vendredi 15 décembre 2006 | By: Mickaelus

Le bal des prétendants

La scène démocratique est prête à briller encore une fois pour le grand spectacle dont les représentations culminantes se dérouleront en avril 2007. Déjà les acteurs des diverses troupes se préparent. On soigne son apparence et ses discours, on aguiche les spectateurs. Je veux bien sûr parler des élections présidentielles qui s'annoncent déjà prometteuses en démagogie, fausses promesses, retournements de veste, stratégies inédites, coups bas, ralliements imprévus. Tous les ingrédients sont réunis pour faire vibrer tous les Français d'ici le mois d'avril et leur faire oublier qu'on se paie leur tête depuis... oh, vous n'étiez pas nés ! C'est encore mieux que TF1 et sa volonté de rendre du temps de cerveau disponible.

Pour aller de gauche à droite (quoique sur la fin ce sera discutable compte tenu de certaines évolutions), considérons d'abord l'extrême gauche dont la situation paraît anarchique. Ce n'est sans doute pas étonnant pour l'extrême gauche mais il convient de le préciser alors qu'on y espérait se regrouper autour d'une candidature antilibérale unique pour s'inscrire dans la dynamique du "non de gauche" à la constitution européenne et donc la faire fructifier. Tout le monde s'accorde bien entendu sur les principes mais personne sur un nom. Il semble donc à peu près certain qu'en plus de la candidature annoncée d'Arlette Laguiller et de celle d'Olivier Besancenot on ait à compter avec celle de Marie-George Buffet. A moins qu'elle ne se rallie à Marie-Ségolène Royale ? Toujours est-il que cette division très à gauche en affaiblissant le PS est profitable à des candidatures intéressantes très à droite.

Est-il besoin d'évoquer les Verts donc la position n'est pas tant anarchique que chaotique ? Ayant délaissés depuis toujours l'écologie au profit du gauchisme, les Verts sont mis à mal par l'apparition de Nicolas Hulot qui leur vole la vedette dans le coeur des Français... et des media ! Celui-ci, dont la candidature envisagée n'a sans doute pour but que de faire approuver son pacte écologique par les partis du système, aura toutefois contribué à mettre encore plus bas, s'il est possible, ce parti.

Venons-en au Parti Socialiste, qui est un morceau de choix dans le domaine de la mise en scène. Malgré une victoire qu'il faut bien qualifier d'écrasante lors des dernières élections régionales face à la droite, malgré un soutien de la contestation populaire jamais pris en défaut comme lors des frondes anti-CPE, le PS de François Hollande a longtemps brillé par son absence d'idées et de projet - si on omet le populisme économique. Parce que je regarde assez régulièrement les émissions dites politiques, j'ai souvenance à cet égard d'un désespoir assez palpable de l'électeur et du sympathisant de gauche qui, jalousant les performances médiatiques d'un Nicolas Sarkozy, déplorait qu'on ne compte pas un tel homme dans les rangs de la gauche qui reconnaissait elle-même le grand "professionnalisme" de l'homme. On aurait pu penser au retour de Bernard Tapie ; raté ! Une autre occasion s'est présentée lors des élections présidentielles du Chili, qui ont vu, comme chacun sait, la victoire d'une femme, Michelle Bachelet, et socialiste en plus ! Le PS ne pouvait que marquer le coup et c'était Jack Lang qui devait être son émissaire au Chili. Sauf qu'il s'est fait doubler par quelqu'un qu'il n'avait pas vu venir, Marie-Ségolène Royal : l'association des mots femme et socialiste avait fait tilt dans l'esprit de plus d'un intéressé de gauche. "Et si on remplaçait le combat des chefs par le combat des sexes ?" Dès lors sans doute a commencé à germer dans la tête de celui qui a pour ambition de devenir la première dame de France l'idéal d'un duel Sarko-Ségo. Tout s'est ensuite accéléré pour Marie-Ségolène qui s'est vue propulser du rang d'obscure conseillère régionale du Poitou à celui de star nationale. Les media l'ont tout de suite adoptée malgré les grincements de dent des divers éléphants du PS, qui ne pouvaient rivaliser en posant en faisant publier une photo d'eux en maillot de bain comme leur rivale. Jospin lui-même, qui préparait son retour depuis l'Île de Ré comme jadis Napoléon de l'Île d'Elbe, a été renié par nombre d'anciens amis. Le PS et ses militants avaient ce qu'ils voulaient : une performatrice médiatique capable de rivaliser avec Sarkozy sur son propre terrain. Peu importait les idées qu'elle n'avait pas, on allait utiliser son image bonne France pour essayer de concurrencer la droite sur le terrain de la sécurité. Mieux, le vide patent du PS et de sa prétendante de plus en plus attitrée allait devenir une arme : c'étaient les Français qui allaient devoir dicter à Marie-Ségolène ce qu'elle allait leur proposer. On a rarement vu mieux au niveau du populisme et de la démagogie ! Bref, tout cela culmine dans son investiture comme candidate du Parti Socialiste, loin devant Dominique et Laurent ses rivaux. A propos de ce dernier, il convient de parler un peu de Jean-Pierre Chevènement, le président du MRC. Alors qu'il avait soutenu le non à la constitution européenne et qu'il soutenait a priori l'investiture de Laurent Fabius, Chevènement avait récemment annoncé qu'au vu de l'investiture de Marie-Ségolène, il était candidat à l'élection présidentielle et qu'il irait jusqu'au bout. C'est alors qu'il y a peu il semble oublier complètement les motivations politiques qui l'ont animées depuis des années, se justifiant mollement en prétendant que la position de Marie-Ségolène sur l'Europe serait celle des Français. Jean-Pierre serait-il assez naïf pour croire à la politique du vide de la candidate socialiste ? Non, il s'est simplement vu octroyer 10 circonscriptions. On voit donc ce qu'il reste du patriotisme de gauche de façon officielle, ses fidèles n'ayant plus d'autre choix que se rabattre sur des candidatures comme celles de Nicolas Dupont-Aignan ou Philippe de Villiers.

