lundi 26 mai 2008 | By: Mickaelus

"A monseigneur le duc de Bourgogne", par Jean de La Fontaine

A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE

Louis de Bourbon, duc de Bourgogne,
dauphin de France (1682-1712)


MONSEIGNEUR,

Je ne puis employer pour mes fables de protection qui me soit plus glorieuse que la vôtre. Ce goût exquis et ce jugement si solide que vous faites paraître dans toutes choses au-delà d'un âge où à peine les autres princes sont-ils touchés de ce qui les environne avec le plus d'éclat, tout cela, joint au devoir de vous obéir et à la passion de vous plaire, m'a obligé de vous présenter un ouvrage dont l'original a été l'admiration de tous les siècles aussi bien que celle de tous les sages. Vous m'avez même ordonné de continuer ; et, si vous me permettez de le dire, il y a des sujets dont je vous suis redevable et où vous avez jeté des grâces qui ont été admirées de tout le monde. Nous n'avons plus besoin de consulter ni Apollon ni les Muses, ni aucune des divinités du Parnasse : elles se rencontrent toutes dans les présents que vous a faits la nature, et dans cette science de bien juger des ouvrages de l'esprit, à quoi vous joignez déjà celle de connaître toutes les règles qui y conviennent. Les fables d'Esope sont une ample matière pour ces talents ; elles embrassent toutes sortes d'événements et de caractères. Ces mensonges sont proprement une manière d'histoire où on ne flatte personne. Ce ne sont pas choses de peu d'importance que ces sujets. Les animaux sont les précepteurs des hommes dans mon ouvrage. Je ne m'étendrai pas davantage là-dessus : vous voyez mieux que moi le profit qu'on en peut tirer. Si vous vous connaissez maintenant en orateurs et en poètes, vous vous connaîtrez encore mieux quelque jour en bons politiques et en bons généraux d'armée ; et vous vous tromperez aussi peu aux choix des personnes qu'au mérite des actions. Je ne suis pas d'un âge à espérer d'en être témoin. Il faut que je me contente de travailler sous vos ordres. L'envie de vous plaire me tiendra lieu d'une imagination que les ans ont affaiblie. Quand vous souhaiterez quelque fable, je la trouverai dans ce fonds-là. Je voudrais bien que vous y puissiez trouver des louanges dignes du monarque qui fait maintenant le destin de tant de peuples et de nations, et qui rend toutes les parties du monde attentives à ses conquêtes, à ses victoires, et à la paix qui semble se rapprocher, et dont il impose les conditions avec toute la modération que peuvent souhaiter nos ennemis. Je me le figure comme un conquérant qui veut mettre des bornes à sa gloire et à sa puissance, et de qui on pourrait dire, à meilleur titre qu'on ne l'a dit d'Alexandre, qu'il va tenir les États de l'univers, en obligeant les ministres de tant de princes de s'assembler pour terminer une guerre qui ne peut être que ruineuse à leurs maîtres. Ce sont des sujets au-dessus de nos paroles : je les laisse à de meilleures plumes que la mienne, et suis avec un profond respect,
MONSEIGNEUR,

