jeudi 1 février 2007 | By: Mickaelus

Du Bellay : son amour de la France dans Les Regrets

Joachim Du Bellay (1522-1560), poète français célèbre, membre de la Pléiade et auteur de La Défense et Illustration de la Langue française (1549), séjourne à Rome de 1553 à 1557 en tant que gouverneur de la maison du cardinal Jean Du Bellay, cousin germain de son père. Ses fonctions ne semblent guère lui donner satisfaction et il s'ennuie beaucoup de la France. C'est donc peu après son retour dans son pays que paraissent Les Regrets (1558), où Du Bellay témoigne notamment de son amour pour la France et de la nostalgie profonde qu'il a éprouvée lors de son séjour en Italie. Alors que Du Bellay éprouve la nostalgie sur un mode spatial, éloigné qu'il est de la France en Italie, le Français contemporain lecteur des Regrets peut l'éprouver lui sur un mode temporel, alors que la France s'éloigne de plus en plus de son histoire, de son identité et des valeurs qui ont fait sa gloire et sa grandeur. Si la nostalgie semble être le lot du vrai Français, ces poèmes à la fois simples et vrais sont une leçon d'amour de la France, sentiment naturel qu'à l'heure de l'européisme et de la mondialisation on oublie trop aisément. Au lieu de vendre nos âmes à toutes les chimères de ces idéologues apatrides et utopistes, sachons aimer et honorer la terre qui nous a vu naître. Aimons la France avant que nous ne puissions plus que la regretter à notre tour, sans qu'un voyage ne suffise plus pour nous ramener vers elle.

Quelques sonnets extraits des Regrets :


France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Echo, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

*

Ce n'est le fleuve tusque au superbe rivage,
Ce n'est l'air des Latins, ni le mont Palatin,
Qui ores, mon Ronsard, me fait parler latin,
Changeant à l'étranger mon naturel langage.

C'est l'ennui de me voir trois ans et davantage,
Ainsi qu'un Prométhée, cloué sur l'Aventin,
Où l'espoir misérable et mon cruel destin,
Non le joug amoureux, me détient en servage.

Eh quoi, Ronsard, eh quoi, si au bord étranger
Ovide osa sa langue en barbare changer
Afin d'être entendu, qui me pourra reprendre

D'un change plus heureux ? nul, puisque le français,
Quoiqu'au grec et romain égalé tu te sois,
Au rivage latin ne se peut faire entendre.

*

Cependant que tu dis ta Cassandre divine,
Les louanges du roi, et l'héritier d'Hector,
Et ce Montmorency, notre français Nestor,
Et que de sa faveur Henri t'estime digne :

Je me promène seul sur la rive latine,
La France regrettant, et regrettant encor
Mes antiques amis, mon plus riche trésor,
Et le plaisant séjour de ma terre angevine.

Je regrette les bois, et les champs blondissants,
Les vignes, les jardins, et les prés verdissants
Que mon fleuve traverse : ici pour récompense

Ne voyant que l'orgueil de ces monceaux pierreux,
Où me tient attaché d'un espoir malheureux
Ce que possède moins celui qui plus y pense.

*

Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure et le point,
Et malheureuse soit la flatteuse espérance,
Quand pour venir ici j'abandonnai la France :
La France, et mon Anjou, dont le désir me point.

Vraiment d'un bon oiseau guidé je ne fus point,
Et mon coeur me donnait assez signifiance
Que le ciel était plein de mauvaise influence,
Et que Mars était lors à Saturne conjoint.

Cent fois le bon avis lors m'en voulut distraire,
Mais toujours le destin me tirait au contraire :
Et si mon désir n'eût aveuglé ma raison,

N'était-ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le seuil de l'huis, d'un sinistre présage,
Je me blessai le pied sortant de ma maison ?

*

Quiconque, mon Bailleul, fait longuement séjour
Sous un ciel inconnu, et quiconques endure
D'aller de port en port cherchant son aventure,
Et peut vivre étranger dessous un autre jour :

Qui peut mettre en oubli de ses parents l'amour,
L'amour de sa maîtresse, et l'amour que nature
Nous fait porter au lieu de notre nourriture,
Et voyage toujours sans penser au retour :

Il est fils d'un rocher ou d'une ourse cruelle,
Et digne qui jadis ait sucé la mamelle
D'une tigre inhumaine : encor ne voit-on point

Que les fiers animaux en leurs forts ne retournent,
Et ceux qui parmi nous domestiques séjournent,
Toujours de la maison le doux désir les point.

*

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est un province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

*

Depuis que j'ai laissé mon naturel séjour
Pour venir où le Tibre aux flots tortus ondoie,
Le ciel a vu trois fois par son oblique voie
Recommencer son cours la grand lampe du jour.

Mais j'ai si grand désir de me voir de retour
Que ces trois ans me sont plus qu'un siège de Troie,
Tant que me tarde, Morel, que Paris je revoie,
Et tant le ciel pour moi fait lentement son tour.

Il fait son tour si lent, et me semble si morne,
Si morne et si pesant, que le froid Capricorne
Ne m'accourcit les jours, ni le Cancre les nuits.

Voilà, mon cher Moral, combien le temps me dure
Loin de France et de toi, et comment la nature
Fait toute chose longue avecques mes ennuis.

*

Ne pense pas, Bouju, que les nymphes latines
Pour couvrir leur traïson d'une humble privauté,
Ni pour masquer leur teint d'une fausse beauté,
Me fassent oublier nos nymphes angevines.

L'angevine douceur, les paroles divines,
L'habit qui ne tient rien de l'impudicité,
La grâce, la jeunesse et la simplicité
Me dégoûtent, Bouju, de ces vieilles Alcines.

Qui les voit par-dehors ne peut rien voir plus beau,
Mais le dedans ressemble au dedans d'un tombeau,
Et si rien entre nous moins honnête se nomme.

Ô quelle gourmandise ! ô quelle pauvreté !
Ô quelle horreur de voir leur immondicité !
C'est vraiment de les voir le salut d'un jeune homme.


Joachim Du Bellay, Les regrets précédé de Les antiquités de Rome et suivi de La défense et illustration de la langue Française


A lire aussi sur le thème de l'éloignement et de l'amour de la France : Charles d'Orléans : La Complainte de France

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci, je ne connaissais pas ce grand poete français qu'est Du Bellay.

Un grand patriote à ce que je vois, et ses écrits sont excellents, j'ai lu deux-trois passages pour ma part !

Anonyme a dit…

un très bon poète .......
je vois que les goûts sont partagés.
j'ai un site internet poétique : le monde d'hirondelle
où j'ai fait apparaître ce grand auteur; tout comme d'autres.

http://www.e-monsite.com/lemondedhirondelle