtra jamais d’application véritable. C’est sans doute très bien au niveau d’un village, après… Oligarchie, ploutocratie, et j’en passe. Le tour de force des bourgeois de la république est de faire croire au peuple qu’il peut choisir, alors qu’il s’agit en fait de lui faire plébisciter le système en place sans qu’il s’en rende compte (quel choix avec les mêmes partis, dont deux dominants, avec toujours les mêmes hommes politiques…), vieux procédé bonapartiste d’ailleurs largement usé sous Napoléon III et décliné savamment aujourd’hui avec la propagande scolaire et télévisuelle. La monarchie était beaucoup plus honnête et efficace. Bref, je ne pense pas que la démocratisation puisse être un « phénomène indolore » pour reprendre vos termes. Passer de l’ordre et de la monarchie, reflet imparfait de l’ordre céleste, au désordre démocratique bien fait pour plaire au Tentateur, est nécessairement du domaine de la Révolution et de la Révolte.
Ce qui me mène à votre thème de l’affinement des mœurs. Je vous remercie d’avoir précisé car effectivement je n’avais pas très bien compris votre pensée. En tout cas, je ne peux qu’être d’accord avec vous sur ce sujet. Il est très intéressant qu’alors que l’école de la république est née avec un objectif de propagande et d’endoctrinement des masses encore trop traditionnelles, la culture répandue, les armes intellectuelles données aux jeunes gens peuvent leur permettre de s’affranchir du mode de pensée dominant. Vous avez raison de penser que nous faisons tous à peu près partie du même ensemble, tant le concept de classe moyenne est dominant (quand ce n’est pas de l’égalitarisme tout simplement) ; et que c’est dans ce vaste ensemble que de jeunes gens qui ont appris à penser et à aimer leurs traditions, savamment cachées et dénoncées par le régime en place, peuvent aspirer à reformer le fer de lance d’une nouvelle élite. Rude tâche que cette croisade-là et assez romantique dans les termes que vous lui donnez puisqu’il faudrait que toutes ces individualités esseulées et aspirant à un idéal se fédèrent dans un but commun transcendant. « Faire avancer l’humanité » ? Oui, si c’est dans le sens de lui faire retrouver ce qu’elle a perdu à cause de la révolte qui l’a plongée dans l’aveuglement, le matérialisme et le nihilisme. Oui, en tant que français, si c’est pour rappeler à nos compatriotes la mission de la France fille aînée de l’Eglise, le temps des monarques justes comme Saint Louis et celui des écrivains comme Chrétien de Troyes qui mettaient en vers les vertus de la chevalerie. Je vous félicite, en tout cas, si ces belles vertus de la civilisation française font partie comme pour moi de votre « idéal ».
Au plaisir de vous lire,
Bien à vous,
Mickaelus
Bonsoir,
Tout d'abord, je vous remercie de m'avoir répondu, et aussi complètement, comme vous semblez vous en faire à chaque fois un devoir. Cela m'honore et aussi témoigne que vos activités militantes ne vous empêchent pas de rester un homme de bonne volonté.
Je crois nécessaire de faire remarquer ici que la plupart des gens, hélas, ne sont pas comme nous. A moins qu'il ne sachent tout simplement pas ce que c'est que d'avoir des convictions profondes et des chevaux de bataille - et c'est la majorité d'entre eux -, quand ils leur arrive de croire en quelque chose, il est rare qu'ils éprouvent encore assez de feu sacré pour leur cause pour la défendre aussi volontiers en public et tenter de la confronder à des points de vue divergents.
Car, oui, sous des apparences trompeuses, mon point de vue sur la grande question de la légitimité de la famille Bourbon à régner encore sur la France est divergent du vôtre... Plutôt dirons-nous que je ne fais pas aussi grand cas de cette question que vous. A mon sens - je possède cette variété-là de matérialisme - un combat dont on n'a absolument aucune chance de sortir vainqueur n'est pas un combat. ^^ Mais j'ai de la tendresse pour ceux qui comme moi sont d'avis que lorsqu'on appartient corps et âme à une cause désespérée, il est plus esthétique de mourir avec elle. - J'ai eu une cause autrefois, à laquelle je me vouais corps et âme (ce n'était pas un parti politique, c'était une quête amoureuse, pardonnez le léger hors-sujet) et à mon grand déshonneur, je dois avouer que j'ai finalement résolu de lui tourner le dos devant la puissance de l'adversité. Je suppose que si vous-même aviez été la femme du gentilhomme que je convoitais, malgré tout l'idéalisme qui vous caractérise (et dont je suppose que le fait d'être une femme n'aurait rien retranché), vous m'auriez supplié pour mon propre honneur de cesser mon obstination grotesque à ne pas vouloir comprendre que le gentihomme ne m'aimait pas. - Il est des cas hélas où il devient extrêmement oiseux de jouer les Don Quichottes.
Cette anecdote imiscée ici comme un cheveux dans la soupe, ne la prenez pas pour une offense. Cette histoire est la pure vérité (ce n'est pas un seulement un argument rhétorique) et c'est même le grand drame de ma vie. Soyez conscient que si vous me répondez à ce sujet, il ne faudra pas seulement vous préoccuper de votre propre sens de l'honneur, mais aussi avoir quelque égards pour ma susceptibilité.
