vendredi 16 octobre 2009 | By: Mickaelus

Le crime du seize octobre ou les fantômes de Marly, par M. Lafont d'Aussonne

Monument poétique et historique, élevé à la mémoire de Marie-Antoinette d'Autriche, Reine de France, et du jeune Roi son fils. Par M. Lafont d'Aussonne, auteur de l'Histoire de Mme de Maintenon, et de La cour de Louis XIV.

Eugène Bataille ; Adolf Ulrich Wertmuller, Marie-Antoinette d'Autriche,
reine de France, et ses enfants



Élégie dédiée aux princes de l'Europe

Vox quoque per lucos vulgo exaudita silentes.
Virgile


Une vive clarté, semblable à une aurore boréale, ayant paru, deux années de suite, sur les bois de Marly, après la mort de la Reine, les habitants de ces campagnes attristées se persuadèrent aisément que l'âme de leur Bienfaitrice venait leur demander des prières.

***

Est-il vrai, répondez, Nymphes de ces vallées,
Est-il vrai que la Veuve et la Mère d'un Roi,
Sous les pompeux débris de vos sombres allées,
Se montre et reparaît, sans y causer d'effroi ?

Est-il vrai que le jour où sa tête charmante
Roula, parmi les cris de lâches assassins,
Est le jour que choisit son Ombre gémissante
Pour visiter ces lieux, et pleurer ses destins ?

Les pasteurs, répandus sur vos monts solitaires,
Ont redit ce prodige aux voyageurs surpris.
Nymphes, admettez-moi ; dans vos sacrés mystères :
D'un auguste bienfait mes vers seront le prix.

Une Nymphe, à ces mots, soulevant le feuillage,
Me découvre un sentier, qu'elle indique à mes pas.
Elle fuit ; et, de l'œil, me montre un sarcophage,
Où sont unis un sceptre et la faux du trépas.

Sur ce marbre ignoré, des platanes antiques
Balancent une voûte impénétrable au jour ;
Et des pâles jasmins les vapeurs balsamiques
Parfument cette enceinte et les bois d'alentour.

« Ami des morts, me crie une voix sépulcrale,
« Tes vœux sont exaucés. J'y consens. Tu verras
« Celle qui, toujours grande, et jamais inégale,
« Tandis que tout changeait, seule ne changea pas.

« Le mensonge inhumain poursuivit sa mémoire,
« Et lui dispute encor des cœurs mal affermis.
« Mais le Temps, qui sait tout, va livrer à l'histoire
« Les noms et le secret de ses fiers ennemis.

« Non loin de ces gazons, que sa tombe décore,
« Et qui virent les jours de sa prospérité,
« La Reine apparaîtra. Mais l'aspect de l'aurore
« Dissipera soudain ce Fantôme agité.

« Garde-toi de troubler, par un zèle coupable,
« Le doux recueillement qui plaît tant à son cœur ;
« Garde-toi d'irriter une ombre lamentable,
« Et d'appeler sur toi le regard du malheur. »

L'Oracle avait parlé....... Tout à coup, des nuages
Lugubres et sanglants viennent frapper mes yeux ;
J'entends au loin ce bruit précurseur des orages ;
Et la nuit, de son crêpe, enveloppe les cieux.

L'aquilon , du couchant accourt avec furie.
Les chênes des forêts s'agitent dans les airs.
La tempête mugit, s'étend, se multiplie ;
Et l'horizon s'allume aux feux de mille éclairs.

La foudre éclate, vole....... O dieux ! votre puissance
Vient-elle anéantir un monde corrompu ?.....
Épargnez, s'il se peut, le toit de l'innocence,
Et l'humble mausolée offert à la vertu.

L'horizon s'éclaircit. La lune décroissante
Réfléchit dans les eaux son front calme et serein ;
Elles oiseaux, trompés à sa lueur mourante,
S'apprêtent à chanter le retour du matin.

Minuit sonne. Au signal de l'airain pacifique,
Je sens mon cœur ému. Je frémis. J'aperçois
Comme un point lumineux, une clarté magique
S'avancer et grandir, venant du fond des bois.

Le Fantôme, à pas lents, suit la verte colline.
Je distingue bientôt son regard, ses attraits ;
Je vois, je reconnais cette fierté divine,
Et cette grâce, enfin, le plus beau de ses traits.

