jeudi 5 avril 2007 | By: Mickaelus

Cugand : l'affaire du cimetière (1852)

En complément à cet article sur Cugand que j'ai publié en reprenant des informations glanées sur quelques sites, voici trois articles parus dans "l'Ami de la religion" (que je retranscris ici en respectant quelques traits orthographiques propres à l'époque) qui concernent une affaire qui n'est sans doute pas connue par beaucoup de Cugandais. Cette affaire date de 1852 et, si elle doit intéresser natuellement tout Cugandais soucieux de se retrouver dans un contexte pas si ancien par la date - songeons que 150 ans ne sont pas toujours grand chose dans une civilisation et, en particulier, dans l'histoire de France, sauf à considérer les 200 dernière années qui se sont écoulées justement - elle n'est pas sans renseigner sur les rapports de l'Eglise, du pouvoir d'alors, et de la presse.

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L’Espérance du Peuple rapporte les faits suivants, dont la paroisse de Cugand (Vendée) vient d’être le théâtre :

« La population toute catholique de cette paroisse comptait trois habitants de la secte protestante, propriétaires d’une filature de laine sur les bords de la Sèvre, en un village dit Huche-Loup.

« L’un d’eux, succombant à une longue maladie, le 28 juin dernier, son frère voulut le faire enterrer dans le cimetière, au milieu des catholiques, contre le désir, souvent exprimé par le défunt, d’être enterré sur les côteaux de Huche-Loup.

« L’on prépara une pompe imposante : un ministre calviniste fut mandé de Nantes, tout le village catholique de Huche-Loup fut invité à se rendre à l’enterrement, et tout se disposait pour cette parodie sacrilége de la sépulture chrétienne.

« Le digne curé de la paroisse déclara néanmoins qu’il ne lui était pas possible de consentir à laisser déposer dans le terrain bénit du cimetière le corps de cet homme, notoîrement mort dans l’hérésie. Il se fondait non-seulement sur les lois de l’Eglise, mais encore sur l’art. 15 du décret du 23 prairial an XII ; il indiquait le terrain non bénit et réservé pour ces sortes de sépultures, comme le seul où l’on pût déposer le corps, dans le cas où l’on ne voudrait pas, comme le défunt l’avait dit néanmoins en bien des rencontres, l’enterrer sur ses côteaux.

« Le maire, ne voulant pas prendre sur lui de protéger, comme il devait, l’exercice de la religion catholique, crut devoir consulter le préfet, et lui écrivit une lettre que le frère du défunt alla porter lui-même à Napoléon, pour y plaider sa cause ; il dut y arriver sur les neuf heures du matin, pour en repartir à trois heures de l’après-midi. Ces six heures de séjour à Napoléon furent évidemment insuffisantes pour que le préfet pût consulter, comme on l’a prétendu, le gouvernement par le télégraphe, car la ligne télégraphique s’arrête à Nantes ; mais ce temps suffit pour obtenir une réponse illégale, favorable au protestantisme, et attentatoire aux droits sacrés des catholiques.

« Je cite textuellement cette singulière réponse à double sens et à double entente :

« Napoléon, le 30 juin 1852.

« Monsieur le Maire, en réponse à votre lettre du 29 de ce mois, j’ai l’honneur de vous faire connaître que vous ne devez pas hésiter à désigner à la famille Péquin une place honorable dans le cimetière de votre commune, où elle puisse déposer les restes de son parent décédé. Le décret impérial du 23 prairial an XII donne toute autorité à cet égard et vous en fait une obligation.

Agréez, etc. »

« Cependant, Mgr l’Evêque de Luçon était prévenu le vendredi au soir, 2 juillet, de ce qui s’était passé la veille : il transmit à l’instant ses ordres à M. le vicaire, resté seul dans la paroisse ; car M. le curé s’était rendu à le ville épiscopale pour y porter ces nouvelles si affligeantes.

« Le samedi au soir, le vicaire est informé que le cimetière est interdit, et qu’on n’y célébrera plus, jusqu’à nouvel ordre, les cérémonies de l’inhumation chrétienne ; que le lendemain, solennité des glorieux apôtres saint Pierre et saint Paul, il n’y aura qu’une messe et qu’elle ne sera pas chantée, et qu’au lieu des vêpres, on fera l’exercice du chemin de la croix publiquement et sans aucun chant.

