jeudi 11 octobre 2012 | By: Mickaelus

Le chevalier Bayard - Pierre du Terrail

Statue de Ste-Anne-d'Auray

BAYARD (Pierre du Terrail, seigneur DE), surnommé le Chevalier sans peur et sans reproche, le seul peut-être de tous les héros du moyen âge dont la vie soit sans tache, et qu'on puisse louer sans aucune restriction. Simple, modeste, ami sincère, amant délicat, pieux, humain et magnanime, son âme réunit toutes les vertus ; et telle fut la perfection de cet illustre chevalier, que, sans le témoignage unanime des historiens contemporains, la postérité n'aurait peut-être vu en lui qu'un modèle chimérique et inimitable.

Statue de Grenoble

Il naquit, en 1476, d'Aymon du Terrail et d'Hélène des Allemans, au château de Bayard, dans la vallée de Graisivaudan, à six lieues de Grenoble. La maison du Terrail, l'une des plus anciennes du Dauphiné, était qualifiée de noble et ancienne chevalerie, d'écarlate de la noblesse. Le jeune Bayard, élevé sous les yeux de son oncle George du Terrail, évêque de Grenoble, puisa de bonne heure, à l'école de ce digne prélat, le germe des vertus qui devaient l'illustrer un jour. « Mon enfant, lui disait ce bon évêque, sois noble comme tes ancêtres, comme ton trisaïeul, qui fut tué aux pieds du roi Jean, à la bataille de Poitiers ; comme ton bisaïeul et ton aïeul, qui eurent le même sort, l'un à Azincourt, l'autre à Montlhéry ; et enfin, comme ton père, qui fut couvert d'honorables blessures en défendant la patrie. »


A peine Bayard eut-il atteint l'âge de treize ans, que, voué à la carrière des armes, l'évêque de Grenoble le présenta au duc de Savoie, allié de la France, qui l'admit au nombre de ses pages. Il faisait partie de son cortège, lorsque ce prince vint voir Charles VIII à Lyon. Charmé de l'adresse du jeune Bayard à manier un cheval, le roi de France le demanda au duc de Savoie, et le confia aux soins de Paul de Luxembourg, comte de Ligny. Ce seigneur le fit homme d'armes de sa compagnie, et lui témoigna le plus tendre intérêt. Les tournois furent pour le jeune Bayard les premiers champs d'honneur et de gloire. Dès lors on démêlait dans ses traits ce qu'il serait un jour.

Bataille de Fornoue - Eloi Firmin Feron 

Appelé à des combats plus sérieux, il suivit Charles VIII en Italie, fit à dix-huit ans, à la bataille de Fornoue, des prodiges de valeur, eut deux chevaux tués sous lui, et prit une enseigne qu'il présenta au roi. Vers le commencement du règne de Louis XII, il poursuivit avec tant d'acharnement les fuyards aux portes de Milan, qu'il entra avec eux dans la ville, et fut fait prisonnier. Ludovic Sforza eut la générosité de le renvoyer sans rançon, après lui avoir fait rendre ses armes et son cheval. Pendant le séjour des Français dans la Pouille, Bayard défit un parti espagnol, et fit lui-même prisonnier le capitaine don Alonzo de Soto-Mayor, qu'il traita généreusement ; mais non content de prendre la fuite, au mépris de sa parole, Soto-Mayor calomnia Bayard, qui, selon les mœurs du temps, l'appela en combat singulier : il tua son adversaire, et plusieurs auteurs font mention de sa victoire comme d'un prodige de force et d'adresse. Depuis, à l'exemple d'Horatius Coclès, Bayard défendit seul, contre les Espagnols, un pont sur le Garigliano, et sauva l'armée française, en retardant la marche de l'ennemi victorieux. « Comme un tigre eschappé, dit Théodore Godefroy, il s'accula à la barrière du pont, et à coups d'espée se défendit si très-bien, qu'ils ne savoient que dire, et ne cuidoient point que ce fût un homme, mais un déable. » Cette belle action lui mérita pour devise un porc-épic, avec ces mots, faits pour lui seul : Vires agminis unus habet. Bayard suivit ensuite Louis XII, lorsque ce prince marcha contre les Génois révoltés ; il fut chargé de l'attaque d'un fort dont la prise décida de la soumission de la ville de Gênes.

