samedi 3 mai 2008 | By: Mickaelus

"Le renard, le singe ou les animaux", ou critique de l'élection du chef de l'Etat, par Jean de La Fontaine

Cette fable m'apparaît comme étonnamment moderne en ce sens qu'elle semble écrite tout spécialement pour critiquer le mode d'élection du chef de l'État de la Ve République. L'espèce de l'animal à qui échoit la couronne est tout à fait significative de ce point de vue : c'est un singe ! Or ce singe est choisi par ses comparses les animaux parce qu'il a su les divertir, capter leur attention par l'entremise de grimaces et autres singeries. Ces singeries s'appellent dans notre société politique contemporaine une campagne électorale, qui a pour ambition de faire de fausses promesses qu'on sait ne pas pouvoir tenir pour contenter le peuple et lui rendre le sourire... pour un temps seulement ! Le renard symbolise quant à lui, autant qu'un rival qui peut être un traître de son propre camp, l'opposition, etc., le peuple qui est prêt à se défaire de son chef élu dès lors que la lune de miel électorale aura perdu de son aura mystificatrice. Cette élection faite de haine et d'amour renvoie au problème soulevé par la légitimité perdue : le suffrage populaire ne paraît à personne légitime parce qu'on juge toujours que le président est celui d'un camp ou qu'il nous doit quelque chose, à nous personnellement, parce qu'on a voté pour lui - et d'autant plus dans le cas contraire ! La vraie légitimité royale avait pour avantage d'appartenir au roi de France et non des Français, un roi qu'on ne choisissait pas mais que la tradition - et donc Dieu puisqu'il la valide par le sacre - désignait. Le roi n'usurpait pas la confiance du peuple par des singeries électorales, mais avait tout intérêt à œuvrer pour son bonheur et pour le bien commun de la France puisqu'il avait à transmettre son patrimoine à son héritier. Ajoutons à cela, puisque la fin de la fable pose le problème de la capacité du monarque, que le roi est formé dès son plus jeune âge à son noble métier et qu'il ne poursuit pas l'ambition personnelle, ni celle d'un camp, mais la gloire de son pays dont il est l'incarnation légitime et naturelle.


LE RENARD, LE SINGE ET LES ANIMAUX

Les Animaux, au décès d'un Lion,
En son vivant prince de la contrée,
Pour faire un roi s'assemblèrent, dit-on.
De son étui la couronne est tirée :
Dans une chartre un dragon la gardait.
Il se trouva que, sur tous essayée,
A pas un d'eux elle ne convenait :
Plusieurs avaient la tête trop menue,
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue.
Le Singe aussi fit l'épreuve en riant ;
Et par plaisir la tiare essayant,
Il fit autour force grimaceries,
Tours de souplesse, et mille singeries,
Passa dedans ainsi qu'en un cerceau.
Aux Animaux cela sembla si beau,
Qu'il fut élu : chacun lui fit hommage.
Le Renard seul regretta son suffrage,
Sans toutefois montrer son sentiment.
Quand il eut fait son petit compliment,
Il dit au Roi : "Je sais, Sire, une cache,
Et ne crois pas qu'autre que moi la sache.
Or tout trésor, par droit de royauté,
Appartient, Sire, à Votre Majesté."
Le nouveau roi bâille après la finance ;
Lui-même y court pour n'être pas trompé.
C'était un piège : il y fut attrapé.
Le Renard dit, au nom de l'assistance :
"Prétendrais-tu nous gouverner encor,
Ne sachant pas te conduire toi-même ?"
Il fut démis ; et l'on tomba d'accord
Qu'à peu de gens convient le diadème.

Jean de La Fontaine : Fables