Avez-vous lu Don Quichotte? C'est un roman d'une modernité extraordinaire - Diable! Je viens de faire un méchant lieu commun. C'est un roman qui parle de la chute des idéaux. Un phénomène, semble-t-il, un peu plus ancien qu'on ne le pense. Les pharisiens ne sont-il pas un bon exemple de peuple dont les mythes étaient déjà retournés, du temps où César était encore le maître du monde, à l'état primaire d'abstractions? Voilà encore un phénomène qui semble tenir beaucoup du cycle naturel. - Oui, il semble que les cycles naturels soient mon rayon (pardonnez le jeu de mot inutile) ^^.
Ce que j'essaie d'amener par-là, c'est la grande originalité de mon point de vue sur les mêmes choses qui vous intéressent.
Oui, je suis habitée par les romans de Chrétien de Troyes ; je place la Chevalerie - tant sur le plan spirituel qu'amoureux, les deux se trouvant, par exception, étroitement liés en son sein - au plus haut de mon échelle de valeur morale. Pour moi, le Cycle Arthurien est avant tout un chapelet d'aventures au gré desquelles un certain nombre de gentils adolescents comme les autres accèdent par la grande porte à une vision du monde et à une conception de l'amour régie par la grande symbolique chrétienne kabbalistique. Et cela à mon avis est déjà beaucoup car il apparaît important que, de tout temps, certaines personnes continuent, à leur image, de s'inventer une démarche existentielle de l'ordre du chemin initiatique ayant pour vocation de réenchanter le monde.
Si j'aime la définition originelle du "Chevalier", au sens où l'emploie Châteaubriand, c'est parce qu'elle suppose que les fondateurs de la noblesse à venir ne sont autre que les petits "cadets" désargentés des contes de Perraud, à qui, faute d'or, on confie un peu de poudre de perlinpinpin, des bottes de sept lieues, un chat magique, et une grosse besace de courage afin qu'ils conquièrent ce qui ne leur a pas été donné.
J'ai oui, on peut le dire à présent, dans une coeur une grande aspiration à plus de justice. Et comme je constate que l'on ne change pas les mentalités avec des mouvements de masse, de la propagande ou la télévision, je veux écrire des histoires qui racontent à tous les hommes, du plus grand au plus petit, comment il faut faire pour devenir, individuellement, meilleur. De cette manière je pense oeuvrer dans notre monde déspiritualisé à faire vibrer chez mon prochain la corde sensible de son âme. Car voilà tout ce à quoi nous pouvons aspirer aujourd'hui : une vie davantage en accord avec un code de valeur noble, le courage de ne pas céder à la vulgarité des joies primaires et des souffrances du quotidien, et surtout porter avec dignité à notre boutonnière le deuil de nos premières illusions.
Il me paraît bien difficile de prétendre agir dans le monde d'une façon très différente lorsqu'on a les mêmes ambitions que moi. Ne négligeons pas les progrès rapides que notre monde a accompli ces deux dernier siècles. Ils sont le moyen par lequel les enjeux politiques des pays d'autrefois (royaumes, principautés, empires) - c'est à dire la relation complexe du chef des décisions (le Trône) avec celui de l'identité spirituelle et morale (l'Autel) - concerne aujourd'hui au niveau existentiel chaque individu. Ces deux derniers siècles ont rendu le montre très complexe, bien trop parfois au regard de notre pauvre entendement humain, mais il lui a donné une richesse potentielle extrème, à cause de ce phénomène de réduction à l'échelle de l'individu, du "domaine de la lutte" - pour paraphraser monsieur Houellebeck (que par ailleurs je ne porte pas spécialement dans mon coeur, rassurez-vous).
J'espère n'avoir pas outrepassé les limites de votre bienveillance et de votre bonne volonté. Pour la petite "uchronie" du dernier post, je vous prie tout simplement de m'excuser. J'ai dit la première chose qui m'est passée par la tête à seule fin de vous faire mieux comprendre mon mode de fonctionnement.
A bientôt ici-même et chez vous, j'espère.
Amicalement,
Millie.
Bonsoir Millie,
Je vous remercie pour votre dernière réponse à laquelle je réponds enfin.
A ce sujet, ne vous sentez pas honorée – dans le sens où je ne me force pas à vous répondre – et ne craignez pas de me lasser par l’expression de votre pensée, je suis toujours heureux d’échanger sur des sujets qui me sont chers, dès lors que courtoisie et bon goût sont au rendez-vous. Cela vaut également quand mon interlocuteur ou mon correspondant n’a pas toujours les mêmes idées que moi, ou si certaines divergences apparaissent malgré des centres d’intérêt en commun. Tant, à l’ère de l’individualisme, comme vous me diriez, les approches, malgré certaines proximités, peuvent offrir des variantes fort nombreuses. Seulement, je suis aussi ici sur cet espace personnel pour témoigner de quelque chose qui dépasse largement mon individu, de par de nombreux siècles de tradition royale et capétienne pour le trône, et de par l’Eternité et la Vérité quant à l’autel. Quand on a choisi de ne pas tourner le dos à son être et à sa tradition, à ses racines aussi bien spirituelles que charnelles, le « feu sacré » comme vous l’écriviez devient une évidence, c’est même plutôt un don, comme la foi l’est de Dieu.
Cela amène ce que je dois vous écrire à propos de ce combat pour la famille Bourbon que vous estimez vain, mais esthétiquement beau.