Votre très humble, très obéissant,
et très fidèles serviteur,

DE LA FONTAINE

***

LES COMPAGNONS D'ULYSSE

A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE

Prince, l'unique objet du soin des Immortels,
Souffrez que mon encens parfume vos autels.
Je vous offre un peu tard ces présents de ma Muse ;
Les ans et les travaux me serviront d'excuse.
Mon esprit diminue, au lieu qu'à chaque instant
On aperçoit le vôtre aller en augmentant :
Il ne va pas, il court, il semble avoir des ailes.
Le héros dont il tient des qualités si belles
Dans le métier de Mars brûle d'en fait autant :
Il ne tient pas à lui que, forçant la victoire,
Il ne marche à pas de géant
Dans la carrière de la gloire.
Quelque dieu le retient (c'est notre souverain),
Lui qu'un mois a rendu maître et vainqueur du Rhin ;
Cette rapidité fut alors nécessaire ;
Peut-être elle serait aujourd'hui téméraire.
Je m'en tais : aussi bien les Ris et les Amours
Ne sont pas soupçonnés aimer les longs discours.
De ces sortes de dieux votre cour se compose :
Ils ne vous quittent point. Ce n'est pas qu'après tout
D'autres divinités n'y tiennent le haut bout :
Le Sens et la Raison y règlent toute chose.
Consultez ces derniers sur un fait où les Grecs,
Imprudents et peu circonspecs,
S'abandonnèrent à des charmes
Qui métamorphosaient en bêtes les humains.
Les compagnons d'Ulysse, après dix ans d'alarmes,
Erraient au gré du vent, de leur sort incertains.
Ils abordèrent un rivage
Où la fille du dieu du jour,
Circé, tenait alors sa cour.
Elle leur fit prendre un breuvage
Délicieux, mais plein d'un funeste poison.
D'abord ils perdent la raison ;
Quelques moments après, leur corps et leur visage
Prennent l'air et les traits d'animaux différents :
Les voilà devenus ours, lions, éléphants ;
Les uns sous une masse énorme,
Les autres sous une autre forme ;
Il s'en vit de petits : EXEMPLUM, UT TALPA.
Le seul Ulysse en échappa ;
Il sut se défier de la liqueur traîtresse.
Comme il joignait à la sagesse
La mine d'un héros et le doux entretient,
Il fit tant que l'enchanteresse
Prit un autre poison peu différent du sien.
Une déesse dit tout ce qu'elle a dans l'âme :
Celle-ci déclara sa flamme.
Ulysse était trop fin pour ne pas profiter
D'une pareille conjoncture :
Il obtint qu'on rendrait à ces Grecs leur figure.
"Mais la voudront-ils bien, dit la Nymphe, accepter ?
Allez le proposer de ce pas à la troupe."
Ulysse y court, et dit : "L'empoisonneuse coupe
A son remède encore ; et je viens vous l'offrir :
Chers amis, voulez-vous hommes redevenir ?
On vous rend déjà la parole."
Le Lion dit, pensant rugir :
"Je n'ai pas la tête si folle ;
Moi renoncer aux dons que je viens d'acquérir !
J'ai griffe et dent, et mets en pièces qui m'attaque.
Je suis roi : deviendrai-je un citadin d'Ithaque !
Tu me rendras peut-être encor simple soldat :
Je ne veux point changer d'état."
Ulysse du Lion court à l'Ours : "Eh ! mon frère,
Comme te voilà fait ! je t'ai vu si joli !
- Ah ! vraiment nous y voici,
Reprit l'Ours à sa manière :
Comme me voilà fait ? comme doit être un ours.
Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre ?
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?
Je me rapporte aux yeux d'une Ourse mes amours.
Te déplais-je ? va-t'en ; suis ta route et me laisse.
Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse ;
Et te dis tout net et tout plat :
Je ne veux point changer d'état."
Le prince grec au Loup va proposer l'affaire ;
Il lui dit, au hasard d'un semblable refus :
"Camarade, je suis confus
Qu'une jeune et belle bergère
Conte aux échos les appétits gloutons
Qui t'ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t'eût vu sauver sa bergerie :
Tu menais une honnête vie.
Quitte ces bois, et redeviens,
Au lieu de loup, homme de bien.
- En est-il ? dit le Loup : pour moi, je n'en vois guère.
Tu t'en viens me traiter de bête carnassière ;
Toi qui parles, qu'es-tu ? N'auriez-vous pas, sans moi,
Mangé ces animaux que plaint tout le village ?
Si j'étais homme, par ta foi,
Aimerais-je moins le carnage ?
Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous :
Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des loups ?
Tout bien considéré, je te soutiens en somme
Que, scélérat pour scélérat,
Il vaut mieux être un loup qu'un homme :
Je ne veux point changer d'état."
Ulysse fit à tous une même semonce.
Chacun d'eux fit même réponse,
Autant le grand que le petit.
La liberté, les bois, suivre leur appétit,
C'était leurs délices suprêmes ;
Tous renonçaient au lôs des belles actions.
Ils croyaient s'affranchir suivant leurs passions,
Ils étaient esclaves d'eux-mêmes.
Prince, j'aurais voulu vous choisir un sujet
Où je pusse mêler le plaisant à l'utile :
C'était sans doute un beau projet
Si ce choix eût été facile.
Les compagnons d'Ulysse enfin se sont offerts :
Ils sont force pareils en ce bas univers,
Gens à qui j'impose pour peine
Votre censure et votre haine.