Bayard défend le pont du Garigliano - Philippoteaux

La ligue de Cambrai contre la république de Venise ayant rallumé la guerre d'Italie, l'armée française rencontra celle des Vénitiens près d'Agnadel, en 1509. Bayard était à l'arrière-garde, et, marchant à travers les marais pour prendre les ennemis en flanc, il les rompit, et détermina la victoire. S'étant signalé aussi devant Padoue, l'empereur Maximilien lui dit, en présence de toute l'armée : « le roi mon frère est bien heureux d'avoir un chevalier tel que vous ; je voudrais avoir une douzaine de vos pareils, et qu'il m'en coutât cent mille florins par an. » Bayard vint ensuite au secours du duc de Ferrare, contre Jules II, et forma le projet d'enlever le pape, qui, d'allié de la France, était devenu son ennemi le plus acharné. Le hasard fit tout échouer ; mais, non moins grand Fabricius, Bayard sauva la vie à Jules II, qu'un traître offrait d'empoisonner. L'âme noble du héros français eut horreur de la trahison, et, montrant l'indignation la plus vive au duc de Ferrare, qui opinait pour l'empoisonnement, il le menaça d'avertir le pape. Bayard, blessé grièvement à l'assaut de Brescia, est porté dans la maison d'un gentilhomme qui venait de prendre la fuite, laissant sa femme et ses deux filles exposées à la brutalité des soldats. La mère éplorée reçoit le guerrier mourant, et le conjure de sauver la vie et l'honneur de ses filles. Bayard la rassure, met sa maison à l'abri de toute insulte ; et, tandis que des ruisseaux de sang inondent la ville, que des soldats féroces se livrent à tous les excès du crime, l’asile de Bayard devient le séjour de la paix, la sauvegarde de l'innocence. Guéri de sa blessure, et près de rejoindre l'armée, il refuse 2500 ducats que cette famille reconnaissante lui offre pour rançon, et partage cette somme entre les deux jeunes beautés dont il a protégé la vertu ; il s'arrache, le cœur attendri, des bras de cette intéressante famille, qui le comble de bénédictions. La joie fut générale à l'arrivée de Bayard au camp de Gaston de Foix, devant Ravenne. Il opina pour la bataille, prit deux enseignes aux Espagnols, et poursuivit les fuyards : Gaston, l'espoir de la France, périt pour n'avoir pas suivi les conseils de Bayard.

La mort de Gaston de Foix - Arry Scheffer

Blessé de nouveau à la retraite de Pavie, où il était resté le dernier pour faire rompre le pont, il fut transporté à Grenoble, dans la demeure de ses pères, vingt-deux ans après l'avoir quittée. Sa vie y fut en danger. « Mon regret, disait-il, n'est pas de mourir, mais de mourir dans un lit comme une femme. » Il se rétablit, et ce fut dans ce même hiver que sa grande âme fit tourner à sa gloire jusqu'aux faiblesses inséparables de l'humanité. Bayard était enflammé du désir de posséder une jeune personne charmante : un suborneur se charge de la lui livrer ; la mère, avilie par la misère, met un prix à l'honneur de sa fille. L'innocente victime paraît devant Bayard, avec ce timide embarras qui rend la beauté plus touchante. A peine ose-t-elle lever sur lui ses yeux humides de larmes. « Quoi ! lui dit Bayard, est-ce pour pleurer que vous êtes venue ? – Hélas ! s'écrie-t-elle en se jetant à ses genoux, vous êtes le maître de mon sort... mais apprenez que je suis d'une famille noble, et ne déshonorez pas une victime de la misère ! » Ces paroles, entrecoupées de sanglots, rappellent Bayard à lui-même, et, pénétré d'un saint respect pour cette jeune vierge, qui fond en larmes à ses pieds, il devient le protecteur de son innocence, lui assure une dot, et réprimande sa mère, dont il devient aussi l'appui : « Je vous rends votre fille, lui dit-il, aussi pure que je l'ai reçue ; par le choix d'un époux digne d'elle, je veux qu'elle puisse se féliciter le reste de sa vie d'être restée vertueuse. » Ce trait, en plaçant Bayard à côté de Scipion, lui a fait appliquer ce que Tite-Live dit de ce héros de Rome, qui, à l'âge de vingt-six ans, remporta sur lui-même une semblable victoire : et juvenis, et coelebs, et victor.