Parlons d’abord du « combat ». Pour ma part, un combat est réel quand on investit ses forces, quand on mobilise ses idées et son temps pour atteindre son but, quand bien même cela paraît impossible. Quand mes aïeux vendéens ont revendiqué l’héritage catholique et royal contre la tyrannie de la première république en pleine Révolution, leur cause pouvait sembler perdue dès l’origine, incroyablement folle et audacieuse, une aventure à la Don Quichotte peut-être (j’ai bien lu ce roman pour répondre à votre question), quand il s’agissait de défendre des idéaux qui venaient de chuter brutalement. Ils se sont pourtant bien battus, ont remporté quelques belles victoires en 1793 contre les forces de la république avant de succomber sous le nombre et d’être exterminés sans pitié. Ils ont perdu, pourtant pour les gens comme moi, leur sacrifice, leur honneur et leur courage résonnent encore comme un appel à la vaillance et au dévouement à la belle France de nos rois. Leur courage est inscrit à jamais dans le Ciel comme une étoile qui nous montre le chemin à emprunter, et cela est une victoire. Un combat n’est jamais gagné d’avance, parfois impossible à remporter, mais ne pas le mener peut devenir une négation de soi inacceptable.
A propos de la légitimité de la famille Bourbon, je savais déjà d’entrée que vous ne partagiez pas ce « point de vue » ou tout du moins que la question n’avait pas pour vous l’importance qu’elle revêt pour moi, tant certains silences en disent plus que certaines déclarations (et je ne pense pas trop m’avancer en suggérant que vous n’êtes peut-être pas catholique non plus). Il ne vous a sans doute pas échappé que j’ai écrit point de vue entre guillemets, parce que je crois que la façon de considérer le problème de la légitimité est plutôt une question de perspective. Cela ne dépend pas de ce en quoi on croit personnellement, mais de quelle tradition politique on choisit de se réclamer. Et dès qu’on emploie le mot France comme vous l’avez fait, il n’y a pour moi, logiquement, plus vraiment de choix, puisque depuis sa fondation à partir de Clovis, la légitimité a couru depuis la loi salique des Mérovingiens jusqu’aux lois fondamentales du royaume de France des Capétiens pendant des siècles jusqu’à Louis XVI, puis Louis XVIII et Charles X pendant le court intermède qu’a constitué la Restauration. Le reste, les cinq républiques, les deux empires, la monarchie de juillet, c’est autre chose qui ne fait qu’usurper le mot France et endosser des habits qui ne leur vont pas. La légitimité de Louis Alphonse de Bourbon, duc d’Anjou, dit Louis XX, à régner sur la France, est donc tout à fait objective en vertu de la définition traditionnelle de notre pays, celle qui a valu pendant tant de siècles.
J’entends bien ce que vous voulez me dire à travers cette quête amoureuse dont vous me faites l’honneur de me faire part, mais, et j’espère que cela ne vous froissera aucunement, je ferai à cela une réponse à la fois conceptuelle et humaine qui vous fera comprendre pourquoi et comment je ne peux ni ne veux placer tous les idéalismes au même niveau. Humainement parlant donc, je comprends parfaitement cela, aussi bien d’un point de vue esthétique, quand on peut « apprendre l’amour » dans les romans (et c’est loin d’être une critique en ce qui me concerne), que d’un point de vue chevaleresque, quand on a la chance d’être doté d’une âme bien née, mais la malchance de vivre à une époque où cela rend les choses bien difficiles (encore ne faudrait-il pas trop sublimer certaines époques, car la finesse des sentiments ne sera sans doute jamais totalement partagée). A côté de cela, et tout en vous assurant que je partage cet « élitisme de l’amour », je pense que vous avez bien fait de ne pas faire de ce que vous appelez un « drame de votre vie » une tragédie. Etant catholique, je ne crois pas en la prédestination, et donc pas, logiquement, au concept d’âme sœur qu’on peut trouver chez Platon notamment. Si certaines essences, certaines âmes de par leurs qualités propres peuvent éprouver des sympathies profondes, les belles rencontres qu’elles peuvent faire lors de leur incarnation terrestre n’est pas du domaine d’une Vérité transcendante qu’il ne dépend pas de nous de pouvoir changer. Ce que je veux dire par là est qu’il est possible de faire plusieurs belles rencontres et que si l’une d’elles ne s’est pas concrétisée comme nous l’aurions voulu, une prochaine que nous n’imaginons pas peut être encore meilleure. Il n’y a donc à mes yeux ni lâcheté ni déshonneur à ne pas rester dans une impasse, bien au contraire. Du point de vue catholique, il y a liberté et choix, ce qui est manifesté par le sacrement du mariage, en vertu de valeurs transcendantes – mais l’autre n’est pas prédestiné au sens strict. Vous comprenez donc sans doute où je veux en venir : la cause de l’être (la religion catholique) et des racines (la monarchie capétienne) ne peut être ni évitée ni changée sous peine de nier la Vérité et ce que je suis. Ce n’est pas un choix que je peux échanger contre un autre, d’où la nécessité du combat, même s’il peut n’être plus qu’un témoignage.
