Alors que les candidats du second
tour de l’élection présidentielle de 2017 sont connus depuis quelques jours
désormais, il convient sans doute de s’interroger un peu sur un résultat qui, s’il
avait été prévu voire entretenu et espéré par les sondeurs et les journalistes
par anticipation d’un « front républicain » commode – au bénéfice de
qui, telle était l’inconnue –, n’en demeure pas moins un changement apparent du
fait de l’élimination des représentants des deux partis qui ont gouverné la
France successivement sous la Ve République, c’est-à-dire le Parti socialiste
et les Républicains – anciennement UMP et RPR/UDF.
S’il ne s’agit que d’un
changement de façade à mes yeux, c’est d’abord parce qu’Emmanuel Macron était
tout autant le candidat du Parti socialiste que Benoît Hamon, quoique promu par
une voie différente et plus occulte, et parce que le parti de Marine Le Pen,
que l’on parle du Front national ou d’un hypothétique Rassemblement bleu Marine
post-présidentielles plus large, tend de plus en plus à incarner la droite
républicaine telle qu’elle existait jadis, quand les Républicains, eux,
penchent de manière assez évidente au centre ou au centre-droit selon les cas,
le RPR ayant été absorbé par l’UDF et non l’inverse.
S’il doit y avoir un véritable
bouleversement politique à l’occasion de cette élection présidentielle, c’est
bien plutôt par un jeu de recomposition qui n’est en vérité qu’une
clarification assez nécessaire : en ne soutenant pas Benoît Hamon, toute
une frange du Parti socialiste a soutenu Macron ne serait-ce que par un silence
significatif dans le meilleur des cas ; en appelant à voter pour le même
Macron au second tour de l’élection, presque tous les représentants historiques
des Républicains, de François Fillon à Alain Juppé en passant par Nicolas
Sarkozy, ont prouvé que l’opposition entre centre-gauche et centre-droit n’avait
bel et bien été que du cinéma pendant des années. Au vain spectacle d’illusionniste
de l’opposition gauche-droite, simulacre advenant sous le regard bienveillant de
l’Union européenne aux commandes, doit succéder une confrontation plus vive car
plus réelle entre les tenants de la mondialisation d’un côté, et ceux des états
nations de l’autre, à cela s’ajoutant une mise en question des élites
politiques et de leur rôle.
Bien que le royalisme ni, plus
précisément, le légitimisme ne soient naturellement pas concernés par une telle
élection présidentielle, une connaissance correcte de l’histoire de France
ainsi qu’un regard plus exigeant sur les institutions et leurs conséquences pourraient
permettre d’y voir un peu plus clair dans l’émergence de ce clivage qui
couvait, en vérité, depuis Maastricht et qui ne pouvait que s’imposer de plus
en plus depuis le referendum sur la constitution européenne de 2005, organisé
sous Jacques Chirac, et son reniement effectué par voie parlementaire à travers
le Traité de Lisbonne, sous Nicolas Sarkozy. Car si l’on peine à définir un
thème véritablement prédominant dans cette campagne présidentielle au niveau
médiocre, symbole indubitable de notre triste époque parmi tant d’autres, on
peut tout de même estimer que c’est l’opposition entre mondialisation et
souveraineté qui est la plus parlante, et par laquelle on peut regrouper
d’autres thématiques. Alors, certes, ce n’est hélas pas de souveraineté royale
dont il est question, la seule véritable et opérante sans laquelle ce débat ne
serait pas pertinent de la même façon, mais plutôt de la question d’une
indépendance plus ou moins relative, garantie par le chef de l’Etat d’un régime
contestable autant par son histoire que par sa forme.
Justement, les candidatures de
Benoît Hamon et surtout de Jean-Luc Mélenchon encourageaient à s’interroger sur
le rôle du président par rapport à leur idée de VIe République, mais qui se
contentait de proposer, pour aller vite, un rééquilibrage interne entre les
pouvoirs du président et du parlement, même si Mélenchon prévoyait un débat potentiellement
plus musclé avec l’Union européenne, qu’il n’avait pu l’être avec ses anciens
collègues socialistes libéraux. Mais de fait, si parmi les onze candidats du
premier tour beaucoup avaient des réserves sur l’exercice du pouvoir libéral de
l’UE, seulement trois d’entre eux portaient ces réserves à partir de questions
de principe, ainsi François Asselineau, Nicolas Dupont Aignan et Marine Le Pen.