« Les scandales de la soirée du jeudi commençaient à être punis. Cette excellente paroisse de Cugand tomba dans une désolation qu’il serait impossible de décrire. Le vue de la parodie sacrilége d’un enterrement l’avait affligée ; mais le châtiment ecclésiastique arrivant presque aussitôt, remplissait l’âme de chacun des saintes terreurs de la foi.

« A la fermeté de l’autorité ecclésiastique, M. le maire de Cugand conçut de vives inquiétudes, et l’on députa un messager à la préfecture, pour savoir si la lettre du 30 juin avait été bien interprétée.

« L’autorité départementale loua de point en point la conduite de M. le maire de Cugand : elle déclara que c’était la seule marche qu’il eût à tenir ; que le protestant décédé ne pouvait être enterré ailleurs que dans le terrain bénit pour les catholiques ; que si on l’eût enterré dans le terrain réservé pour ceux qui ne sont pas catholiques, elle l’eût fait exhumer pour le faire déposer dans cette partie du cimetière ; que si un juif venait à mourir, elle ferait de même ; que cela ne présentait aucune difficulté, parce que l’Evêque pourrait toujours faire rebénir le cimetière ; que le gouvernement avait été consulté, et qu’une dépêche télégraphique avait indiqué cette marche comme la seule qu’il fût possible de suivre. Telle est la réponse qui se répandit à Cugand immédiatement après le retour du commissaire.

« Mais M. le ministre de l’instruction publique et des cultes n’a pas été de l’avis de la préfecture de la Vendée ; car le 7 juillet, fête de saint Thomas de Cantorbéry, sur les justes plaintes de l’Evêque diocésain, et pour défendre les droits des catholiques, il a ordonné l’exhumation, qui est sans doute faite à l’heure qu’il est ; car on ne peut pas supposer que le préfet résiste aux ordres formels qui lui ont été intimés ; mais il est probable, du reste, que les offices ne se célébreront à Cugand qu’après que le cimetière aura été rétabli dans l’état où il était avant cette triste cérémonie. – Brodu. »


« L’Ami de la religion et du Roi, journal et revue ecclésiastique, politique et littéraire », t. 157, imprimerie Bailly, Divry et Ce, Place Sorbonne, 2, 1852, pp. 168 et 169


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Mgr l’évêque de Luçon vient d’écrire une lettre-circulaire au clergé de son diocèse, pour annoncer à ses respectables et zélés Coopérateurs les circonstances qui le forcent d’interrompre sa tournée pastorale.

La lettre du vénérable prélat, datée du saint jour de Pâques, donne d’abord des nouvelles de la grave affaire du cimetière de Cugand, que nos lecteurs ont suivie avec un si constant intérêt. Elle commence ainsi :

« Nous vous entretenions, il y a quelques temps, nos très-chers Coopérateurs, de la profanation du cimetière de Saint-Pierre de Cugand. Vous avez pu remarquer, en lisant notre mandement relatif à cette déplorable affaire, que l’Eglise, toujours désireuse de procurer la paix, met quelquefois un terme à ses plus justes doléances, même avant d’avoir obtenu la satisfaction qu’elle a le droit d’attendre et la justice qu’elle est fondée à réclamer.

« Les fidèles de cette excellente paroisse, dont on ne saurait trop faire l’éloge, ont reçu ce mandement avec reconnaissance et avec respect ; mais ils nous ont exprimé le désir de voir la bénédiction du cimetière ajournée ; car ils ne peuvent pas croire que la pression sous laquelle ils gémissent, les larmes qu’ils répandent, les soupirs qu’ils poussent, continuent à rester longtemps inaperçus.

« Nous n’aurions pas compris notre ministère, si nous n’avions fait aucun cas de ces répugnances si profondément chrétiennes. Après avoir gémi avec ce bon peuple, dans la visite pastorale, nous avons cherché à le consoler, et nous l’avons soutenu dans la résolution d’adresser à Dieu des prières toujours plus ferventes. »

Après ces détails, Mgr l’évêque de Luçon continue :

« Nous avons lieu de penser, nos très-chers Coopérateurs, que la modération dont nous usions dans ce qui se rattache à cette profanation désolante, ferait cesser les poursuites commencées dès le mois de juillet dernier contre un journal de Nantes (L’Espérance du peuple) auquel vous accordez généralement une estime dont il s’est toujours rendu digne.