***

LE CHAT ET LES DEUX MOINEAUX

A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE

Un Chat, contemporain d'un fort jeune Moineau,
Fut logé près de lui dès l'âge du berceau :
La cage et le panier avaient même pénates ;
Le Chat était souvent agacé par l'oiseau :
L'un s'escrimait du bec, l'autre jouait des pattes.
Ce dernier toutefois épargnait son ami.
Ne le corrigeant qu'à demi,
Il se fût fait un grand scrupule
D'armer de pointes sa férule.
Le Passereau, moins circonspec,
Lui donnait force coups de bec.
En sage et discrète personne,
Maître Chat excusait ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais qu'on s'abandonne
Aux traits d'un courroux sérieux.
Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenait ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait :
Quand un Moineau du voisinage
S'en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton ;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti :
"Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle,
D'insulter ainsi notre ami !
Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre !
Non, de par tous les chats !" Entrant lors au combat,
Il croque l'étranger. "Vraiment, dit maître Chat,
Les moineaux ont un goût exquis et délicat !"
Cette réflexion fit aussi croquer l'autre.
Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?
Sans cela, toute fable est un œuvre imparfait.
J'en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m'abuse.
Prince, vous les aurez incontinent trouvés :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse :
Elle et ses sœurs n'ont pas l'esprit que vous avez.

***

A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE,

QUI AVAIT DEMANDE A M. DE LA FONTAINE UNE FABLE
QUI FÛT NOMMEE

le Chat et la Souris.


Pour plaire au jeune Prince à qui la Renommée
Destine un temple en mes écrits,
Comment composerai-je une fable nommée
Le Chat et la Souris ?

Dois-je représenter dans ces vers une belle
Qui, douce en apparence, et toutefois cruelle,
Va se jouant des cœurs que ses charmes ont pris
Comme le Chat de la Souris ?

Prendrai-je pour sujet les jeux de la Fortune ?
Rien ne lui convient mieux : et c'est chose commune
Que de lui voir traiter ceux qu'on croit ses amis
Comme le Chat fait la Souris.

Introduirai-je un Roi qu'entre ses favoris
Elle respecte seul, Roi qui fixe sa roue,
Qui n'est point empêché d'un monde d'ennemis,
Et qui des plus puissants, quand il lui plaît, se joue
Comme le Chat de la Souris ?

Mais insensiblement, dans le tour que j'ai pris,
Mon dessein se rencontre ; et, si je ne m'abuse,
Je pourrais tout gâter par de plus longs récits :
Le jeune Prince alors se jouerait de ma Muse
Comme le Chat de la Souris.

Jean de La Fontaine : Fables

dimanche 18 mai 2008 | By: Mickaelus

Nadine Morano contre la famille chrétienne



La nomination de quelqu'un comme Nadine Morano à la famille, domaine dans lequel on se serait plutôt attendu à trouver quelqu'un comme Christine Boutin, m'apparaît comme une énième provocation du président Nicolas Sarkozy, en ce sens qu'élu grâce à une campagne menée à droite et non au centre, il ne cesse de multiplier les signaux à gauche. Comment interpréter sinon comme une provocation, un bras d'honneur aux électeurs bien à droite, la mission d'une femme dont les positions en faveur des dites "familles homoparentales" sont de notoriété publique ?

Dans la vidéo ci-dessus, extraite de l'émission de Ruquier du 10 mai, on ne s'étonne donc pas de voir Eric Naulleau boire du petit lait quand Nadine Morano se réclame du gaullisme et de la "justice sociale" pour justifier sa vision de la famille, qui va pour le moins à l'encontre de la famille chrétienne et donc de l'unité sociale de base de la société française traditionnelle. En dehors du fait que Morano place une hypothétique justice sociale au-delà de toute question morale, ce qui est assez fort quand on a affaire au domaine familial - et qui montre bien comment le social a supplanté le moral comme référent transcendant -, je vois personnellement surtout une attitude profondément libérale dans son attitude, puisque son laisser-faire opère sous couvert de pragmatisme. A l'écouter, les familles homoparentales existent, donc elles seraient légitimes, ce qui n'est pas autre chose que dire l'impuissance totale du politique et sa séparation parfaite du monde moral le plus élémentaire. Ce que Morano appelle de l'hypocrisie chez Eric Zemmour, c'est le devoir de l'Etat de ne pas légiférer sur des cas particuliers qui s'ils existent bel et bien n'ont pas vocation à être reconnus, pour la simple et bonne raison qu'ils entrent en concurrence morale avec la norme de la société française traditionnelle. Non, tout ce qui existe n'a pas vocation à être reconnu ni même encouragé par l'Etat.