Pour répondre sans trop de longueurs sur le reste, je peux partager jusqu’à un certain point votre lecture de Chrétien de Troyes ou plutôt du cycle arthurien au sens large, dont il est l’un des premiers initiateurs. Je perçois tout comme vous la valeur initiatique de ces romans et la symbolique chrétienne qui les habite – même si je n’utiliserais évidemment pas l’adjectif kabbalistique en tant que catholique, n’étant guère friand d’ésotérisme – tout en sachant que le cycle arthurien est relativement divers : l’ambition catholique est plus ou moins affirmée selon les œuvres. Du moins est-elle très fortement perceptible dans certaines de mes œuvres préférées, dont La Quête du Saint Graal, datant du XIIIe s., où s’opposent manifestement la chevalerie terrestre, bien représentée par Gauvain, et la chevalerie céleste, idéalement incarnée par Galaad. Mais la chevalerie idéale l’est clairement par rapport à un référent catholique, qui implique honneur, abnégation, dévouement et charité, quand la chevalerie terrestre me semble renvoyer au monde païen et à ses traditions de force et de vaillance auxquelles manquent l’Esprit. Dès lors, quand vous parlez de l’invention d’une démarche existentielle, je crois qu’on ne peut pas oublier pour ces romans qu’il ne s’agit d’invention qu’au niveau littéraire et légendaire, quand la perspective est souvent clairement catholique. C’est la même chose aujourd’hui, car quand vous dîtes très bien la nécessité de réenchanter le monde, je crois qu’il suffit de ne pas fermer son cœur à la Vérité et à la Foi, comme ces chevaliers d’antan, ou plutôt les figures idéalisées qu’ils constituaient dans ces romans. De ce point de vue, je m’écarte nécessairement de la démarche du poète mage et guide chère aux romantiques du XIXe s., car trop centrée sur l’individu et une idée du génie qui, souvent, confine à l’orgueil en oubliant Dieu et sa Révélation et même en s’y substituant. Cette attitude est parfois esthétique mais souvent condamnable théologiquement, le basculement de beaucoup d’auteurs français de cette époque du doute vers un syncrétisme douteux en témoigne.
Dès lors, à notre époque où les référents du Bien et de notre tradition (monarchie capétienne et Sainte Eglise Catholique et Romaine) qui me sont, à moi, encore évidents, ne le sont plus à grand monde, je comprends très bien votre volonté d’écriture et cette idée de profiter de cette dispersion individualiste de notre « civilisation occidentale » pour toucher les gens par ce biais. Vous avez raison quand vous dites que les mouvements de masse ne pourront pas engendrer un monde meilleur, pas tant, en tout cas, que les individus ne feront pas le choix d’accepter ce Bien, car Dieu a fait l’homme libre. Eveiller les consciences peut être un rôle de l’écrivain, mais, cela ne doit pas conduire celui-ci, comme je le suggérais dans le paragraphe précédent, à oublier dans quel tout et dans quelle Vérité il s’inscrit, car tout acte, même esthétique et littéraire, nous engage moralement (je dis cela parce que l’écrivain, s’il peut être l’interprète esthétique de référents moraux et spirituels, ne peut en aucun cas en être l’initiateur). Il ne faut pas non plus pour autant négliger certains mouvements qui s’adressent aux gens comme à des groupes, parce que cela est parfois nécessaire. Cela est plus qu’évident pour un catholique quand l’Eglise doit s’occuper du troupeau des fidèles, cela l’est toujours pour certains cercles royalistes qui témoignent encore de notre tradition comme ils le peuvent.
Donc, en conclusion de tout cela, je ne peux que vous encourager à poursuivre cette ambition élevée d’essayer d’améliorer la noblesse de votre prochain, et l’écriture est évidemment un biais intéressant qui permet d’user des moyens de communication modernes en vue d’atteindre un grand nombre d’individus (sans que cela retire rien à l’intérêt de l’écriture en soit, littérairement parlant, cela va de soi). J’ai quelques ambitions dans ce domaine également, mais je sais bien qu’il faudra qu’un jour la bonne volonté d’une somme suffisante d’individualités devra rencontrer le projet d’un groupe organisé pour s’incarner à nouveau dans la nation France, d’où l’importance de mes engagements militants.
Amitiés,
Mickaelus
Bonsoir,
Comme vous le voyez, j’ai mis beaucoup de temps à répondre à votre dernier message. De cela, n’en prenez pas ombrage, imputez-le plutôt à la force de vos arguments. Au moment où j’ai reçu ce dernier commentaire, je savais que je ne pourrais pas aller dans votre sens, mais j’étais incapable de savoir dans quelle mesure je devais commettre ce crime contre mes propres conviction : combattre en vous l’idéaliste.
Tout l’écart qui existe entre nos deux modes de pensée se résume à ce clivage : celui d’entre l’Esprit et la Lettre. Vous pensez prendre les armes au nom de l’ancien code d’honneur de la chevalerie, et moi, aussitôt, bien sûr, je pense « Don Quichotte ». Dans la bouche d’un autre une telle pensée vous aurait été offensante. Pas dans la mienne, cependant. Car de la même manière que j’éprouve de la tendresse pour ce qui me semble beau, en lieu et place d’avoir une véritable opinion politique à ce sujet, dans la mesure où j’aime autant le véritable chevalier que son avatar moderne ridicule, et que depuis que j’ai lu Beckett, je considère que les derniers des grands héros tragiques (pléonasme) de la modernité sont précisément des héros ridicules, je ne puis certainement pas vous juger avec dureté.
Aussi, car je vais vous combattre, je vais prendre une position inconfortable : davantage qu’un ennemi, je vais combattre mes propres illusions à travers vous (celles que j’ai conservé aussi, à un différent niveau, de relever un jour mes propres défis impossibles) et de surcroît, même après vous avoir bouté hors de mon royaume, je ne vous en exclurai jamais pour de bon, car en vérité vous appartenez à la race des plus-ou-moins-doux-rêveurs que j’affectionne ; mais vous par contre vous sentirez insulté – et en dernier recours on découvrira que la philosophe que je suis n’a pas sa place dans votre moyen-âge, et sa philosophie restera les bras grands ouverts, mais vides ; car la bienveillance de Beckett (le maître de l’absurde) à votre égard n’est pas ce que vous recherchez.
