mercredi 17 décembre 2008 | By: Mickaelus

A l'heureuse mémoire d'Henri le Grand, par Pierre Godolin

Frans Pourbus le Jeune, Henri IV (1553-1610),
roi de France, en armure


Gentils pastoureaux qui sous les ombrages
sentez s'apaiser le chaleur du jour,
tandis que les oiselets, pour saluer l'Amour
enflent leur gosier de mille chansonnettes ;

petits ruisseaux dont l'argent joliment folâtre,
pré mignons où le plaisir enchante nos regards,
quand la jeune saison vous charge de bouquets,
entendez comme se plaint une nymphe de Toulouse :

"Quand un nuage, noir du malheur public,
obscurcit la clarté de mon plus bel astre,
je veux dire quand la mort d'un tranchant de couteau
biffa le grand Henri sur le livre de la Nature,

de ronces de douleur mon âme emprisonnée,
fuit la crinière d'or du grand soleil
pour aller en un antre pleurer de l'œil et du cœur
la belle fleur tombée du parterre français.

Aujourd'hui je reprends mon souffle pour emplir ma musette,
car sur le roi déploré j'entonne une chanson ;
l'air en rejaillira sur le brave Louis :
au raison revient l'honneur de la souche.

Que ne vienne plus résonner à mes oreilles
[le nom de] César ni du Grec qui mourut par le talon ;
au-dessus de la foule des princes valeureux
un Henri a comblé le monde de merveilles.

Les rois fortunés dont le monde fait fête
sont comme des rubis posés en rose d'or,
où le vaillant Henri, par le bras et le cœur,
était le diamant ornement de l'ensemble.

La terre, tremblant au bruit de ses armées
le laissait parler comme son premier seigneur :
aussi, pour l'introduire au temple de l'Honneur,
le Ciel l'avait-il formé de vertus rapportées.

Que fleurît la paix, que sonnât l'alarme,
la Justice, la Foi, la Force, la Bonté
et tout ce que le Ciel accorde rarement
comme l'eau à la mer s'écoulaient en son âme.

Aussitôt que sur son front fut posée la couronne,
la terreur se noya au fleuve de l'oubli ;
la paix vint, qui de son olivier
fit une belle greffe au laurier de Bellone.

De ses mille vertus la précieuse richesse
achetait d'un chacun le cœur et l'affection,
Son corps se montrait, ciel de perfection
à la lumière de son esprit, éclair de sagesse.

C'était lui qui remettait d'aplomb de le bras de la balance,
dès que la raison se plaignait d'un affront ;
c'est lui qui prenait la fortune aux cheveux
pour la clouer sur le sceptre de France.

A la foire aux coups il fallait qu'on le vît
avec le foudre de son bras frapper l'éclat du fer,
foudre qui faisait courir une averse de sang
et rejaillir une grêle de têtes.

D'ennemis animés se conjurait un monde
pour faire de l'endroit envers, qui de droit lui revenait ;
mais il était l'Atlas qui soutenait tout,
et puis l'Hercule qui abattait tout.

Comme s'effraie la biche dans le bocage
quand le son du cor résonne à son oreille,
au nom du grand Henri l'ennemi aveuglé
fuyait marri de peur et veuf de courage.

L'un sentait d'un estoc ses côtes disjointes,
par où se tarissait son sang à grands jets ;
l'autre, que mille coups étendaient au sol,
voyait son pauvre corps dispersé en éclats.

Ainsi dans une bergerie le lion se débat
au milieu des chiens, du pâtre et des agneaux,
ainsi à coups de dents, de queue, de griffes, d'œil,
il les effraie, déchire, assomme et mord.

Heureux alors celui qui était au pillage,
ou qui s'était enfui les armes basses ;
pour vivre il ne fallait que des jambes, non des bras
et se montrer plutôt cerf que Briarée.

Jamais aucun autre roi n'avait fait pareille jonchée,
de corps de soldats quittes avec la mort,
et Charon plus jamais ne trouva à son port
d'esprits sans os suite si pressée.

Donc, ô tigre cruel, pire que l'ours sauvage
les Furies de l'Enfer t'avaient bien possédé
quand ta traîtresse main alla s'armer de fer,
Seigneur Dieu ! contre un roi qui dorait notre temps.

Qui donc soutint ton bras d'une telle assurance
qu'il ne pût pas fléchir sous l'horreur d'un tel coup !
Sans doute l'Esprit de Nuit qui avait trop de hâte
de voir mis au cercueil le soleil de la France.

De l'orage malsain d'une guerre civile
tu voulais troubler le calme de la paix,
mais tes coups en néant furent dissipés,
aussitôt que d'un dauphin Dieu fit un Neptune.

Disparaisse le gueux dont la main sacrilège
vient de jeter à terre l'autel de la vertu !
Son coup passe celui de cet autre damné
qui fit un brasier du temple de Diane.

Éteint est le flambeau, usé est le beau meuble
dont la terre faisait l'honneur de sa maison ;
la mort défigurée, d'un coup tranchant,
endort dans le tombeau la paysan et le noble.

Le monde est une mer où, comme sous des voiles,
l'homme sent chaque jour quelque vent d'affliction.
Mais notre roi, comblé de toute perfection,
heureux hôte du Ciel, foule aux pieds les étoiles.

Pierre Godolin (1610) [A l'hurouso memorio d'Henric le gran, traduction de l'occitan chez R. Laffont] ; source : Histoire et anthologie de la littérature occitane, t. II