« Cette estimable feuille défendit avec zèle le droit des catholiques, et c’est pour avoir été le courageux et fidèle écho de leurs doléances, que le respectable gérant, après une foule de procédures préliminaires (1), se voit maintenant traduit devant le tribunal de police correctionnelle de Rennes, pour le jeudi de la semaine de Quasimodo, 7 avril prochain.

« Il s’y présentera avec la confiance que lui inspirent le bon droit, la pureté de ses intentions, et l’intégrité de ses juges. Il nous a demandé si nous consentirions à déposer dans une affaire où il ne se trouve impliqué que par suite de son dévouement pour la religion. Nous avons regardé comme un devoir sacré de fournir aux magistrats que la Providence investit du droit de prononcer sur cette affaire importante, des renseignements que nous possédons mieux que personne, par suite des sollicitudes que devait nous inspirer un événement aussi douloureux pour la religion.

« Nous n’aurons pas moins de cent lieues à faire pour aller déposer dans l’action que l’on intente à l’Espérance du Peuple, et voilà pourquoi nous interrompons notre visite pendant neuf jours. Nous comprenons, N. T. C. C., tout ce que cette interruption aura de pénible pour vous et pour les fidèles confiés à vos soins ; quel dérangement et quelle augmentation de travaux en résulteront pour quelques-uns d’entre vous ; mais vous apprécierez et vous ferez apprécier par le peuple fidèle l’obligation indispensable où nous sommes de nous rendre aux vœux qui nous ont été exprimés.

« Vous lui direz que nous avons fait ce qui a dépendu de nous pour vous épargner ce désagrément, en demandant au gouvernement, aussitôt que nous avons pu, que l’affaire fût remise au mois de juin prochain, époque où notre visite sera terminée.

« Vous expliquerez au besoin aux fidèles que nous nous présentons, non comme un témoin à charge cité à la réquisition du ministère public, ce qui est toujours pénible et odieux pour les pasteurs des peuples, mais que nous allons, après y avoir consenti, faire connaître des faits très-intimement liés aux libertés qui ne devraient jamais être contestées aux catholiques. »

Tous les catholiques s’uniront aux vœux de Mgr l’évêque de Luçon en faveur de l’un des organes qui soutiennent en province leur cause avec le plus de fidélité et de succès. On ne se rend pas assez compte des difficultés et des épreuves auxquelles sont en butte les journaux qui, dans un chef-lieu de département, défendent pied à pied les intérêts sacrés de la Religion et de la vérité. Aussi ont-ils des droits tout particuliers aux sympathies de leurs frères et aux encouragements de leurs pasteurs. On voit qu’à l’occasion le témoignage ne leur manque pas. La démarche que Mgr l’évêque de Luçon veut bien faire en faveur de l’Espérance du Peuple, est assurément la meilleure récompense qu’elle puisse recevoir dès à présent de ses généreux efforts. Cette démarche montre aussi quelles inspirations animent le cœur du vénérable prélat !

Charles DE RIANCEY

Mgr de Luçon ajoute à sa lettre-circulaire le P. S. suivant sous ce titre : Avis important sur la Liturgie romaine.

L’époque annoncée au Synode de septembre 1850, pour le rétablissement de la liturgie romaine dans le diocèse, est presque venue ; nous préparons avec autant d’activité que possible tout ce qui est nécessaire pour cette sainte et grande entreprise.

Les conseils de fabrique devront, dans la séance du dimanche de Quasimodo, voter les fonds nécessaires pour l’acquisition du missel et du rituel romains, du cérémonial et des livres de chant, in-folio et in-12. Une somme de 120 francs pourra suffire pour se procurer un exemplaire de tous et de chacun de ces livres liturgiques, reliés en bonne basane.

(1) Cette affaire ressortissait du tribunal de Nantes, où les catholiques de Cugand pouvaient se rendre assez facilement pour faire connaître la vérité : au lieu de 12 lieues, ils en auront 72 à faire pour aller déposer leur témoignage.