Commençons par une confidence – excusez-moi si le récit qui va suivre ne vous apprend rien mais si je ne raconte pas cette histoire à mes propres lecteur, je risque de les exclure du débat :
Autrefois, lorsque j’allais à l’université, (il n’y a aucune occupation dans ma vie d’adulte que j’aie poursuivie avec beaucoup d’assiduité – apprenez, sans surprise, que je suis ce que l’on appelle une éternelle dilettante), j’ai fait quelques études d’histoire, et alors, à votre image, je me souviens que le mythe de Clovis (mythe fondateur de notre nation) m’avait émerveillée. Ce mythe, à travers mes yeux quelques peu naïfs, racontait qu’un jour un roi barbare dont les dieux étaient des dieux de la nature avait conquis la terre sacrée du grand empire romain décadent… Cet empire qui touchait à sa fin avait, alors qu’il était presque sur le point de mourir, confessé la foi chrétienne ; et toute la terre en laquelle avait été ensevelie sa dépouille était encore administrée par les prêtres de cette église, restés debout après la chute de Rome, à la façon d’un puissant réseau de chandelles… La vie courante des petites gens n’avait plus de loi pour la régir et la protéger que celle des grands évêchés établis dans les cités les plus influentes. Partout en occident, d’autres barbares, les frères et les cousins de race de Clovis, avaient tenté de s’emparer du trône : cette couronne – la plus prestigieuse – de l’Empereur ; du César. Mais tous méprisaient l’Autel, alter-pouvoir, certes, mais aussi ultime tenant de la défunte Civilisation. Tous ces chef de guerre avaient un point commun : ils désiraient disposer, en outre de la terre, du pouvoir religieux – ils n’acceptaient la loi du Christ qu’à condition d’être les nouveaux Christ ; ils se voulaient à la fois Pape et César (ainsi, sur une telle gageur le futur Empire Germanique fut-il plus tard fondé). Tous ? Non. Tous sauf un ! Clovis qui n’entendait encore rien au christianisme, était resté simple et très « Franc » : il se voulait fidèle aux dieux de la nature de ses ancêtres (en cela montrait-il une réelle prédisposition à la piété – du moins possédait-il la piété filiale et un code de l’honneur) et ne prétendait pas devenir le Christ. Ce guerrier simple, donc, au cœur pur, dut attirer sur lui la bienveillance du Puissant, car il fut souvent heureux au combat ; une fois conquise la terre de ce qui devait devenir la France, le Roi des Francs épousa, naturellement, une chrétienne - c’est-à-dire une héritière de l’ancienne aristocratie gallo-romaine, et donc une femme cultivée. Cette femme (béatifiée par l’Eglise, « Sainte Clotilde »), comme elle était une personne de qualité, eut beaucoup d’influence sur son mari, et prêcha auprès de lui pour sa propre paroisse. Grace à elle le roi des Franc entra en relation avec l’Evêque du lieu : Saint Rémy, l’Evêque de Reims, qui à force de discussions devint son confesseur. C’est donc la résultante d’un genre de trio qui aurait pu être amoureux, et dont la mémoire que nous conservons n’est pas dénuée de romantisme, si le Roi des Francs fut le premier chef de guerre barbare à bénéficier du plus décisif des appuis dans sa conquête : comme il ne méprisa pas les prêtres, il obtint le support de toute l’administration Romaine encore en place, et à travers cette administration, celle du peuple ! Car le peuple romain n’avait pas disparu d’Occident, il était chrétien, et il dépassait les barbares en grand nombre. Clovis fut le premier de ces agresseurs à ne pas considérer sa conquête (la terre romaine aussi bien que son épouse) comme une ennemie, et c’est à cause de cela, en ce que la raison et la foi ensemble commandaient un tel destin, qu’il fut béni de Dieu et qu’il marcha sur tous les autres royaumes d’Occident. Selon cette tradition, qui anima la guerre de cent ans et dans laquelle l’Europe puise tous ses vieux clivages, le Roi-Très-Chrétien de France a légitimité à dominer le monde ! – Mais dès la fin du règne de son descendant Charlemagne, la belle unité de l’occident fut à nouveau, et pour toujours, éclatée : car le « paganisme chrétien » (nommé arianisme) des opposants barbares de Clovis ne devait jamais vraiment mourir.
En quoi ce « mythe » m’est-il si cher ? Je ne crains pas d’admettre que c’est parce qu’il renvoie à lointain passé fantasmé dans lequel il m’est permis de croire que Dieu faisait encore parfois valoir sa volonté sur terre en exhaussant les vœux des Justes. Il me laisse croire que les exigences de la raison n’ont pas toujours été contraires à celles du cœur. C’est une histoire de justice sans martyr. C’est tout simplement l’histoire d’un groupe d’hommes dont la prétention de donner le jour à une nouvelle Jérusalem n’a pas échoué. Cette histoire donne à l’Occident Chrétien le visage d’une harmonieuse société traditionnelle, où chaque chose est à sa place, à nouveau, avec la bénédiction du Saint Esprit. De même, à Athènes, dans l’antiquité, se réjouissait-t-on à évoquer, avec nostalgie, les lointains temps Homériques. Car davantage qu’un véritable récit historique, à titre de rêve commun, ils étaient l’âme de la nation.
