vendredi 4 mai 2007 | By: Mickaelus

La gauche puritaine moquée par Balzac en la personne de Simon Giguet

Voici le portrait délicieux écrit par Balzac dans le Député d'Arcis (1847, inachevé) d'un avatar de la gauche dynastique sous la monarchie de Juillet, et qui est l'occasion de moquer une gauche qui déjà pouvait affecter alors un moralisme austère et qui pourrait correspondre sans trop forcer à ce qu'on appelle aujourd'hui la gauche bobo. Ce genre d'ennuyeux n'a d'ailleurs pas tout à fait disparu chez nos socialistes, si l'on songe qu'il y a quelques années Philippe de Villiers avait surnommé fort justement Lionel Jospin "Tristounet Ier".


"Simon Giguet, comme presque tous les hommes d'ailleurs, payait à la grande puissance du ridicule une forte part de contributions. Il s'écoutait parler, il prenait la parole à tout propos, il dévidait solennellement des phrases filandreuses et sèches qui passaient pour de l'éloquence dans la haute bourgeoisie d'Arcis. Ce pauvre garçon appartenait à ce genre d'ennuyeux qui prétendent tout expliquer, même les choses les plus simples. Il expliquait la pluie, il expliquait les causes de la révolution de Juillet ; il expliquait aussi les choses impénétrables : il expliquait Louis-Philippe, il expliquait monsieur Odilon Barrot, il expliquait monsieur Thiers, il expliquait les affaires d'Orient, il expliquait la Champagne, il expliquait 1789, il expliquait le tarif des douanes et les humanitaires, le magnétisme et l'économie de la liste civile.

Ce jeune homme maigre, au teint bilieux, d'une taille assez élevée pour justifier sa nullité sonore, car il est rare qu'un homme de haute taille ait de grandes capacités, outrait le puritanisme des gens de l'extrême-gauche, déjà tous si affectés à la manière des prudes qui ont des intrigues à cacher. Toujours vêtu de noir, il portait une cravate blanche qu'il laissait descendre au bas de son cou. Aussi sa figure semblait-elle être dans un cornet de papier blanc, car il conservait ce col de chemise haut et empesé que la mode a fort heureusement proscrit. Son pantalon, ses habits paraissaient toujours être trop larges. Il avait ce qu'on nomme en province de la dignité, c'est-à-dire qu'il se tenait roide et qu'il était ennuyeux ; Antonin Goulard, son ami, l'accusait de singer monsieur Dupin. En effet, l'avocat se chaussait un peu trop de souliers et de gros bas en filoselle noire. Simon Giguet, protégé par la considération dont jouissait son vieux père et par l'influence qu'exerçait sa tante sur une petite ville dont les principaux habitants venaient dans son salon depuis vingt-quatre ans, déjà riche d'environ dix mille francs de rentes, sans compter les honoraires produits par son cabinet, et à qui la fortune de sa tante revenait un jour, ne mettait pas sa nomination en doute."

Honoré de Balzac, Une ténébreuse affaire, suivi du "Député d'Arcis"