« L’Ami de la religion et du Roi, journal et revue ecclésiastique, politique et littéraire », t. 160, imprimerie de H. Vrayet de Suroy et Ce, rue de Sevres, 37, 1853, pp. 7 à 9


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Affaire de Cugand

La cour de Cassation vient de rendre un arrêt qui restera comme un des monuments les plus importants de sa jurisprudence et comme un titre à la reconnaissance du clergé et des catholiques. Il ne nous appartient pas d’apprécier les actes du tribunal suprême ; mais, mieux que nos paroles, le résumé de toute l’affaire que la Gazette des Tribunaux a cru devoir publier, avec les principales pièces qui en composent le dossier, montrera combien la solution qui vient d’être enfin obtenue de la haute équité de notre magistrature intéresse les droits de l’Eglise et ceux de la liberté. Voilà pourquoi nous faisons à ce journal un emprunt dont tous nos lecteurs nous saurons gré. CHARLES DE RIANCEY

D’abord, la Gazette des Tribunaux précise ainsi les deux questions soulevées :

L’appréciation morale que fait le journaliste d’un fait vrai et dont d’ailleurs cette appréciation n’est pas de nature à changer le caractère, ne constitue pas le délit de publication de fausse nouvelle prévu et réprimé par l’article 15, § 1er du décret du 17 février 1852.

Il y a lieu d’annuler, pour défaut de motifs, le jugement du tribunal correctionnel qui, en matière de presse, ne rappelle pas les faits sur lesquels il fonde les motifs de sa décision, et qui ainsi ne met pas la Cour de cassation à même d’apprécier les éléments constitutifs de cette décision. Cette appréciation souveraine appartient toujours à la Cour de cassation en matière de délits commis par la voie de la presse.

Quoique nous ayons rapporté les faits essentiels du procès, on en retrouvera ici avec intérêt les circonstances les plus exactes et les plus détaillées.

Le 30 juin 1852, un des habitants de la commune de Cugand (Vendée) est mort au village de Hucheloup, où il avait fondé une manufacture.

Il était protestant ; dans le département de la Vendée, il y a plusieurs communes renfermant un certain nombre de calvinistes, mais toute la population de Cugand est catholique, à l’exception du défunt, de son frère et de son neveu.

Un seul culte étant professé dans la commune, il n’y a qu’un cimetière ; seulement, en exécution des instructions, on a conservé à l’extrémité du terrain bénit, destiné à la sépulture des catholiques, un espace de vingt-cinq mètres pour l’inhumation soit des enfants morts sans baptême, soit des autres personnes non catholiques qui viendraient à décéder sur le territoire de Cugand.

La famille du défunt ne jugeant pas cette place convenable pour le corps de son parent, insista près du maire pour qu’une autre place fût indiquée par lui.

Le maire consulta le préfet de la Vendée, et, malgré l’opposition de M. le curé de Cugand, fondée sur les lois de l’Eglise et sur le texte même du décret du 23 prairial an XII, sainement entendu, on se détermina à enterrer le défunt dans la partie bénite du cimetière, et à quelques centimètres seulement d’une tombe catholique.

Ce fait donna lieu à une protestation de Mgr l’évêque de Luçon et à l’emploi des mesures canoniques prescrites par le vénérable prélat. Il est inutile pour l’exposé des faits d’entrer dans le détail de la correspondance administrative à laquelle ils ont donné lieu et d’analyser les phases diverses de cette correspondance. C’est le 1er juillet 1852 que les funérailles ont été faites et présidées par un ministre calviniste de Nantes.

Le 13 juillet, l’Espérance du Peuple publiait une narration des faits, que M. le préfet de la Vendée considéra immédiatement comme renfermant plusieurs délits.

Sur une plainte de ce magistrat, adressée au procureur général près la cour de Rennes, M. Brodu, gérant du journal, fut poursuivi par le parquet de Nantes.