Il faut aller plus loin et reconnaître que ce socialisme (la "justice sociale"), et non gaullisme, et ce libéralisme (la gestion de ce qui existe sans aucune réflexion morale et, somme toute, politique, puisque le politique a vocation à organiser la cité) revendiqués par Morano sont les deux facettes destructrices de la société française héritées de la Révolution française. Le socialisme est particulièrement perceptible dans la volonté de satisfaire toutes les revendications d'où qu'elles proviennent sans prendre la peine d'examiner leur légitimité morale ; l'appel fait au "droit de l'enfant" (on aurait pu parler tout aussi bien du "droit à l'enfant" qui ne saurait tarder dans cette logique) est tout à fait symptomatique quand on mélange le désir d'enfant de couples (et non de familles) non naturelles et le prétexte de défendre un enfant qui n'a rien demandé. Justement, l'aspect libéral est tout à fait lié à cette attitude quand on prend pour base de son attitude politique non pas le groupe famille - dont on ne veut plus se demander la définition puisqu'elle serait par trop gênante - mais l'individu. La famille chez Morano, ce n'est pas un père, une mère et des enfants, mais une association libre d'individus qui, s'ils revendiquent le titre de famille, y ont forcément droit par "justice sociale", par vision égalitariste. Ainsi, l'héritage révolutionnaire travaille à plein : il s'agit d'un égalitarisme forcené travaillant au service de l'atomisation individualiste de la société traditionnelle en vertu de l'idéologie nihiliste de la République. La famille chrétienne ne peut donc être, pour les gens comme Morano et sa famille politique, qu'un reliquat gênant et encombrant.

[P. S. : la vidéo de Dailymotion que j'ai commentée a depuis longtemps été effacée, ce qui n'étonne pas connaissant Nadine Morano, mais le texte vaut toujours pour lui-même.]

"Pour monseigneur le duc du Maine", par Jean de La Fontaine

Le duc du Maine (1670-1736), fils de Louis XIV et de madame de Montespan légitimé en 1673, est âgé de neuf ans au moment où La Fontaine écrit cette fable. On reconnaîtra dans Jupiter et son fils, évidemment, Louis XIV et le duc du Maine.

Louis Auguste de Bourbon, duc du Maine


POUR MONSEIGNEUR LE DUC DU MAINE


Jupiter eut un fils, qui, se sentant du lieu
Dont il tirait son origine,
Avait l'âme toute divine.
L'enfance n'aime rien : celle du jeune dieu
Faisait sa principale affaire
Des doux soins d'aimer et de plaire.
En lui l'amour et la raison
Devancèrent le temps, dont les ailes légères
N'amènent que trop tôt, hélas ! chaque saison.
Flore aux regards riants, aux charmantes manières,
Toucha d'abord le cœur du jeune Olympien.
Ce que la passion peut inspirer d'adresse,
Sentiments délicats et remplis de tendresse,
Pleurs, soupirs, tout en fut : bref, il n'oublia rien.
Le fils de Jupiter devait, par sa naissance,
Avoir un autre esprit, et d'autres dons des Cieux,
Que les enfants des autres Dieux :
Il semblait qu'il n'agît que par réminiscence,
Et qu'il eut autrefois fait le métier d'amant,
Tant il le fit parfaitement !
Jupiter cependant voulut le faire instruire.
Il assembla les Dieux, et dit : "J'ai su conduire
Seul et sans compagnon jusqu'ici l'univers ;
Mais il est des emplois divers
Qu'aux nouveaux dieux je distribue.
Sur cet enfant chéri j'ai donc jeté la vue :
C'est mon sang ; tout est plein déjà de ses autels.
Afin de mériter le rang des Immortels,
Il faut qu'il sache tout." Le maître du tonnerre
Eut à peine achevé, que chacun applaudit.
Pour savoir tout, l'enfant n'avait que trop d'esprit.
"Je veux, dit le Dieu de la guerre,
Lui montrer moi-même cet art
Par qui maints héros ont eu part
Aux honneurs de l'Olympe, et grossi cet empire.
- Je serai son maître de lyre,
Dit le blond et docte Apollon.
- Et moi, reprit Hercule à la peau de lion,
Son maître à surmonter les vices,
A dompter les transports, monstres empoisonneurs,
Comme hydres renaissants sans cesse dans les cœurs :
Ennemi des molles délices,
Il apprendra de moi les sentiers peu battus
Qui mènent aux honneurs sur les pas des vertus."
Quand ce vint au Dieu de Cythère,
Il dit qu'il lui montrerait tout.