Chez les centristes, on est en pleine "révolution". François Bayrou depuis quelques temps a décidé de s'émanciper de la tutelle de l'UMP et il gesticule beaucoup pour le faire savoir, d'où des accrochages avec quelqu'un comme Gille de Robien qui reste lui fidèle à l'ancienne orientation de l'UDF. Toutefois, à part ne pas voter les projets de l'UMP à l'assemblée quitte à sembler se rapprocher de la gauche, la marge de manoeuvre de Bayrou reste limitée. Le principal intérêt de son positionnement reste qu'il dénonce certains vices du système de façon tout à fait juste. Par exemple, l'omniprésence dans les media de Nicolas Sarkozy et de Marie-Ségolène Royal, alors que personne ne peut prétendre que la campagne présidentielle n'a pas commencé. On peut encore faire valoir ce que souligne Yves-Marie Adeline, le candidat de l'Alliance Royale, à savoir la dénonciation du clivage gauche-droite qui fait s'affronter de manière somme toute stérile des Français idéologisés. Il y a plusieurs façons de dénoncer ce clivage, soit la manière bonapartiste et gaulliste qui se situe au-dessus du clivage gauche-droite, ou encore la manière royaliste, royalisme qui lui est antérieur au clivage gauche-droite. Toujours est-il que François Bayrou ne tire pas les conséquences institutionnelles de la dénonciation de ce clivage et ramène tout à sa personne alors que c'est un roi qui permettrait d'incarner la France au-dessus des clivages idéologiques, pas une présidence centriste qui ferait toujours s'entrechoquer les partis. Si on ajoute à cela que Bayrou a renié depuis longtemps l'héritage démocrate-chrétien de l'UDF, qu'il n'a pas confiance en la France puisqu'il veut une Europe fédérale, on conçoit que cette candidature qui s'affiche neuve ne vaut guère mieux que les autres.