L’ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de Nantes, ordonnant le renvoi de M. Brodu en police correctionnelle, est à la date du 24 août 1852 ; il est important d’en transcrire ici les termes, qui précisent parfaitement l’objet de la prévention :

« Le tribunal de première instance de l’arrondissement de Nantes, réuni en la chambre du conseil, conformément à l’article 172 du Code d’instruction criminelle,

« Vu la lettre de M. le procureur général de Rennes, du 19 juillet dernier, contenant un extrait des observations à lui adressées par M. le préfet de la Vendée, sur un article intitulé Chronique de la Vendée, publié par le journal l’Espérance du Peuple ;

« Le réquisitoire introductif de M. le procureur de la république, en date du 24 du même mois, tendant à ce qu’il soit informé contre le sieur Brodu, gérant du journal, sous l’inculpation d’avoir porté atteinte à la paix publique, publié ou reproduit des nouvelles fausses ;

« Enfin le réquisitoire du ministère public, en date du 20 de ce mois ;

« Considérant qu’il existe prévention suffisamment établie contre Jean Brodu, gérant de l’Espérance du Peuple, d’avoir dans un article intitulé : Chronique de la Vendée, commençant par ces mots : « La belle paroisse de Cugand, » et finissant par ceux-ci : « Quelque haut placés qu’ils soient, etc. , » inséré dans ledit journal, n° 149, du 13 juillet 1852, imprimé, publié et distribué à Nantes, et qu’il a signé de son nom, rapporté d’une manière inexacte et présenté avec des circonstances accessoirement fausses, les incidents qui se produit à l’occasion de l’inhumation du sieur Péquin, filateur à Cugand, et appartenant de son vivant à la religion réformée ;

« Que s’il est vrai que, par une nécessité tenant à la disposition des lieux et à l’urgence, le corps du sieur Péquin a été déposé dans un terrain dépendant antérieurement du cimetière catholique de Cugand, et si le cortége, conduit par un pasteur protestant, est entré dans ce cimetière par la porte destinée au convoi des catholiques ;

« Que s’il est regrettable, d’un autre côté, que des écrits protestants aient été distribuées sans l’autorisation de l’autorité administrative, à une population professant un culte différent, il paraît certain, contrairement à ce qui est exposé dans le paragraphe commençant par ces mots : « Le village de Hucheloup, » et finissant par ceux-ci : « Cette scène dérisoire, » que la cérémonie funèbre se serait passée avec un décence parfaite ; qu’aucune personne n’aurait été contrainte d’y assister, et qu’enfin il n’aurait été tenu dans le cimetière aucun discours offensant pour la religion catholique ;

« Que, d’autre part, dans le paragraphe commençant par ces mots : « L’autorité départementale, » et finissant par ceux-ci : « Le retour du commissaire, » l’auteur de l’article attribue au préfet de la Vendée des propos que ce fonctionnaire nie avoir tenus ;

« Qu’en outre, il paraît inexact d’affirmer, comme le fait le sieur Brodu, que cinquante hommes de la paroisse de Cugand avaient voulu aller, en plein jour, déterrer le corps et qu’ils avaient été retenus par le vicaire ;

« Considérant que ce récit, empreint d’un zèle religieux exagéré, d’un événement qui a excité quelque émotion dans la commune de Cugand, est de nature à troubler la paix publique, mais que cette publication ne paraît pas avoir été faite de mauvaise foi ;

« Considérant qu’en publiant l’article dont il s’agit, Brodu est suffisamment prévenu d’avoir, en excitant le mérpris ou la haine des citoyens les uns contre les autres, cherché à troubler la paix publique ;

« Considérant, quant à l’inculpation du délit de fausse signature, énoncé dans le réquisitoire final du ministère public, que ce chef n’a pas été articulé dans le cours de l’instruction, et que Brodu n’a pu, par conséquent, être mis à lieu de s’expliquer à ce sujet dans son interrogatoire ;

« Que, d’ailleurs, la prévention n’est pas établie sur ce point, les observations faites par Brodu pour sa justification sur d’autres faits n’impliquant point de sa part un aveu de ne pas s’être approprié, par la composition et la rédaction, l’article qu’il a inséré dans son journal et qu’il a signé ;

« Par ces motifs,

« 1° Dit qu’il n’y a lieu de mettre Brodu en prévention pour fait de fausse signature ;