L'Amour avait raison : de quoi ne vient à bout
L'esprit joint au désir de plaire ?

Jean de La Fontaine : Fables

jeudi 8 mai 2008 | By: Mickaelus

"A madame de Montespan", par Jean de La Fontaine

Pierre Mignard, Françoise-Athénaïs de Rochechouart,
marquise de Montespan (1641-1707)



A MADAME DE MONTESPAN


L'apologue est un don qui vient des Immortels ;
Ou si c'est un présent des hommes,
Quiconque nous l'a fait mérite des autels :
Nous devons, tous tant que nous sommes,
Eriger en divinité
Le Sage par qui fut ce bel art inventé.
C'est proprement un charme : il rend l'âme attentive,
Ou plutôt il la tient captive,
Nous attachant à des récits
Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits.
Ô vous qui l'imitez, Olympe, si ma Muse
A quelquefois pris place à la table des Dieux,
Sur ses dons aujourd'hui daignez porter les yeux ;
Favorisez les jeux où mon esprit s'amuse.
Le temps, qui détruit tout, respectant votre appui,
Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage :
Tout auteur qui voudra vivre encore après lui
Doit s'acquérir votre suffrage.
C'est de vous que mes vers attendent tout leur prix :
Il n'est beauté dans nos écrits
Dont vous ne connaissiez jusques aux moindres traces.
Eh ! qui connaît que vous les beautés et les grâces ?
Paroles et regards, tout est charme dans vous.
Ma Muse, en un sujet si doux,
Voudrait s'étendre davantage ;
Mais il faut réserver à d'autres cet emploi ;
Et d'un plus grand maître que moi
Votre louange est le partage.
Olympe, c'est assez qu'à mon dernier ouvrage
Votre nom serve un jour de rempart et d'abri ;
Protégez désormais le livre favori
Par qui j'ose espérer une seconde vie ;
Sous vos seuls auspices, ces vers
Seront jugés, malgré l'envie,
Dignes des yeux de l'univers.
Je ne mérite pas une faveur si grande ;
La fable en son nom la demande :
Vous savez quel crédit ce mensonge a sur nous.
S'il procure à mes vers le bonheur de vous plaire,
Je croirai lui devoir un temple pour salaire :
Mais je ne veux bâtir des temples que pour vous.

Jean de La Fontaine : Fables

Les Inconnus : Education nationale

samedi 3 mai 2008 | By: Mickaelus

"Le renard, le singe ou les animaux", ou critique de l'élection du chef de l'Etat, par Jean de La Fontaine

