vendredi 20 novembre 2009 | By: Mickaelus

Recommandations de son oncle ermite à Perceval

"Et maintenant, dit l'ermite, raconte-moi, je te prie, quelle a été ta vie, ce que tu as fait, sans rien me cacher ni mentir.

- C'est seulement aujourd'hui, répondit Perceval, que je comprends avec angoisse combien longtemps j'ai erré sans guide, privé du secours de toute joie. Je me sens accablé, car je n'ai rien fait d'autre que rechercher des combats. Et je suis même irrité en mon cœur contre Dieu car, non content de susciter chacun des soucis qui m'assaillent, il les a fait croître avec acharnement. Tout bonheur a été pour moi enseveli dans une tombe. Si ce Dieu dont me parlait ma mère, ce Dieu qu'elle me décrivait comme l'être le plus beau et le plus lumineux qui fût au monde, m'avait accordé son secours, ma joie n'eût point connu de bornes. Or mon âme sombre aujourd'hui dans une douleur sans fond. - Enfant, l'interrompit l'ermite, as-tu jamais demandé son aide à Dieu ? - Non, confessa Perceval, je me fiais trop à ma force, à mon audace et à mon courage. - Alors, dit l'ermite, ne t'étonne pas de te sentir si seul et abandonné."

Perceval demeura silencieux. L'ermite soupira et reprit : "Enfant, je sais que tu vaux mieux que tu ne le prétends. Mais tu dois faire confiance à Dieu et te garder de proférer des paroles qui sont autant de blasphèmes. J'aimerais te montrer que Dieu, loin d'être responsable en rien de tes malheurs, sera au contraire toujours prêt à te seconder. Bien que je ne sois pas un clerc, j'ai lu et recopié de ma main ce qu'enseignent les livres de vérité. Je sais que l'homme doit sans cesse se tenir prêt à servir. Ainsi mérite-t-il l'aide de celui qui ne se lasse jamais d'assister les âmes en détresse. Sois ferme en ta foi et ne te laisse pas envahir par le doute. Oui, Dieu est lumière, mais il est aussi vérité et justice, et ni ta violence ni ta colère ne lui arracheront son aide. Quiconque te verra irrité contre Dieu te tiendra pour un homme de peu de sens. Songe à ce qu'il advint de Lucifer et de tous les anges qui le suivirent. Et pourtant, à l'origine, ils étaient des êtres bons et lumineux. Ah ! Dieu ! d'où leur est venue la haine qui les a menés, après de sombres combats, en un lieu de souffrance et de misère ?

Quand Lucifer, avec sa suite, s'abîma dans l'enfer, Dieu le remplaça par un homme : il prit de la terre et en forma le noble Adam. Du corps d'Adam, il détacha Ève qui, pour avoir refusé d'écouter son créateur, nous précipita tous dans l'infortune et ruina tout notre bonheur. De ces deux êtres naquirent des enfants, mais l'un d'eux, cédant à la démesure, en vint par un inconcevable orgueil à souiller son aïeule, laquelle était encore vierge. Or beaucoup de gens, avant d'avoir compris le sens de ces paroles, s'étonnent et demandent comment chose pareille put advenir. Elle advint pourtant, et ce fut là une très grave faute."

Perceval l'interrompit : "Bel oncle, dit-il, je ne puis croire qu'il en ait été ainsi. De quel père était donc né l'homme qui ravit la pureté virginale de son aïeule comme tu me le contes ? Tu aurais mieux fait de te taire sur ce point ! - Je vais pourtant te l'expliquer, répondit l'ermite, et si je ne dis pas la vérité vraie, regarde-moi comme un trompeur abominable. Il ne faut pas s'arrêter aux mots, mais en comprendre le sens profond. C'est la terre qui était la mère d'Adam, puisqu'il se nourrissait des fruits de la terre. En ce temps-là, la terre était encore vierge. Mais Adam fut le père de Caïn, lequel tua son frère Abel pour lui disputer un bien misérable. Et quand le sang d'Abel tomba sur la terre pure, c'en fut fait de sa virginité. Vois-tu désormais comment le fils d'Adam ravit la virginité de sa propre aïeule ? - Je le vois, répondit Perceval.