Ainsi ne m’en voulez pas trop si, lorsque vous parlez combats et conquêtes, je n’entends que romantisme et nostalgie… Car en premier lieu nos contemporains doivent désapprendre à croire que le fait de romancer sa vie est un parti-pris existentiel qui exclut la violence. Rimbaud n’est pas le seul poète à être mort par esthétisme. Brahms imitait les chansons militaires, les chansons militaires ont toujours elles-mêmes cherchées à faire vibrer la part la plus « fleur bleue » qui est en l’homme pour les mener au casse-pipe, et la guerre en soi est un contexte qui a vocation à exalter les sentiments et les femmes… Lorsqu’aujourd’hui un adolescent joue à un jeu de baston sur une console vidéo, la seule réalité déplorable, c’est qu’il refuse de reconnaître la parenté immémoriale de cet acte avec la masturbation, et en bref, je dirai qu’à mon avis la violence atteint ses propre limites et ne commence à devenir problématique que si l’on s’acharne trop à la dissocier de l’amour – avez-vous déjà vu, à ce propos, le film Pink Floyd-The Wall qui met en parallèle la problématique du mur de Berlin édifié entre les deux pôles idéologiques du XXe siècle et la guerre des sexes?
Dans sa réalité historique, l’amour courtois, en tant que ciment de la hiérarchie sociale d’un groupe, puisqu’il impliquait, à travers la sujétion du Chevalier sa Dame, celle du chevalier au mari de cette Dame, c’est-à-dire à son Roi, ne doit pas être perçu comme une activité futile, réservée à ceux qui avaient du temps à perdre. Il s’agissait d’un rituel avec de nombreux intérêts pratiques ! Cependant nous ne pouvons pas oublier quel formidable outil d’intégration il fut pour la féminité dans une société centrée sur des activités –essentiellement guerrières – où excellaient les hommes. Le fait que l’amour ait été instrumentalisé au service de la guerre, dans la mesure où il encourageait les plus braves à se sacrifier pour le blason de leur maître, est curieusement resté ancré dans la mémoire populaire (et féminine) comme un phénomène essentiellement positif ; et je me permettrai de l’expliquer ainsi : de telles pratiques sont en accord avec les lois de la nature, à la manière dont une meute de loups se dispute les femelles dominantes de sa communauté, ou renvoient à notre nostalgie de la société traditionnelle, tout comme la perfection du monde homérique dans lequel la terrible guerre de Troie avait été provoqué par une femme… Voilà aussi pourquoi le temps des croisades est un âge d’or de l’idéalisme : exceptionnellement, des hommes semblent s’être battus au nom de quelque chose qui effectivement en valait la peine : qu’on l’appelle le Grâal ou la femme, il vaut toujours mieux mourir dans l’ombre d’un concept qui nous dépasse, que de défendre bec et ongle, à titre de quête identitaire, une idée qui fait déjà partie de soi.
Je vais vous la livrer toute entière, ma philosophie, contenue dans ces quelques mots : le besoin de combattre qui est en chaque homme dépasse trop souvent la qualité même de son combat. Les hommes se trouvent une cause, quelle qu’elle soit, au nom de laquelle il puisse leur paraître moins stupide de mourir, et ils décident que cette cause en elle-même est la meilleure et la seule digne d’être combattue. Il ne leur vient jamais à l’esprit que l’histoire et même les différentes histoires de tous les peuples, recèlent des milliers de causes tout aussi justes, pour lesquelles des millions d’hommes sont morts et ont combattus. Ils ne se disent jamais que l’intérêt réside précisément, à travers la multiplicité des moyens dont les gens donnent un sens à leur vie, dans le sens de la vie lui-même. Et ils ont tendance à exclure une personne comme moi que seul le sens de la vie intéresse, qui consacre sa propre vie à le rechercher, et que tout retient de s’engager dans un combat particulier pour autant, à cause précisément de son amour pour tous les hommes…
Sans vouloir paraître vaniteuse, avant de conclure, je me permettrai de vous poser une petite question… Quelle est la différence, à votre avis, entre Jésus et un pharisien ? S’opposent-ils sur le texte de la loi ? Vénèrent-ils un Dieu différent ? Non, bien sûr. La seule différence entre un pharisien et Jésus, c’est que le premier prêtre officie dans une église et défend aux fidèles de manger le pain sacré durant le Sabbat alors que le second officie sur la terre entière, que son autel est un champ, et qu’il invite ses frères humains à venir prendre un peu de blé pendant le prêche et de le consommer s’ils ont faim. En d’autre termes, le combat de Jésus est trop vaste pour se limiter à une église, y compris à sa propre Eglise, vous êtes une Vestale attachée à votre feu sacré lorsque moi je jouis de la lumière du Soleil !
Lorsque vous penserez à moi, souvenez-vous qu’au lieu de vous reprocher votre excès d’idéalisme, je me suis seulement bornée à vous prévenir du seul danger qui guette les gens comme vous : parce que votre combat pour le Bien est limité à une seule cause, et que vous avez la malchance d’être tombé sur une cause qui a fait beaucoup plus de morts qu’elle n’en fera, ce danger s’appelle le ridicule. Ne prêtez pas mes traits à ce dragon qui vous guette : je suis celle qui même si elle voulait vous confondre, ne voudrait jamais tuer le feu en vous. Car rien n’est plus beau que d’avoir embrassé une quête, à partir du moment où par sagesse, l’on devient un jour assez vieux pour pouvoir y renoncer.
Millie
P.S : ma quête personnelle consistait effectivement à croire qu’une certaine personne que j’aimais m’était prédestinée ; c’est au nom du Christ que je l’ai appelée de mes vœux, et c’est effectivement aussi au nom de la vérité chrétienne que j’en suis revenue.
