mercredi 23 janvier 2008 | By: Mickaelus

La Terreur à Arras vue par Vidocq

Le célèbre Vidocq est né en 1775 à Arras dans une maison non loin de celle où naquit le non moins - et tristement - célèbre Robespierre. Justement, le premier évoque dans ses mémoires l'atmosphère de cette période sanglante à Arras en un paragraphe qui pour être bref n'en concentre pas moins toute la violence, l'horreur, la bassesse et la vulgarité de la Révolution.

"On était alors dans le moment de la Terreur. La guillotine fonctionnait chaque jour. Chaque jour la tête des hommes les plus vertueux tombait à la voix du trop célèbre Joseph Lebon, figure ignoble dont la femme, ex-béguine de l'abbaye du Vivier, n'était pas moins avide d'or et de sang. Lui-même, au sortir de ses orgies, courait la ville, tenant des propos obscènes aux femmes, brandissant son sabre, et tirant des coups de pistolet aux oreilles des enfants. Un jour, accompagné de la "Mère Duchesne", marchande de pommes devenue déesse de la Liberté à Arras, il fit guillotiner tous les habitants d'une rue."

A la suite de ce paragraphe terrible, Vidocq narre une de ses mésaventures qui permettra d'apprécier la "justice" révolutionnaire, bien au rebours de ce que pérorait l'ignare Robert Badinter il y a quelques jours à la télévision, à savoir qu'on condamnait enfin les hommes pour ce qu'ils faisaient et non pour ce qu'ils étaient. Je vous laisserai apprécier la justesse de cette formule, tout comme la façon dont les républicains convertissaient de force les "citoyens" à leur religion sanguinaire.

"Au milieu de ces circonstances déplorables, j'eus pourtant la consolation d'être aimé de la jolie Constance, fille du cantinier de la citadelle, puis des quatre filles d'un notaire qui avait son étude au coin de la rue des Capucins. Je le fus aussi d'une beauté de la rue de la Justice, maîtresse d'un ancien musicien de régiment. Une querelle s'éleva entre lui et moi. Selon mon habitude, je voulus qu'on la vidât. Mais le musicien qui maniait mieux l'archet que l'épée, s'y refusa. Alors, pour le déterminer, je lui crachai au visage. Il fut aussitôt convenu qu'on se trouverait le lendemain, sur le terrain. Je fus exact au rendez-vous. Seulement, au lieu du musicien et de son second, je trouvai des gendarmes et des agents de la municipalité qui me conduisirent aux Baudets où l'on entassait, depuis quelque temps, les "suspects" et les aristocrates destinés au dernier supplice. J'y demeurai seize jours, sans pouvoir connaître le motif de ma détention. Enfin, j'appris qu'elle était le fait d'une dénonciation commise par mon rival, qui avait pour ami un terroriste tout-puissant appelé Chevalier. Je m'adressai en vain à deux autres terroristes, l'ancien perruquier de mon père et un cureur de puits nommé Delmotte, dit Lantillette. Joseph Lebon, visitant la prison, me regarda fixement et me dit, d'un ton moitié dur, moitié goguenard : "Ah! ah! c'est toi, François! Tu t'avises donc d'être aristocrate. Tu dis du mal des sans-culottes. Tu regrettes ton ancien régiment de Bourbon. Prends-y garde! car je pourrais bien t'envoyer commander à cuire (guillotiner). Au surplus, envoie-moi ta mère!" Je lui fis observer qu'étant au secret, je ne pouvais la voir. "Beaupré, dit-il alors au geôlier, tu feras entrer la mère Vidocq."
Les instances de ma mère auprès de la sœur du terroriste Chevalier réussirent complètement. Je fus tiré d'une position qui ne laissait pas d'être fort critique. En sortant de prison, je fus conduit en grande pompe à la société patriotique où l'on me commanda de jurer fidélité à la République, haine aux tyrans, etc. Je jurai tout ce que l'on voulut. De quels sacrifices n'est-on pas capable pour conserver sa liberté?"

Vidocq, Les véritables mémoires de Vidocq (1827)