« 2° Renvoie Brodu devant le tribunal de police correctionnelle de Nantes, pour y être jugé à raison des autres chefs de prévention ci-dessus prévus et repris par les art. 1er de la loi du 17 mai 1819, 15 du décret du 17 janvier 1852, et 7 de la loi du 11 août 1848 ;

« Ainsi fait à Nantes, en la chambre du conseil, le 21 août 1852. »

Le ministère public s’étant opposé à cette ordonnance, la cour de Rennes fit droit à son opposition et renvoya M. Brodu devant le tribunal de police correctionnelle de Rennes pour y être jugé, non-seulement sur le délit de fausse signature, qui lui était en dernier lieu reproché, mais encore sur les autres délits relevés et caractérisés par l’ordonnance du tribunal de Nantes.

La compétence du tribunal de Rennes a été maintenue en définitive par un arrêt de la Cour de cassation.

Enfin, le 7 avril 1853, la cause a été plaidée devant le tribunal de police correctionnelle de Rennes.

Le jugement fut rendu le 14 avril. (Nous en avons donné le texte dans le n° 5516, t. 160, p. 149 de l’Ami de la Religion.)

Appel de ce jugement, fut interjeté par le sieur Marc.

La condamnation a été confirmée purement et simplement par arrêt de la cour de Rennes.

C’est contre cet arrêt qu’a été dirigé le pourvoi, et aujourd’hui la Cour de cassation en était saisie.

Le pourvoi est fondé sur la violation de l’art. 1er, § 15 du décret du 17 février 1852, de l’art. 155 du Code d’instruction criminelle et 7 de la loi du 20 avril 1810.

M. le conseiller Moreau (de la Seine) fait le rapport de l’affaire.

Me Bosviel, avocat du gérant du journal l’Espérance du Peuple, s’attache à justifier le pourvoi en développant les propositions suivantes :

1° La cour de cassation est compétente pour réviser l’appréciation des faits constitutifs de la fausse nouvelle, au point de vue du décret du 17 février 1852. La cour de cassation a bien des fois reconnu qu’il lui appartenait de déterminer le caractère des faits dans leur rapport avec les loirs répressives, et l’étendue de son appréciation en matière de délit de presse est constatée par des monuments nombreux de jurisprudence ;

2° Au fond, les faits constatés comme inexacts par l’arrêt attaqué ne constituent pas le délit de fausse nouvelle. En effet, sur les trois circonstances relevées par l’arrêt comme inexactes, deux ne sont que des appréciations des sentiments des assistants au convoi ou de l’esprit de certaines paroles attribuées au préfet de la Vendée, ce qui ne saurait constituer la fausseté matérielle d’un fait ; et la troisième ne consister que dans quelques paroles attribuées à M. le préfet, et qui seraient différentes de celles qu’il aurait réellement prononcées.

Mais cette circonstance n’est évidemment qu’un accessoire indifférent, et qui ne peut constituer à lui seul une fausse nouvelle, sans arriver à des impossibilités absolues pour la rédaction des journaux.

3° En supposant même que cette circonstance pût, à raison de son importance, constituer le délit de faux, il faudrait au moins que la Cour de cassation fût mise à même de la juger. Or, la cour de Rennes n’ayant rapporté ni dans les motifs, ni dans le dispositif de son arrêt, les paroles attribuées par le journaliste au préfet et celles que ce magistrat a réellement prononcées, elle a mis la Cour de cassation dans l’impuissance de se prononcer, et violé les art. 195 C. instr. crim., et 7 de la loi du 20 avril 1810.

M. le premier avocat général Nicias Gaillard a conclu au rejet du pourvoi sur tous les points ; mais, contrairement à ces conclusions, la Cour a cassé par les deux moyens tirés, le premier de la violation et fausse application du décret du 17 février 1852, et violation des art. 195 du Code d’instruction criminelle et 7 de la loi du 20 avril 1810n l’arrêt de la cour impériale de Rennes, qui a condamné le sieur Brodu, gérant du journal l’Espérance du Peuple, à 200 francs d’amende pour publication d’un fausse nouvelle.


« L’Ami de la religion et du Roi, journal et revue ecclésiastique, politique et littéraire », t. 161, De Soye et Bouchet, Imprimeurs, Paris, 1853, pp. 89 à 92


Source : Gallica