La continence de Bayard - Durameau

Bayard goûtait les hommages de ses concitoyens, lorsque la guerre, rallumée par l'agression de Ferdinand le Catholique, dans la Navarre, l'appela au-delà des Pyrénées : il y déploya les mêmes talents et le même héroïsme qui l'avaient rendu si célèbre au-delà des Alpes. Les revers qui empoisonnèrent les dernières années de Louis XII, ne donnèrent peut-être que plus d'éclat à la gloire personnelle de Bayard. Ligué avec Ferdinand et l'empereur Maximilien, le roi d'Angleterre Henri VIII menaça la Picardie, en 1513, et mit le siège devant Thérouanne. L'armée française en vint aux mains à Guinegaste, et prit honteusement la fuite, sans qu'il fût possible aux chefs de la rallier. Bayard, désespéré, s'arrête sur un pont, et fait face à l'ennemi avec son intrépidité ordinaire ; mais, cédant au nombre, sa troupe va mettre bas les armes : Bayard, apercevant un officier anglais au pied d'un arbre, vole vers lui à cheval, et, lui mettant l'épée sur la gorge : « rends-toi, homme d'armes, lui dit-il, ou je te tue ! » L'officier lui remit son épée ; Bayard lui donne aussitôt la sienne, en lui disant : « vous voyez devant vous le capitaine Bayard, qui est aussi votre prisonnier. » Cette action ingénieuse et hardie fut rapportée à l'empereur et au roi d'Angleterre, qui décidèrent que Bayard ne devait point de rançon, et que les deux prisonniers étaient quittes mutuellement de leurs paroles. Les deux monarques accueillirent Bayard avec tous les égards qui étaient dus à un tel prisonnier, et le renvoyèrent comblé d'éloges. « Je crois, lui dit Henri VIII, que si tous les gentilshommes français étaient comme vous, le siège que j'ai mis devant Thérouanne serait bientôt levé. »

Parvenu au trône, François Ier envoya Bayard en Dauphiné, en qualité de lieutenant-général, pour ouvrir à son armée le chemin des Alpes et du Piémont. Prosper Colonne l'attendait au passage, et espérait le surprendre ; mais Bayard enleva lui-même ce général, et le fit prisonnier dans la ville de Carmagnole. Cette expédition brillante ne fut qu'un jeu pour Bayard, qui préludait ainsi à la fameuse journée de Marignan : il y fit des prodiges à côté de François Ier, et décida la victoire. On vit alors un spectacle digne de fixer les regards de tous les âges : un prince, vainqueur d'une nation redoutable, qui, rappelant les usages de l'ancienne chevalerie, voulut être armée chevalier de la main du plus brave, et qui fit choix de Bayard pour orner son diadème du gage de la valeur : « Bayard, mon amy, lui dit le monarque, je veux aujourd'huy soye fait chevalier par vos mains, parce que celui qui a combattu à pied et à cheval, entre tous autres, est tenu et réputé le plus digne chevalier. » Bayard s'excuse avec modestie : « faites mon vouloir et commandement, ajoute le roi. » Bayard obéit, et, frappant du plat de son épée sur le col du monarque à genoux : « Sire, dit-il, autant vaille que si c'étoit Roland ou Olivier, Godefroy ou Baudouin son frère ; certes, vous êtes le premier prince que onques fis chevalier. » Regardant ensuite son épée, et la baisant avec une joie ingénue : « Tu es bienheureuse, mon espée, d'avoir, à un si vertueux et si puissant roi, donné l'ordre de chevalerie... ! Ma bonne espée, tu seras moult bien comme relique gardée, et sur toutes autres honorée ! » Cette épée devint bientôt encore plus glorieuse et redoutable dans les mains de Bayard. Jamais la patrie n'en eut un besoin si pressant.