A côté d’eux, Emmanuel Macron, rejoint « en marche » par François
Bayrou, partisan déclaré et de longue date d’une Europe fédérale et donc de la
fin de la nation française telle que définie actuellement, apparaît comme le
candidat le plus compatible – sans doute plus encore que ne l’était François
Fillon qui pouvait laisser entendre quelques fausses notes en politique
étrangère par rapport à la doxa de l’UE –, avec l’Union européenne telle
qu’elle existe aujourd’hui, et telle qu’elle entend se renforcer demain.
Mais d’où vient donc cet Emmanuel
Macron et que représente-t-il vraiment, relativement aux vieux courants
historiques dont l’analyse peut intéresser des royalistes mais aussi les
amateurs d’histoire et de philosophie politique ? Qu’il ait été banquier d’affaire,
qu’il ait fait, paraît-il, quelques études de philosophie, qu’il ait été
conseiller à l’Élysée et ministre de l’économie, ne nous en révèle sans doute pas
autant, au final, que les soutiens qu’il peut afficher ou que les discours et
les déclarations qu’il peut faire ou pas : le candidat en paroles prévaut
forcément sur une biographie banale, alors que les hommes politiques ne forgent
plus leur caractère au creuset de l’histoire. « En marche » n’en est
pas moins une vraie réussite politique, étonnante même, d’un point de vue
purement formel, mais l’éclat de la forme ne saurait dissimuler le vide d’un
projet politique qui ne vise, finalement, qu’à conforter tous les dogmes du
politiquement correct, en tentant de faire accroire que la nouveauté des
visages et des formules partisanes allait nécessairement présupposer celle de
la politique mise en œuvre ultérieurement. Pour ma part, avec son ancrage dans
le milieu des affaires, le soutien des journalistes et du show-business, celui,
surtout, de tous les libéraux des partis centristes, le candidat Macron m’a
tout l’air sorti du XIXe siècle, du milieu orléaniste et de ce que l’on
appelait alors la gauche dynastique. Alors, s’il n’y a plus de roi bourgeois à
la Louis-Philippe, comme avait feint de le déplorer Emmanuel Macron dans un
article qui avait fait sensation à l’époque, demeure toujours la grande
bourgeoisie et autres affairistes qui sont aujourd’hui les véritables
souverains à travers les multinationales, l’Union européenne, tout ce système
mondialiste qui vise à faire de l’argent la référence absolue et sans rivale
aucune de l’activité comme de la vie humaines. Quand il se pose comme le
candidat patriote contre le nationalisme prétendu de son adversaire, il dévoie
le sens du mot patriotisme, en faisant comme si une politique économique a
priori efficace et bénéficiant aux Français, devait régler tout questionnement
sur l’indépendance de la France ; mais comment se prétendre patriote si la
patrie n’est plus ou qu’elle n’est plus qu’une province européenne, et comment
ne pas poser seulement l’hypothèse que l’on puisse préférer l’indépendance,
quitte à faire quelques sacrifices financiers ? Le candidat Macron
n’hésite pas à détourner le sens des mots et de l’histoire, y compris quand il
reprend ce classique du Parti socialiste : « le nationalisme, c’est
la guerre. » Ainsi donc, il serait
philosophiquement certain que le rétablissement des frontières, d’une monnaie
souveraine, d’un certain patriotisme économique intelligent et un arrêt plus
que vital de l’immigration, engendreraient une guerre avec nos voisins
européens ? On a peine à suivre un raisonnement aussi grossier, sauf à y
voir un chantage éhonté qui consiste à peu près en ceci : « Français,
soit vous renoncez à jamais à toute idée d’indépendance et vous vivrez
tranquilles, soit vous vous accrochez à l’idée d’état nation et vous
succomberez rapidement aux dix plaies d’Egypte. » Il existe pourtant
encore en Europe quelques pays qui ont conservé leurs frontières et leur
monnaie, et ils n’ont pas sombré comme l’Atlantide sous le coup de quelque
châtiment divin… Mais outre ce jeu sur la peur qu’il faut remarquer, il faut
encore accuser Emmanuel Macron d’être celui qui promeut véritablement la guerre
par sa conception, ou plutôt la conception qu’il n’a pas de la France. Je me
souviens en effet qu’il y a dix ans déjà, Philippe de Villiers, alors qu’il
était encore engagé en politique, avait coutume de déclarer qu’une société
multi-culturelle était une société multi-conflictuelle. La guerre qui se
prépare, bien malheureusement, dans les sociétés occidentales déchristianisées,
n’est pas une guerre de nations contre nations comme jadis, mais une guerre de
communautés contre communautés, politiques, ethniques et religieuses.