Bonsoir Mademoiselle,
Il y a longtemps que j’ai lu votre message et je n’ai pas jugé, sur le moment, très utile d’y répondre, ayant l’impression d’y avoir déjà répondu auparavant et même, d’une certaine façon, que nous considérons les éléments dont nous avons discuté à un niveau tellement différent qu’effectivement, alors que vous commenciez dans vos premiers messages à vous accorder entièrement avec moi, nous n’aurions plus qu’à opposer des phrases qui nous paraîtraient vides de sens l’un à l’autre. Par politesse cependant, je vais écrire quelques petites choses de façon très synthétique ; d’abord qu’il n’est pas question de mal prendre un temps de réponse long : je pensais simplement que vous en aviez terminé avec ceci car on en arrive fatalement au point où ne se trouvent plus que des divergences inconciliables. Ensuite, vous avez raison sur le fait que je ne cherche ni jugement, ni à figurer dans quelque galerie des monstres de foire de quelque auteur moderniste adepte de l’absurde et qui ne comprend rien ni à l’honneur ni à la nature humaine. Car l’homme est un animal social et historique et pas seulement un jouet littéraire.
Le problème majeur, et vous le dites vous-mêmes, c’est que vous refusez de vous situer sur un terrain politique et historique, et que vous cantonnez ceux qui comme moi le font, dans un mélange de passéisme, de romantisme, charmant certes d’un point de vue esthétique mais profondément ridicule, tout cela parce que les idées de la contre-révolution ne sont pas majoritaires aujourd’hui. Mais ne savez-vous donc pas que la philosophie politique comme le patriotisme sont des affaires sérieuses, et que le royalisme lui-même n’est pas qu’un goût pour des temps mythiques – cela, déjà, ne me plaît pas nécessairement car, quoiqu’on en dise, le baptême de Clovis n’est pas qu’un mythe mais notre histoire bien réelle, bien plus que les œuvres d’Homère – mâtiné de rêverie ? Quand on lit des gens comme Joseph de Maistre et Louis de Bonald, on est amené à manier des concepts très précis qui n’ont pas grand-chose à voir avec les errances de Don Quichotte. Quand on prend connaissance des massacres commis en Vendée (où j’habite) par les Républicains et qu’on réalise sur quels mensonges putrides repose cette parodie de France qu’est le régime actuel, ce n’est pas précisément ce que je qualifierais de douce rêverie. Etudier l’histoire de France, les principes fondamentaux de la civilisation française, cela n’a rien à voir avec le fait, par exemple, d’incarner un paladin dans un jeu de rôles. En un mot, le choix de la défense des principes légitimistes, ce n’est pas de l’idéalisme au sens niais, c’est un enracinement dans une réalité historique qui s’appelle la France. Et que des millions d’ignares se fassent manipuler par un régime qui, lui, est le comble de l’idéalisme et de l’irréel, qui ne repose que sur des illusions, des mensonges et autres manipulations, devrait être le problème. La tabula rasa de la Révolution française, la construction d’un homme nouveau dans le Contrat social de Rousseau et d’après l’idéologie des Lumières, ça c’est de l’illusionnisme de première classe. Cet homme nouveau ne repose sur rien : il n’a plus d’enracinement historique, il n’a plus de foi et renie son Créateur. Ceux qui ont le courage de se souvenir d’où ils viennent et à Qui ils doivent la vie, et à Qui ils la rendront, en quoi sont-ils plus fous que les nihilistes qui vivent au royaume des aveugles, enfermés par la télévision et la propagande républicaine comme dans une nouvelle caverne de Platon ?
Vous faites la même chose à propos des Croisades, avec beaucoup de rhétorique littéraire, mais qui ne change rien au fait que vous niez complètement la réalité historique de l’article que vous êtes venue commenter sur mon blog. Chateaubriand y explique en quoi les Croisades étaient nécessaires de par la situation géopolitique causée par les musulmans et vous me parlez d’une quête du Graal, et vous comparez cela à un idéalisme qui transcende l’être comme lors d’une quête amoureuse ? Mais, sans nier que des chevaliers et gens du commun aient pu ressentir un tel appel et que la certitude de gagner le Paradis et d’effacer ses péchés étaient des motivations très fortes, ces croisés n’étaient pas des chevaliers du Graal ou autres paladins que l’on trouve dans des jeux de rôle ou des jeux vidéo, ou encore des Perceval des romans arthuriens. C’étaient des soldats du roi de France et grands seigneurs (et quelques autres) envoyés là-bas pour combattre la menace musulmane et défendre un aspect bien réel et tangible de notre civilisation (à moins que vous ne considériez aussi la patrie et la civilisation comme des vanités ?). Il n’y avait pas de Graal à gagner, sinon celui de l’honneur et la survie de l’Occident – qui se jouera encore contre l’Empire ottoman qui aura balayé l’Empire byzantin et arrivera jusqu’aux portes de Vienne ! Pas plus que les Francs de Clovis ne songeaient à fonder une nouvelle Jérusalem, même si Dieu a choisi d’honorer notre peuple de Sa grâce pour faire de la France la fille aînée de l’Eglise. L’histoire est aussi politique, elle n’est pas que mythe et littérature, j’aimerais que vous le voyiez également.