A l'UMP, on a donné le ton depuis bien des mois, ce qui faisait le désespoir de l'autre tenant du système français bipartite, le PS. L'hyper-médiatique ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy a depuis longtemps révélé qu'il ne pensait pas qu'en se rasant le matin à se présenter à l'élection présidentielle de 2007. C'était partir de très loin sans tenir compte d'éventuelles ambitions, comme celles de Dominique de Villepin - définitivement éliminé lors des émeutes anti-CPE -, de Michelle Alliot-Marie - mise au goût du jour par la promotion des femmes de pouvoir -, voire de Jacques Chirac lui-même - dont on fait valoir, par-ci par-là, l'expérience diplomatique utile en cas de situation internationale délicate et surtout l'instinct de survie politique indéniable. Cela semble néanmoins en passe de réussir, la médiatisation extrême et la prise de pouvoir à l'UMP ayant permis d'entretenir la flamme malgré des résultats qui ne sont manifestement pas à la hauteur des ambitions affichées. Nicolas Sarkozy se présente en effet comme l'homme de la rupture et promet ce qu'il n'a pas été capable de faire depuis que lui et ses amis de l'UMP se trouvent au pouvoir. On est donc en droit de se demander si la rupture en question concerne le chiraquisme ou si M. Sarkozy nous propose de façon tout à fait inédite une rupture avec lui-même. Car si l'ambition clairement affichée de Nicolas Sarkozy est de s'approprier des thèmes de la droite nationale comme l'insécurité et l'immigration pour éviter un nouveau 21 avril 2002 - traumatisme initial qui entraîne bien des étrangetés en ce moment, force est de constater que le candidat de la rupture n'est guère offensif. On se souvient évidemment des révoltes de banlieues en novembre 2005, lors de laquelle la police française avait fait preuve d'un immobilisme honteux à cause des ordres de son ministre qui se félicitait de cette "police républicaine" et de n'avoir pas orchestré une répression à l'américaine. On se souvient encore des occupations sauvages d'établissements scolaires à l'occasion du mouvement anti-CPE, alors qu'il s'agissait d'une loi votée par le Parlement français et confirmée par le Conseil constitutionnel ; là encore, pas de réaction par démission et par peur. C'est la même chose à propos de l'immigration, quand Nicolas Sarkozy propose des solutions de façade qui consistent d'une part avec le concept d'immigration choisie à ajouter une immigration du travail à celle du peuplement que nous subissons déjà, d'autre part à établir avec la discrimination positive une société de passe-droits fondée sur la différenciation ethnique et la préférence étrangère. On se demande donc de quel droit Nicolas Sarkozy s'avance comme le renouveau de la droite, alors qu'il n'est que le produit médiatique d'une droite molle traditionnelle qui a échoué lamentablement. Il reste cependant un bon point à souligner, qui est son opposition apparente à l'entrée de la Turquie en Europe. On peut encore citer le cas de Christine Boutin qui se trouve à droite un peu dans la même posture que Chevènement à gauche. Celle qui voulait promouvoir une droite humaine et sociale s'est ralliée à celui qui pour elle incarne une droite dure aux dérives sécuritaires... contre quelques circonscriptions. Nicolas Dupont-Aignan est lui toujours candidat en tant que gaulliste pur et dur, par opposition aux néogaullistes du type Villepin et Alliot-Marie. Néanmoins, son lien avec l'UMP avec qui il avait promis de rompre en cas de non prise en compte du résultat du référendum du 29 mai lui ôte beaucoup de sa crédibilité, de même qu'il ne prend pas assez en compte la problématique culturelle qui s'impose, ce qui le fait aller jusqu'à considérer Philippe de Villiers comme un "Le Pen light" - quoique cette expression n'ait pas grand sens dans le contexte actuel, on comprend ce qu'il entend par là.

A la droite de l'UMP, et puisqu'il convient de ne pas considérer DLR ou même le CNI comme des entités tout à fait indépendantes ou susceptibles de présenter un candidat à l'élection présidentielle, se situe le Mouvement Pour la France. Ce parti présidé par Philippe de Villiers et dont l'existence est somme toute récente si on la compare à celle de ses concurrents, s'inscrit aujourd'hui dans la dynamique du non de droite à la constitution européenne. Car telle est la caractéristique essentielle du MPF depuis l'origine : être un mouvement de droite souverainiste. Car c'est bien à propos de la construction européenne que Philippe de Villiers diverge initialement fondamentalement de la droite classique, largement européiste et de plus en plus aujourd'hui. Il convient donc de ne pas perdre de vue la problématique européenne lors des présidentielles de 2007, alors que les media promeuvent un duel Sarko-Ségo, deux politiques qui semblent oublier le choix du peuple français en ce qui concerne l'Europe. En outre, si j'ai parlé du souverainisme fondamental pour le MPF, il convient de souligner une légère réorientation du parti qui s'est fait plus manifeste après la victoire du non au référendum, et qui est symbolisée par l'accès de Guillaume Peltier au rang de n°2 du parti et par l'arrivée de quelqu'un comme Jacques Bompard, maire d'Orange. Ainsi, le MPF affiche dès lors une rupture plus nette avec l'UMP ainsi qu'avec le système en général, de même que s'il a toujours défendu les valeurs de la famille et une éthique saine, il prend désormais en compte de façon plus précise les problématiques de l'immigration et de l'identité culturelle de la France - comme en témoignent la publication des Mosquées de Roissy. Le MPF est donc un parti de droite qui corrige les défauts d'une droite molle - l'UMP - qui se compromet avec la gauche sans aller au bout de ce qu'incarne la vraie droite traditionnellement (par exemple en ce qui concerne les 35 heures, le mariage homosexuel). De plus, il convient de noter que Philippe de Villiers n'est pas comme ses concurrents un "candidat hors-sol", c'est-à-dire qu'alors que les autres candidats à la présidence de la république française abreuvent et inondent même les Français de leurs bonnes intentions sans avoir aucune action à leur présenter qui prouverait leur capacité à mettre en oeuvre ce qu'ils promettent - ce serait même plutôt l'inverse pour Sarkozy et Royal - lui peut se prévaloir d'un bilan excellent en Vendée, département qu'il préside depuis environ vingt ans avec succès. L'immigration y est moins présente de même que le chômage, l'économie y est florissante (on compte une entreprise pour 13 habitants alors qu'on en compte seulement une pour 22 sur l'ensemble de la France) et fait se classer le département à la pointe du dynamisme économique ; on peut encore citer d'excellentes initiatives comme la création du Puy du Fou qui allie fierté historique et culturelle et réussite. Avec sa lutte contre l'islamisation de la France, pour sa souveraineté, pour les valeurs de la famille, on peut dire que le MPF est le seul parti républicain français à s'inscrire dans la lignée réactionnaire. Seul bémol, un royaliste comme moi ne peut que regretter la non remise en cause des institutions républicaines comme le fait l'Alliance Royale d'Yves-Marie Adeline.