Ainsi, si le candidat de la
grande bourgeoisie orléaniste Emmanuel Macron est celui du règne de l’argent
tout-puissant et sans frontières, avec des capitaux qui circulent aussi bien
que des foules de migrants bariolées, celui également d’un territoire de France
où les cultures vont et viennent sans que l’on puisse les hiérarchiser
historiquement, puisque d’après lui il n’existe pas de culture française mais
divers cours d’eau qui abreuvent le grand fleuve mondial, Marine Le Pen fait de
son côté une campagne « au nom du peuple », avec ce slogan qui ne
manque pas de rappeler la maxime bonapartiste : « pour le peuple et
par le peuple. » C’est que là où Macron est le serviteur et l’instrument d’une
oligarchie mondialiste pour laquelle la France n’est qu’un marché parmi d’autres,
Le Pen s’efforce de reprendre le combat souverainiste qui était celui de
Villiers il y a dix ans, en proposant la reconquête de certains attributs
régaliens dont l’état républicain s’est vu déposséder progressivement, ainsi la
maîtrise du territoire national avec des frontières ou encore l’attribution d’une
monnaie française. S’agissant de la volonté de rendre à l’état sa puissance
politique par un retour de souveraineté, on ne peut lui donner tort si l’on se
souvient de l’adage selon lequel le roi de France est empereur en son royaume,
l’empire de l’époque opportunément vaincu par Philippe Auguste à Bouvines étant
le saint Empire romain germanique, lointain ancêtre de l’Allemagne. Quand Emmanuel
Macron se rend en Algérie pour accuser la France de crime contre l’humanité au
sujet de la colonisation, il n’est pourtant aucunement gêné, aux côtés de son
allié François Bayrou, par le fait de sacrifier l’indépendance et les intérêts de
son pays à la colonisation des instances de l’Union européenne et de l’Allemagne
à travers elles. En vérité, les collaborateurs, puisque Macron semble reprendre
volontiers l’assimilation outrancière de toute idée d’indépendance d’un pays au
fascisme et au nazisme, se situent bien plutôt du côté de ceux qui sacrifient la
souveraineté et la liberté de leur pays, comme on l’a vu trop souvent dans
notre histoire et dès la Guerre de cent ans. La méthode de Marine Le Pen pour
espérer raviver cette indépendance, comme cela pouvait être le cas pour
Philippe de Villiers mais de manière encore plus symptomatique, souffre
toutefois nécessairement de la conception républicaine du pouvoir et de la souveraineté.
Non seulement elle devra, si elle est élue, composer avec un corps législatif
incertain et une justice constitutionnelle qui risquent fort de lui donner du
fil à retordre comme à Donald Trump aux Etats-Unis, mais de plus sa
méthodologie plébiscitaire et référendaire, d’inspiration gaulliste et
bonapartiste, repose sur la vision populaire de la souveraineté. C’est-à-dire
que si referendum il y avait sur l’Europe et sur l’euro, et qu’il était perdu,
au nom de cette vision la candidate n’aurait plus qu’à remballer ses
convictions et à présider contre icelles. Je suis, au contraire, de ceux qui
croient qu’il existe certaines vérités sur le compte de la France qui ne
peuvent pas être sujettes à débat, mais l’engagement républicain est nécessairement
ce qui piège la droite depuis la Révolution, le combat de celle-ci conduisant à
jouer le rôle de l’assiégé. Le fait de parler au peuple n’est certes pas
indigne en soi, au contraire, mais ce bonapartisme républicain risque fort de
se retourner contre ses propres espérances à cause d’une opinion énormément
divisée et tristement versatile – comme quand le non l’a emporté au referendum
sur la constitution européenne de 2005, avant de voir l’élection de Nicolas
Sarkozy et de François Hollande, deux présidents aux politiques pourtant contraires
à ce résultat. Il n’est pour autant pas question de nier, au-delà de la
perspective idéologique, la difficulté pratique de la candidate Le Pen que l’on
verrait mal mettre en place un tel programme par ordonnances et à grands coups
de 49.3 comme compte le faire Emmanuel Macron en d’autres occasions, peut-être
avec son ancien rival Manuel Valls, spécialiste en la matière. Le royalisme
français lui-même, et le légitimisme en particulier, s’il ne doute pas de ses
principes et de sa tradition en eux-mêmes relativement à la vérité de la France,
est bien en peine de les communiquer au peuple vivant sur les terres de l’ancien
royaume de France, tant et si bien que finalement l’héritier des rois de France
Louis de Bourbon en vient dans ses déclarations à se dire prêt à assumer le
titre de roi de France si les Français y sont prêts eux aussi. Il existe en
cela une cohérence historique et un souvenir de ce qui aurait dû être fait lors
des derniers règnes des Bourbons ; c’est bien une partie de la noblesse et
de la noblesse de robe en particulier (les ancêtres de ces juges qui ont
éliminé François Fillon, pour qui je n’ai guère de peine au vu de son appel
empressé à voter Macron), en sus de l’activisme de la bourgeoisie et des « philosophes »,
qui a empêché le roi de France de réformer la politique économique de la
monarchie absolue au bénéfice du peuple, ne serait-ce qu’au niveau de l’impôt.