François Ier armé chevalier par Bayard - Ducis

A peine François Ier a-t-il vaincu au-dehors, qu'il a ses propres frontières à défendre. La Champagne est menacée par les forces de Charles Quint, réunies devant Mézières, faible boulevard contre tant d'ennemis. On propose au roi de brûler Mézières, et de dévaster toute la province. Ce conseil, inspiré par le désespoir et la crainte, fait frémir Bayard, qui dit au roi : « il n'y a point de places faibles où il y a des gens de cœur pour les défendre ! » Il se jette dans la ville, résolu de la sauver ou d'y périr. Les ennemis osent le sommer de se rendre : « avant de sortir de Mézières, répond Bayard, j'espère faire dans les fossés un pont de corps morts, sur lequel je puisse passer avec ma garnison. » Cent pièces d'artillerie tonnent alors contre les remparts. Une partie de la garnison, craignant d'être écrasée sous les ruines, prend la fuite par la brèche : « tant mieux, dit Bayard, ces lâches n'étaient pas dignes d'acquérir de la gloire avec nous. » La ruse acheva ce qu'avait commencé la bravoure. Bayard sema la discorde parmi les généraux ennemis qui levèrent le siège. Sans cette glorieuse résistance, Charles Quint aurait pu pénétrer au cœur du royaume. Bayard vint à Paris, et y fut reçu comme un libérateur. Le parlement lui fit une députation solennelle au nom de la nation ; le roi le nomma chevalier de l'ordre de Saint-Michel, et lui donna une compagnie de cent hommes d'armes à commander en son nom, honneur jusque-là réservé aux princes. Il serait difficile de peindre les transports qu'excita son retour dans la province qui l'avait vu naître : ses soins et ses libéralités firent cesser le fléau de la peste qu'il avait trouvé à Grenoble.

François Ier envoya Bayard à Gênes, soulevée de nouveau contre la France, et sa présence suffit pour réprimer les Génois. De retour à l'armée, il soumit la ville de Lodi ; mais bientôt la fortune changea, et ces mêmes armées françaises, jusqu'alors triomphantes, furent chassées de leurs conquêtes. L'amiral Bonnivet qui, par des mesures mal prises, avait fait battre Bayard à Rebec, près de Milan, lui remit ensuite le sort de l'armée, pour la sauver, ayant été blessé lui-même dans sa retraite. « Il est bien tard, répond Bayard, encore sensible à l'affaire de Rebec ; mais, n'importe, mon âme est à Dieu, et ma vie à l’État ; je vous promets de sauver l'armée aux dépens de mes jours. » Il s'agissait de passer, à la vue d'un ennemi supérieur en force, la rivière de la Sésia, entre Romagnano et Gattinara. Bayard, toujours le dernier pour soutenir la retraite, chargeait vigoureusement les Espagnols, lorsque, vers les dix heures du matin, le 30 avril 1524, une pierre, lancée d'un arquebuse à croc, vint le frapper au côté droit, et lui rompit l'épine du dos. « Jésus, mon Dieu, je suis mort ! » s'écrie Bayard. On court à lui pour le retirer de la mêlée : « non, dit-il, près de mourir, je me garderai bien de tourner le dos à l'ennemi pour la première fois. » Voyant approcher les Espagnols, il ranime sa voix mourante pour ordonner d'aller à la charge, et se fait placer au pied d'un arbre. « Mettez-moi, dit-il, de manière que mon visage regarde l'ennemi. » Ses derniers moments portent le caractère de cette simplicité héroïque et chrétienne qui distingue éminemment ce grand homme. Au défaut de croix, il baise la croix de son épée ; n'ayant point de prêtres, il se confesse à son écuyer ; il console ses domestiques, ses amis ; et, craignant qu'ils ne tombent au pouvoir des Espagnols, il les supplie de lui épargner ce surcroît de douleur. S'adressant au brave d'Allègre, il dépose dans son sein ses tendres adieux à son roi et à sa patrie. Les ennemis, maîtres du champ de bataille, viennent à leur tour auprès de lui, verser des larmes d'admiration et de regrets ; le marquis de Pescaire oublie sa victoire pour accourir à son secours ; teint du sang des Français, le connétable de Bourbon s'attendrit à la vue de ce héros expirant : « ce n'est pas moi qu'il faut plaindre, lui dit Bayard, mais vous, qui combattez contre votre roi et contre votre patrie ! » Peu de minutes après avoir proféré ces belles paroles, il expira, à l'âge de quarante-huit ans. Son corps resta au pouvoir des ennemis, qui le firent embaumer, et lui rendirent les plus grands honneurs. On le transporta ensuite à Grenoble, à travers les états du duc de Savoie, qui lui fit rendre les mêmes honneurs funèbres qu'aux princes de son sang. La consternation fut générale dans toute la France : jamais deuil ne fut plus sincère ; la mort de Bayard était devenue une calamité publique. François Ier en marqua les plus vifs regrets. Il sentit encore plus vivement cette perte après la bataille de Pavie. « Ah ! Chevalier Bayard, dit-il, en se voyant au pouvoir des ennemis, que vous me faites grande faute ! je ne serois pas ici ! » Les restes de ce grand homme furent inhumés à une demi-lieue de Grenoble, dans une église des Minimes, bâtie par un de ses oncles, évêque de cette ville. Son mausolée n'est autre chose qu'un buste, au bas duquel on lit une épitaphe latine. Henri IV ordonna qu'on en érigeât un autre, qui répondit à la gloire du héros ; mais ce projet est resté sans exécution.