- Alors, reprit l'ermite, naquit la haine entre les hommes, et cette haine n'a jamais cessé depuis. Toutefois, il n'est rien de si pur au monde qu'une vierge exempte de toute fausseté, et Dieu lui-même fut le fils d'une vierge. Il s'est modelé sur l'image du fils de la première vierge, et cela, de la part d'un être d'une essence aussi haute, prouvait son grand amour pour les hommes. Avec la race d'Adam commença certes notre infortune, mais aussi notre félicité, puisque celui qui est le maître de tous les anges condescend à nous reconnaître comme issus de son lignage. Hélas ! ce lignage entraîne aussi jusqu'à nous une lourde charge de péchés qu'il nous faut supporter.

Pour la supporter, nous devons prier Dieu de nous accorder son aide. Si nous sommes sincères, il ne la refuse jamais. Ayant, par loyal amour, revêtu forme humaine, il a, par empressement loyal, ardemment combattu la déloyauté. N'aie donc point de rancune à son encontre si tu ne veux compromettre ta destinée. Montre-toi moins inconsidéré en tes paroles et en tes actions. Je vais te dire quel châtiment attend celui qui prétend venger ses souffrances par des paroles de démesure : lui-même se condamne par sa propre bouche. Crois-en le témoignage des sages de l'ancien temps : il est toujours vrai et nous garantit la vérité de ce discours. Platon l'avait déjà dit en son temps, et la Sibylle aussi, qui fut prophétesse. Sans se tromper en rien, ils ont annoncé, de longues années à l'avance, la venue certaine de celui qui rachèterait la race humaine. Celui dont la main régit l'univers nous a, avec son amour divin, arrachés à la noirceur de l'enfer ; il n'y a laissé que ceux qui ne savent point commander à leurs passions.

Les justes paroles de ces prophètes nous parlent de celui qui sait véritablement aimer. C'est une lumière qui pénètre au fond de toutes choses. Rien ne peut faire chanceler cette force d'amour. Tous ceux à qui il manifeste son amour connaissent en cet amour une joie intense. Mais, en ce monde, les hommes agissent fort diversement : ils peuvent, à leur guise, acquérir son amour ou bien s'attirer sa colère. Demande-toi lequel des deux te sera du plus grand secours. Le malheureux qui n'éprouve point de repentir fuit le loyal amour divin ; l'homme qui reconnaît ses torts et souhaite les expier s'attire une grâce sans prix. Cette grâce lui viendra de celui qui sonde jusqu'au tréfonds de nos pensées les plus secrètes. Car la pensée peut se soustraire au regard du soleil, la pensée, bien qu'aucune serrure ne l'enferme, peut demeurer cachée, impénétrable à toute créature mais, dans quelques ténèbres qu'elle se complaise, Dieu la déchiffre sans peine. Il a le pouvoir de tout éclairer, et son éclat rayonne à travers la paroi ténébreuse dont s'enveloppe la pensée, il plonge jusqu'au fond d'un élan que nul n'aperçoit ni ne peut entendre.

Quand la pensée jaillit du fond de nous-mêmes, elle n'est jamais si rapide que Dieu n'ait eu le loisir de l'examiner avant que du cœur elle n'arrive jusqu'à la peau. Et quand cette pensée est pure, il l'accueille avec bonté. Si Dieu sait ainsi pénétrer toutes nos pensées, quelle ne doit pas être sa douleur devant les actes que nous dicte notre faiblesse ! Quand les œuvres d'un homme écartent de lui la faveur divine et accablent Dieu de honte, de quel secours lui serait donc le savoir du monde ? Où sa pauvre âme pourrait-elle trouver refuge ? Si tu es décidé à affliger Dieu, c'est en définitive toi-même que tu affligeras le plus. Tourne donc ton cœur vers le bien, mérite que Dieu récompense ton bon vouloir."

* D'après l'œuvre de Wolfram von Eschenbach


Jean Markale, Perceval le Gallois (1995), dans Le cycle du graal, tome 2

2 commentaires:

Anonyme a dit…

pourquoi pas:)

Anonyme a dit…

Si je puis me permettre, le choix des ouvrages de Jean Markale est un mauvais choix. Ce soi-disant spécialiste s'est paré de diplômes imaginaires qui n'ont jamais été vérifiés de son vivant par ses éditeurs. Cela peut sembler anecdotique, mais en réalité c'est lourd de contresens, d'incompréhensions, de traductions erronées. Enfin et pour finir, cet hurluberlu affirma, sans rire le moins du monde, à un journaliste qu'il utilisait une grille marxiste pour décoder la mythologie celtique et les textes légendaires médiévaux.