ANTOINETTE, à la fleur de sa jeunesse aimable,
Brillait, comme Cypris, au milieu de sa cour :
Sa beauté, maintenant, est douce, inconsolable ;
Commande le respect et dédaigne l'amour.

Mais, quel objet, d'abord, échappait à ma vue ?
Quel est ce jeune enfant qui marche à ses côtés ?
Ses charmes, sa langueur, sa figure ingénue,
Tout révèle un grand Nom, et des adversités.

La Reine le soutient d'une main caressante.
Comme elle, il est vêtu des ornements du deuil...
Cet enfant serait-il la victime étonnante
Que réclame à la fois le monde et le cercueil ?

C'est lui-même. Écoutons parler sa noble Mère ;
Écoutons les accents de sa touchante voix :
« O déplorable Fils d'un trop malheureux Père !
« Sa mort, son échafaud vous mit au rang des rois.

« Votre règne orageux a passé comme l'ombre :
« Vous n'avez succédé qu'à nos cruels revers.
« Et, tué lentement dans un dédale sombre,
« Vous avez disparu de ce triste univers.

« Semblable à ces soleils que l'automne brumeuse
« Sous un ciel obscurci laisse à peine entrevoir,
« Et qui, bientôt, rendus à la nuit ténébreuse,
« Faibles dès le matin, meurent avant le soir.

« Dans les cachots, témoins de ma longue souffrance,
« Je formais votre cœur, j'aidais votre raison ;
« Je vous disais souvent : « Pour régner sur la France,
« Soyez prudent, mon fils, et surtout soyez bon.

« Lorsque vous penserez à ce séjour d'alarmes,
« Pleurez sur nos douleurs, et ne les vengez pas :
« Nourri dans l'amertume, arrosé de nos larmes,
« Que la seule clémence ait pour vous des appas.

« Le peuple, à nos bontés, un jour, rendant hommage,
« Maudira les fureurs qui déchirent son sein ;
« Et la France, attendrie en contemplant votre âge,
« Peut-être chérira son Monarque orphelin.

« Mais, de ces vains honneurs, qu'un abîme environne,
« Le ciel compatissant voulut vous affranchir
« Qui pourra souhaiter un sceptre, une couronne,
« Quand on saura les maux qu'ils nous ont fait souffrir !

« Aux plus noirs attentats je pouvais me soustraire :
« Je pouvais m'élancer vers les Rois protecteurs.
« Mais où porter mes pas !... J'étais épouse et mère :
« Je ne pus séparer mon sort de vos malheurs.

« Loin de vous, de ma fille , et d'une sœur chérie,
« Condamnée à répondre à des juges pervers,
« On me vit abaissée, et non pas avilie :
« Reine jusqu'à la fin, j'étonnai l'univers.

« La victime, autrefois, donnée en sacrifice,
« Couverte de festons arrivait aux autels :
« La fille des Césars est traînée au supplice
« Sous l'habit, sur le char des plus vils criminels !

« O Thérèse, ô ma Mère, ô Reine magnanime !
« Tu connus, comme moi, les caprices du sort ;
« Mais, défiant, du moins, la fortune et le crime,
« Tu sus les désarmer en affrontant la mort.

« Je voulus, comme toi, la braver. Ma constance
« Pouvait sauver ce trône, où me plaça ta main.
« J'avais ta fermeté : je n'eus pas ta puissance.......
« Et nous avons subi les Arrêts du destin. »

À ces mots douloureux, la plaintive Amazone
Se penche vers son Fils, le presse sur son cœur ;
De ses voiles flottants le couvre, l'environne ;
Et des soins maternels fait encor son bonheur.

S'éloignant de ces bords, jadis si magnifiques,
De ces jardins aimés des peuples et des Rois,
ANTOINETTE et son Fils, spectres mélancoliques,
S'élèvent lentement sur la cime des bois.

Leur route dans les airs trace un long météore.
Le plus doux des parfums les précède et les suit.
Ils voudraient s'arrêter... Mais la naissante aurore
Est pour eux le signal de l'éternelle nuit.


Lafont d'Aussonne, Le crime du seize octobre ou les fantômes de Marly (1820)


N. B. Cette pièce a été lue, le 3 mai 1820, à la séance publique et solennelle de l'Académie des Jeux Floraux, par M. Carré, l'un des Quarante, élève et filleul de l'abbé Delille. Le fond du sujet et le grand talent du lecteur ont excité l'attendrissement d'une assemblée immense.
(Note des Éditeurs.)