jeudi 17 décembre 2009 | By: Mickaelus

Le Souverain idéal, par La Bruyère

"Que de dons du ciel ne faut-il pas pour bien régner ! Une naissance auguste, un air d'empire et d'autorité, un visage qui remplisse la curiosité des peuples empressés de voir le Prince, et qui conserve le respect dans le courtisan. Une parfaite égalité d'humeur, un grand éloignement pour la raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la permettre point ; ne faire jamais ni menaces, ni reproches, ne point céder à la colère, et être toujours obéi. L'esprit facile, insinuant ; le cœur ouvert, sincère, et dont on croit voir le fond, et ainsi très propre à se faire des amis, des créatures et des alliés ; être secret toutefois, profond et impénétrable dans ses motifs et dans ses projets. Du sérieux et de la gravité dans le public : de la brièveté, jointe à beaucoup de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux ambassadeurs des princes, soit dans les conseils. Une manière de faire des grâces qui est comme un second bienfait, le choix des personnes que l'on gratifie ; le discernement des esprits, des talents et des complexions pour la distribution des postes et des emplois ; le choix des généraux et des ministres. Un jugement ferme, solide, décisif dans les affaires, qui fait que l'on connaît le meilleur parti et le plus juste ; un esprit de droiture et d'équité qui fait qu'on le suit, jusques à prononcer quelquefois contre soi-même en faveur du peuple, des alliés, des ennemis ; une mémoire heureuse et très présente qui rappelle les besoins des sujets, leurs visages, leurs noms, leurs requêtes. Une vaste capacité qui s'étende non seulement aux affaires du dehors, au commerce, aux maximes d'État, aux vues de la politique, au reculement des frontières par la conquête de nouvelles provinces, et à leur sûreté par un grand nombre de forteresses inaccessibles ; mais qui sache aussi se renfermer au dedans, et comme dans les détails de tout un royaume qui en bannisse un culte faux, suspect et ennemi de la souveraineté, s'il s'y rencontre ; qui abolisse des usages cruels et impies, s'ils y règnent ; qui réforme les lois et les coutumes, si elles étaient remplies d'abus ; qui donne aux villes plus de sûreté et plus de commodités par le renouvellement d'une exacte police, plus d'éclat et plus de majesté par des édifices somptueux. Punir sévèrement les vices scandaleux ; donner par son autorité et par son exemple du crédit à la piété et à la vertu : protéger l'Église, ses ministres, ses droits, ses libertés : ménager ses peuples comme ses enfants ; être toujours occupé de la pensée de les soulager, de rendre les subsides légers, et tels qu'ils se lèvent sur les provinces sans les appauvrir. De grands talents pour la guerre ; être vigilant, appliqué, laborieux : avoir des armées nombreuses, les commander en personne ; être froid dans le péril, ne ménager sa vie que pour le bien de son État, aimer le bien de son État et sa gloire plus que sa vie. Une puissance très absolue, qui ne laisse point d'occasion aux brigues, à l'intrigue et à la cabale ; qui ôte cette distance infinie qui est quelquefois entre les grands et les petits, qui les rapproche, et sous laquelle tous plient également. Une étendue de connaissance qui fait que le Prince voit tout par ses yeux, qu'il agit immédiatement et par lui-même ; que ses généraux ne sont quoique éloignés de lui que ses lieutenants, et les ministres que ses ministres. Une profonde sagesse qui sait déclarer la guerre, qui sait vaincre et user de la victoire ; qui sait faire la paix, qui sait la rompre, qui sait quelquefois et selon les divers intérêts contraindre les ennemis à la recevoir ; qui donne des règles à une vaste ambition, et sait jusques où l'on doit conquérir. Au milieu d'ennemis couverts ou déclarés se procurer le loisir des jeux, des fêtes, des spectacles ; cultiver les arts et les sciences ; former et exécuter des projets d'édifices surprenants. Un génie enfin supérieur et puissant qui se fait aimer et révérer des siens, craindre des étrangers ; qui fait d'une Cour, et même de tout un royaume comme une seule famille, unie parfaitement sous un même chef, dont l'union et la bonne intelligence est redoutable au reste du monde. Ces admirables vertus me semblent renfermées dans l'idée du souverain ; il est vrai qu'il est rare de les voir réunies dans un même sujet ; il faut que trop de choses concourent à la fois, l'esprit, le cœur, les dehors, le tempérament ; et il me paraît qu'un monarque qui les rassemble toutes en sa personne, est bien digne du nom de Grand."

Jean de La Bruyère, Les Caractères (1688-1696)
jeudi 3 décembre 2009 | By: Mickaelus

Les minarets suisses et la naïveté réactionnaire et nationaliste



Comme tout être humain qui suit un minimum l'actualité - européenne en l'occurrence -, chacun sait que 57 % de nos voisins suisses se sont tout récemment prononcés pour l'interdiction de la construction des minarets, ornements les plus ostensibles et les plus agressifs, pour l'œil "infidèle", des mosquées qui poussent comme des champignons dans toute l'Europe, convertie de longue date au relativisme religieux révolutionnaire semé avec amour voilà deux cents ans par Napoléon et ses jardiniers grognards. Un peu comme lors de l'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002, l'univers nationaliste et réactionnaire ainsi que toute la "réacosphère" d'internet sont en ébullition, et exultent sous le coup d'une victoire dont j'aimerais bien percevoir aussi bien qu'eux les effets véritables et surtout durables.