Tant et si bien que la grande bourgeoisie, dans laquelle s’est fondue tout à
son aise la noblesse traîtresse, a fait la Révolution au nom d’un peuple pris
en otage puis l’a exploité sous le couvert de cet orléanisme affairiste qui s’est
perpétué jusqu’à Macron qui l’incarne si bien.
En tous les cas, s’il faut
accorder quelque point à Emmanuel Macron, c’est bien d’avoir écrit, comme je l’ai
déjà rappelé ci-dessus, que la France ne s’était jamais remise de la perte du
roi comme père, parce que cela avait – et c’est moi qui conclus cela –
relativisé à jamais la notion de souveraineté en France. Mais il ne suffit pas
de parler de royalisme pour être royaliste ou s’en approcher, ce que l’on voit
bien avec son soutien Stéphane Bern, dont l’orléanisme dynastique de jeunesse s’est
mué en orléanisme pratique : voilà bien la seule cohérence que l’on peut
trouver dans ce camp à cet égard. Le cas de Marine Le Pen est plus clair, elle
qui prend pour modèle un personnage historique comme le cardinal de Richelieu
(nom que devrait recevoir un second porte-avions sous sa présidence) sans
vouloir autre chose que les institutions de la Ve République au nom de la
synthèse de l’histoire de France propre au courant bonapartiste et gaulliste. J’avais,
il y a quelques années, écrit un court article de doctrine s’intéressant à la
classification des droites historiques, et hiérarchisant trois approches :
l’histoire légitimiste se basant sur une définition capétienne de la France de
Clovis jusqu’à la Révolution ; l’histoire bonapartiste (et orléaniste si
on utilise le mot du côté plus nationaliste de l’Action française) regroupant
les héritages monarchiques et républicains ; l’histoire strictement
républicaine pour qui la France n’existe ou n’est à considérer que depuis 1789
voire 1793 dans le pire des cas. Marine Le Pen et le Front national ne me
semblent pas se résumer au régime de Vichy et au maréchal Pétain comme certains
aimeraient le faire croire, mais bien plutôt participer de la vision de l’histoire
bonapartiste, celle qui devrait d’ailleurs logiquement prédominer dans une Ve
république respectueuse de sa vocation de synthèse. C’est d’ailleurs ce que l’on
devrait retrouver dans l’école qui devrait à nouveau transmettre cette histoire
sans idéologie d’extrême gauche et mise en avant du communautarisme, quand on s’efforce
aujourd’hui de bannir des programmes tout ce qui sentirait un peu trop la « France
d’avant » ou les racines. De même, si la conception de la laïcité implique
une mise à égalité des religions avec laquelle un légitimiste ne peut s’accorder,
quand le roi de France est sacré et le catholicisme religion d’État (nous
parlons d’un catholicisme traditionnel et non du catholicisme libéral et révolutionnaire
prédominant, hélas, de nos jours, même si l’Église s’est abstenue de consigne
de vote pour l’instant), Marine Le Pen laisse ouverte la perspective de la
protection au moins culturelle de l’héritage chrétien, alors qu’elle est aussi
la seule à remettre en cause le mariage pour tous de Christiane Taubira.
Emmanuel Macron, lui, est désormais soutenu par les institutions juives et
musulmanes de France et ira sans nul doute encore plus loin que François
Hollande dans la destruction de la notion de la famille, cette cellule de base
de la société comme l’écrivait Honoré de Balzac, et dans la promotion de l’individu
déraciné et désincarné. Relativement aux trois manières de voir l’histoire de France
que j’ai évoquées ci-dessus, il m’est du reste difficile de le classer. S’il ne
correspond absolument pas aux visions légitimiste et bonapartiste, je ne suis
même pas sûr qu’il puisse s’inscrire dans la vision républicaine, tant on a l’impression
qu’avec Macron, il n’existe même plus d’histoire de France tout court, mais
seulement un horizon européen eschatologique et une notion de performance
économique, comme si l’homme n’était qu’un corps sans âme, ni mémoire, comme
notre pays une entité sans passé ni identité. La France aurait donc fait son
temps, même la régence qu’est la Ve république. « Je m’en vais, mais l’État
demeurera toujours », aurait dit Louis XIV peu avant sa mort. Pour combien
de temps encore ?