Bayard mourut pauvre, et ne laissa qu'une fille naturelle, dont sa famille prit soin. La générosité et le désintéressement étaient ses deux vertus dominantes. Après la victoire, il distribuait tout le butin à ses soldats, et partageait entre eux la rançon des prisonniers qu'il avait faits de sa main. Un officier, envoyé pour le seconder dans un coup de main dont Bayard seul avait eu tout l'honneur, réclama la moitié des quinze mille ducats qui avaient été enlevés. Bayard soutint ses droits, et le conseil de guerre jugea en sa faveur. Il entend son camarade regretter amèrement la fortune qui lui échappe, et se fait apporter les quinze mille ducats. « Voilà de belles dragées, dit-il avec sa gaieté ordinaire ; je vois bien qu'elles vous tentent ; eh bien ! puisqu'il vous faut de l'or, recevez-en des mains de votre ami. » Il lui donne la moitié de la somme, et distribue le reste aux soldats. Dans une autre occasion, des révoltés vont se jeter aux genoux du général en chef, pour implorer sa clémence, et lui présentent trois cents marcs de vaisselle d'argent. Celui-ci les donne à Bayard : « que le ciel me préserve, répond l'illustre chevalier, de laisser entrer chez moi ce qui vient des traîtres ! Cela me porterait malheur. » Il n'accepte ce riche présent que pour le distribuer à ceux qui l'entourent. Toujours fidèle à la patrie, Bayard refusa des places éminentes et lucratives, sous des monarques étrangers. En vain Jules II, après l'affaire du Garigliano, lui fit proposer d'être généralissime de ses troupes ; en vain Henri VIII espéra l'attirer à lui, à force de louanges et de promesses : « je n'ai, dit Bayard, qu'un maître au ciel, qui est Dieu, et un maître sur la terre, qui est le roi de France ; je n'en servirai jamais d'autres. » Né avec des inclinations libres et généreuses, Bayard fut étranger à la souplesse des cours et aux artifices de la politique ; aussi n'a-t-il jamais commandé les armées en chef. Ce fut un malheur réel pour la France, et une faute de François Ier, qui accorda plus à la faveur qu'au mérite. Si celui qui joignait la prudence à la valeur, la sagesse à l'intrépidité, l'amour de la patrie à l'amour de ses devoirs ; qui, soigneux et vigilant, fertile en ressources, également propre à la défensive et à l'offensive ; ferme dans les périls, tranquille au milieu des orages, incapable de céder à l'ennemi et de plier sous le nombre ; qu'on suivait dans les camps pour apprendre de lui l'art de la guerre, dont la présence rassurait toute une armée et y répandait la joie ; qui était à la fois l'oracle des conseils, l'âme et le bras des généraux, la terreur des ennemis, le bouclier et l'épée de l’État ; si un tel homme, enfin, ne fut jamais général d'armée, il fut, sans doute, le plus digne de l'être.

La vie de cet illustre chevalier a été écrite d'abord par son secrétaire, sous le nom du Loyal serviteur, Paris, 1527, in-4°. ; réimprimée avec des notes de Théodore Godefroy, Paris, 1616, 1619, in-4°. ; idem, avec un supplément par le président Claude Expilly, et de nouvelles notes par Louis Vidal, pseudonyme du président de Boissieu, Grenoble, 1651, in-4°. Lazare Bocquillot, prieur de Lonval, la remit en langage moderne, Paris, 1702, in-12 ; enfin, Guyard de Berville nous a donné la mieux écrite et la plus intéressante, Paris, 1760, 1766, 1768, in-12, réimprimée un grand nombre de fois. On en trouve encore une agréable dans le tom. IX des Vies des hommes illustres de France, par d'Auvigny. Etienne Pasquier, dans ses Recherches sur la France, a consacré au chevalier Bayard les chapitres 18, 19, 20, 21 et 22 de son 6e livre. Les Vies qu'en ont donné Symphorien Champier, Paris, 1525, in-4°, et Aimar, Lyon, 1699, in-12, ne sont que des romans. Les traits les plus saillants du caractère de Bayard et les principaux événements de sa vie ont été assez habilement placés, par le poète du Belloi, dans la tragédie de Gaston et Bayard.

Biographie universelle de Michaud - Beauchamp