Je passe sur plusieurs détails, notamment le débat sur la place de la femme au moyen-âge qui fait trop dériver du fil initial (d’autant que je rejette toujours votre cantonnement du royalisme politique à l’idéalisme et le parallélisme entre cause chevaleresque et cause amoureuse comme façon de vivre transcendante qui n’aurait qu’un intérêt formel et non de contenu), pour en venir brièvement à votre louange du relativisme. Car quand vous me reprochez de ne me consacrer qu’à une seule cause, la mienne, comme si je feignais de croire qu’elle était la meilleure, vous niez du même coup la nature de l’homme tout en faisant l’apologie de ce grand mal moderne, infiniment révolutionnaire, qu’est le relativisme. Je précise tout de même que je suis capable de discerner l’aspiration au bien chez des gens qui ne soutiennent pas la même cause que moi, et de comprendre que la tradition historique française n’est pas une cause universelle (cela bien en rupture avec le messianisme révolutionnaire de la période 1789-1814) – en matière religieuse c’est une autre affaire. Mais, que cela vous plaise ou pas, l’homme est ainsi fait qu’il est à la fois lié par des déterminismes insurmontables et par une liberté d’aspirer à son Créateur conférée par Dieu. Le corps et l’âme ; le corps, la chair, qui font que nous naissons dans une famille avec des gènes, sur une terre avec une histoire et des traditions, une culture, et une âme qui nous donne soif de nous élever au-delà du déterminisme matériel pour aspirer à la Vérité de ce monde. Renier notre histoire, c’est la même chose que renier sa famille et c’est d’une certaine façon ne pas vouloir être de ce monde. En matière religieuse, je ne peux en tant que catholique que m’inscrire contre votre vision des choses, puisque vous niez la Révélation que Dieu nous a accordée et que, de ce point de vue, je vous crois bien plus dans l’ombre que moi. Vous me demandez ainsi la différence entre Jésus et un pharisien et s’ils vénèrent un Dieu différent. Cela commence fort mal : vous n’ignorez sans doute pas que pour le catholique que je suis Jésus est Dieu selon la Trinité. Et vous savez très bien que si l’aspiration à trouver Dieu est universelle puisque tout homme est la créature de Dieu, l’acceptation de la Révélation chrétienne ne l’est pas, elle, et c’est la tâche de l’Eglise catholique que de diffuser la Vérité et les enseignements du Christ selon sa demande même. L’évangélisation catholique s’adresse à tous les hommes. Malheureusement pour vous, ceux qui oublient pourquoi le Christ a voulu Son Eglise et qui piochent dans toutes les spiritualités comme au supermarché, sont des enfants du doute et du nihilisme révolutionnaires qui ne jouissent guère plus du soleil que les esclaves de la caverne de Platon. Jésus nous a libérés de l’Enfer mais l’homme peut y retourner de lui-même. Dès lors, je ne crois pas que l’illusion de la liberté, très romantique, XIXe et Révolution, ou l’immanence à la Hugo, soient vraiment ce qui amène du côté des jouisseurs du véritable Soleil de la Vérité… Non, les syncrétistes sont bien à plaindre…
Bref, je vous remercie en tout cas d’avoir eu la bonne intention de vouloir me prévenir contre certains dangers, que je ne crois pas très bien interprétés cependant. Ma « quête » (comme vous le dites), c’est en fait ce que je suis, un français catholique, un corps historicisé et une âme inscrite dans la Vérité : bien fou plutôt qui abandonnerait cela pour les affres du Doute. Quant aux dragons – et autres démons – que vous évoquez à la fin, n’oubliez pas que mon Saint Patron n’est autre que Saint Michel, chef des Armées célestes, donc je devrais m’en sortir.
Adieu – car je ne pense pas vous écrire à nouveau, et puisse la Grâce de Dieu vous illuminer.
M.
Bonsoir Mickaelus,
J'ai trouvé votre dernière lettre magnifique.
Pour tout dire, vous m'avez presque convaincue...
Certaines idées ont fait leur chemin dans mon esprit, depuis ces derniers temps, savez-vous?
Je ne suis plus aussi sûre de moi qu'autrefois, aujourd'hui, lorsque je prétends n'aimer NSJC et l'Histoire de mon pays que pour la beauté de l'art.
- Longtemps, je me suis vantée de cela, c'est vrai... Mais je me demande si donner à Jésus le visage d'une idole n'était pas davantage le moyen pour moi de pouvoir exprimer ma passion auprès de mon entourage athée, si ce n'était pas un genre de cheval de Troie visant à me donner l'air d'avoir en quelque sorte reçu la révélation "avec désinvolture". J'espérais pouvoir mieux communiquer les arguments de ma foi avec une rhétorique rationnelle qui ne niait pas le monde moderne...
Mais j'en suis arrivée à un point où ce qui autrefois ne se manifestait en moi que sous la forme esthétique est devenu peu à peu conviction, a fait son chemin dans mon intelligence.
C'est avec difficulté, je vous assure, que dans la dernière lettre que je vous ai écrite, ma lâcheté protectrice a livré un dernier combat.
Aussi, aujourd'hui, comprenez-le, je ne viens pas vous demander de reprendre le débat avec moi ; mes convictions sont trop fraiches. Un prosélytisme trop ardent de votre part pourrait encore les effrayer.
Je viens seulement vous demander amicalement de bien vouloir revenir sur mon espace poster votre dernière lettre (celle-là même que je viens de lire) - à laquelle je ne répondrai rien.
Je vous laisserai le soin de conclure notre échange, puisque votre droiture a eu raison de mes arguments.
En vous remerciant par avance,
Amicalement,
Millie
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