S'il n'est évidemment pas incorrect d'éprouver quelque plaisir narquois à l'annonce de cette nouvelle, surtout en consultant les réactions ô combien prévisibles des politiques et des journalistes adeptes de la bien-pensance, il faut souligner aussi que ce référendum n'est qu'un coup d'épée dans l'eau et qu'il ne sera pas plus efficace que le second tour de 2002 déjà mentionné. Il n'aura en effet échappé à personne que même sans minarets, les mosquées seront toujours là, de même que les populations musulmanes : on se demande donc bien comment on pourrait se réjouir d'un petit score tel que 57 % quand la question aurait dû porter sur l'interdiction de la construction des mosquées, voire même sur l'interdiction du culte musulman. On me répondra sans doute que c'est toujours un début et que c'est encourageant, de même que le sondage qui vient d'annoncer que 41 % de Français seraient contre la construction de nouvelles mosquées : eh bien pas nécessairement quant aux principes.

Leur attitude face à cette nouvelle illustre parfaitement les paradoxes dont sont incapables de se débarrasser les réactionnaires et nationalistes français (mais européens également), englués qu'ils sont dans le système républicain et démocratique. D'un point de vue formel, cette tendance politique prouve encore une fois qu'elle chérit les armes de l'ennemi, ces armes qui sont responsables de la destruction de la France traditionnelle dont ils se prétendent parfois - certains sont des républicains sincères - les défenseurs ultimes. Cette arme, c'est la démocratie et la souveraineté populaire, et le concept de nation autonome qui implique que la nature de celle-ci soit potentiellement évolutive, puisqu'elle est le fruit non plus d'un droit divin et d'une tradition concentrée dans les mains d'un roi, mais l'expression d'une volonté générale sujette au changement et à toutes les manipulations de l'opinion que nous connaissons. Historiquement, c'est donc le mouvement révolutionnaire et la victoire de l'individualisme, qui se manifestent aussi bien dans le relativisme religieux que dans le droit de vote - l'essentiel étant que la voix de chaque individu compte autant, quelles que soient sa condition et ses croyances -, qui a permis le déracinement de la France (puis des autres états européens) et la possibilité même de l'émergence d'une forte population musulmane. Croire que plus de démocratie est la seule solution face à l'islamisation est aussi naïf que croire la même chose vis-à-vis de la construction européenne : ces phénomènes sont les conséquences logiques de la destruction de la monarchie française et de l'avènement d'une république qui se veut dépassement de toute frontière et de tout particularisme.

Car au-delà de ce problème formel qui est déjà conséquent, il y a également un problème de fonds qui s'y superpose, celui de la laïcité et de la liberté de culte. On l'a bien vu dans toute l'histoire de la république, non seulement l'établissement de ce régime est inséparable de l'hostilité au catholicisme d'avant Vatican II, trop entaché aux yeux de nos "purs" par l'alliance multiséculaire du trône et de l'autel, mais la droite réactionnaire comme l'extrême droite, depuis que la promotion de l'islam par la gauche a accompagné l'anticatholicisme, n'ont jamais su se défendre autrement que par un laïcisme qui rejoint de manière cocasse celui de la gauche, n'hésitant pas à sacrifier le catholicisme dans la sphère privée s'il est possible d'en faire autant pour l'islam. Autant dire que cette politique de la terre brûlée n'équivaut qu'à se tirer une balle dans le pied au vu de l'efficacité nulle sur le camp adverse. On trouvait un très bon exemple de cette attitude dans le projet de 2007 du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, qui prévoyait seulement une charte républicaine pour la construction des mosquées et le confinement des religions dans la sphère privée. Cette simple précaution vis-à-vis de l'islam, bien élémentaire, suffisait à faire réagir Marine Le Pen, dont le Front National préfère dénoncer l'immigration pour ne pas avoir à parler du problème religieux en soi. On comprend pourquoi : tous ces gens qui prétendent défendre la tradition française ne s'interrogent aucunement sur la place de la religion dans la société. Ils tombent pleinement dans le piège révolutionnaire républicain du nivellement absolu de la valeur des religions vis-à-vis de notre histoire, sachant très bien que tenir tête aux droits de l'homme et à la constitution républicaine reviendrait à s'exclure du système qu'ils prétendent combattre : nous n'aurons donc pas même droit à la revendication d'une situation qui ressemblerait au Concordat de 1801, mais à une pleine revendication de la séparation de l'Église et de l'État de 1905.

Car la seule solution véritable face au problème de l'islamisation, ce ne sont pas des référendums qui n'empêcheront pas la démographie musulmane de progresser et de revoter le droit de construire comme ils l'entendent dans quelques décennies, ce n'est pas le laïcisme et le relativisme religieux égalitariste qui engloutit notre tradition catholique alors que l'ennemi progresse toujours, c'est encore moins la nation autonome et le peuple souverain, puisque ce concept porte en germe la possibilité même du rejet de la tradition. La solution implique d'abord le renversement de la république et à travers elle du péché originel qu'est la Révolution française, qui portent en elles tous les principes dont peuvent se prévaloir les musulmans, mais aussi, bien plus importante encore, la restauration de la monarchie française dont le roi légitime, dépositaire en lui seul de la souveraineté pleine, entière et indépendante, est le garant des principes fondamentaux de la civilisation française et, de par les serments de son sacre, de la religion catholique d'État qu'il protège. Si nous n'avons pas le courage de renouer avec notre histoire, jamais nous ni nos descendants ne serons soulagés de la pression religieuse et démographique musulmane et, bien loin de connaître un phénomène comparable à la Reconquista et à l'expulsion des Morisques sous Philippe III d'Espagne, c'est le sort des Byzantins et de Constantinople que nous subirons, avec la grande honte d'avoir été vaincus sans coup férir.

Le muezzin dans OSS 117