Cette fable m'apparaît comme étonnamment moderne en ce sens qu'elle semble écrite tout spécialement pour critiquer le mode d'élection du chef de l'État de la Ve République. L'espèce de l'animal à qui échoit la couronne est tout à fait significative de ce point de vue : c'est un singe ! Or ce singe est choisi par ses comparses les animaux parce qu'il a su les divertir, capter leur attention par l'entremise de grimaces et autres singeries. Ces singeries s'appellent dans notre société politique contemporaine une campagne électorale, qui a pour ambition de faire de fausses promesses qu'on sait ne pas pouvoir tenir pour contenter le peuple et lui rendre le sourire... pour un temps seulement ! Le renard symbolise quant à lui, autant qu'un rival qui peut être un traître de son propre camp, l'opposition, etc., le peuple qui est prêt à se défaire de son chef élu dès lors que la lune de miel électorale aura perdu de son aura mystificatrice. Cette élection faite de haine et d'amour renvoie au problème soulevé par la légitimité perdue : le suffrage populaire ne paraît à personne légitime parce qu'on juge toujours que le président est celui d'un camp ou qu'il nous doit quelque chose, à nous personnellement, parce qu'on a voté pour lui - et d'autant plus dans le cas contraire ! La vraie légitimité royale avait pour avantage d'appartenir au roi de France et non des Français, un roi qu'on ne choisissait pas mais que la tradition - et donc Dieu puisqu'il la valide par le sacre - désignait. Le roi n'usurpait pas la confiance du peuple par des singeries électorales, mais avait tout intérêt à œuvrer pour son bonheur et pour le bien commun de la France puisqu'il avait à transmettre son patrimoine à son héritier. Ajoutons à cela, puisque la fin de la fable pose le problème de la capacité du monarque, que le roi est formé dès son plus jeune âge à son noble métier et qu'il ne poursuit pas l'ambition personnelle, ni celle d'un camp, mais la gloire de son pays dont il est l'incarnation légitime et naturelle.


LE RENARD, LE SINGE ET LES ANIMAUX

Les Animaux, au décès d'un Lion,
En son vivant prince de la contrée,
Pour faire un roi s'assemblèrent, dit-on.
De son étui la couronne est tirée :
Dans une chartre un dragon la gardait.
Il se trouva que, sur tous essayée,
A pas un d'eux elle ne convenait :
Plusieurs avaient la tête trop menue,
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue.
Le Singe aussi fit l'épreuve en riant ;
Et par plaisir la tiare essayant,
Il fit autour force grimaceries,
Tours de souplesse, et mille singeries,
Passa dedans ainsi qu'en un cerceau.
Aux Animaux cela sembla si beau,
Qu'il fut élu : chacun lui fit hommage.
Le Renard seul regretta son suffrage,
Sans toutefois montrer son sentiment.
Quand il eut fait son petit compliment,
Il dit au Roi : "Je sais, Sire, une cache,
Et ne crois pas qu'autre que moi la sache.
Or tout trésor, par droit de royauté,
Appartient, Sire, à Votre Majesté."
Le nouveau roi bâille après la finance ;
Lui-même y court pour n'être pas trompé.
C'était un piège : il y fut attrapé.
Le Renard dit, au nom de l'assistance :
"Prétendrais-tu nous gouverner encor,
Ne sachant pas te conduire toi-même ?"
Il fut démis ; et l'on tomba d'accord
Qu'à peu de gens convient le diadème.

Jean de La Fontaine : Fables

La grandeur des Rois de France

"La république n'atteindra jamais la grandeur des Rois de France."


"Les Rois ont fait la France, elle se défait sans Roi !"

jeudi 1 mai 2008 | By: Mickaelus

"Le lion s'en allant en guerre", ou le bon sens du roi, par Jean de La Fontaine

Cette fable, qui dans le contexte de l'époque fait songer au départ pour la guerre des troupes de Louis XIV, pointe de façon plus générale une des qualités essentielles que ne doit pas manquer d'acquérir un roi ; celle qui consiste à avoir le sens de l'observation et ainsi la faculté de bien s'entourer et de tirer parti de toutes les ressources du royaume.



LE LION S'EN ALLANT EN GUERRE

Le Lion dans sa tête avait une entreprise :
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts,
Fit avertir les animaux.
Tous furent du dessein, chacun selon sa guise :
L'Eléphant devait sur son dos
Porter l'attirail nécessaire,
Et combattre à son ordinaire ;
L'Ours, s'apprêter pour les assauts ;
Le Renard, ménager de secrètes pratiques ;
Et le Singe, amuser l'ennemi par ses tours.
"Renvoyez, dit quelqu'un, les Ânes, qui sont lourds,
Et les Lièvres, sujets à des terreurs paniques.
- Point du tout, dit le Roi ; je les veux employer :
Notre troupe sans eux ne serait pas complète.
L'Âne effraiera les gens, nous servant de trompette ;
Et le Lièvre pourra nous servir de courrier."

Le monarque prudent et sage
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connaît les divers talents.
Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens.

Jean de La Fontaine : Fables