jeudi 27 septembre 2007 | By: Mickaelus

La généalogie de Louis XIV

"[...] Comme les astrologues s'attachent à la conjonction des astres, ainsi les historiens du temps passé scrutaient-ils volontiers les généalogies princières dans l'espoir d'y trouver la clef des grands destins. Nous pourrions dire, à leur exemple : à son aïeul Henri IV, Louis empruntera la bravoure, la ruse, le sens du secret, le goût des belles femmes. Il tiendra du roi d'Espagne Philippe II, son bisaïeul, l'obsession de bien accomplir son métier monarchique. Ce type de considérations, qui n'est plus à la mode, n'était pas sans valeur : dans les grandes familles, et même dans toutes lignées fidèles à certaine tradition, la contemplation des ancêtres pèse parfois plus que la mystérieuse action de l'hérédité.


Mais bientôt la galerie des aïeux s'anime étrangement, grouille, laisse voir mille visages souvent étranges, toujours contrastés. Dans celle de Louis XIV apparaissent l'empereur Charles Quint, mais aussi Rurik le Viking, souche de la noblesse russe, Frédéric Barberousse, Charles le Téméraire, le condottiere Jean de Médicis, le doux poète Charles d'Orléans. Certaines répétitions de personnages, presque lancinantes, méritent d'être notées : du Téméraire notre héros descend six fois, d'Inès de Castro - la reine morte - vingt-deux fois ; et trois cent soixante-huit fois de saint Louis, dont il n'eut pas la sainteté, mais dont il hérita le gallicanisme. Enfin n'est-il pas émouvant de savoir Louis le Grand, en sa vie souvent fidèle à l'héroïsme cornélien, descendu quinze cent soixante-quinze fois du Cid Campeador ?

Les grandes dynasties, alliées par-delà les frontières, sont toujours un peu cosmopolites. Pourtant chacun s'efforce de déceler chez tout illustre monarque la nationalité dominante. Maurice Barrès écrivait froidement : « Louis XIV est un Médicis. Bonaparte est toscan. Sublime Toscane. » Quelques auteurs plus méthodiques ont examinés les quartiers ascendants du souverain (on sait que les quatre quartiers d'un personnage sont ses quatre grands-parents, les huit quartiers, ses huit arrière-grands-parents, etc.). Les uns pensent y découvrir une majorité allemande, ce qui prédisposait le roi de France en 1658 à une éventuelle candidature à l'Empire. D'autres ne voyaient que ses ancêtres espagnols, et prédestinaient en conséquence le créateur de Versailles à imposer une stricte étiquette de cour. Personne n'avait la patience de remonter assez haut dans le temps. Aujourd'hui, un généalogiste a voulu en avoir le cœur net. Il a retrouvé cinq cent dix des cinq cent douze quartiers ascendants de Louis XIV, c'est-à-dire les ancêtres du Roi examinés en coupe à la dixième génération. L'élément germanique (quarante-trois quartiers allemands et quatorze autrichiens) n'y représente que onze pour cent ; les Slaves (trente-six quartiers) et les Anglais (rencontrés trente-cinq fois), chacun sept pour cent. Les pays latins font le reste de l'ascendance royale, soit soixante-quinze pour cent : cent quarante-cinq quartiers français, huit lorrains et cinq de la maison de Savoie, cent trente-trois quartiers espagnols, cinquante portugais, quarante et un italiens. Le roi de France est tout de même assez français.

Au reste, ces questions ne préoccupaient nullement nos pères. Non seulement le Roi était français par essence - quand il aurait compté trente et un quartiers étrangers sur trente-deux -, mais ce caractère était imprescriptible. D'après le vieux droit public, un prince de la lignée directe (masculine) de Hugues Capet, né légitime, ne pouvait perdre sa qualité de Français. En 1589, Henri de Bourbon n'avait pas été gêné par son titre de roi de Navarre - souveraineté étrangère -, mais par son protestantisme ; et l'on n'avait pas davantage reproché à Henri III d'avoir provisoirement régné sur la Pologne. C'est pourquoi, lorsque se posera, à la fin du règne de Louis XIV, la question d'une candidature française à la couronne d'Espagne, le duc d'Anjou - devenu Philippe V - savait qu'il conservait et conserverait tous ses droits à une éventuelle succession au trône de France. Aucune convention internationale ne pouvait sur ce point l'emporter sur l'usage du royaume. Ce n'était pas une banale coutume, mais une loi fondamentale, élément imprescriptible de notre constitution non écrite.

D'ailleurs, n'est-il pas inadéquat, à ainsi dénombrer les quartiers ascendants de nos princes, de marquer les reines de France à l'encre indélébile, de leur "nationalité" de naissance ? Le "royaume de Catherine de Médicis", veuve de Henri II et régente, ne se situe point, que l'on sache, en Toscane... Et si Anne d'Autriche, comme nous y avons fait allusion, n'a pas toujours résisté, du vivant de Louis XIII, à la tentation des intelligences espagnoles, tout changea avec son veuvage. Dès 1643, elle ne sera que reine de France, plus patriote, mieux dévouée aux intérêts de son pays d'adoption que bien des princes de la maison de France. Telle est la force et l'efficacité des lois fondamentales. Non contentes de canaliser notre droit public au long des siècles, elles impressionnent les sensibilités et fondent les meilleures traditions de la cour. Après la mort de son mari, Anne d'Autriche, devenue la Reine mère, n'aura plus d'espagnol que sa fierté, son sens de l'honneur et les formes de sa dévotion."

François Bluche, Le grand règne, Louis XIV, p. 270-272