Le Front National est un parti qui depuis trente ans environ est emblématique de la résistance française et se pose comme une voix qui conteste le système UMPS. Chacun connaît la lutte acharnée menée par son président Jean-Marie Le Pen contre l'immigration subie, pour la préférence nationale, ce qui lui a valu d'être diabolisé, bien souvent à tort - il convient de le souligner. Aujourd'hui, même s'il est quelque peu âgé, Jean-Marie Le Pen entend concourir encore une fois pour essayer de devenir président, motivé comme il l'est par son excellent score d'avril 2002. Brandissant l'ancienneté de son combat comme un étendard, Le Pen méprise la candidature de Philippe de Villiers qu'il voyait déjà en 1995 comme un parasite et un arnaqueur, et aujourd'hui comme un "sous-marin de l'UMP" destiné à lui prendre des voix. C'est aussi dans ce contexte, bien décidé à ne pas perdre de voix inutilement, qu'il a décidé il y a quelques temps de proposer une Union patriotique dont il aurait été le président et à laquelle étaient conviés Philippe de Villiers comme Bruno Mégret, président du MNR. Le premier a décliné une offre perçue comme un baiser de Judas alors que le second, en mauvaise posture de toute façon, a accueilli assez favorablement cette offre. Le Pen voulait surtout ainsi clarifier les choses et se poser en meneur de la droite nationale, et désigner Villiers comme responsable d'une éventuelle défaite en 2007 puisqu'il n'aura pas voulu le rallier. En tout cas, le plus étonnant dans cette campagne présidentielle est un changement de stratégie qui semble majeur au FN, et qui peut avoir plusieurs causes. Tout d'abord l'influence de Marine Le Pen dont l'ambition clairement affichée est la dédiabolisation du FN. C'est ainsi qu'on a pu l'entendre dans les media ne pas se prononcer clairement contre l'avortement, critiquer la dénonciation de l'islamisation de la France par Philippe de Villiers et appeler de ce point de vue à ne pas confessionnaliser le débat. Ensuite, doit-on justement penser qu'il s'agit de maintenir le MPF sur sa droite et de tenter de le ringardiser ? En partie sans doute, mais pas seulement. La posture de Jean-Marie Le Pen tend à confirmer les tendances de sa fille. A propos de la parodie de mariage homosexuel orchestrée à Bègles par Noël Mamère, Le Pen disait n'être pas passionné par cette affaire ; le fait que l'Iran soit pourvue de l'énergie nucléaire voire dotée de l'arme atomique lui semble un droit lié à la souveraineté de tout pays ; les révoltes de novembre 2005 auraient un caractère seulement anarchique et social et pas de dimension ethnique et religieuse. Si on considère en plus de cela la dernière affiche du FN qui représente une personne qui est vraisemblablement d'origine immigrée, on peut se demander si le FN, qui parlait de préférence nationale ou d'inversion des flux migratoires - ce qui pourrait concerner la personne de l'affiche - il n'y a pas si longtemps n'est pas en train d'opérer un changement fondamental. Peut-être faut-il au contraire voir là simplement ce qu'on n'avait pas su voir auparavant : un aspect pro-arabe au sein du FN, sans oublier que Le Pen était favorable à l'Algérie française. Ce qui semble se confirmer, c'est une évolution plus simplement nationaliste du FN, à savoir un parti qui veut de l'ordre sans prendre nécessairement en compte les problématiques culturelles, alors que le MPF se situe au contraire dans un héritage réactionnaire. Les réactions récentes des Identitaires en font foi.